Entretien avec l’écrivain Mohand Akli Haddadou
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Entretien avec l’écrivain Mohand Akli Haddadou
«Les Berbères ont contribué à l’extension de l’islam»
Écrivain et auteur de plus de dix livres se rapportant aussi bien à la culture et à la langue amazighes qu’à l’islam, Mohand Akli Haddadou est professeur en linguistique amazighe et enseigne à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, encadrant notamment des thèses de doctorat. Il est l’auteur des «Bebrèbres célèbres», «Le guide de la culture berbère», «Précis de lexicologie amazighe», «Dictionnaire de l’interprétation des rêves selon l’islam»… Il vient de publier un nouveau livre de six pages intitulé : «Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie». Dans cette interview, Mohand Akli Haddadou rebondit sur des thèmes essentiels inhérents à l’amazighité en particulier avec un admirable esprit de synthèse.
Vous venez de publier un dictionnaire toponymique. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit au juste ?
Je dois d’abord dire que ce dictionnaire est un hommage à l’Algérie qui vient de fêter le Cinquantième anniversaire de son indépendance. J’ai voulu marquer le coup, en mettant, à travers ses villes et villages, les faits les plus marquants de son histoire. Certes, la toponymie est une science -celle des noms de lieux, mais c’est aussi une discipline qui participe de l’histoire, de la culture et des traditions culturelles. Présenter un lieu, c’est d’abord réfléchir sur son nom, la langue qui l’a fournie, sa signification, l’évolution qu’il a subie au cours du temps, les références qu’il véhicule…
Avec un nom, on est informé sur la nature du lieu (relief, cours ou point d’eau, activité des populations, voire, s’il s’agit d’un nom de tribu) des origines de cette population… Avec les noms, on reconstitue la géographie d’un pays (montagnes, plateaux, déserts), sa carte hydrographique (cours et points d’eau), sa faune, sa flore… Sait-on que le nom berbère de l’éléphant a disparu de tous les parlers du nord mais que la toponymie l’a conservé dans Aïn Tellout, littéralement «la fontaine de l’éléphante», dans la région de Tlemcen ? L’arganier, l’arbre fétiche, est à l’état de vestige en Algérie, mais il est conservé dans Regganne etc.
Mon dictionnaire ne recense pas tous les noms de lieux d’Algérie mais il cite les plus connus, ceux qui ont marqué l’histoire du pays. Il comporte, en plusieurs toponymes, un glossaire détaillé des mots, arabes et berbères, entrant dans la composition des noms de lieux, ainsi qu’un index des noms de villes, villages, montagnes et cours d’eau, dans l’antiquité, le moyen âge et la période coloniale.
Dans quelle mesure ce sujet peut-il s’avérer si important au point de vous inciter et de vous donner la motivation nécessaire pour vous pencher sur lui sur plus de 600 pages ?
Il s’agit d’un sujet important pour la connaissance de l’histoire d’un pays. La toponymie, c’est même l’un des aspects de la souveraineté nationale : les Français, en s’emparant de notre pays, ont bouleversé les noms de nos lieux, soit en les francisant, pour leur enlever leur caractère algérien, soit en mettant des noms français à leur place…
Faute de s’emparer de notre dignité, le colonialisme nous a dépouillés de nos noms.
Vous écrivez des livres inhérents à l’amazighité et à l’islam depuis plusieurs années. Pouvez-vous nous résumer un peu sur quoi portent essentiellement les thèmes abordés par vous dans vos ouvrages ?
Si mes ouvrages portent sur la langue et la culture berbère, c’est avant tout pour servir une langue qui est la mienne et qui a longtemps souffert de l’exclusion. Quant à la culture musulmane, elle fait également partie de la culture berbère. On l’oublie souvent: les Berbères ont largement contribué à l’extension de l’islam et de sa culture. Il n’y a donc là aucune contradiction à défendre l’un et l’autre.
Vous êtes plutôt connu pour votre optimisme concernant l’état d’avancement de la langue et de la culture amazighe dans notre pays, notamment ces dernières années ou plus particulièrement depuis que Tamazight est reconnue comme langue nationale dans la Constitution en 2003. Un optimisme que ne partagent pas beaucoup d’observateurs voire même certains spécialistes de la question amazighe. Comment peut-il y a voir autant de divergences sur l’appréciation faite au sujet de l’évolution de Tamazight dans notre pays à travers les années ?
La question berbère, en Algérie, n’est plus ce qu’elle était, il y a trente ans, au lendemain du printemps b,erbère. La situation a évolué et aujourd’hui on peut parler, militer pour Tamazight sans courir le risque d’aller en prison.
La percée a été grande, ces dernières années : une constitutionnalisation, des organes officiels pour promouvoir Tamazight, une chaîne de télévision, l’enseignement… Certes, tout n’est pas parfait, mais tout peut être amélioré. Le souci aujourd’hui est de créer une instance qui s’occupe officiellement de la langue, j’entends une académie, car l’école comme les médias, sont demandeurs de lexiques et de méthodes.
Tout le monde reconnait que la reconnaissance de la langue amazighe notamment dans la Constitution et son introduction dans les écoles en 1995 n’a pas été sans répercussion négative sur l’engouement de la population à son égard.
Il parait que les publications en Tamazight de l’époque de la clandestinité avaient plus de lecteurs qu’aujourd’hui. Confirmez-vous ce constat et pourquoi selon vous ?
Il n’y a pas de baisse d’engouement, mais aujourd’hui, à l’heure de la démocratie, on n’a pas besoin de descendre dans la rue pour réclamer Tamazight.
Elle est entrée dans les mœurs des Algériens et plus personne, même parmi ses adversaires d’hier, ne pense l’exclure du champ public.
Il y a aussi un autre phénomène qui a fait son apparition. Il s’agit de la prolifération de publications en langue amazighe qui sont d’une médiocrité déconcertante. Avez-vous un commentaire sur ce volet ?
C’est encore la période héroïque de cette langue. Avec le temps, on aura des publications de meilleure qualité. Et puis, aujourd’hui, l’université produit chaque année des dizaines de licenciés et de spécialistes qui apporteront un souffle nouveau à la langue.
Vous êtes professeur au département de Tamazight à l’université de Tizi Ouzou où vous enseignez depuis des années. A partir de là, vous êtes le mieux placé pour établir une lecture sur l’état des lieux de l’enseignement de Tamazight à l’université algérienne. Où en est-on ?
L’enseignement, aussi bien à l’école qu’à l’université, souffre de carences. Il n’y a pas encore de système de transcription unifié, ni de méthode d’enseignement. Quant aux terminologies spécialisées, elles sont le fruit d’initiatives personnelles, donc non unifiées. Il faut une académie qui mette de l’ordre! Mais attention: quand je parle d’académie, je fais allusion à une institution scientifique, animée par des scientifiques… Je suis optimiste et j’ai confiance dans les autorités publiques.
Entretien réalisé par Aomar Mohellebi
Écrivain et auteur de plus de dix livres se rapportant aussi bien à la culture et à la langue amazighes qu’à l’islam, Mohand Akli Haddadou est professeur en linguistique amazighe et enseigne à l’université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou, encadrant notamment des thèses de doctorat. Il est l’auteur des «Bebrèbres célèbres», «Le guide de la culture berbère», «Précis de lexicologie amazighe», «Dictionnaire de l’interprétation des rêves selon l’islam»… Il vient de publier un nouveau livre de six pages intitulé : «Dictionnaire toponymique et historique de l’Algérie». Dans cette interview, Mohand Akli Haddadou rebondit sur des thèmes essentiels inhérents à l’amazighité en particulier avec un admirable esprit de synthèse.
Vous venez de publier un dictionnaire toponymique. Pouvez-vous nous dire de quoi il s’agit au juste ?
Je dois d’abord dire que ce dictionnaire est un hommage à l’Algérie qui vient de fêter le Cinquantième anniversaire de son indépendance. J’ai voulu marquer le coup, en mettant, à travers ses villes et villages, les faits les plus marquants de son histoire. Certes, la toponymie est une science -celle des noms de lieux, mais c’est aussi une discipline qui participe de l’histoire, de la culture et des traditions culturelles. Présenter un lieu, c’est d’abord réfléchir sur son nom, la langue qui l’a fournie, sa signification, l’évolution qu’il a subie au cours du temps, les références qu’il véhicule…
Avec un nom, on est informé sur la nature du lieu (relief, cours ou point d’eau, activité des populations, voire, s’il s’agit d’un nom de tribu) des origines de cette population… Avec les noms, on reconstitue la géographie d’un pays (montagnes, plateaux, déserts), sa carte hydrographique (cours et points d’eau), sa faune, sa flore… Sait-on que le nom berbère de l’éléphant a disparu de tous les parlers du nord mais que la toponymie l’a conservé dans Aïn Tellout, littéralement «la fontaine de l’éléphante», dans la région de Tlemcen ? L’arganier, l’arbre fétiche, est à l’état de vestige en Algérie, mais il est conservé dans Regganne etc.
Mon dictionnaire ne recense pas tous les noms de lieux d’Algérie mais il cite les plus connus, ceux qui ont marqué l’histoire du pays. Il comporte, en plusieurs toponymes, un glossaire détaillé des mots, arabes et berbères, entrant dans la composition des noms de lieux, ainsi qu’un index des noms de villes, villages, montagnes et cours d’eau, dans l’antiquité, le moyen âge et la période coloniale.
Dans quelle mesure ce sujet peut-il s’avérer si important au point de vous inciter et de vous donner la motivation nécessaire pour vous pencher sur lui sur plus de 600 pages ?
Il s’agit d’un sujet important pour la connaissance de l’histoire d’un pays. La toponymie, c’est même l’un des aspects de la souveraineté nationale : les Français, en s’emparant de notre pays, ont bouleversé les noms de nos lieux, soit en les francisant, pour leur enlever leur caractère algérien, soit en mettant des noms français à leur place…
Faute de s’emparer de notre dignité, le colonialisme nous a dépouillés de nos noms.
Vous écrivez des livres inhérents à l’amazighité et à l’islam depuis plusieurs années. Pouvez-vous nous résumer un peu sur quoi portent essentiellement les thèmes abordés par vous dans vos ouvrages ?
Si mes ouvrages portent sur la langue et la culture berbère, c’est avant tout pour servir une langue qui est la mienne et qui a longtemps souffert de l’exclusion. Quant à la culture musulmane, elle fait également partie de la culture berbère. On l’oublie souvent: les Berbères ont largement contribué à l’extension de l’islam et de sa culture. Il n’y a donc là aucune contradiction à défendre l’un et l’autre.
Vous êtes plutôt connu pour votre optimisme concernant l’état d’avancement de la langue et de la culture amazighe dans notre pays, notamment ces dernières années ou plus particulièrement depuis que Tamazight est reconnue comme langue nationale dans la Constitution en 2003. Un optimisme que ne partagent pas beaucoup d’observateurs voire même certains spécialistes de la question amazighe. Comment peut-il y a voir autant de divergences sur l’appréciation faite au sujet de l’évolution de Tamazight dans notre pays à travers les années ?
La question berbère, en Algérie, n’est plus ce qu’elle était, il y a trente ans, au lendemain du printemps b,erbère. La situation a évolué et aujourd’hui on peut parler, militer pour Tamazight sans courir le risque d’aller en prison.
La percée a été grande, ces dernières années : une constitutionnalisation, des organes officiels pour promouvoir Tamazight, une chaîne de télévision, l’enseignement… Certes, tout n’est pas parfait, mais tout peut être amélioré. Le souci aujourd’hui est de créer une instance qui s’occupe officiellement de la langue, j’entends une académie, car l’école comme les médias, sont demandeurs de lexiques et de méthodes.
Tout le monde reconnait que la reconnaissance de la langue amazighe notamment dans la Constitution et son introduction dans les écoles en 1995 n’a pas été sans répercussion négative sur l’engouement de la population à son égard.
Il parait que les publications en Tamazight de l’époque de la clandestinité avaient plus de lecteurs qu’aujourd’hui. Confirmez-vous ce constat et pourquoi selon vous ?
Il n’y a pas de baisse d’engouement, mais aujourd’hui, à l’heure de la démocratie, on n’a pas besoin de descendre dans la rue pour réclamer Tamazight.
Elle est entrée dans les mœurs des Algériens et plus personne, même parmi ses adversaires d’hier, ne pense l’exclure du champ public.
Il y a aussi un autre phénomène qui a fait son apparition. Il s’agit de la prolifération de publications en langue amazighe qui sont d’une médiocrité déconcertante. Avez-vous un commentaire sur ce volet ?
C’est encore la période héroïque de cette langue. Avec le temps, on aura des publications de meilleure qualité. Et puis, aujourd’hui, l’université produit chaque année des dizaines de licenciés et de spécialistes qui apporteront un souffle nouveau à la langue.
Vous êtes professeur au département de Tamazight à l’université de Tizi Ouzou où vous enseignez depuis des années. A partir de là, vous êtes le mieux placé pour établir une lecture sur l’état des lieux de l’enseignement de Tamazight à l’université algérienne. Où en est-on ?
L’enseignement, aussi bien à l’école qu’à l’université, souffre de carences. Il n’y a pas encore de système de transcription unifié, ni de méthode d’enseignement. Quant aux terminologies spécialisées, elles sont le fruit d’initiatives personnelles, donc non unifiées. Il faut une académie qui mette de l’ordre! Mais attention: quand je parle d’académie, je fais allusion à une institution scientifique, animée par des scientifiques… Je suis optimiste et j’ai confiance dans les autorités publiques.
Entretien réalisé par Aomar Mohellebi
Aokas Revolution- Nombre de messages : 3967
Date d'inscription : 30/06/2009
Re: Entretien avec l’écrivain Mohand Akli Haddadou
http://lecourrier-dalgerie.com/entretien-avec-lecrivain-mohand-akli-haddadou/
Aokas Revolution- Nombre de messages : 3967
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Madona- Nombre de messages : 3426
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