Entretien avec Najy Benhassine, membre du comité de pilotage de Nabni Les 200 milliards de dollars de réserves de change sont un mirage
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Entretien avec Najy Benhassine, membre du comité de pilotage de Nabni Les 200 milliards de dollars de réserves de change sont un mirage
L’Algérie fête le 5 juillet prochain le cinquantième anniversaire de son indépendance. Quel bilan économique Nabni fait‑il de cette période ?
Le bilan est mitigé. D'un côté, des progrès considérables ont été réalisés. Depuis l’indépendance, le niveau de vie des Algériens s’est constamment amélioré (mis à part durant les années 1990), l’accès à l’éducation et à la santé ont été généralisés, et les infrastructures se sont développées. Cette partie du bilan est positive. D'un autre côté, ces succès sont à relativiser lorsque l'on se compare à d'autres pays aux conditions de départ similaires, ou même à des pays moins dotés en ressources naturelles. D’une part, le pays n’a pas réussi à se diversifier, demeurant dépendant pour ses exportations et ses recettes fiscales des hydrocarbures. D’autre part, les investissements considérables dans les infrastructures et l’éducation, et notre potentiel humain et nos ressources, auraient dû générer des taux de croissance beaucoup plus significatifs, à l’instar de nombreux pays émergents qui partaient du même niveau (Malaisie, Corée, etc.)
Ce retard de croissance et de diversification est rattrapable, mais le temps presse car notre rente d’hydrocarbures arrive à sa fin. Il est aujourd’hui urgent de se préparer à cette échéance inéluctable et d’engager le pays dans un processus de diversification ambitieux. Cependant, l’environnement actuel – climat des affaires, cadre institutionnel, gouvernance, etc. – ne le permet pas. En effet, en nous comparant à douze pays émergents que nous avons choisis comme base de référence, on constate que notre pays est systématiquement parmi les derniers dans tous ces domaines. Changer profondément cet environnement et créer les conditions du décollage est ce que nous proposons dans la vision économique d’Algérie 2020 publiée sur www.nabni.org.
Nous utilisons à cette fin l’image du Titanic pour souligner la nature du virage que notre pays doit urgemment amorcer. La perspective de l’iceberg, image de la fin de notre prospérité rentière, nous impose en effet d’engager le pays dans un projet de développement qui soit suffisamment audacieux et ambitieux, pour rompre avec la trajectoire actuelle et mener, enfin, notre jeune navire de 50 ans à bon port.
Vous comparez l’Algérie au Titanic. En quoi notre pays ressemble‑t‑il à ce bateau qui était lors de son inauguration le plus beau et le plus puissant du monde ?
L’histoire du naufrage du Titanic, qui a percuté un iceberg faute d’avoir entamé son virage suffisamment tôt, est riche de parallèles avec la situation actuelle du "navire Algérie". Le parallèle sur l’illusion de puissance en est un exemple. La puissance des turbines du Titanic donnait l’illusion à son équipage qu’il pourrait rapidement éviter un éventuel iceberg. Cette illusion de puissance laissa malheureusement la place à la cruelle réalité d’un navire incapable de changer sa trajectoire suffisamment vite, ayant amorcé son virage trop tard. Le mirage des 200 milliards de dollars que nous pourrions rapatrier de l'étranger. Une des illusions rassurantes que beaucoup entretiennent dans notre pays, est celle du "matelas" des quelque 200 milliards de dollars placés à l'étranger que l’État pourrait rapatrier et investir en Algérie.
Cette supposée épargne n’existe pas : pas un seul dollar de ces réserves n’est à disposition de l’État. Ce ne sont que des réserves de change, qui nous permettent de payer nos factures d’importation et rien d’autre. Leur équivalent en dinars est déjà dans notre économie, en grande partie déjà dépensé et investi. Ce qui en reste (environ 5 400 milliards de dinars, ou 70 milliards de dollars) est dans le Fonds de régulation des recettes.
Cependant, au vu des dépenses effrénées auxquelles s’est livré l’État récemment, et selon les prévisions actuelles, le risque de voir une grosse partie de cette épargne fondre au cours des prochaines années est très grand. L’iceberg est là, bien visible. Nous ne pouvons plus le nier. C’est une sonnette d’alarme que nous voulons tirer. Toutefois, le risque est que ce cri d’alarme citoyen ne subisse le sort des avertissements télégraphiques que le Titanic avait reçus la veille de son naufrage : ces messages avaient été ignorés par un poste de commandement obstinément convaincu que les icebergs annoncés n’étaient pas si proches…
Le débat sur la nécessité de sortir l’économie nationale de sa dépendance vis‑à‑vis des hydrocarbures n’est pas nouveau. Pensez‑vous que le régime actuel peut lâcher la rente et développer une économie indépendante des hydrocarbures ?
Si par « lâcher la rente », vous entendez rompre avec toutes les pratiques qui empêchent l’émergence d’acteurs économiques compétitifs, dont l’activité ne dépend ni de positions dominantes, ni d’accès privilégiés au crédit, au foncier, aux marchés publics, aux activités réglementées, etc., alors la réponse est sans équivoque. Notre économie ne se diversifiera pas tant que l’environnement des affaires, la gouvernance et les institutions ne garantissent pas des règles qui soient appliquées de la même manière pour tous. Ne pas « lâcher la rente », ou maintenir toutes ces contraintes, signifiera le maintien de l’échec de la diversification hors hydrocarbures. Le virage qu’il est si urgent de prendre n’en sera que retardé.
La société civile est faible, l’opposition est en crise. Le pouvoir ignore vos propositions. Comment comptez‑vous faire pour imposer vos idées ?
Nous ne pouvons rien imposer. Par contre, l’initiative Nabni repose sur notre certitude que les idées innovantes, constructives et concrètes font cruellement défaut dans le débat public. Nous avons l’intime conviction que contribuer sur le terrain des idées aboutira tôt ou tard à des avancées. Le pari que nous faisons est que des solutions issues d’un large débat ouvert s’imposeront progressivement.
Êtes-vous convaincus qu’un changement pacifique est possible en Algérie ?
Oui, nous en sommes convaincus et nous le souhaitons bien entendu. Le tout est de ne pas retarder davantage les grandes réformes qui nous permettront de bâtir une société plus juste et de progrès. Il est nécessaire que nous prenions collectivement conscience de l’urgence et de la taille de la tâche à accomplir.
Faut-il changer de système de gouvernance et de régime pour s’en sortir et éviter à l’Algérie le sort dramatique du Titanic ?
La réforme de la gouvernance publique et des institutions est en effet au cœur des chantiers qui structurent la vision d’Algérie 2020. Sans cela, pas un seul de ces chantiers de développement ne pourra être mis en œuvre. Sans cela, le virage si urgent à prendre pour éviter l’iceberg qui nous guette ne se réalisera pas. Ce que nous proposons comme solutions dans ce domaine sera dévoilé le 5 juillet, à l’issue de la série de publications en cours. Ce que l’on peut promettre aujourd’hui, c’est que nous allons proposer des idées audacieuses, originales et innovantes, fidèles à l’esprit de Notre Algérie Bâtie sur de Nouvelles Idées.
Le bilan est mitigé. D'un côté, des progrès considérables ont été réalisés. Depuis l’indépendance, le niveau de vie des Algériens s’est constamment amélioré (mis à part durant les années 1990), l’accès à l’éducation et à la santé ont été généralisés, et les infrastructures se sont développées. Cette partie du bilan est positive. D'un autre côté, ces succès sont à relativiser lorsque l'on se compare à d'autres pays aux conditions de départ similaires, ou même à des pays moins dotés en ressources naturelles. D’une part, le pays n’a pas réussi à se diversifier, demeurant dépendant pour ses exportations et ses recettes fiscales des hydrocarbures. D’autre part, les investissements considérables dans les infrastructures et l’éducation, et notre potentiel humain et nos ressources, auraient dû générer des taux de croissance beaucoup plus significatifs, à l’instar de nombreux pays émergents qui partaient du même niveau (Malaisie, Corée, etc.)
Ce retard de croissance et de diversification est rattrapable, mais le temps presse car notre rente d’hydrocarbures arrive à sa fin. Il est aujourd’hui urgent de se préparer à cette échéance inéluctable et d’engager le pays dans un processus de diversification ambitieux. Cependant, l’environnement actuel – climat des affaires, cadre institutionnel, gouvernance, etc. – ne le permet pas. En effet, en nous comparant à douze pays émergents que nous avons choisis comme base de référence, on constate que notre pays est systématiquement parmi les derniers dans tous ces domaines. Changer profondément cet environnement et créer les conditions du décollage est ce que nous proposons dans la vision économique d’Algérie 2020 publiée sur www.nabni.org.
Nous utilisons à cette fin l’image du Titanic pour souligner la nature du virage que notre pays doit urgemment amorcer. La perspective de l’iceberg, image de la fin de notre prospérité rentière, nous impose en effet d’engager le pays dans un projet de développement qui soit suffisamment audacieux et ambitieux, pour rompre avec la trajectoire actuelle et mener, enfin, notre jeune navire de 50 ans à bon port.
Vous comparez l’Algérie au Titanic. En quoi notre pays ressemble‑t‑il à ce bateau qui était lors de son inauguration le plus beau et le plus puissant du monde ?
L’histoire du naufrage du Titanic, qui a percuté un iceberg faute d’avoir entamé son virage suffisamment tôt, est riche de parallèles avec la situation actuelle du "navire Algérie". Le parallèle sur l’illusion de puissance en est un exemple. La puissance des turbines du Titanic donnait l’illusion à son équipage qu’il pourrait rapidement éviter un éventuel iceberg. Cette illusion de puissance laissa malheureusement la place à la cruelle réalité d’un navire incapable de changer sa trajectoire suffisamment vite, ayant amorcé son virage trop tard. Le mirage des 200 milliards de dollars que nous pourrions rapatrier de l'étranger. Une des illusions rassurantes que beaucoup entretiennent dans notre pays, est celle du "matelas" des quelque 200 milliards de dollars placés à l'étranger que l’État pourrait rapatrier et investir en Algérie.
Cette supposée épargne n’existe pas : pas un seul dollar de ces réserves n’est à disposition de l’État. Ce ne sont que des réserves de change, qui nous permettent de payer nos factures d’importation et rien d’autre. Leur équivalent en dinars est déjà dans notre économie, en grande partie déjà dépensé et investi. Ce qui en reste (environ 5 400 milliards de dinars, ou 70 milliards de dollars) est dans le Fonds de régulation des recettes.
Cependant, au vu des dépenses effrénées auxquelles s’est livré l’État récemment, et selon les prévisions actuelles, le risque de voir une grosse partie de cette épargne fondre au cours des prochaines années est très grand. L’iceberg est là, bien visible. Nous ne pouvons plus le nier. C’est une sonnette d’alarme que nous voulons tirer. Toutefois, le risque est que ce cri d’alarme citoyen ne subisse le sort des avertissements télégraphiques que le Titanic avait reçus la veille de son naufrage : ces messages avaient été ignorés par un poste de commandement obstinément convaincu que les icebergs annoncés n’étaient pas si proches…
Le débat sur la nécessité de sortir l’économie nationale de sa dépendance vis‑à‑vis des hydrocarbures n’est pas nouveau. Pensez‑vous que le régime actuel peut lâcher la rente et développer une économie indépendante des hydrocarbures ?
Si par « lâcher la rente », vous entendez rompre avec toutes les pratiques qui empêchent l’émergence d’acteurs économiques compétitifs, dont l’activité ne dépend ni de positions dominantes, ni d’accès privilégiés au crédit, au foncier, aux marchés publics, aux activités réglementées, etc., alors la réponse est sans équivoque. Notre économie ne se diversifiera pas tant que l’environnement des affaires, la gouvernance et les institutions ne garantissent pas des règles qui soient appliquées de la même manière pour tous. Ne pas « lâcher la rente », ou maintenir toutes ces contraintes, signifiera le maintien de l’échec de la diversification hors hydrocarbures. Le virage qu’il est si urgent de prendre n’en sera que retardé.
La société civile est faible, l’opposition est en crise. Le pouvoir ignore vos propositions. Comment comptez‑vous faire pour imposer vos idées ?
Nous ne pouvons rien imposer. Par contre, l’initiative Nabni repose sur notre certitude que les idées innovantes, constructives et concrètes font cruellement défaut dans le débat public. Nous avons l’intime conviction que contribuer sur le terrain des idées aboutira tôt ou tard à des avancées. Le pari que nous faisons est que des solutions issues d’un large débat ouvert s’imposeront progressivement.
Êtes-vous convaincus qu’un changement pacifique est possible en Algérie ?
Oui, nous en sommes convaincus et nous le souhaitons bien entendu. Le tout est de ne pas retarder davantage les grandes réformes qui nous permettront de bâtir une société plus juste et de progrès. Il est nécessaire que nous prenions collectivement conscience de l’urgence et de la taille de la tâche à accomplir.
Faut-il changer de système de gouvernance et de régime pour s’en sortir et éviter à l’Algérie le sort dramatique du Titanic ?
La réforme de la gouvernance publique et des institutions est en effet au cœur des chantiers qui structurent la vision d’Algérie 2020. Sans cela, pas un seul de ces chantiers de développement ne pourra être mis en œuvre. Sans cela, le virage si urgent à prendre pour éviter l’iceberg qui nous guette ne se réalisera pas. Ce que nous proposons comme solutions dans ce domaine sera dévoilé le 5 juillet, à l’issue de la série de publications en cours. Ce que l’on peut promettre aujourd’hui, c’est que nous allons proposer des idées audacieuses, originales et innovantes, fidèles à l’esprit de Notre Algérie Bâtie sur de Nouvelles Idées.
Azul- Nombre de messages : 29959
Date d'inscription : 09/07/2008
Re: Entretien avec Najy Benhassine, membre du comité de pilotage de Nabni Les 200 milliards de dollars de réserves de change sont un mirage
http://www.tsa-algerie.com/economie-et-business/les-200-milliards-de-dollars-de-reserves-de-change-sont-un-mirage_21160.html
Azul- Nombre de messages : 29959
Date d'inscription : 09/07/2008
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