La Sécurité militaire au cœur du pouvoir Quarante ans de répression impunie en Algérie, 1962 – 2001
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La Sécurité militaire au cœur du pouvoir Quarante ans de répression impunie en Algérie, 1962 – 2001
Par Dr Salah-Eddine SIDHOUM. publié par algeria-watch en septembre 2001
» La violence actuelle est entretenue par des forces qui n’ont pas intérêt que la société s’organise pour défendre ses droits, c’est une façon d’exercer l’hégémonie par le désordre, donc une atteinte au droit fondamental de l’homme de vivre en société. »
Hocine Zahouane
» Un militaire sans conscience politique n’est qu’un criminel en puissance « .Thomas Sankara
La violence politique en Algérie n’a pas débuté, contrairement à ce qui est admis, au lendemain de l’indépendance, mais bel et bien durant la guerre de libération nationale. Les liquidations physiques et la terreur comme moyens de gestion politique avaient fait déjà leur apparition dans les camps de l’armée des frontières et au sein des maquis. De nombreux responsables politiques et militaires ont été assassinés par leurs propres frères (Abane Ramdane, Abdelmoumène, Abbas Laghrour, Ali Mellah, Abbas Lamouri, Cheriet Lazhari, Chihani Bachir, Abdelkrim Soufi, Hadj Ali, colonel Boucif, capitaine Yamani, capitaine Zoubir…..). D’autres responsables politiques seront menacés et éloignés des centres de décision alors que la guerre de libération avait besoin de tous. Et ceux qui avaient liquidé ces hommes libres seront les mêmes qui confisqueront l’indépendance en 1962. Et ce sont leurs reliques qui donneront l’ordre de tirer sur des enfants en octobre 88 et qui mèneront une guerre sans merci contre une grande partie de leur peuple à partir de 1992.
Benyoucef Ben Khedda, président du GPRA, en butte, avant et après l’indépendance, aux intrigues des imposteurs des frontières, les dénoncera clairement en août 1962 : » Certains officiers qui ont vécu à l’extérieur, n’ont pas connu la guerre révolutionnaire comme leurs frères du maquis, guerre basée essentiellement sur le peuple. Ces officiers qui sont restés, pendant la durée de la guerre, aux frontières tunisienne et marocaine, ont souvent tendance à ne compter que sur la force des armes. Cette conception dangereuse conduit à sous-estimer le rôle du peuple voire à le mépriser et crée le danger de voir naître une féodalité ou une caste militariste, telle qu’il en existe dans certains pays sous-développés, notamment en Amérique latine « .(1) Des paroles prophétiques qui deviendront réalité quelques années plus tard !
Insidieusement, silencieusement, se mettait en place une politique répressive pour museler un peuple en mal de liberté et réduire à néant toute velléité d’émancipation. La liberté de s’exprimer ou de s’organiser, assimilée à de la subversion, était devenue au nom de la « révolution « , HARAM ! (illicite)
La tristement célèbre sécurité militaire, formée à l’école du KGB (promotion « tapis rouge » des années 60), véritable colonne vertébrale du régime, constituera le fer de lance de cette répression pour réduire dès l’indépendance, un peuple qui venait de sortir d’une guerre coloniale particulièrement meurtrière, au silence absolu. Pendant des décennies, la seule évocation des deux lettres S.M suffisait à provoquer une peur panique chez nos concitoyens.
Dès l’indépendance et avant même que ne soient effacés de la mémoire des citoyens les tristement célèbres villas Sesini de Diar El Mahçoul, l’Eclair du Télemly, la Grande terrasse des Deux Moulins, de la Redoute et les fermes Améziane de Constantine, Bernabé de Boudouaou et Altairac d’El Harrach où étaient « questionnés » les hommes libres par les tortionnaires de Massu et de Bigeard, apparurent de nouveaux centres de supplices où cette fois-ci des algériens torturaient d’autres algériens alors que les plaies de la guerre de libération n’étaient pas encore cicatrisées et que les militaires coloniaux n’avaient pas encore évacué totalement le pays. D’anciennes cliniques désaffectées serviront de lieux de supplices (Bouzaréah, El Biar, Notre Dame d’Afrique… ). Les algériens apprendront à leurs dépens que la bête immonde n’avait pas quitté l’Algérie avec le départ des hordes coloniales.
Kidnappings, tortures, « disparitions « , séquestrations sans jugement et liquidations physiques seront les méthodes du nouveau pouvoir d’Alger pour gouverner. Certains « planqués » des frontières et d’anciens collaborateurs et autres indics « repentis » de l’armée coloniale se donnaient la main pour perpétuer les souffrances des hommes libres et dignes de ce pays. Triste fatalité !
Le système militaro-policier qui se mettait en place ne tolérait aucune opposition. D’abord par la force des armes puis par la terreur, ces aventuriers imposeront leur loi à la Nation au nom de la vaseuse « légitimité révolutionnaire « , une « légitimité » acquise dans les ténébreuses baraques d’Oujda et de Ghardimaou.
Le regretté Hocine Lahouel, vieille figure historique du Mouvement National me disait à sa libération en 1977, après une assignation à résidence qui a duré plus d’une année, non sans un certain humour caustique, à propos du colonel Boukharouba qui l’avait privé de liberté : » Même Dieu dans toute sa Grandeur et sa Perfection s’est créé, à travers Satan, un opposant. Boukharouba, quant à lui, plus que « parfait » n’admet pas d’opposants. »
Comme nous le verrons à travers les témoignages et la chronologie non exhaustive que nous présentons ci-dessous, les quatre décennies de règne et de pouvoir sans partage de l’oligarchie seront jalonnées d’actes de violence permanents de sa part pour faire taire toute velléité de contestation et de remise en cause par les citoyens de ce pouvoir illégitime. Ces témoignages, exposés dans leur tragique réalité, illustrent parfaitement l’ampleur de cette violence politique et de ce terrorisme d’Etat depuis l’indépendance. Comme nous le constaterons, aucune catégorie sociale ni tendance politique ne seront épargnées.
Cette répression aura connu au fil des décennies, une évolution graduelle, proportionnelle au degré d’impopularité et de rejet du régime par les citoyennes et citoyens.
Si durant les deux premières décennies, l’arrestation arbitraire, la torture et la liquidation physique touchaient de manière particulière des opposants ciblés (anciens maquisards de la guerre de libération que le régime n’avait pu recycler par la corruption, hommes politiques, hommes de religion ou très rares intellectuels), nous remarquerons que durant les années 80, la répression se fera à plus ou moins grande échelle (événements de Kabylie de 1980, arrestations de centaines de partisans de Ben Bella et d’islamistes, événements de Constantine et massacres d’octobre 1988). La dernière décennie sera, quant à elle, celle d’une véritable guerre contre une grande partie de la population avec de grands moyens. Un mélange de guerre spéciale à la Godart et Trinquier et de manipulations à la Béria.
Durant cette dernière décennie et malgré le climat de terreur imposé pour faire taire toute opposition et la guerre psychologique de grande envergure pour tromper l’opinion, des militantes et militants des droits de la personne humaine, dignes et courageux, ont pu faire parvenir au monde des centaines de témoignages de suppliciés et de longues listes de citoyens disparus ou exécutés sommairement.
C’était une vérité autre que celle que voulaient imposer les partisans de la guerre à huis-clos et qui mettait à nu le véritable visage de ceux qui prétendaient « sauver l’Algérie et la démocratie de la barbarie « . C’était la vérité de ceux qui œuvraient pour l’instauration d’un Etat de droit en Algérie, un Etat légitime garantissant les libertés de conscience et d’expression, les droits fondamentaux de la personne humaine ; l’Etat qu’espéraient les centaines de milliers de morts de la guerre de libération nationale, les « disparus » de l’après-indépendance, les enfants d’octobre 88 et toutes les victimes d’aujourd’hui.
Malgré tous les moyens internes utilisés et les complicités internationales inavouées, le délire totalitaire que voulait cacher cette guerre psychologique, n’a pu étouffer les voix de celles et de ceux qui se battaient pour faire connaître la véritable nature de cette sale guerre : celle d’une caste militaro-financière contre un peuple. Et les derniers événements vécus par certaines régions d’Algérie l’ont, encore une fois prouvé.
Ce que nous vivons depuis une décennie comme tragédie n’est que la continuité d’une politique initiée dès 1962. Gauchistes, berbéristes et islamistes n’ont servi que d’alibis à ce pouvoir sans foi ni loi pour imposer le silence et la pérennité du régime. Hier, il s’agissait de combattre les « fanatiques islamistes obscurantistes, terroristes à la solde de Khartoum et de Téhéran « , aujourd’hui il s’agit de combattre les « kabyles athées et sécessionnistes à la solde de la France « . A qui le tour demain ?
Une leçon à méditer pour ceux qui continuent à se tromper de cible !
Témoignages
Année 1963.
Kidnapping de Mohamed Boudiaf, membre fondateur du Front de libération Nationale et ministre d’Etat du GPRA par la police politique de Ben Bella et de Boukharouba. Extraits de son témoignage. (2)
L’aventure dont ce journal décrit le déroulement commence le vendredi 21 juin (1963), en plein midi. Je viens juste de quitter la maison pour une course, quand deux hommes m’accostent au pont d’Hydra, me demandant de me mettre à leur disposition au nom de la sécurité militaire. J’exige des papiers attestant leur qualité ; le plus âgé m’exhibe, précipitamment, non sans trembler quelque peu, une carte verte, établie au nom de S. Mohamed. A peine en ai-je pris connaissance que le second me prie, sur un ton bourru, de faire vite.
Il est bon, avant de passer à la suite, de donner le signalement de ces deux individus. S. Mohamed est un quinquagénaire, grisonnant, au teint olivâtre et à l’accent kabyle. Je l’ai déjà rencontré quelque part et, si mes souvenirs sont fidèles, sans toutefois que j’en sois sûr, il s’agirait de Oussemer Mohamed, ex-agent de la police des renseignements généraux. Il a fait des siennes lors des événements de mai 1945, particulièrement à Belcourt, contre les jeunes militants du PPA. Sur le tard, il a rejoint les rangs du FLN. Lors de l’arrestation mouvementée du 22 octobre 1956, il était encore membre de la DST. Le second policier, plus jeune, replet, aux gestes un peu brusques, est l’image du « militant » nouvelle vague, parfaitement imbu de son rôle et pénétré de son importance policière.
C’est sous la direction de ces deux « anges gardiens » que je suis amené à prendre place dans une 404 flambant neuf où deux autres passagers attendent : un jeune, plutôt fluet, au regard doux qui tient le volant et un quatrième, grand, brun, lunettes noires, impassible, assis à son côté. A son air important, on devine qu’il s’agit d’un « ponte « .
Sitôt installé sur la banquette arrière entre S. Mohamed et son premier acolyte, la voiture démarre en trombe, passe à la Colonne Voirol et prend le virage pour grimper le chemin Beaurepaire.
» Où allons-nous ? « . Pas de réponse.
On s’engouffre dans la « Clinique des Orangers », où le chauffeur, après avoir stoppé, quitte sa place pour venir se mettre à côté de moi, abandonnant le volant au « militant » qui jusque là était à ma droite. Marche arrière rapide et sortie de la clinique pour descendre cette fois le chemin Beaurepaire. Nous faisons le même chemin en sens inverse mais cette fois-ci nous dépassons le pont d’Hydra. Je reconnaîtrais facilement la villa fleurie où nous pénétrons. Mes ravisseurs, visiblement satisfaits de leur exploit, me conduisent sans plus attendre à une chambre du rez-de-chaussée.
Je demeure vingt-quatre heures dans cette pièce avec pour tout mobilier un fauteuil où je passe la nuit.
J’ai omis de signaler qu’à mon arrivée, j’ai été fouillé des pieds à la tête. Ayant entamé la grève de la faim, je me sens très fatigué et accepte le matin de monter au premier étage, sur les conseils d’un de mes gardes. Ils sont quatre, cinq, six, et cinq finalement qui se relaient jour et nuit, pour assurer ma surveillance. Tous sont armés de revolvers, et certains ne se gênent nullement pour le montrer.
Le va-et-vient continuel des gardes, dont certains avaient des mines patibulaires, me fait craindre que la première nuit ne se termine tragiquement. Kidnappé dans le plus grand secret, amené dans une villa inhabitée sans plus d’explication, je ne peux que trouver une allure macabre à toute cette aventure. L’atmosphère est propice et les conditions remplies pour une liquidation en douce.
A mes demandes d’explication sur les raisons de cette expédition mes gardes répondent invariablement qu’ils n’en savent pas plus que moi.
Durant quatre jours, le ventre creux, je demeure dans cette villa, cherchant désespérément à communiquer avec les villas voisines, sans résultats.
Le lundi 24 juin, à la tombée de la nuit, on m’embarque en voiture pour une autre destination. Au lieu de suivre l’itinéraire emprunté la première fois, on préfère zigzaguer pour déboucher enfin sur la grande route qui vient du Pont d’Hydra et continue tout droit.
La Colonne Voirol, chemin Beaurepaire, El Biar, Boulevard G. Clemenceau, Garde mobile, caserne Ali Khodja (ex-caserne d’Orléans), Barberousse, Boulevard de la Victoire : on échoue enfin au siège de la gendarmerie nationale. A ma descente de voiture, dans la cour plongée dans l’obscurité, le cérémonial est en place et je suis immédiatement entouré par une dizaine de gendarmes, mitraillette au poing, un peu curieux, un peu fébriles. Le colonel Bencherif est là et, sous sa direction, escorté de gendarmes diligents, j’ai droit à une chambre et un lit qui, selon ledit colonel, valent mieux que ceux de la Santé. Merci.
Mercredi 26. Réveil précipité à quatre heures du matin et départ par l’aérodrome de Chéraga où, à cinq heures, un hélicoptère prend l’air en direction d’Oued Nosron qu’il atteint à 7 h 20.(…)
(…) C’est tout simplement stupéfiant. On peut vraiment admirer la perspicacité de la sécurité militaire !
Aucune réponse à mes lettres, ce qui ne me laisse plus aucun doute sur le sérieux et la légalité de l’affaire.
Ce régime a peur de la clarté, comme les oiseaux de nuit qui ne peuvent voler que dans l’obscurité. (…)
(…) A Oued Nosron, toujours flanqués de nos gendarmes menés par le commandant Mohamed, adjoint de Bencherif, nous avons droit à une halte de deux heures. Ensuite, à bord de voitures légères, nous prenons la route, Sidi Bel Abbés, Saïda, Mecheria, Aïn Sefra et, à la tombée de la nuit, Béni Ounif. Une autre halte brève et, dans la nuit saharienne, nous voici à Colomb Béchar, complètement éreintés par un voyage de mille kilomètres sous une chaleur accablante.
Précipitamment, on nous introduit dans une chambre où quatre lits de camp, à moitié déglingués, nous attendent.
Des soldats, armés de mitraillettes nous gardent toutes portes et fenêtres closes (…).
Mohamed Boudiaf sera transféré ensuite sans explication à Tsabit, dans l’extrême Sud saharien. Après cinq mois de séquestration arbitraire et un mois de grève de la faim, il sera libéré et forcé à l’exil. Le régime en place l’effacera des tablettes de l’Histoire de l’Algérie durant près de trois décennies et ce, jusqu’à janvier 1992, lorsque des généraux putschistes feront appel à lui pour couvrir, de sa légitimité historique, la gravissime atteinte à la souveraineté populaire. Trompé par ses « amis « , il acceptera cette mission fatale qui lui coûtera la vie en juin 1992 lorsqu’un sous-officier du Groupe d’intervention spécial (GIS) l’assassinera à Annaba.
» La violence actuelle est entretenue par des forces qui n’ont pas intérêt que la société s’organise pour défendre ses droits, c’est une façon d’exercer l’hégémonie par le désordre, donc une atteinte au droit fondamental de l’homme de vivre en société. »
Hocine Zahouane
» Un militaire sans conscience politique n’est qu’un criminel en puissance « .Thomas Sankara
La violence politique en Algérie n’a pas débuté, contrairement à ce qui est admis, au lendemain de l’indépendance, mais bel et bien durant la guerre de libération nationale. Les liquidations physiques et la terreur comme moyens de gestion politique avaient fait déjà leur apparition dans les camps de l’armée des frontières et au sein des maquis. De nombreux responsables politiques et militaires ont été assassinés par leurs propres frères (Abane Ramdane, Abdelmoumène, Abbas Laghrour, Ali Mellah, Abbas Lamouri, Cheriet Lazhari, Chihani Bachir, Abdelkrim Soufi, Hadj Ali, colonel Boucif, capitaine Yamani, capitaine Zoubir…..). D’autres responsables politiques seront menacés et éloignés des centres de décision alors que la guerre de libération avait besoin de tous. Et ceux qui avaient liquidé ces hommes libres seront les mêmes qui confisqueront l’indépendance en 1962. Et ce sont leurs reliques qui donneront l’ordre de tirer sur des enfants en octobre 88 et qui mèneront une guerre sans merci contre une grande partie de leur peuple à partir de 1992.
Benyoucef Ben Khedda, président du GPRA, en butte, avant et après l’indépendance, aux intrigues des imposteurs des frontières, les dénoncera clairement en août 1962 : » Certains officiers qui ont vécu à l’extérieur, n’ont pas connu la guerre révolutionnaire comme leurs frères du maquis, guerre basée essentiellement sur le peuple. Ces officiers qui sont restés, pendant la durée de la guerre, aux frontières tunisienne et marocaine, ont souvent tendance à ne compter que sur la force des armes. Cette conception dangereuse conduit à sous-estimer le rôle du peuple voire à le mépriser et crée le danger de voir naître une féodalité ou une caste militariste, telle qu’il en existe dans certains pays sous-développés, notamment en Amérique latine « .(1) Des paroles prophétiques qui deviendront réalité quelques années plus tard !
Insidieusement, silencieusement, se mettait en place une politique répressive pour museler un peuple en mal de liberté et réduire à néant toute velléité d’émancipation. La liberté de s’exprimer ou de s’organiser, assimilée à de la subversion, était devenue au nom de la « révolution « , HARAM ! (illicite)
La tristement célèbre sécurité militaire, formée à l’école du KGB (promotion « tapis rouge » des années 60), véritable colonne vertébrale du régime, constituera le fer de lance de cette répression pour réduire dès l’indépendance, un peuple qui venait de sortir d’une guerre coloniale particulièrement meurtrière, au silence absolu. Pendant des décennies, la seule évocation des deux lettres S.M suffisait à provoquer une peur panique chez nos concitoyens.
Dès l’indépendance et avant même que ne soient effacés de la mémoire des citoyens les tristement célèbres villas Sesini de Diar El Mahçoul, l’Eclair du Télemly, la Grande terrasse des Deux Moulins, de la Redoute et les fermes Améziane de Constantine, Bernabé de Boudouaou et Altairac d’El Harrach où étaient « questionnés » les hommes libres par les tortionnaires de Massu et de Bigeard, apparurent de nouveaux centres de supplices où cette fois-ci des algériens torturaient d’autres algériens alors que les plaies de la guerre de libération n’étaient pas encore cicatrisées et que les militaires coloniaux n’avaient pas encore évacué totalement le pays. D’anciennes cliniques désaffectées serviront de lieux de supplices (Bouzaréah, El Biar, Notre Dame d’Afrique… ). Les algériens apprendront à leurs dépens que la bête immonde n’avait pas quitté l’Algérie avec le départ des hordes coloniales.
Kidnappings, tortures, « disparitions « , séquestrations sans jugement et liquidations physiques seront les méthodes du nouveau pouvoir d’Alger pour gouverner. Certains « planqués » des frontières et d’anciens collaborateurs et autres indics « repentis » de l’armée coloniale se donnaient la main pour perpétuer les souffrances des hommes libres et dignes de ce pays. Triste fatalité !
Le système militaro-policier qui se mettait en place ne tolérait aucune opposition. D’abord par la force des armes puis par la terreur, ces aventuriers imposeront leur loi à la Nation au nom de la vaseuse « légitimité révolutionnaire « , une « légitimité » acquise dans les ténébreuses baraques d’Oujda et de Ghardimaou.
Le regretté Hocine Lahouel, vieille figure historique du Mouvement National me disait à sa libération en 1977, après une assignation à résidence qui a duré plus d’une année, non sans un certain humour caustique, à propos du colonel Boukharouba qui l’avait privé de liberté : » Même Dieu dans toute sa Grandeur et sa Perfection s’est créé, à travers Satan, un opposant. Boukharouba, quant à lui, plus que « parfait » n’admet pas d’opposants. »
Comme nous le verrons à travers les témoignages et la chronologie non exhaustive que nous présentons ci-dessous, les quatre décennies de règne et de pouvoir sans partage de l’oligarchie seront jalonnées d’actes de violence permanents de sa part pour faire taire toute velléité de contestation et de remise en cause par les citoyens de ce pouvoir illégitime. Ces témoignages, exposés dans leur tragique réalité, illustrent parfaitement l’ampleur de cette violence politique et de ce terrorisme d’Etat depuis l’indépendance. Comme nous le constaterons, aucune catégorie sociale ni tendance politique ne seront épargnées.
Cette répression aura connu au fil des décennies, une évolution graduelle, proportionnelle au degré d’impopularité et de rejet du régime par les citoyennes et citoyens.
Si durant les deux premières décennies, l’arrestation arbitraire, la torture et la liquidation physique touchaient de manière particulière des opposants ciblés (anciens maquisards de la guerre de libération que le régime n’avait pu recycler par la corruption, hommes politiques, hommes de religion ou très rares intellectuels), nous remarquerons que durant les années 80, la répression se fera à plus ou moins grande échelle (événements de Kabylie de 1980, arrestations de centaines de partisans de Ben Bella et d’islamistes, événements de Constantine et massacres d’octobre 1988). La dernière décennie sera, quant à elle, celle d’une véritable guerre contre une grande partie de la population avec de grands moyens. Un mélange de guerre spéciale à la Godart et Trinquier et de manipulations à la Béria.
Durant cette dernière décennie et malgré le climat de terreur imposé pour faire taire toute opposition et la guerre psychologique de grande envergure pour tromper l’opinion, des militantes et militants des droits de la personne humaine, dignes et courageux, ont pu faire parvenir au monde des centaines de témoignages de suppliciés et de longues listes de citoyens disparus ou exécutés sommairement.
C’était une vérité autre que celle que voulaient imposer les partisans de la guerre à huis-clos et qui mettait à nu le véritable visage de ceux qui prétendaient « sauver l’Algérie et la démocratie de la barbarie « . C’était la vérité de ceux qui œuvraient pour l’instauration d’un Etat de droit en Algérie, un Etat légitime garantissant les libertés de conscience et d’expression, les droits fondamentaux de la personne humaine ; l’Etat qu’espéraient les centaines de milliers de morts de la guerre de libération nationale, les « disparus » de l’après-indépendance, les enfants d’octobre 88 et toutes les victimes d’aujourd’hui.
Malgré tous les moyens internes utilisés et les complicités internationales inavouées, le délire totalitaire que voulait cacher cette guerre psychologique, n’a pu étouffer les voix de celles et de ceux qui se battaient pour faire connaître la véritable nature de cette sale guerre : celle d’une caste militaro-financière contre un peuple. Et les derniers événements vécus par certaines régions d’Algérie l’ont, encore une fois prouvé.
Ce que nous vivons depuis une décennie comme tragédie n’est que la continuité d’une politique initiée dès 1962. Gauchistes, berbéristes et islamistes n’ont servi que d’alibis à ce pouvoir sans foi ni loi pour imposer le silence et la pérennité du régime. Hier, il s’agissait de combattre les « fanatiques islamistes obscurantistes, terroristes à la solde de Khartoum et de Téhéran « , aujourd’hui il s’agit de combattre les « kabyles athées et sécessionnistes à la solde de la France « . A qui le tour demain ?
Une leçon à méditer pour ceux qui continuent à se tromper de cible !
Témoignages
Année 1963.
Kidnapping de Mohamed Boudiaf, membre fondateur du Front de libération Nationale et ministre d’Etat du GPRA par la police politique de Ben Bella et de Boukharouba. Extraits de son témoignage. (2)
L’aventure dont ce journal décrit le déroulement commence le vendredi 21 juin (1963), en plein midi. Je viens juste de quitter la maison pour une course, quand deux hommes m’accostent au pont d’Hydra, me demandant de me mettre à leur disposition au nom de la sécurité militaire. J’exige des papiers attestant leur qualité ; le plus âgé m’exhibe, précipitamment, non sans trembler quelque peu, une carte verte, établie au nom de S. Mohamed. A peine en ai-je pris connaissance que le second me prie, sur un ton bourru, de faire vite.
Il est bon, avant de passer à la suite, de donner le signalement de ces deux individus. S. Mohamed est un quinquagénaire, grisonnant, au teint olivâtre et à l’accent kabyle. Je l’ai déjà rencontré quelque part et, si mes souvenirs sont fidèles, sans toutefois que j’en sois sûr, il s’agirait de Oussemer Mohamed, ex-agent de la police des renseignements généraux. Il a fait des siennes lors des événements de mai 1945, particulièrement à Belcourt, contre les jeunes militants du PPA. Sur le tard, il a rejoint les rangs du FLN. Lors de l’arrestation mouvementée du 22 octobre 1956, il était encore membre de la DST. Le second policier, plus jeune, replet, aux gestes un peu brusques, est l’image du « militant » nouvelle vague, parfaitement imbu de son rôle et pénétré de son importance policière.
C’est sous la direction de ces deux « anges gardiens » que je suis amené à prendre place dans une 404 flambant neuf où deux autres passagers attendent : un jeune, plutôt fluet, au regard doux qui tient le volant et un quatrième, grand, brun, lunettes noires, impassible, assis à son côté. A son air important, on devine qu’il s’agit d’un « ponte « .
Sitôt installé sur la banquette arrière entre S. Mohamed et son premier acolyte, la voiture démarre en trombe, passe à la Colonne Voirol et prend le virage pour grimper le chemin Beaurepaire.
» Où allons-nous ? « . Pas de réponse.
On s’engouffre dans la « Clinique des Orangers », où le chauffeur, après avoir stoppé, quitte sa place pour venir se mettre à côté de moi, abandonnant le volant au « militant » qui jusque là était à ma droite. Marche arrière rapide et sortie de la clinique pour descendre cette fois le chemin Beaurepaire. Nous faisons le même chemin en sens inverse mais cette fois-ci nous dépassons le pont d’Hydra. Je reconnaîtrais facilement la villa fleurie où nous pénétrons. Mes ravisseurs, visiblement satisfaits de leur exploit, me conduisent sans plus attendre à une chambre du rez-de-chaussée.
Je demeure vingt-quatre heures dans cette pièce avec pour tout mobilier un fauteuil où je passe la nuit.
J’ai omis de signaler qu’à mon arrivée, j’ai été fouillé des pieds à la tête. Ayant entamé la grève de la faim, je me sens très fatigué et accepte le matin de monter au premier étage, sur les conseils d’un de mes gardes. Ils sont quatre, cinq, six, et cinq finalement qui se relaient jour et nuit, pour assurer ma surveillance. Tous sont armés de revolvers, et certains ne se gênent nullement pour le montrer.
Le va-et-vient continuel des gardes, dont certains avaient des mines patibulaires, me fait craindre que la première nuit ne se termine tragiquement. Kidnappé dans le plus grand secret, amené dans une villa inhabitée sans plus d’explication, je ne peux que trouver une allure macabre à toute cette aventure. L’atmosphère est propice et les conditions remplies pour une liquidation en douce.
A mes demandes d’explication sur les raisons de cette expédition mes gardes répondent invariablement qu’ils n’en savent pas plus que moi.
Durant quatre jours, le ventre creux, je demeure dans cette villa, cherchant désespérément à communiquer avec les villas voisines, sans résultats.
Le lundi 24 juin, à la tombée de la nuit, on m’embarque en voiture pour une autre destination. Au lieu de suivre l’itinéraire emprunté la première fois, on préfère zigzaguer pour déboucher enfin sur la grande route qui vient du Pont d’Hydra et continue tout droit.
La Colonne Voirol, chemin Beaurepaire, El Biar, Boulevard G. Clemenceau, Garde mobile, caserne Ali Khodja (ex-caserne d’Orléans), Barberousse, Boulevard de la Victoire : on échoue enfin au siège de la gendarmerie nationale. A ma descente de voiture, dans la cour plongée dans l’obscurité, le cérémonial est en place et je suis immédiatement entouré par une dizaine de gendarmes, mitraillette au poing, un peu curieux, un peu fébriles. Le colonel Bencherif est là et, sous sa direction, escorté de gendarmes diligents, j’ai droit à une chambre et un lit qui, selon ledit colonel, valent mieux que ceux de la Santé. Merci.
Mercredi 26. Réveil précipité à quatre heures du matin et départ par l’aérodrome de Chéraga où, à cinq heures, un hélicoptère prend l’air en direction d’Oued Nosron qu’il atteint à 7 h 20.(…)
(…) C’est tout simplement stupéfiant. On peut vraiment admirer la perspicacité de la sécurité militaire !
Aucune réponse à mes lettres, ce qui ne me laisse plus aucun doute sur le sérieux et la légalité de l’affaire.
Ce régime a peur de la clarté, comme les oiseaux de nuit qui ne peuvent voler que dans l’obscurité. (…)
(…) A Oued Nosron, toujours flanqués de nos gendarmes menés par le commandant Mohamed, adjoint de Bencherif, nous avons droit à une halte de deux heures. Ensuite, à bord de voitures légères, nous prenons la route, Sidi Bel Abbés, Saïda, Mecheria, Aïn Sefra et, à la tombée de la nuit, Béni Ounif. Une autre halte brève et, dans la nuit saharienne, nous voici à Colomb Béchar, complètement éreintés par un voyage de mille kilomètres sous une chaleur accablante.
Précipitamment, on nous introduit dans une chambre où quatre lits de camp, à moitié déglingués, nous attendent.
Des soldats, armés de mitraillettes nous gardent toutes portes et fenêtres closes (…).
Mohamed Boudiaf sera transféré ensuite sans explication à Tsabit, dans l’extrême Sud saharien. Après cinq mois de séquestration arbitraire et un mois de grève de la faim, il sera libéré et forcé à l’exil. Le régime en place l’effacera des tablettes de l’Histoire de l’Algérie durant près de trois décennies et ce, jusqu’à janvier 1992, lorsque des généraux putschistes feront appel à lui pour couvrir, de sa légitimité historique, la gravissime atteinte à la souveraineté populaire. Trompé par ses « amis « , il acceptera cette mission fatale qui lui coûtera la vie en juin 1992 lorsqu’un sous-officier du Groupe d’intervention spécial (GIS) l’assassinera à Annaba.
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: La Sécurité militaire au cœur du pouvoir Quarante ans de répression impunie en Algérie, 1962 – 2001
Année 1964.
Arrestation et déportation au Sahara de Ferhat Abbas, premier président du gouvernement provisoire (GPRA) durant la guerre de libération nationale et premier président de l’Assemblée nationale Constituante de l’Algérie indépendante. Il venait de démissionner de son poste de président de l’Assemblée quand Ben Bella décida de discuter de la Constitution dans un …. cinéma. Extraits de son témoignage (3)
Le 3 juillet 1964 à 21 heures, des policiers, tels des malfaiteurs, escaladèrent la clôture de ma villa à Kouba (Alger) et se présentèrent à ma porte, mitraillettes aux poings. J’étais couché. Mon épouse leur ouvrit la porte et fut saisie de frayeur devant ces hommes armés. Ces policiers, conduits par le commissaire central, feu Hamadèche, venaient pour m’arrêter et me conduire je ne sais où. Ils n’avaient aucun mandat d’arrêt. Je ne connaissais ni le commissaire, ni aucun de ces agents. J’ai donc refusé de les suivre.
Après une longue et pénible discussion, ils capitulèrent. Néanmoins, ils investirent la maison. Le lendemain, et jusqu’au 19 août, des policiers en armes et par groupes de quatre montèrent la garde, jour et nuit, autour de ma demeure.
Le 19 août, un inspecteur, accompagné de deux policiers, se présenta à 8 heures du matin pour m’informer que le commissaire central désirait me voir. Je les ai suivis. Je fus conduit d « abord dans un bâtiment sur les hauteurs de Saint-Eugène, aujourd’hui Bologhine, ensuite à El Biar, devant les locaux de la Sécurité générale. Une autre voiture m’emmena dans une villa, ancienne clinique désaffectée, où je fus enfermé jusqu’au 30 octobre.
Dès que j’eus quitté la maison, la police se mit à perquisitionner chez moi, au mépris de la loi. En fouillant, elle trouva une lettre que mon fils, étudiant de 19 ans, m’avait envoyé à Sétif où je me trouvais en avril 1964. Il me disait qu’un ami était venu m’avertir qu’il était question de mon arrestation et que je devais prendre mes précautions.
Je n’avais aucune précaution à prendre. Je n’étais mêlé ni de près ni de loin aux événements du jour et n’avais rien à cacher. En découvrant cette lettre, la police arrêta mon fils et l’emmena à l’ancienne clinique Roubi où il fut enfermé, laissant sa mère en pleurs et dans la désolation. (…).
(…) A El Biar, j’étais au secret. Mais j’ai su cependant que j’avais beaucoup de compagnons d’infortune : le président Farés, l’ancien ministre de la Justice Amar Bentoumi, le commandant Azzeddine, le commandant Larbi Berredjem de la Wilaya II, les frères de l’ancien ministre des PTT, Hassani, les députés Boualem Oussedik, Brahim Mezhoudi, etc.
Le samedi 31 octobre à 2 heures du matin, certains d’entre nous furent libérés. Le lieutenant chargé de notre surveillance nous informa que nous étions libérés. Nous nous préparâmes et des voitures nous emmenèrent sur une place d’El Biar où le directeur de la Sûreté nationale, Nadir Yadi, nous attendait. Celui-ci nous fit mettre les menottes, fit encadrer chacun de nous par deux policiers tandis que deux autres se relayaient au volant des voitures qui se dirigeaient vers le Sud oranais. Je dois dire que dès le départ du directeur de la Sûreté, et à peine avions-nous fait une centaine de mètres, que le policier responsable de ma voiture m’ôta les menottes. » Je n’admets pas, dit-il, qu’on mette des menottes à notre père et au père de notre indépendance « . (…)
(…) Nous arrivâmes à Béchar vers minuit. Nous fûmes conduits dans des pièces vides. Je réclamai un matelas et des couvertures. Le wali, Rachid Ali Pacha, me les fit porter. (…).
(…) Nous fûmes libérés, Bentoumi fin mai, et moi le 8 juin 1965. Ces événements se passèrent alors que Ben Bella détenait le pouvoir. Mais il ne devait pas le garder longtemps puisqu’il fut arrêté le 19 juin (…).
(…) En 1964, je fus arrêté parce que je ne voulais pas suivre Ben Bella dans son aventurisme et son gauchisme effréné. J’ai démissionné de la présidence de l’Assemblée nationale constituante dès le jour où la Constitution du pays fut discutée et adoptée en dehors de l’Assemblée que je présidais et des députés élus pour le faire. La discussion et l’adoption eurent pour cadre une salle de cinéma de la ville, « Le Majestic « . Là fut institutionnalisé le parti unique, à l’instar des démocraties populaires.
________________________
Année 1964.
Kidnapping et déportation au Sahara de Abderrahmane Farès, ancien président de l’Exécutif provisoire (organisme de transition après les accords d’Evian) et député de l’Assemblée nationale Constituante de l’Algérie indépendante. Extraits de son témoignage (4)
Le 7 juillet 1964, en quittant l’Assemblée nationale vers 19 heures, je trouvai à l’entrée de l’immeuble de la rue Michelet, où j’habitais, deux compatriotes habillés en civil qui m’attendaient.
- Monsieur le Président, me dirent-ils, le commissaire de police d’El Biar désire vous voir, il y a une communication urgente et confidentielle à vous faire.
- Puisque c’est urgent, allons-y tout de suite.
J’étais accompagné de mon neveu Abdallah et de mon chauffeur, qui étaient déjà dans la voiture. Arrivés à destination, je vis mes deux interlocuteurs entrer dans le commissariat pour en ressortir presque immédiatement et me dire :
- Monsieur le Président, venez avec nous, le rendez-vous est plus loin.
Je les suivis et ne tardai pas à m’apercevoir que notre destination n’était pas celle indiquée. A un moment donné, mes compagnons me dirent :
- Mettez votre veste sur votre tête, le lieu où nous allons est secret.
En souriant, je leur dis :
- Nous voilà revenus au temps de la cagoule.
- Nous ne sommes que des exécutants, me répondirent-ils.
Lorsque la voiture s’arrêta, ils me prirent par la main. Je n’enlevai la veste qu’à l’intérieur d’un immeuble genre villa. Je reconnus l’ancienne clinique du Dr Roubille. Mes compagnons disparurent aussitôt et je me trouvai en face d’un jeune djoundi mitraillette sur les genoux qui me prit ma serviette, que je n’ai plus revue, ma ceinture et mes lacets de souliers. Il me conduisit dans une pièce sans fenêtre où il n’y avait qu’une paillasse et une couverture.
Le soir, j’eus la visite d’un jeune garçon qui m’apporta une gamelle de soupe, un peu de pain et un verre d’eau. En me reconnaissant, il me dit : » Je vous apporterai demain matin un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes » . Il tint sa promesse en m’apportant un breuvage appelé café.
Je n’eus droit pendant mon séjour qu’à une promenade, seul, d’une heure par jour, dans la cour de la clinique devenue prison. Le soir, j’entendais les cris poussés par les militants que l’on torturait. C’était horrible.
Un jour, en allant aux toilettes, je reconnus dans la cour de la clinique quelques amis. L’un d’eux Aït Chaâlal, qui devint par la suite ambassadeur d’Algérie à Bruxelles, en passant près de moi me chuchota en faisant allusion aux tortures subies : » Hier, c’était nous » (…)
M. Farès sera déporté à In Salah et ne sera libéré que le 7 juin 1965.
Arrestation et déportation au Sahara de Ferhat Abbas, premier président du gouvernement provisoire (GPRA) durant la guerre de libération nationale et premier président de l’Assemblée nationale Constituante de l’Algérie indépendante. Il venait de démissionner de son poste de président de l’Assemblée quand Ben Bella décida de discuter de la Constitution dans un …. cinéma. Extraits de son témoignage (3)
Le 3 juillet 1964 à 21 heures, des policiers, tels des malfaiteurs, escaladèrent la clôture de ma villa à Kouba (Alger) et se présentèrent à ma porte, mitraillettes aux poings. J’étais couché. Mon épouse leur ouvrit la porte et fut saisie de frayeur devant ces hommes armés. Ces policiers, conduits par le commissaire central, feu Hamadèche, venaient pour m’arrêter et me conduire je ne sais où. Ils n’avaient aucun mandat d’arrêt. Je ne connaissais ni le commissaire, ni aucun de ces agents. J’ai donc refusé de les suivre.
Après une longue et pénible discussion, ils capitulèrent. Néanmoins, ils investirent la maison. Le lendemain, et jusqu’au 19 août, des policiers en armes et par groupes de quatre montèrent la garde, jour et nuit, autour de ma demeure.
Le 19 août, un inspecteur, accompagné de deux policiers, se présenta à 8 heures du matin pour m’informer que le commissaire central désirait me voir. Je les ai suivis. Je fus conduit d « abord dans un bâtiment sur les hauteurs de Saint-Eugène, aujourd’hui Bologhine, ensuite à El Biar, devant les locaux de la Sécurité générale. Une autre voiture m’emmena dans une villa, ancienne clinique désaffectée, où je fus enfermé jusqu’au 30 octobre.
Dès que j’eus quitté la maison, la police se mit à perquisitionner chez moi, au mépris de la loi. En fouillant, elle trouva une lettre que mon fils, étudiant de 19 ans, m’avait envoyé à Sétif où je me trouvais en avril 1964. Il me disait qu’un ami était venu m’avertir qu’il était question de mon arrestation et que je devais prendre mes précautions.
Je n’avais aucune précaution à prendre. Je n’étais mêlé ni de près ni de loin aux événements du jour et n’avais rien à cacher. En découvrant cette lettre, la police arrêta mon fils et l’emmena à l’ancienne clinique Roubi où il fut enfermé, laissant sa mère en pleurs et dans la désolation. (…).
(…) A El Biar, j’étais au secret. Mais j’ai su cependant que j’avais beaucoup de compagnons d’infortune : le président Farés, l’ancien ministre de la Justice Amar Bentoumi, le commandant Azzeddine, le commandant Larbi Berredjem de la Wilaya II, les frères de l’ancien ministre des PTT, Hassani, les députés Boualem Oussedik, Brahim Mezhoudi, etc.
Le samedi 31 octobre à 2 heures du matin, certains d’entre nous furent libérés. Le lieutenant chargé de notre surveillance nous informa que nous étions libérés. Nous nous préparâmes et des voitures nous emmenèrent sur une place d’El Biar où le directeur de la Sûreté nationale, Nadir Yadi, nous attendait. Celui-ci nous fit mettre les menottes, fit encadrer chacun de nous par deux policiers tandis que deux autres se relayaient au volant des voitures qui se dirigeaient vers le Sud oranais. Je dois dire que dès le départ du directeur de la Sûreté, et à peine avions-nous fait une centaine de mètres, que le policier responsable de ma voiture m’ôta les menottes. » Je n’admets pas, dit-il, qu’on mette des menottes à notre père et au père de notre indépendance « . (…)
(…) Nous arrivâmes à Béchar vers minuit. Nous fûmes conduits dans des pièces vides. Je réclamai un matelas et des couvertures. Le wali, Rachid Ali Pacha, me les fit porter. (…).
(…) Nous fûmes libérés, Bentoumi fin mai, et moi le 8 juin 1965. Ces événements se passèrent alors que Ben Bella détenait le pouvoir. Mais il ne devait pas le garder longtemps puisqu’il fut arrêté le 19 juin (…).
(…) En 1964, je fus arrêté parce que je ne voulais pas suivre Ben Bella dans son aventurisme et son gauchisme effréné. J’ai démissionné de la présidence de l’Assemblée nationale constituante dès le jour où la Constitution du pays fut discutée et adoptée en dehors de l’Assemblée que je présidais et des députés élus pour le faire. La discussion et l’adoption eurent pour cadre une salle de cinéma de la ville, « Le Majestic « . Là fut institutionnalisé le parti unique, à l’instar des démocraties populaires.
________________________
Année 1964.
Kidnapping et déportation au Sahara de Abderrahmane Farès, ancien président de l’Exécutif provisoire (organisme de transition après les accords d’Evian) et député de l’Assemblée nationale Constituante de l’Algérie indépendante. Extraits de son témoignage (4)
Le 7 juillet 1964, en quittant l’Assemblée nationale vers 19 heures, je trouvai à l’entrée de l’immeuble de la rue Michelet, où j’habitais, deux compatriotes habillés en civil qui m’attendaient.
- Monsieur le Président, me dirent-ils, le commissaire de police d’El Biar désire vous voir, il y a une communication urgente et confidentielle à vous faire.
- Puisque c’est urgent, allons-y tout de suite.
J’étais accompagné de mon neveu Abdallah et de mon chauffeur, qui étaient déjà dans la voiture. Arrivés à destination, je vis mes deux interlocuteurs entrer dans le commissariat pour en ressortir presque immédiatement et me dire :
- Monsieur le Président, venez avec nous, le rendez-vous est plus loin.
Je les suivis et ne tardai pas à m’apercevoir que notre destination n’était pas celle indiquée. A un moment donné, mes compagnons me dirent :
- Mettez votre veste sur votre tête, le lieu où nous allons est secret.
En souriant, je leur dis :
- Nous voilà revenus au temps de la cagoule.
- Nous ne sommes que des exécutants, me répondirent-ils.
Lorsque la voiture s’arrêta, ils me prirent par la main. Je n’enlevai la veste qu’à l’intérieur d’un immeuble genre villa. Je reconnus l’ancienne clinique du Dr Roubille. Mes compagnons disparurent aussitôt et je me trouvai en face d’un jeune djoundi mitraillette sur les genoux qui me prit ma serviette, que je n’ai plus revue, ma ceinture et mes lacets de souliers. Il me conduisit dans une pièce sans fenêtre où il n’y avait qu’une paillasse et une couverture.
Le soir, j’eus la visite d’un jeune garçon qui m’apporta une gamelle de soupe, un peu de pain et un verre d’eau. En me reconnaissant, il me dit : » Je vous apporterai demain matin un paquet de cigarettes et une boite d’allumettes » . Il tint sa promesse en m’apportant un breuvage appelé café.
Je n’eus droit pendant mon séjour qu’à une promenade, seul, d’une heure par jour, dans la cour de la clinique devenue prison. Le soir, j’entendais les cris poussés par les militants que l’on torturait. C’était horrible.
Un jour, en allant aux toilettes, je reconnus dans la cour de la clinique quelques amis. L’un d’eux Aït Chaâlal, qui devint par la suite ambassadeur d’Algérie à Bruxelles, en passant près de moi me chuchota en faisant allusion aux tortures subies : » Hier, c’était nous » (…)
M. Farès sera déporté à In Salah et ne sera libéré que le 7 juin 1965.
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: La Sécurité militaire au cœur du pouvoir Quarante ans de répression impunie en Algérie, 1962 – 2001
http://www.dzactiviste.info/la-securite-militaire-au-coeur-du-pouvoir-quarante-ans-de-repression-impunie-en-algerie-1962-2001/
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
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