Entretien avec Mohand Haddadi membre actif du mouvement pour le départ des prostituées de Tichy
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Entretien avec Mohand Haddadi membre actif du mouvement pour le départ des prostituées de Tichy
Pouvez-vous nous expliquer comment est né le mouvement contre la prostitution à Tichy ?
Le mouvement contre la prostitution à Tichy a vu le jour en 1993. La personne la plus active à l’époque a été contrainte de changer de lieu de résidence vu les menaces qu’elle avait subies de la part des réseaux de prostitution. Durant les années 90, il y avait des marches et des rassemblements de protestation, mais très timides. En réalité, il n’y avait pas une grande implication de la population dans le mouvement.
La prolifération de la prostitution qui est passée des cabarets aux cités de la ville n’a pas laissé les habitants indifférents. La situation commençait à pourrir du fait que des lieux de prostitution envahissaient la ville. En effet, des cités entières sont habitées par des prostituées. Cela a provoqué l’ire de la population qui est touchée dans son honneur.
En 2008, en réaction à cette situation, l’association Tadukli de Tichy-centre a adressé des courriers aux autorités civiles et militaires (Wali, chef de daira, président d’APC, gendarmerie nationale, police…) pour leur demander d’intervenir afin de mettre fin à ce fléau. En juillet de la même année, les habitants de Tichy, en guise protestation contre la prostitution, ont bloqué la route. La population a dénoncé également la passivité des services de sécurité dans la région. Les habitants et les estivants se font agresser en plein jour sans que les services de sécurité interviennent.
Nous avons donc décidé de lutter sans relâche contre ces fléaux (prostitution et insécurité) et prendre le relais de l’association Tafat qui a lutté durant les années 90. Nous savons que ce n’est pas facile de lutter contre des réseaux qui gagnent des milliards et qui sont prêts à mettre beaucoup d’argent pour étouffer le mouvement. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous avons un fonctionnement horizontal dans notre « organisation » pour éviter que des animateurs soient corrompus.
Depuis 2008, à chaque fois que la population proteste, les patrons des hôtels renvoient les prostituées chez elles. Une fois que le mouvement s’arrête, les prostituées reviennent progressivement.
A combien estimez-vous le nombre de prostituées dans cette ville ?
Le nombre de prostituées est estimé à un millier. Si on compte les prostituées qui sont dans les hôtels (une dizaine d’établissements), elles sont 300. Mais n’oublions pas celles qui habitent dans les cités. Il faut souligner également que Tichy est un refuge pour toutes les prostituées qui travaillent dans d’autres communes comme Aokas ou Souk El Tenine. Ces femmes se sentent plus en sécurité à Tichy où bien entendu elles font ce qu’elles veulent.
Pour l’anecdote, une prostituée qui travaille à l’hôtel Villa d’Est, est sortie pour faire ses courses chez un commerçant en face de l’hôtel. Très pressée, la femme a dit au commerçant qu’elle allait revenir pour payer. En courant, elle a fait tomber un vieux de 75 ans. Au lieu de lui présenter des excuses, elle a lui a dit « je suis chez moi ». Une prostituée qui vient d’une autre région et qui te dit qu’elle est chez elle c’est plus qu’une agression.
Vous dites que ces femmes font ce qu’elles veulent. Que font-elles au juste ?
Dans la journée, ces femmes font le trottoir, le soir par contre elles se rendent dans les cabarets pour se prostituer. Elles prennent des rendez-vous dans ces lieux avant de se rendre, avec leurs clients, dans les cités où elles habitent. Dans ces cités, envahies par des prostituées, il y a toujours deux ou trois familles honnêtes qui habitent. Ces familles sont harcelées en permanence par les prostituées et les proxénètes. Elles ont le malheur d’avoir acheté un appartement dans ces cités transformées en résidence pour la débauche.
Ces familles ont-elles protesté contre ce harcèlement ?
Ces familles ont fait beaucoup de choses. Durant les actions de protestation que nous avons menées, ces familles nous ont aidées à recenser les habitations occupées par des prostituées. Nous nous sommes rendu compte à la fin que des cités entières sont habitées par ces femmes de mœurs légères. Il y a la cité Les Oranges, la cité Militaire, la cité EPLF Bacarou, quelques cabanons du côté de l’hôtel Safir bleu…
Par ailleurs, le seul lieu de la culture qui existe à Tichy, la salle de cinéma L’Albatros est prise en otage entre un cabaret et un bar. Il n’y a que les prostituées qui tournent dans ce lieu et qui donc empêchent les habitants de la région de se rendre au cinéma. La femme de Tichy n’a pas le droit de voir un spectacle. Je me demande aujourd’hui si les habitants de Tichy ont le droit d’exister ou pas. Pour voir une pièce de théâtre, je dois me rendre dans la ville de Béjaia.
Les prostituées ont loué des appartements chez les habitants de Tichy. N’est-ce pas ?
Il n’y a que trois familles de Tichy qui ont loué leurs appartements à des prostituées. Après le mouvement de protestation, ces familles ont décidé d’expulser leurs clientes. Il faut savoir que la majorité absolue des appartements appartiennent à des gens étrangers à la région, dont beaucoup d’émigrés. Ces derniers ont acheté des appartements qu’ils louent par le biais d’agences immobilières. Sans aucun scrupule, beaucoup d’agents immobilier louent un appartement pour 10 prostituées et réservent d’autres appartements pour la passe. Il peut gagner jusqu’à 7 millions de centimes par mois dans chaque appartement alors qu’en dehors de la saison estivale le loyer à Tichy coute 7000 dinars par mois. Les cabanons loués à des prostituées n’appartiennent pas aux habitants de Tichy. Imaginez-vous que dans un seul cabanon, on peut trouver jusqu’à 20 prostituées ? Actuellement à Tichy, il y a plus de 20 agences immobilières dont la majorité ont un siège social ailleurs, mais travaillent ici en toute illégalité.
Que répondent les autorités à vos doléances ?
Nous avons été reçus à deux reprises par l’ancien wali de Béjaia, Ali Bedrici. Nous lui avons soumis nos revendications entre autres le départ des prostituées de notre région. Finalement, ces deux rencontres n’ont servi à rien puisque les choses ont restées en l’état. Tout le monde reconnait la légitimité de notre revendication, mais personne ne fait quelque chose pour la prendre en charge. Bien au contraire, la situation ne fait qu’empirer et le nombre de prostituées ne fait que progresser.
Et si ces cabarets travaillent dans le respect de la réglementation, arrêtez-vous le mouvement ?
Il faut savoir que ces cabarets, selon le directeur de la réglementation de la wilaya de Béjaia, n’ont pas reçu d’autorisation depuis 1995. Cela ne les a pas empêché de travailler dans l’illégalité et gagner des milliards. Les lieux de divertissement et de spectacle sont soumis à des autorisations renouvelées tous les deux ans. Une enquête commodo et incommodo est obligatoire tous les deux ans.
L’ancien Wali, Ali Bedrici, nous a expliqué que la seule façon de lutter contre ces lieux est le recours aux enquêtes commodo et incommodo. Il n’y a que l’hôtel Syphax qui est soumis à cette enquête. D’ailleurs, la population a émis à deux reprises un avis défavorable, mais le cabaret de Syphax est toujours en exercice. Nous ne comprenons pas si les autorités veulent nous pousser à radicaliser davantage notre mouvement ? Nous tenons à mettre en garde les autorités que si elles n’agissent pas pour fermer ces lieux, nous passerons à d’autres actions plus radicales. S’il le faut, nous allons assiéger ces lieux de débauche et de prostitution.
Comment expliquez-vous l’attitude des autorités ?
Cette attitude n’a qu’une seule explication : il y a à boire et à manger dans cette affaire. Il y a des milliards qui sont gagnés par ces réseaux et tout le monde prend sa part.
Un patron d’hôtel a tenté d’expliquer la protestation par le fait que les jeunes de Tichy veulent gagner leur part du gâteau. Ce patron reconnait donc qu’il y a beaucoup d’argent, mais dire que les jeunes cherchent leur part est un mensonge. Les jeunes de Tichy ne font que défendre leur honneur bafoué.
Défendre son honneur par des actions violentes comme cela a été le cas en mai dernier ?
Lorsque les jeunes ont constaté que toutes les démarches pacifiques (envoi de courriers aux autorités, marches, sit-in..) n’ont rien apporté à leur cause, ils ont décidé de passer à d’autres actions plus radicales. C’est pour cela qu’en mai dernier, les jeunes de Lemaaden, pas loin de l’hôtel Villa d’Est, ont fermé la route en guise de protestation contre la décision du nouveau wali de rouvrir les cabarets une semaine seulement après les avoir fermés. C’est le maire qui nous a informés de la décision de réouverture. Pour rappel, la décision de fermeture prise par le nouveau wali a été très appréciée par la population.
Nous ne comprenons pas ce que cherchent les autorités par l’octroi à ces patrons de cabarets d’autorisations même provisoires. Fermer un cabaret et le rouvrir une semaine après ne signifie qu’une chose : régulariser ces lieux de débauche ou pousser la population à se révolter.
La population a donc fermé la route durant toute une journée de 6heures du matin jusqu’à 18heures. Depuis ce jour là, notre association Tadukli a passé le relais de la protestation et de l’organisation à la population. C’est à la population de décider des actions à mener et de la manière de gérer le mouvement de protestation. Ainsi, le 5 mai dernier, devant le refus des autorités de prendre en charge nos revendications, nous avons décidé d’observer une nuit blanche et les choses ont dégénéré à partir de 21heures.
Qu’est-ce qui a fait que les jeunes ont recouru à la violence ?
Comme je l’ai déjà expliqué, les jeunes sont frustrés par la passivité des autorités et les services de sécurité notamment la police. Les gendarmes nous expliquent leur non intervention par la loi qui leur interdit d’agir dans les milieux urbains sauf instruction des autorités. Le chef de brigade de la gendarmerie nous a dit que si ses troupes sont autorisées à agir dans la région, ils l’assainiront de tous les réseaux de prostitution. Devant cette situation, les jeunes ont perdu patience et sont passés à l’action.
Les jeunes auraient saccagé les hôtels, les véhicules des clients et agressé les prostituées…
Tout cela n’est que propagande des patrons d’hôtels. Les jeunes ont certes saccagé… des assiettes, des verres et des chaises. La valeur des choses saccagées ne représentent rien devant les recettes que font ces lieux de débauche. Plus de 80 millions de centimes par soirée, c’est quand même énorme.
Un patron d’un cabaret aurait utilisé son arme pour dit-il se protéger contre les manifestants…
Effectivement, le patron d’un des hôtels de Tichy a utilisé son arme et tiré en l’air, en disant qu’il voulait juste faire peur aux manifestants. Ce patron est pour moi un fou sachant qu’il a utilisé plusieurs fois sa kalachnikov. Il était chef patriote dans la région durant les années 90. Dans l’impunité totale, durant la période de la violence, il a tiré sur son propre organiste à l’intérieur du cabaret de l’hôtel. Il a été blessé au pied.
Quelle était la réaction des patrons d’hôtels après l’action de protestation ?
Au lendemain du « saccage », au moins 80% des femmes ont quitté la ville. Elles ont été poursuivies jusque dans les cités pour les pousser à partir. En juin dernier, les cités ont été « assainies » à raison de 98%. Ils ne restaient que quelques femmes dans les cabarets. Elles ne sortaient même pas pour faire les achats. Elles payaient des coursiers pour leur acheter tout ce que dont elles ont besoin.
Selon un patron d’hôtel, les services de sécurité ont laissé faire les manifestants.
Les services de sécurité laissent faire la population partout en Algérie. Il ne faut pas seulement demander le départ du système. Il suffit de voir ce qui se passe dans les quartiers populaires d’Alger où des batailles rangées opposent les jeunes. Les services de sécurité ne bougent pas le doigt.
Dans certains milieux on vous accuse d’intégrisme et d’islamisme…
Notre mouvement n’est ni intégriste ni islamiste, c’est juste que nous sommes des citoyens qui se battent pour leur honneur et leur NIF. Toutes les prostituées de ce pays sont à Tichy et on nous demande de nous taire ? Et on ose nous traiter d’intégristes ? Il faut savoir que Tichy est avant tout un village composé de familles qui se connaissent. En plus, il n’y a qu’un seul axe routier (RN 15) où tout y est concentré : hôtels, restaurants, commerces, habitations, plages…
Nous ne sommes ni un mouvement religieux ni politique. Nous voulons juste préserver notre « Horma ». Aujourd’hui, toute la population de Tichy adhère au mouvement. Il n’y a donc que sept patrons d’hôtels et quelques agents immobiliers qui s’obstinent à encourager le fléau de la prostitution.
Certains disent que votre mouvement a compromis la saison estivale
A l’approche de la saison estivale, des commerçants nous ont demandé de suspendre le mouvement afin de permettre aux estivants de venir dans la région. Nous n’avons pas hésité un seul instant pour répondre à la demande des commerçants. Nous avons donc, lors d’une assemblée générale des habitants, décidé de suspendre le mouvement pour le bon déroulement de la saison estivale. Notre mouvement sera relancé après Ramadhan.
Je tiens juste à souligner que le commerce à très bien marché durant cet été et que les hôtels ont tous affiché complet. Tichy a accueilli le plus grand nombre d’estivants au niveau national. Ces statistiques ont été rendues publiques récemment lors d’une émission de la chaîne I de la radio nationale.
Sur la page facebook de notre mouvement, nous avons reçu des centaines de messages de félicitations d’internautes en Algérie et de l’extérieur du pays.
Nous voulons que les commerçants de Tichy travaillent toute l’année et non pas seulement durant les vacances d’été. Nous voulons que ces appartements louées à des prostituées soient loués à des familles honnêtes. Les propriétaires doivent savoir à qui les agents immobiliers louent leurs appartements. Il faut qu’ils sachent que leurs appartements sont habités par des prostituées et des proxénètes et qu’ils servent pour des passes.
Quelles sont les actions que vous allez mener après Ramadhan ?
A l’avenir, nous voulons que notre mouvement se généralise. Il doit toucher toutes les régions du pays pour mettre fin à ces milieux de prostitution. L’Etat peut rouvrir les maisons closes pour éviter de transformer nos cités en lieu de débauche.
Nous ne sommes pas contre l’existence de discothèques ni que les gens dansent. La discothèque a ses règles de fonctionnement. Il faut voir ce qui se passe dans les cabarets: la prostitution et «rechka» où des millions sont jetés quotidiennement par des clients. A ma connaissance, une discothèque est faite pour danser et non pas pour se prostituer et payer plusieurs milliers de dinars pour écouter une chanson. La Rechka est la source de tous les problèmes dans les cabarets. Une prostituée doit chercher au moins 3000 dinars chez un client en guise de Rechka pour prendre sa part à la fin de la soirée. Pour avoir cet argent, elle est obligée de promettre au client de passer la nuit avec lui. Il faut savoir que ses prostituées ont toutes des « copains » parmi le groupe de musique, le videur…A la fin de la soirée, la prostituée sort avec son «copain». Le client qui a déboursé beaucoup d’argent durant la soirée proteste et c’est la bagarre.
C’est pour cette raison que j’insiste sur la réglementation des discothèques. Il faut savoir que ces prostituées sont exploitées par les patrons. Il lui loue un lit dans une chambre à plusieurs en raison de 500 DA la nuit, il lui fait payer un repas sans viande à 200 DA, si un client lui paye un repas, le patron donne les 200 DA à la prostituée ; elle a 50 DA sur une boisson consommée. Elle est donc obligée de boire beaucoup de bière pour gagner plus d’argent.
Pour revenir à notre sujet, après Ramadhan, nous allons reprendre nos actions de rue. D’ailleurs sur notre page facebook, un sondage a été fait sur la nature des actions à mener, plus de 300 votants ont opté pour les actions musclées.
Nous lançons à cette occasion un appel aux autorités pour qu’elles règlent définitivement le problème ou sinon il sera réglé par la population.
Le mouvement contre la prostitution à Tichy a vu le jour en 1993. La personne la plus active à l’époque a été contrainte de changer de lieu de résidence vu les menaces qu’elle avait subies de la part des réseaux de prostitution. Durant les années 90, il y avait des marches et des rassemblements de protestation, mais très timides. En réalité, il n’y avait pas une grande implication de la population dans le mouvement.
La prolifération de la prostitution qui est passée des cabarets aux cités de la ville n’a pas laissé les habitants indifférents. La situation commençait à pourrir du fait que des lieux de prostitution envahissaient la ville. En effet, des cités entières sont habitées par des prostituées. Cela a provoqué l’ire de la population qui est touchée dans son honneur.
En 2008, en réaction à cette situation, l’association Tadukli de Tichy-centre a adressé des courriers aux autorités civiles et militaires (Wali, chef de daira, président d’APC, gendarmerie nationale, police…) pour leur demander d’intervenir afin de mettre fin à ce fléau. En juillet de la même année, les habitants de Tichy, en guise protestation contre la prostitution, ont bloqué la route. La population a dénoncé également la passivité des services de sécurité dans la région. Les habitants et les estivants se font agresser en plein jour sans que les services de sécurité interviennent.
Nous avons donc décidé de lutter sans relâche contre ces fléaux (prostitution et insécurité) et prendre le relais de l’association Tafat qui a lutté durant les années 90. Nous savons que ce n’est pas facile de lutter contre des réseaux qui gagnent des milliards et qui sont prêts à mettre beaucoup d’argent pour étouffer le mouvement. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous avons un fonctionnement horizontal dans notre « organisation » pour éviter que des animateurs soient corrompus.
Depuis 2008, à chaque fois que la population proteste, les patrons des hôtels renvoient les prostituées chez elles. Une fois que le mouvement s’arrête, les prostituées reviennent progressivement.
A combien estimez-vous le nombre de prostituées dans cette ville ?
Le nombre de prostituées est estimé à un millier. Si on compte les prostituées qui sont dans les hôtels (une dizaine d’établissements), elles sont 300. Mais n’oublions pas celles qui habitent dans les cités. Il faut souligner également que Tichy est un refuge pour toutes les prostituées qui travaillent dans d’autres communes comme Aokas ou Souk El Tenine. Ces femmes se sentent plus en sécurité à Tichy où bien entendu elles font ce qu’elles veulent.
Pour l’anecdote, une prostituée qui travaille à l’hôtel Villa d’Est, est sortie pour faire ses courses chez un commerçant en face de l’hôtel. Très pressée, la femme a dit au commerçant qu’elle allait revenir pour payer. En courant, elle a fait tomber un vieux de 75 ans. Au lieu de lui présenter des excuses, elle a lui a dit « je suis chez moi ». Une prostituée qui vient d’une autre région et qui te dit qu’elle est chez elle c’est plus qu’une agression.
Vous dites que ces femmes font ce qu’elles veulent. Que font-elles au juste ?
Dans la journée, ces femmes font le trottoir, le soir par contre elles se rendent dans les cabarets pour se prostituer. Elles prennent des rendez-vous dans ces lieux avant de se rendre, avec leurs clients, dans les cités où elles habitent. Dans ces cités, envahies par des prostituées, il y a toujours deux ou trois familles honnêtes qui habitent. Ces familles sont harcelées en permanence par les prostituées et les proxénètes. Elles ont le malheur d’avoir acheté un appartement dans ces cités transformées en résidence pour la débauche.
Ces familles ont-elles protesté contre ce harcèlement ?
Ces familles ont fait beaucoup de choses. Durant les actions de protestation que nous avons menées, ces familles nous ont aidées à recenser les habitations occupées par des prostituées. Nous nous sommes rendu compte à la fin que des cités entières sont habitées par ces femmes de mœurs légères. Il y a la cité Les Oranges, la cité Militaire, la cité EPLF Bacarou, quelques cabanons du côté de l’hôtel Safir bleu…
Par ailleurs, le seul lieu de la culture qui existe à Tichy, la salle de cinéma L’Albatros est prise en otage entre un cabaret et un bar. Il n’y a que les prostituées qui tournent dans ce lieu et qui donc empêchent les habitants de la région de se rendre au cinéma. La femme de Tichy n’a pas le droit de voir un spectacle. Je me demande aujourd’hui si les habitants de Tichy ont le droit d’exister ou pas. Pour voir une pièce de théâtre, je dois me rendre dans la ville de Béjaia.
Les prostituées ont loué des appartements chez les habitants de Tichy. N’est-ce pas ?
Il n’y a que trois familles de Tichy qui ont loué leurs appartements à des prostituées. Après le mouvement de protestation, ces familles ont décidé d’expulser leurs clientes. Il faut savoir que la majorité absolue des appartements appartiennent à des gens étrangers à la région, dont beaucoup d’émigrés. Ces derniers ont acheté des appartements qu’ils louent par le biais d’agences immobilières. Sans aucun scrupule, beaucoup d’agents immobilier louent un appartement pour 10 prostituées et réservent d’autres appartements pour la passe. Il peut gagner jusqu’à 7 millions de centimes par mois dans chaque appartement alors qu’en dehors de la saison estivale le loyer à Tichy coute 7000 dinars par mois. Les cabanons loués à des prostituées n’appartiennent pas aux habitants de Tichy. Imaginez-vous que dans un seul cabanon, on peut trouver jusqu’à 20 prostituées ? Actuellement à Tichy, il y a plus de 20 agences immobilières dont la majorité ont un siège social ailleurs, mais travaillent ici en toute illégalité.
Que répondent les autorités à vos doléances ?
Nous avons été reçus à deux reprises par l’ancien wali de Béjaia, Ali Bedrici. Nous lui avons soumis nos revendications entre autres le départ des prostituées de notre région. Finalement, ces deux rencontres n’ont servi à rien puisque les choses ont restées en l’état. Tout le monde reconnait la légitimité de notre revendication, mais personne ne fait quelque chose pour la prendre en charge. Bien au contraire, la situation ne fait qu’empirer et le nombre de prostituées ne fait que progresser.
Et si ces cabarets travaillent dans le respect de la réglementation, arrêtez-vous le mouvement ?
Il faut savoir que ces cabarets, selon le directeur de la réglementation de la wilaya de Béjaia, n’ont pas reçu d’autorisation depuis 1995. Cela ne les a pas empêché de travailler dans l’illégalité et gagner des milliards. Les lieux de divertissement et de spectacle sont soumis à des autorisations renouvelées tous les deux ans. Une enquête commodo et incommodo est obligatoire tous les deux ans.
L’ancien Wali, Ali Bedrici, nous a expliqué que la seule façon de lutter contre ces lieux est le recours aux enquêtes commodo et incommodo. Il n’y a que l’hôtel Syphax qui est soumis à cette enquête. D’ailleurs, la population a émis à deux reprises un avis défavorable, mais le cabaret de Syphax est toujours en exercice. Nous ne comprenons pas si les autorités veulent nous pousser à radicaliser davantage notre mouvement ? Nous tenons à mettre en garde les autorités que si elles n’agissent pas pour fermer ces lieux, nous passerons à d’autres actions plus radicales. S’il le faut, nous allons assiéger ces lieux de débauche et de prostitution.
Comment expliquez-vous l’attitude des autorités ?
Cette attitude n’a qu’une seule explication : il y a à boire et à manger dans cette affaire. Il y a des milliards qui sont gagnés par ces réseaux et tout le monde prend sa part.
Un patron d’hôtel a tenté d’expliquer la protestation par le fait que les jeunes de Tichy veulent gagner leur part du gâteau. Ce patron reconnait donc qu’il y a beaucoup d’argent, mais dire que les jeunes cherchent leur part est un mensonge. Les jeunes de Tichy ne font que défendre leur honneur bafoué.
Défendre son honneur par des actions violentes comme cela a été le cas en mai dernier ?
Lorsque les jeunes ont constaté que toutes les démarches pacifiques (envoi de courriers aux autorités, marches, sit-in..) n’ont rien apporté à leur cause, ils ont décidé de passer à d’autres actions plus radicales. C’est pour cela qu’en mai dernier, les jeunes de Lemaaden, pas loin de l’hôtel Villa d’Est, ont fermé la route en guise de protestation contre la décision du nouveau wali de rouvrir les cabarets une semaine seulement après les avoir fermés. C’est le maire qui nous a informés de la décision de réouverture. Pour rappel, la décision de fermeture prise par le nouveau wali a été très appréciée par la population.
Nous ne comprenons pas ce que cherchent les autorités par l’octroi à ces patrons de cabarets d’autorisations même provisoires. Fermer un cabaret et le rouvrir une semaine après ne signifie qu’une chose : régulariser ces lieux de débauche ou pousser la population à se révolter.
La population a donc fermé la route durant toute une journée de 6heures du matin jusqu’à 18heures. Depuis ce jour là, notre association Tadukli a passé le relais de la protestation et de l’organisation à la population. C’est à la population de décider des actions à mener et de la manière de gérer le mouvement de protestation. Ainsi, le 5 mai dernier, devant le refus des autorités de prendre en charge nos revendications, nous avons décidé d’observer une nuit blanche et les choses ont dégénéré à partir de 21heures.
Qu’est-ce qui a fait que les jeunes ont recouru à la violence ?
Comme je l’ai déjà expliqué, les jeunes sont frustrés par la passivité des autorités et les services de sécurité notamment la police. Les gendarmes nous expliquent leur non intervention par la loi qui leur interdit d’agir dans les milieux urbains sauf instruction des autorités. Le chef de brigade de la gendarmerie nous a dit que si ses troupes sont autorisées à agir dans la région, ils l’assainiront de tous les réseaux de prostitution. Devant cette situation, les jeunes ont perdu patience et sont passés à l’action.
Les jeunes auraient saccagé les hôtels, les véhicules des clients et agressé les prostituées…
Tout cela n’est que propagande des patrons d’hôtels. Les jeunes ont certes saccagé… des assiettes, des verres et des chaises. La valeur des choses saccagées ne représentent rien devant les recettes que font ces lieux de débauche. Plus de 80 millions de centimes par soirée, c’est quand même énorme.
Un patron d’un cabaret aurait utilisé son arme pour dit-il se protéger contre les manifestants…
Effectivement, le patron d’un des hôtels de Tichy a utilisé son arme et tiré en l’air, en disant qu’il voulait juste faire peur aux manifestants. Ce patron est pour moi un fou sachant qu’il a utilisé plusieurs fois sa kalachnikov. Il était chef patriote dans la région durant les années 90. Dans l’impunité totale, durant la période de la violence, il a tiré sur son propre organiste à l’intérieur du cabaret de l’hôtel. Il a été blessé au pied.
Quelle était la réaction des patrons d’hôtels après l’action de protestation ?
Au lendemain du « saccage », au moins 80% des femmes ont quitté la ville. Elles ont été poursuivies jusque dans les cités pour les pousser à partir. En juin dernier, les cités ont été « assainies » à raison de 98%. Ils ne restaient que quelques femmes dans les cabarets. Elles ne sortaient même pas pour faire les achats. Elles payaient des coursiers pour leur acheter tout ce que dont elles ont besoin.
Selon un patron d’hôtel, les services de sécurité ont laissé faire les manifestants.
Les services de sécurité laissent faire la population partout en Algérie. Il ne faut pas seulement demander le départ du système. Il suffit de voir ce qui se passe dans les quartiers populaires d’Alger où des batailles rangées opposent les jeunes. Les services de sécurité ne bougent pas le doigt.
Dans certains milieux on vous accuse d’intégrisme et d’islamisme…
Notre mouvement n’est ni intégriste ni islamiste, c’est juste que nous sommes des citoyens qui se battent pour leur honneur et leur NIF. Toutes les prostituées de ce pays sont à Tichy et on nous demande de nous taire ? Et on ose nous traiter d’intégristes ? Il faut savoir que Tichy est avant tout un village composé de familles qui se connaissent. En plus, il n’y a qu’un seul axe routier (RN 15) où tout y est concentré : hôtels, restaurants, commerces, habitations, plages…
Nous ne sommes ni un mouvement religieux ni politique. Nous voulons juste préserver notre « Horma ». Aujourd’hui, toute la population de Tichy adhère au mouvement. Il n’y a donc que sept patrons d’hôtels et quelques agents immobiliers qui s’obstinent à encourager le fléau de la prostitution.
Certains disent que votre mouvement a compromis la saison estivale
A l’approche de la saison estivale, des commerçants nous ont demandé de suspendre le mouvement afin de permettre aux estivants de venir dans la région. Nous n’avons pas hésité un seul instant pour répondre à la demande des commerçants. Nous avons donc, lors d’une assemblée générale des habitants, décidé de suspendre le mouvement pour le bon déroulement de la saison estivale. Notre mouvement sera relancé après Ramadhan.
Je tiens juste à souligner que le commerce à très bien marché durant cet été et que les hôtels ont tous affiché complet. Tichy a accueilli le plus grand nombre d’estivants au niveau national. Ces statistiques ont été rendues publiques récemment lors d’une émission de la chaîne I de la radio nationale.
Sur la page facebook de notre mouvement, nous avons reçu des centaines de messages de félicitations d’internautes en Algérie et de l’extérieur du pays.
Nous voulons que les commerçants de Tichy travaillent toute l’année et non pas seulement durant les vacances d’été. Nous voulons que ces appartements louées à des prostituées soient loués à des familles honnêtes. Les propriétaires doivent savoir à qui les agents immobiliers louent leurs appartements. Il faut qu’ils sachent que leurs appartements sont habités par des prostituées et des proxénètes et qu’ils servent pour des passes.
Quelles sont les actions que vous allez mener après Ramadhan ?
A l’avenir, nous voulons que notre mouvement se généralise. Il doit toucher toutes les régions du pays pour mettre fin à ces milieux de prostitution. L’Etat peut rouvrir les maisons closes pour éviter de transformer nos cités en lieu de débauche.
Nous ne sommes pas contre l’existence de discothèques ni que les gens dansent. La discothèque a ses règles de fonctionnement. Il faut voir ce qui se passe dans les cabarets: la prostitution et «rechka» où des millions sont jetés quotidiennement par des clients. A ma connaissance, une discothèque est faite pour danser et non pas pour se prostituer et payer plusieurs milliers de dinars pour écouter une chanson. La Rechka est la source de tous les problèmes dans les cabarets. Une prostituée doit chercher au moins 3000 dinars chez un client en guise de Rechka pour prendre sa part à la fin de la soirée. Pour avoir cet argent, elle est obligée de promettre au client de passer la nuit avec lui. Il faut savoir que ses prostituées ont toutes des « copains » parmi le groupe de musique, le videur…A la fin de la soirée, la prostituée sort avec son «copain». Le client qui a déboursé beaucoup d’argent durant la soirée proteste et c’est la bagarre.
C’est pour cette raison que j’insiste sur la réglementation des discothèques. Il faut savoir que ces prostituées sont exploitées par les patrons. Il lui loue un lit dans une chambre à plusieurs en raison de 500 DA la nuit, il lui fait payer un repas sans viande à 200 DA, si un client lui paye un repas, le patron donne les 200 DA à la prostituée ; elle a 50 DA sur une boisson consommée. Elle est donc obligée de boire beaucoup de bière pour gagner plus d’argent.
Pour revenir à notre sujet, après Ramadhan, nous allons reprendre nos actions de rue. D’ailleurs sur notre page facebook, un sondage a été fait sur la nature des actions à mener, plus de 300 votants ont opté pour les actions musclées.
Nous lançons à cette occasion un appel aux autorités pour qu’elles règlent définitivement le problème ou sinon il sera réglé par la population.
Zhafit- Admin
- Nombre de messages : 13508
Date d'inscription : 26/04/2008
Re: Entretien avec Mohand Haddadi membre actif du mouvement pour le départ des prostituées de Tichy
http://www.lanation.info/Entretien-avec-Mohand-Haddadi-membre-actif-du-mouvement-pour-le-depart-des-prostituees-de-Tichy_a179.html
Zhafit- Admin
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