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Entretien avec l’écrivain, Tahar Ould Amar

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Entretien avec l’écrivain, Tahar Ould Amar Empty Entretien avec l’écrivain, Tahar Ould Amar

Message  Aokas Revolution Mer 20 Mar - 11:53

Il fait partie des rares auteurs de roman en langue amazighe. Bien qu’il aurait pu écrire son premier récit directement en langue française qu’il maitrise aussi bien du reste que Tamazight, Tahar Ould Amar, dit n’avoir pas hésité une seule seconde pour écrire son premier livre en Tamazight : un roman où il raconte l’Algérie, une terre tant aimée malgré toutes les turpitudes et les aléas. Dans cet entretien, Tahar Ould Amar, qui vit et travaille en tant que journaliste dans la ville de Bouira, parle de la langue amazighe et de son avenir, du livre et plus particulièrement du roman amazigh.

Le choix d’écrire votre roman en Tamazight ou en langue française s’est-il effectué facilement ou bien avez-vous longuement hésité avant d’opter pour votre langue maternelle ?
Je n’ai pas hésité un instant. En fait, l’hésitation se posait en terme d’écrire ou de ne pas écrire. Sinon, Taqbaylit s’imposait tout naturellement. En plus, franchement, j’estime que romancer dans la langue de Molière, pour quelqu’un comme moi de « cadré » dans un environnement culturel algéro-kabyle et d’une envergure intellectuelle modeste n’apporterait rien de plus, de
« subversif », comme dirait Slimane Benaissa, à la littérature française. Ceci dit, tarumit, taghrumit ( la langue française) comme la qualifie monsieur Halouane, est mon « gagne-pain ».

Ecrire en tamazight au moment où le constat que les lecteurs qui s’intéressent à la même langue sont rares, ne peut-il pas s’apparenter à une action vaine ?
Je ne pense pas que l’on se désintéresse de la langue, même si le substrat de la haine de soi généré par les cultures dominantes a la peau dure. En fait, le désintérêt que vous avez constaté est, je pense, justifié essentiellement par le fait que l’on ne propose pas toujours des choses intelligentes aux lecteurs. Il est normal que l’on ne s’intéresse qu’à ce qui est digne d’intérêt. Cela étant, et fort heureusement, de belles choses sont produites. Je pense notamment au travail, tous registres confondus, que font Kezzar, Mucat, Zimu et beaucoup d’autres jeunes talents. Mais hélas, seule la médiocrité est mise médiatiquement en avant.

Depuis des années, on assiste à une profusion de titres en langue amazighe, mais si la quantité est là la qualité est loin de suivre cet élan. Plus de quatre-vingt-dix pour cent des livres publiés en tamazight semblent dénués de tout intérêt. C’est du moins notre avis. Le partagez-vous ou bien avez-vous une autre appréciation sur cette question, en tant que romancier en tamazight ?
C’est parce que devenir « Auteur », à n’importe quel prix, est la détermination de beaucoup de gens qui n’ont pas conscience de leurs limites. Et en l’absence d’une « autorité » sélective dans le monde de l’édition, n’importe qui écrit n’importe quoi. Il y a quelques semaines, je me trouvais dans un souk hebdomadaire. Contre toute attente, et entre deux étals de fruits et légumes, je tombe sur un recueil de poésie. Je le prends, je le feuillette et constate que l’écriture ne respectait aucune norme. Je m’efforce tout de même à déchiffrer. Je n’y ai trouvé, c’est le moins que je puisse dire, aucune poésie. J’engage une discussion avec le « vendeur » qui se trouve être l’auteur. Il m’apprendra qu’il était directement allé négocier avec l’imprimeur. Le livre d’expression amazighe est en plein dans l’informel ! Beaucoup d’éditeurs trabendistes ne connaissent rien au livre. Ils gèrent leurs boites comme des épiceries. Le manuscrit est le dernier de leur souci. Seule la formule « compte d’auteur » les allèche. Ils sont prêts à éditer n’importe quoi pourvu que vous y mettiez le prix. Ceux-là ont une part de responsabilité dans la prolifération de la médiocrité.

Selon vous, qui est le meilleur romancier en langue amazighe depuis la parution des premiers textes à nos jours, bien qu’il n’y en ait pas beaucoup bien sûr ?
Il y en a quelques uns. Mais, sans conteste, Amar Mezdad sort du lot. C’est le Balzac kabyle. Ses œuvres, les romans notamment, nous renvoient d’une manière géniale les palpitations sourdes et audibles de la société kabyle.

Vous êtes connu comme étant un «opposant» du puritanisme quand il s’agit d’écrire en langue amazighe. D’ailleurs, votre propre roman est «truffé» de passages, parfois longs, carrément dans la langue de Molière. Ce choix ne peut-il pas paraître exagéré. C’est un peu comme si on lisait un roman en langue française avec des lignes entières en anglais et de surcroît sans traduction ?
La langue n’interpelle le locuteur, ne l’implique, ne l’émeut que quand elle s’adresse à lui. Et c’est justement à cette langue, cette langue vivante de tous les jours, que le lecteur réagit d’une manière ou d’une autre. Une langue que l’on fabrique dans des laboratoires en dehors de la dynamique sociale censée être la seule autorité linguistique, ne peut être que froide et débile. Franchement, cette langue te parle : « Ahil anesbaghur deg yirmuden n yidles » !? Je « m’oppose » à ce monstre linguistique, oui ! C’est vrai qu’il y a des passages de la langue française, même des passages de l’arabe algérien, mais je ne pense cependant pas que « bururu, en soit truffé. De toute façon, c’était délibéré. Je considère les deux langues comme faisant partie de notre quotidien, du moins pour un certain nombre d’Algériens. Les passages que vous avez relevés ont apporté un plus de vie, me semble-t-il.

Le contexte de la mondialisation qui n’a pas épargné notre pays n’a pas du tout favorisé l’éclosion de la langue amazighe, laquelle a justement commencé à être reconnue presque simultanément avec l’apparition et la généralisation de l’Internet, du téléphone portable, du numérique… Etes-vous d’accord que ces phénomènes ont freiné l’élan qui aurait pu permettre à tamazight de rebondir plus facilement ?
On a pensé la même chose du livre, après l’avènement fracassant de la télévision dans le monde. Le livre, pas chez nous bien sûr, a toujours sa cote. Je pense au contraire, c’est le cas de l’Internet, que l’avènement de cette technologie peut apporter une nouvelle dynamique. On le vérifie d’ailleurs dans les réseaux sociaux et autres blogs thématiques.

Parlez-nous de votre expérience dans le journalisme en langue amazighe, puisque vous coordonnez depuis des années un supplément en langue amazighe…
Une expérience passionnante qui confirme, si besoin est, que tamazight, du moins sa variante kabyle, est aussi une langue de média. Ce qui est intéressant dans cette expérience est qu’au fil du temps le lecteur consulte ce supplément pour s’informer. Il ne s’agit plus d’un acte de militantisme. Autrement dit, la langue passe au second plan, comme le sont le français dans le cas de la presse francophone et l’arabe pour la presse arabophone. Et c’est tant mieux parce que cela veut dire que Taqbaylit assure sa fonction.

Comment expliquez-vous l’absence presque totale de traductions de chefs-d’œuvre de la littérature universelle vers la langue amazighe. Ces dernières se comptent sur le bout des doigts. Il y a eu Roméo et Juliette, Kalila et Dimna, le Petit prince, Le fils du pauvre. C’est tellement peu, n’est-ce pas ?
Oui, c’est vrai, d’autant plus que traduire est le moyen le plus rapide d’enrichir la bibliographie. Ça permet de gagner du temps. Mais traduire suppose la maîtrise de la langue et culture du départ et la maîtrise de la langue et culture d’arrivée.
Traduire la littérature algérienne d’expression française ou d’expression arabe et peut-être plus à la portée. Ce qui n’est pas évident quand il s’agit de traduire comme vous le dites les chefs d’œuvres de la littérature universelle. Hélas, n’est pas Mohia qui le veut !

A la lumière des données actuelles, quel sera l’avenir du livre en langue amazighe ?
Paul Valéry estime que « les livres ont les mêmes ennemis que l’homme : le feu, l’humidité, le temps et leur propre contenu ». C’est le génie du contenu, au-delà du statut qui va être réservé à la langue amazighe et les moyens effectifs que mettra l’Etat pour sa promotion, qui déterminera l’avenir du livre. Fort heureusement, de temps en temps, ce génie est mis à contribution. Je pense en l’occurrence à «Inig aneggaru», le nouveau roman de Brahim Tazaghart. Franchement, et au-delà des considérations politiques, l’avenir du livre, de la langue amazighe d’une manière générale, dépend de ses locuteurs, de nous tous, tous les fragments de la société sont concernés. Il faut mettre de l’intelligence dans toute production d’expression amazighe. Il faut en finir avec la «folklorisation» anémiante. Voilà ce qu’en pensait feu Bouguermouh, sur la question : «… Il arrive un moment où il faut baisser le rideau. Surtout quand on voit ce qui se passe, quand on voit la folklorisation de la Kabylie dans les seuls médias auxquels nous avons accès. On est en train de leur servir une culture misérable et miséreuse que les gens suivent parce qu’ils n’ont rien d’autre à se mettre sous les yeux. Quand on a décidé de créer BRTV, j’étais parmi les créateurs, mais je me suis retiré, des gens sont venus et ont proposé de faire n’importe quoi. J’ai refusé. Pour l’anecdote, il y en a un qui s’est levé et qui a dit : «Si on leur dit ”izz..ne’ ‘ en kabyle à la télévision, les gens seront très heureux». Effectivement, souvent je ne vois que ce mot que je viens d’employer. »

Une dernière question par rapport aux étapes franchies jusque-là par la langue et culture amazighes en Algérie. Vous êtes un militant de longue date et vous n’hésitez pas à joindre l’acte à la parole puisque vous y travaillez. Du moins, vous apportez un plus à votre manière. A partir de là, quel bilan en faites-vous ?
Je ne me considère pas militant. D’ailleurs, le concept ne m’inspire pas trop confiance. Je vous concéderais le qualificatif si je militais dans une organisation qui se bat pour la sauvegarde des pingouins dans l’antarctique. Là, il s’agit de ma langue, moi, de l’air que je respire. Comme on dit en kabyle « mebla lemzegga-w (je n’ai aucun mérite)» Quant au bilan, quoique l’on dise des espaces de liberté ont été arrachés, au prix que vous savez. Aujourd’hui, «ad nerrez wala neknu » doit laisser place à la production, dans le domaine de la littérature, cinéma, chanson…, une production non repliée sur elle-même et qui doit apporter un plus à l’humanité tout entière, sinon fidel , restons dans notre ghetto sécurisé et sécurisant.

Entretien réalisé par Aomar Mohellebi


Aokas Revolution

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Message  Aokas Revolution Mer 20 Mar - 11:53

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