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Entretien avec l’écrivain Abdennour Abdesselam

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Entretien avec l’écrivain Abdennour Abdesselam Empty Entretien avec l’écrivain Abdennour Abdesselam

Message  Aokas Revolution Mer 20 Mar - 11:58

«Cheikh Mohand était un philosophe»
Abdennour Abdesselam n’est plus à présenter, particulièrement dans les milieux de la recherche amazighe. Il a écrit et publié plus de dix livres en tamazight ou en langue française. Depuis la parution de son premier ouvrage en tamazight : «Lebni d imuhal izuyaz» (Eléments d’architecture descriptive) en 1986, Abdennour Abdesselam n’a pas cessé de partager ses idées et ses travaux autour de la langue et de la culture amazighes. Il est l’auteur de «la Méthode d’enseignement du berbère» (1997), «Le dictionnaire abrégé du vocabulaire redressé de la langue berbère» (Editions ENAG-1997), «Recueil de proverbes berbères» (ENAG-1998), «Catégories du vocabulaire berbère» (1999) et de «Cheikh Mohand Oulhocine ou la renaissance de la pensée kabyle. Abdennour Abdesselam qui vit dans la ville de Tizi Ouzou est aussi l’auteur des dialogues en kabyle du premier long-métrage professionnel en langue amazighe adapté du roman «La colline oubliée» de Mouloud Mammeri. Dans cet entretien il aborde plusieurs aspects des questions liées à l’amazighité.

Pouvez-vous remonter à tous vos débuts et nous dire comment est né votre intérêt sans cesse grandissant pour la recherche dans le domaine de la culture et de la langue amazighes ?
C’est auprès de ma mère et du chanteur révolutionnaire Farid Ali dans « abrid i k-yehwan awi-t » que j’ai entendu pour la première fois le mot Amazigh. Cela a été initiatique pour moi mais j’étais trop jeune pour lui donner un prolongement de conscience élevée. L’avènement du FFS combattant de 1963 a joué dans mon subconscient d’enfant que j’étais. La revue Agraw Imazighen de l’académie berbère de Paris a également compté dans mon éveil à mon amazighité. Très jeune, l’ouvrage de Belaid At Ali a été mon livre de chevet. Mais c’est plutôt autour de Mouloud Mammeri que je me suis réellement fait mon chemin.

Le fait d’être un chercheur autodidacte, vous-a-t-il permis d’être plus libre et d’avoir une marge de manœuvre plus large quand vous menez vos travaux ?
Etre un autodidacte n’a pas été un choix volontaire. Cela s’est imposé à moi. Au deuxième jour de la composition du BAC je fus arrêté devant l’entrée du lycée technique du Ruisseau par les services de sécurité et je n’ai été relâché qu’au dernier jour à 2h du matin au port d’Alger. Il n’était pour moi plus possible de refaire l’année dès lors que je savais que je subirai le même sort voire plus grave encore. J’ai, depuis, fait cavalier seul en me documentant aux sources livresques du domaine des langues. Mes rencontres avec des spécialistes particulièrement avec Dda Lmulud m’ont été d’un apport inestimable. Je suis tout de même conscient de mes limites par rapport à une formation achevée.

Vos livres portent sur des thèmes et des axes très variés. Comment faites-vous le choix des thèmes sur lesquels écrire et travailler ?
Je vis totalement incrusté dans la société. Je vais un peu partout au café, aux marchés, sur les places publiques, dans les brasseries, je prends les transports en commun, je donne des conférences à travers la Kabylie etc. Ces contacts avec les citoyens me permettent de noter les différents besoins, les aspirations et les demandes sociales. J’essaie de les traiter ensuite par des publications.

Vous avez publié un livre sur Cheikh Mohand Oulhocine. On ressent une certaine subjectivité, qui semble évidente chez vous, quand il s’agit de ce poète. Le fait que soyez un grand admirateur de Cheikh Mohand Oulhocine est sans doute pour beaucoup dans cette passion quand il est question de lui, n’est-ce pas ?
Je précise tout d’abord que Chikh Mohand n’était pas poète ou pas seulement poète. Il était plutôt un philosophe qui a rendu service aux autres et ses actions étaient orientées sur des réalités du maintenant. Du temps de Chikh Mohand la Kabylie était inquiète car elle vivait dans une ambiance troublée et troublante induite par la terrible défaite du soulèvement de 1871 engagé par Chikh Aheddad et El Mokrani face au nouveau conquérant français. La société avait besoin d’une assurance qu’elle trouva dans les conseils et les orientations que dispensait Chilh Mohand. D’autre part, Chikh Mohand, en étant dans un état du réel, s’est gardé de faire dans la théocratie et l’empirique. Il enseignait le bon sens de la vie sur le champ de la connaissance et de la raison et non sur celui d’une foi aveugle. Notez que cette manière d’aborder les événements est de dimension et de valeur universelle. Mais comme nous n’avons presque jamais seulement pensé que dans le champ social kabyle, il pouvait exister un géni de la taille de n’importe quel géni au monde alors la présentation du personnage de Chikh Mohand dans mon livre, qui n’est qu’un avenant à celui de Mouloud Mammeri, peut surprendre. La mission de ce genre de livre est de faire prendre conscience sur une valeur presque inédite et insoupçonnée mais combien réelle d’autant plus que toute la société kabyle fonctionne encore aujourd’hui pour l’essentiel à partir des dits du Chikh. Pour ce qui est de ma passion que j’assume, que je revendique et que je célèbre je vous renvoie à une citation de Saint Augustin qui disait « je préfère quelqu’un qui se noie dans sa passion plutôt que quelqu’un qui perd sa passion ».

Dans votre livre Si Mohand-Baudelaire, vous tentez de mettre en évidence une certaine liberté de pensée chez la société kabyle de l’époque mais qui ne fait pas l’unanimité. On a toujours dit de la société kabyle d’antan qu’elle était très sévère et restreint les libertés notamment celles inhérentes à la femme mais aussi à celle ayant trait à s’exprimer en ne respectant pas les sentiers battus et l’avis de la majorité. Sur quels critères vous êtes-vous basé-donc pour défendre votre thèse ?
Je ne fais pas que tenter. Je rapporte une réalité qui a consacré la femme comme un élément entier dans la société kabyle. C’est une réalité vérifiée et vérifiable sur le terrain. Replacées dans leurs contextes, les quelques sévérités qui ont effectivement pu apparaître dans le champ social de Kabylie ne sont pas pour autant la spécialité de la seule société Kabyle. Toutes les sociétés humaines, particulièrement les rurales, sont passées par là. Savez-vous qu’une loi française interdisait aux femmes de porter le pantalon? Je note au passage que la ceinture de chasteté utilisée en occident est l’acte le plus haïssable et abject que l’homme a infligé à la femme. Elle n’est pas pour autant une invention kabyle. Du reste les conclusions intéressées de quelques spécialistes des sciences humaines orientées qui ont décrit la société kabyle sous des prismes déformants durant la colonisation a laissé encore des traces d’influence négatives à propos de la femme, souvent d’une manière inconsciente, dont on devrait se débarrasser. Il est vrai que depuis, le temps à fait son œuvre d’évolution un peu partout dans le monde avec des vitesses différentes. Je considère que le seul fait que la femme kabyle n’est pas historiquement voilée est un signe qui a prédisposé la société kabyle à l’ouverture que nous connaissons aujourd’hui malgré les pesanteurs religieuses actuelles qui ne font que passer.

Vous avez connu personnellement Mouloud Mammeri, pouvez-vous nous parler de ce chercheur brièvement. Ce que vous avez retenu de lui ?
Ce sont ses connaissances polyvalentes que je retiens le plus. Il a été tout à la fois professeur de lettres classiques (françaises et latines) et de langue berbère, linguiste, grammairien, sociologue, anthropologue, historien mais aussi poète. Sa simplicité et toute l’attention qu’il a prêtée à tout ce qui lui a été présenté comme essais de recherches font aussi ses grandes qualités.
Vous avez tenté une carrière politique après les événements de 1988 qui n’a pas fait long feu. Vous vous êtes vite retiré. Pourquoi ? Est-ce pour vous consacrer plus à la production culturelle amazighe ou bien ce créneau ne semble pas trop catholique pour vous ?
Parce que je refuse la compromission. La politique est une chose noble et sérieuse. Elle cesse de l’être quand l’intérêt matériel et personnel est placé comme objectif à atteindre. J’ai abandonné le cadre politique dans lequel je militais à la moitié de 1992. Mais même étant militant structuré je produisais dans le domaine amazigh. Cela ne m’a pas tellement gêné.

On a constaté que la population de Kabylie éprouvait plus d’engouement à l’époque où tamazight était interdite. Actuellement, après que l’étau se soit desserré sur tamazight, les gens ne portent pas un intérêt aussi important que celui de l’époque de la clandestinité. Pourquoi d’après vous ?
Quand la question amazighe relevait de l’interdit constitutionnel et institutionnel, il était du devoir de la Kabylie de se mobiliser dans son ensemble pour revendiquer fermement son droit identitaire et linguistique.
Depuis que ce n’est plus le cas, même si le caractère officiel de la langue amazigh demeure une revendication non encore satisfaite au plan constitutionnel, il est tout à fait normal que la question devienne le champ d’intervention des spécialistes et autres initiés selon la discipline et le domaine d’intervention de chacun.
Réparer une injustice de plus de quarante années d’ostracisme n’est pas chose facile. Elle exige de l’intelligence et du réalisme, ce à quoi on s’attelle.
Ce qui par contre donne à penser qu’il y a un certain fléchissement des foules, c’est la prise de conscience et la désaffection des citoyens vis-à-vis des partis politiques qui les ont pendant longtemps manipulé autour de la question amazigh comme un levier de mobilisation et de remplissage des rues. Ce n’est naturellement plus le cas et c’est tant mieux.

Quel est votre sentiment en découvrant par exemple que des personnalités considérées comme de « grands » militants de la cause amazighe, ont des enfants qui s’expriment en langue française et ne connaissent pratiquement aucun mot de kabyle. Il y en a tellement !
C’est une amère réalité et pourtant durant sa petite enfance, l’enfant peut recevoir plusieurs langues à la fois.
En cela, la langue maternelle doit impérativement avoir la primauté et ceux que vous nommez « grands » militants de la cause amazighe ne donnent pas toujours l’exemple.
Ils ne sont pas tous conséquents avec eux-mêmes. Mais ce n’est pas une généralité.

Entretien réalisé par Aomar Mohellebi


Aokas Revolution

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Message  Aokas Revolution Mer 20 Mar - 11:59

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