Entretien avec Samir Rekik, écrivain et militant de la cause féminine
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Entretien avec Samir Rekik, écrivain et militant de la cause féminine
Samir Rekik est né le 30 juin 1971 à Tizi-n’Berber, une commune montagneuse et touristique située à environ 10 kms de la grande ville balnéaire d’Aokas (Béjaïa), lieu de naissance de l’écrivain Rahmani Slimane. Il est actuellement cadre-responsable au sein d’une filiale privée algérienne, contributeur et rédacteur d’articles de réflexion dans divers organes de presse, militant de la cause féminine, membre-fondateur et militant de la formation politique IDS/Essabil. Il a été aussi responsable associatif au niveau de sa région natale et cadre syndical d’une multinationale. « La femme algérienne, face à la législation, religion, violence, tabous et fléaux de la société. Regard comparatif sur la législation marocaine et tunisienne » est son 1er livre édité en France chez les éditions Edilivre et préfacé par l’écrivaine Sandrine Apers. Il a bien voulu se confier au Courrier d’Algérie, écoutons-le…
Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à écrire ce livre ?
Je suis un homme très sensible à la situation inégalitaire des femmes, à la situation d’injustice et de discrimination que subissent les femmes nord-africaines et plus particulièrement les Algériennes. J’ai débuté ce travail d’écriture cela fait presque une décennie, j’ai publié aussi une quarantaine d’articles de réflexion sur la condition des femmes et les fléaux sociaux dans la presse nationale et même dans des revues étrangères (électroniques). Mon combat pour l’égalité ne se résume pas juste à l’écriture, mais j’essaie, aussi, à chaque occasion qui se présente, dans des réunions, débats, d’avancer le combat des femmes et de crier haut et fort qu’on ne peut parler de démocratie sans l’égalité entre les deux sexes.
Qu’évoque-il justement ?
Il évoque, avec détails, les injustices subies par les femmes nord-africaines principalement algériennes. Des injustices qui sont véhiculées par le patriarcat et les hommes qui détiennent les pouvoirs. Le livre est composé de 4 parties : le statut social et juridique de la femme, violence et sexualité anormale, les mères célibataires et les enfants nés hors mariage, participation de la femme à la vie politique et de quelques chapitres suivis d’une étude cas par cas des fléaux sociaux qui sont d’actualité. A titre d’exemple : lois et traditions du mariage, l’héritage, la femme et la Cedaw, le corps des femmes comme champs de bataille, la virginité, la grossesse, la prostitution…
Samir Rekik vous êtes aussi militant de la cause féminine, pouvez-vous nous parler un peu de Samir Rekik, le féministe ?
Être féministe, c’est avant tout ne plus voir la femme comme un être inférieur, faible et une simple génitrice. Il s’agit de reconnaître ses compétences, sa valeur ajoutée dans une société où c’est l’homme qui fait la loi. Ce que je revendique par ce statut de « féministe », c’est l’égalité. Militer pour la cause féminine, c’est exiger aussi des libertés qui remettent en question le pouvoir politique actuelle, dont l’unique intérêt est de se perpétuer pour contrôler la richesse du pays. Aussi, quand on est « féministe », on est au cœur de la société, même si on est minoritaire.
Quelles sont les raisons selon vous qui empêchent l’émancipation de la femme algérienne ?
La raison principale est que la société algérienne est une société patriarcale où l’autorité familiale, politique ou économique est détenue par les hommes ou le chef de famille. Les droits fondamenteaux de la femme sont bafoués (maintien du tutorat – malgré qu’on a donné à la femme de choisir son tuteur, pratique des mariages de raison contre la volonté de la femme, violences conjugales, sorties de la maison interdites sans l’autorisation du tuteur, même pour aller chez la voisine…). La réforme du code de la famille de 2005 n’a pas eu d’impact car elle n’a pas eu le courage de rénover le code en profondeur comme l’a fait, avec fierté, le pays voisin : la Tunisie, où la modernité est le levain de son code du statut personnel – promulgué le 13 août 1956 (entré en vigueur le 1er janvier 1957), quelques mois à peine après la proclamation de l’indépendance tunisienne. À titre d’exemple, le tutorat est supprimé, le mariage n’est formé que par le consentement des deux époux (art. 3), la polygamie est non seulement abolie, mais encore interdite (art. 18), le divorce ne peut avoir lieu que par-devant le tribunal (art. 30), le tribunal prononce le divorce en cas de consentement mutuel des époux, à la demande de l’un des époux en raison du préjudice qu’il a subi, et à la demande du mari ou de la femme (art. 31). Par ailleurs, la dot est maintenue (art. 3), l’homme reste chef de famille (art. 23) et les règles successorales ne sont pas modifiées.
La plupart des femmes rencontrées se plaignent des «regards accusateurs» des hommes algériens. Les Algériens sont-ils misogynes ?
Les regards de certains hommes sont accusateurs, car ces derniers, à mon avis, sont toujours accrochés à leur conservatisme et ont peur de perdre, d’une façon graduelle, leur contrôle sur la femme.
Que préconisez-vous comme solutions pour que la femme algérienne devienne une citoyenne à part entière ?
L’abrogation pure et simple du code algérien de la famille et la mise en place des lois civiles égalitaires. Il faut aussi instaurer une protection juridictionnelle des droits des femmes sur un pied d’égalité avec les hommes, garantir leur protection effective contre tout acte discriminatoire, les laisser se ré – approprier leur histoire, développer leur capacité à s’exprimer comme des êtres spécifiques indépendants, responsables et irréductibles à l’homme. Enfin il ne faut pas rester accroché à des archaïsmes face aux profondes mutations que connaît la société algérienne.
Une fois, une militante de la cause féminine nous a dit texto que les militants démocrates sont hypocrites et ne croient pas vraiment à leur cause, contrairement aux islamistes qui se marient avec des militantes islamistes et surtout ils les encouragent à poursuivre leur combat idéologique. Qu’en pensez-vous ?
Le vrai démocrate croit à la cause féminine, et on ne peut parler de réelle démocratie sans reconnaitre l’égalité entre les deux sexes, comme je l’ai souligné en haut. Là, il n’y a aucun doute ! Par contre, le « faux » démocrate reconnait que sa semblable doit avoir les mêmes droits que lui mais ne joint pas l’action à la parole. Ce qui fait que l’importe militante d’un parti politique ou d’une organisation apolitique peut interpréter ce geste comme une hypocrisie pure et simple. Le phénomène qui veut que les actions ne suivent pas toujours les propos n’a jamais été aussi vrai que dans ce domaine où les écarts entre ce qui se dit et ce qui se fait représentent de véritables gouffres.
Pour les islamistes, la femme militante peut «menacer» la continuité de la religion. Le tutorat, la polygamie, l’héritage, la dot, le khôl, la filiation sont des revendications des islamistes et un peu moins des conservateurs. Bien que dans la réalité, la religion prône l’égalité des sexes. Il y a une mauvaise interprétation de quelques versets coraniques comme la sourate An-nissä Coran (4-34 ‘les femmes’) : «Les hommes ont autorité sur les femmes en raison des faveurs qu’Allah accorde à ceux-là sur celle-ci, et aussi à cause des dépenses qu’ils font de leurs biens…». Si on suit le raisonnement de certains juristes, traditionalistes et historiens de l’Islam, comme Ibn Kathir, dans ses tafsirs (interprétations), et Tabari, le mot «qawamoune» ne se traduit pas par «supérieur», car supérieur en arabe se dit «aâla ou aâli». Il ne se traduit pas, également, par autorité, car autorité en arabe c’est «solta». Si nous suivons, ce raisonnement, le mot «qawamoune» du coran vient de plusieurs dérivatifs, tels que «qaouama» (résistance), «el qâma» (taille, stature). Dieu a crée l’homme d’envergure, de taille ou de stature forte par rapport à la femme. Il lui a donné une résistance corporelle de manière à supporter les tâches et les responsabilités lourdes, dont la femme est épargnée. Donc, «qawama» ne veut nullement dire «autorité» ou «supériorité» de l’homme sur la femme pour en faire une discrimination.
Pour notre amie féministe, les hommes démocrates doivent s’impliquer activement pour aider la femme à s’émanciper. Les femmes peuvent-elles s’émanciper d’elles-mêmes ?
La mentalité patriarcale actuelle, qui est pratiquée dans presque toutes les régions du pays, les tabous et le désir profond des hommes de garder leurs privilèges hérités des traditions et coutumes anciennes sont les véritables obstacles à l’émancipation. Ces obstacles sont d’autant plus difficiles à contourner qu’ils utilisent la couverture religieuse comme je l’ai cité précédemment.Tant que l’homme détient toujours entre ses mains le pouvoir patriarcal et politique, la femme ne peut s’émanciper d’elle-même. L’implication active et sérieuse de l’homme est nécessaire. D’ailleurs, le livre que je viens de publier en est une preuve !
Que direz-vous aux femmes qui sont contre leur émancipation ?
Certaines de celles qui sont recluses dans le monde souterrain des femmes entre quatre murs et dépendent directement d’un homme, matériellement et financièrement, raisonnent de cette manière. En plus, notre société a étouffé leurs aspirations et les a découragées. Ces femmes sont devenues un instrument dont on ne parle même pas. Le fait qu’elles ne soit même pas l’égal à l’homme, comment voulez – vous qu’elles admettent un jour que l’émancipation est pour demain ?
D’après ce qu’on a comme information, il n’y a aucune femme maire en Kabylie, considérée le bastion des luttes démocratiques. Votre commentaire ?
Certains kabyles disent qu’ils sont pour les droits des femmes, pensant que ces droits se résument juste à ceux déjà «arrachés» par ces dernières (travail, études, tenues vestimentaires de plus en plus « modernes », présence (même timide) dans la sphère associative, syndicale et politique…) mais dans la réalité, ces femmes sont toujours contrôlées de près par un mâle (père, frère, cousin). Les libertés individuelles sont toujours rétrécies en kabylie. Auparavant, j’étais un peu convaincu que le statut de la femme en kabylie était en avance par rapport aux autres régions en Algérie, mais dans la réalité la seule petite différence que j’ai pu constater réside dans le fait que chez les kabyles la femme porte rarement le voile (hijab) et la polygamie est peu pratiquée, pour ne pas dire inexistante, ces dernières années. Mais dans l’ensemble, elle subit les mêmes inégalités (tutorat, mariages arrangés, violences familiales, harcèlement moral et sexuel…) et est recluse dans un système paternaliste et patriarcal, le même que celui pratiqué dans le reste de l’Algérie.Pour revenir à votre question, je peux dire que leur entrée dans la sphère politique n’a pas été toujours du goût des «gardiens» des traditions et coutumes kabyles qui désirent que tout stagne. Quelques femmes ont pu quand même «arracher» une certaine liberté et les plus «têtues» d’entres elles – celles qui s’accrochent – se retrouvent à quelques exceptions près dans un conseil wilayal mais d’autres se contentent de l’éternelle commission de la femme, un peu comme s’il y avait deux politiques en kabylie, celle des hommes et celle des femmes. Le plus drôle c’est qu’elles ne fusionnent jamais… Je dirais que les dirigeants des partis politiques doivent œuvrer pour rassembler les conditions d’implication de la femme dans la politique, car l’exclusion de la femme du combat complique d’avantage leur tâche.
Avez-vous d’autres projets littéraires ?
Je suis en train de finaliser un autre essai qui traite des traditions et coutumes chez les femmes kabyles avec comme cas traité : la région du Sahel (Béjaïa). Sa sortie est prévue au cours de la fin du 3e trimestre de l’année en cours.
Un mot pour conclure
Je tiens à remercier toutes les personnes qui me soutiennent, particulièrement mon entourage, les lectrices et lecteurs de mon 1er ouvrage et l’écrivaine Sandrine Apers qui a eu la grande gentillesse et disponibilité de préfacer mon livre. Un grand merci aussi à vous, pour cet agréable entretien, au quotidien le Courrier d’Algérie qui m’a ouvert ses colonnes, ainsi qu’à toute personne qui contribue à la promotion de la condition féminine et de la démocratie en général.
Entretien réalisé par Hafit Zaouche
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Re: Entretien avec Samir Rekik, écrivain et militant de la cause féminine
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