Entretien avec l’écrivain Omar Mahmoudi
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Entretien avec l’écrivain Omar Mahmoudi
Dans son complet bleu nuit, la moustache fine et luisante, l’homme a une belle prestance. Il respire la santé et la bonne humeur. Le fait qu’il rentre demain en France, où il tient une boite prospère, n’influe pas sur cette joie de vivre qu’il affiche candidement, ce soir dans ce café d’Ikram, son village natal à une trentaine de km à l’est de Bouira. Dehors, c’est la nuit et il pleut. Avec la montagne enneigée, juste à côté, on dirait un décor de cinéma. Mais, non, c’est juste une interview. Le monsieur que nous avons en face de nous est écrivain. Il a publié, en 2009, un livre intitulé «France d’écueil», dont une adaptation au cinéma est en cours. Deux autres encore, coup sur coup, sortiront dans les tout prochains jours : «La débauche» et «Les femmes battues.» Le quatrième : Les suicides est à l’état d’ébauche. Suivons Omar Mahmoudi !
C’est un titre assez curieux. L’allusion à terre d’accueil est claire : France, terre d’accueil. Mais que signifie ce dérapage contrôlé, réalisé sur une seule voyelle et qui donne lieu à un glissement sémantique aux résonnances profondes ?
La France, terre d’accueil n’est plus ce qu’elle était autrefois. La conjoncture n’est plus la même. L’accueil réservé aux immigrés s’est changé en une hostilité évidente. Le chômage et la cherté de la vie font que tous les rêves que se font ceux qui choisissent la voie de l’exil, de l’immigration, se heurtent brutalement à la réalité. D’où la phobie qui se développe à l’égard de l’étranger dans ce pays.
Un naufrage, en somme. C’est ça ?
En quelque sorte. Celui des illusions d’une jeunesse qui en fuit la misère ou le poids d’une tradition oppressante et qui découvre ce qui pouvait être pire.
Comment l’idée d’un tel livre vous est venue ?
Je vis là-bas et j’observe. Ce que je constate est dans ce livre. Les faits sont vérifiables bien que j’essaie pour les exigences de les romancer. Mais n’importe quel lecteur peut vérifier la réalité et la peinture que j’en fais ici.
Lisez-vous beaucoup et subissez-vous l’influence d’autres écrivains ?
Au CEM et au lycée, comme beaucoup de camarades. Le livre était le seul moyen de procurer du rêve et de l’aventure. Voilà pourquoi nous lisions beaucoup. Aujourd’hui, il y a d’autres moyens qui concurrencent le livre comme la télé ou l’internet… Quant à la question de l’influence, oui, j’ai eu un vrai choc à la lecture, par exemple de cet écrivain malgache, il y a vingt ans ou de Abderrahmane, Le terroriste. Ces deux livres m’ont bouleversé. Mon livre est un hommage aux deux hommes, tout en restant un roman et un témoignage d’une époque.
Les classiques aussi, Comme Châteaubriant, Hugo, Lamartine ?
Les classiques font partie de notre jeunesse et, du patrimoine universel. On commence toujours par eux et puis, on évolue. Alors d’autres choix de lecture s’imposent à nous, en rapport avec l’âge et le goût. Un roman qui nous captive à quinze ans ne peut plus nous plaire autant qu’à trente ou quarante ans.
Comment s’organise le travail chez vous ?
Oh, le plus simplement du monde. J’amasse patiemment les matériaux, j’imagine les personnages et les situations dans lesquelles ils évoluent, je distribue les rôles, et, enfin, je passe à la rédaction.
Cela vous prend combien de temps, environ ?
Cela dépend de beaucoup de facteurs. Celui de l’inspiration est le plus important. Il m’arrive de démarrer en fanfare. J’abats dix-vingt pages d’affilée, et puis, l’inspiration tombe d’un coup. Et je ne me remets au travail que lorsque je me sens de nouveau en train. Tenez, France d’accueil m’a pris trois ans.
D’autres projets en perspective ?
Beaucoup. J’en suis submergé en ce moment. Il y a ce projet d’adaptation de France d’accueil, à la bande dessinée. Un dessinateur, Kief, se charge de l’illustration, tandis que moi je m’occupe d’écrire le scénario et les dialogues. Il y aura la promotion de mes deux autres livres Débauche et femmes battues à faire. Il y a encore ce livre sur les Suicides à terminer. Sans compter deux biographies à écrire, l’une sur mes parents et l’autre sur cet écrivain malgache, en guise d’hommage.
Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de votre second livre ? C’est un sujet d’actualité ?
La débauche ? Volontiers. Mais, tous les ouvrages que j’écris empruntent leur thématique à l’actualité. C’est une règle. Cela ne veut pas dire qu’il y a moins de fiction. Au contraire, je me définis comme un homme d’imagination, bien qu’écrivant aussi des essais comme ce livre et le suivant. La débauche est un phénomène qui n’est pas nouveau. Plusieurs facteurs poussent la jeunesse dans ce sens : l’alcool, la drogue, la misère… Mais aussi les nouvelles technologies, comme l’internet, le portable etc… Avec de tels moyens, les jeunes découvrent d’autres formes de vice et s’y adonnent volontiers, par snobisme, par ennui, par vertige, par attrait pour l’abîme ouvert sous leurs pas etc… Les barrières que dressent la morale et la religion volent en éclats. Au nom de la liberté, un nouvel ordre émerge, où les liens familiaux se distendent. Les jeunes disposent de trop d’indépendance et plutôt que de favoriser chez eux une force, ce sentiment les fragilise et les rend dépendants des mauvaises habitudes. Cette nouvelle mentalité a sa source dans le malaise social caractérisé par l’abandon du foyer conjugal, par le divorce, par les querelles au sein de la famille. Alors, mon livre se présente comme un signal d’alarme, comme une dénonciation, mais aussi comme une clé pour comprendre ce phénomène social complexe.
Dans le même sillage, vous écrivez aussi Les femmes battues. Comment avez-vous réussi à inspirer autant de confiance pour approcher les victimes des violences, alors qu’elles sont généralement peu disposées à communiquer par pudeur, par crainte, ou timidité.
Au début, c’est toujours difficile. Il y a la méfiance. Ce genre de personnes ont beaucoup souffert. elles ne se laissent pas facilement approcher. Si elles voient que vous cherchez à les faire parler de leur souffrance, elles rentrent dans leur coquille. Mais dès qu’elles comprennent que c’est dans leurs intérêts, elles coopèrent, à fond, avec vous. Il suffit pour cela d’être sérieux et patient. Cette expérience psychologique est capitale pour mettre tout le monde en confiance. Grâce à elles j’ai pu écouter les confessions de médecins, d’avocates, de femmes de ménage. Les formes de violences qu’elles ont subies sont des voies de fait aux propos insultants et aux remarques humiliantes.
Votre prochain livre sera consacré encore à un sujet d’actualité ?
Oui, les suicides. Je mets le mot au pluriel, car le fléau revêt diverses formes. Il y a le suicide lent par les drogues ou l’alcool, le suicide qui conduit à l’hôpital par excès de vitesse, ou en prison à force de récidive, le suicide qui mène vers le maquis, ou le suicide qui consiste à attenter à ses jours par divers moyens. J’ai vu combien les voies qui y conduisent sont elles-mêmes multiples : misère, ennui, vide existentiel, absence de perspective, désespoir, chagrin d’amour, pressions exercées par le milieu ou la famille etc… Là aussi, je prends le parti de comprendre et de témoigner.
Vous voyagez beaucoup, semble-t-il ?
Pour mon plaisir et pour comprendre le monde autour de moi. Un écrivain se doit de le faire. Mais, j’en profite aussi pour faire la promotion de mes livres. C’est l’Italie, l’Allemagne, la Turquie, la Grèce et bien d’autres pays encore comme la Tunisie, le Maroc etc… La nuit sur Ighram est dense comme la pluie. Le froid y est glacial. Nous quittons notre homme devant le café avec fortes poignées amicales et promesses de nous revoir à d’autres prochaines occasions littéraires.
Entretien réalisé par Ali D.
C’est un titre assez curieux. L’allusion à terre d’accueil est claire : France, terre d’accueil. Mais que signifie ce dérapage contrôlé, réalisé sur une seule voyelle et qui donne lieu à un glissement sémantique aux résonnances profondes ?
La France, terre d’accueil n’est plus ce qu’elle était autrefois. La conjoncture n’est plus la même. L’accueil réservé aux immigrés s’est changé en une hostilité évidente. Le chômage et la cherté de la vie font que tous les rêves que se font ceux qui choisissent la voie de l’exil, de l’immigration, se heurtent brutalement à la réalité. D’où la phobie qui se développe à l’égard de l’étranger dans ce pays.
Un naufrage, en somme. C’est ça ?
En quelque sorte. Celui des illusions d’une jeunesse qui en fuit la misère ou le poids d’une tradition oppressante et qui découvre ce qui pouvait être pire.
Comment l’idée d’un tel livre vous est venue ?
Je vis là-bas et j’observe. Ce que je constate est dans ce livre. Les faits sont vérifiables bien que j’essaie pour les exigences de les romancer. Mais n’importe quel lecteur peut vérifier la réalité et la peinture que j’en fais ici.
Lisez-vous beaucoup et subissez-vous l’influence d’autres écrivains ?
Au CEM et au lycée, comme beaucoup de camarades. Le livre était le seul moyen de procurer du rêve et de l’aventure. Voilà pourquoi nous lisions beaucoup. Aujourd’hui, il y a d’autres moyens qui concurrencent le livre comme la télé ou l’internet… Quant à la question de l’influence, oui, j’ai eu un vrai choc à la lecture, par exemple de cet écrivain malgache, il y a vingt ans ou de Abderrahmane, Le terroriste. Ces deux livres m’ont bouleversé. Mon livre est un hommage aux deux hommes, tout en restant un roman et un témoignage d’une époque.
Les classiques aussi, Comme Châteaubriant, Hugo, Lamartine ?
Les classiques font partie de notre jeunesse et, du patrimoine universel. On commence toujours par eux et puis, on évolue. Alors d’autres choix de lecture s’imposent à nous, en rapport avec l’âge et le goût. Un roman qui nous captive à quinze ans ne peut plus nous plaire autant qu’à trente ou quarante ans.
Comment s’organise le travail chez vous ?
Oh, le plus simplement du monde. J’amasse patiemment les matériaux, j’imagine les personnages et les situations dans lesquelles ils évoluent, je distribue les rôles, et, enfin, je passe à la rédaction.
Cela vous prend combien de temps, environ ?
Cela dépend de beaucoup de facteurs. Celui de l’inspiration est le plus important. Il m’arrive de démarrer en fanfare. J’abats dix-vingt pages d’affilée, et puis, l’inspiration tombe d’un coup. Et je ne me remets au travail que lorsque je me sens de nouveau en train. Tenez, France d’accueil m’a pris trois ans.
D’autres projets en perspective ?
Beaucoup. J’en suis submergé en ce moment. Il y a ce projet d’adaptation de France d’accueil, à la bande dessinée. Un dessinateur, Kief, se charge de l’illustration, tandis que moi je m’occupe d’écrire le scénario et les dialogues. Il y aura la promotion de mes deux autres livres Débauche et femmes battues à faire. Il y a encore ce livre sur les Suicides à terminer. Sans compter deux biographies à écrire, l’une sur mes parents et l’autre sur cet écrivain malgache, en guise d’hommage.
Pouvez-vous nous donner un bref aperçu de votre second livre ? C’est un sujet d’actualité ?
La débauche ? Volontiers. Mais, tous les ouvrages que j’écris empruntent leur thématique à l’actualité. C’est une règle. Cela ne veut pas dire qu’il y a moins de fiction. Au contraire, je me définis comme un homme d’imagination, bien qu’écrivant aussi des essais comme ce livre et le suivant. La débauche est un phénomène qui n’est pas nouveau. Plusieurs facteurs poussent la jeunesse dans ce sens : l’alcool, la drogue, la misère… Mais aussi les nouvelles technologies, comme l’internet, le portable etc… Avec de tels moyens, les jeunes découvrent d’autres formes de vice et s’y adonnent volontiers, par snobisme, par ennui, par vertige, par attrait pour l’abîme ouvert sous leurs pas etc… Les barrières que dressent la morale et la religion volent en éclats. Au nom de la liberté, un nouvel ordre émerge, où les liens familiaux se distendent. Les jeunes disposent de trop d’indépendance et plutôt que de favoriser chez eux une force, ce sentiment les fragilise et les rend dépendants des mauvaises habitudes. Cette nouvelle mentalité a sa source dans le malaise social caractérisé par l’abandon du foyer conjugal, par le divorce, par les querelles au sein de la famille. Alors, mon livre se présente comme un signal d’alarme, comme une dénonciation, mais aussi comme une clé pour comprendre ce phénomène social complexe.
Dans le même sillage, vous écrivez aussi Les femmes battues. Comment avez-vous réussi à inspirer autant de confiance pour approcher les victimes des violences, alors qu’elles sont généralement peu disposées à communiquer par pudeur, par crainte, ou timidité.
Au début, c’est toujours difficile. Il y a la méfiance. Ce genre de personnes ont beaucoup souffert. elles ne se laissent pas facilement approcher. Si elles voient que vous cherchez à les faire parler de leur souffrance, elles rentrent dans leur coquille. Mais dès qu’elles comprennent que c’est dans leurs intérêts, elles coopèrent, à fond, avec vous. Il suffit pour cela d’être sérieux et patient. Cette expérience psychologique est capitale pour mettre tout le monde en confiance. Grâce à elles j’ai pu écouter les confessions de médecins, d’avocates, de femmes de ménage. Les formes de violences qu’elles ont subies sont des voies de fait aux propos insultants et aux remarques humiliantes.
Votre prochain livre sera consacré encore à un sujet d’actualité ?
Oui, les suicides. Je mets le mot au pluriel, car le fléau revêt diverses formes. Il y a le suicide lent par les drogues ou l’alcool, le suicide qui conduit à l’hôpital par excès de vitesse, ou en prison à force de récidive, le suicide qui mène vers le maquis, ou le suicide qui consiste à attenter à ses jours par divers moyens. J’ai vu combien les voies qui y conduisent sont elles-mêmes multiples : misère, ennui, vide existentiel, absence de perspective, désespoir, chagrin d’amour, pressions exercées par le milieu ou la famille etc… Là aussi, je prends le parti de comprendre et de témoigner.
Vous voyagez beaucoup, semble-t-il ?
Pour mon plaisir et pour comprendre le monde autour de moi. Un écrivain se doit de le faire. Mais, j’en profite aussi pour faire la promotion de mes livres. C’est l’Italie, l’Allemagne, la Turquie, la Grèce et bien d’autres pays encore comme la Tunisie, le Maroc etc… La nuit sur Ighram est dense comme la pluie. Le froid y est glacial. Nous quittons notre homme devant le café avec fortes poignées amicales et promesses de nous revoir à d’autres prochaines occasions littéraires.
Entretien réalisé par Ali D.
Aokas Revolution- Nombre de messages : 3967
Date d'inscription : 30/06/2009
Re: Entretien avec l’écrivain Omar Mahmoudi
http://lecourrier-dalgerie.com/entretien-avec-lecrivain-omar-mahmoudi/
Aokas Revolution- Nombre de messages : 3967
Date d'inscription : 30/06/2009
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