Une nuit de réveillon avec Cheikh, Gloria et les prostituées de la célèbre artère de la capitale.
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Une nuit de réveillon avec Cheikh, Gloria et les prostituées de la célèbre artère de la capitale.
« Je m'appelle Cheikh. » Main tendue, le Sénégalais sourit. Grosse veste, bonnet noir sous une casquette militaire, Cheikh rassure :
« On croit toujours que je suis mauvais. C'est à cause de mon look. Parfois, je fume des pétards. Et parfois aussi, je viens là parce que je n'ai pas de copine. »
Ici, rue Saint-Denis. Un 24 décembre. Une rue d'hommes. Une rue qui pue la pisse. Eclairée par des réverbères à la lumière faiblarde. Autour, de maigres guirlandes argentées. Du gris qui brille.
« Courage ! “ Deux vieilles femmes soutiennent une fille. Elle sourit, répond un ‘merci’ d'une voix déchirante. Parce qu'elle a froid, cette quadragénaire en minijupe qui s'obstine à repousser toujours un peu plus le pan de son manteau rose. Au moindre homme qui passe en hésitant, ses cuisses se découvrent. ‘Viens’. Elle susurre. ‘Viens’. Un type la suit. Une porte se referme.
‘Elles vont toutes là, dans la maison.’ Cheikh explique ces bordels ; des immeubles occupés par les filles. Un quart d'heure après, le client est parti. Elle se replace et recommence. Elle a 43 ans. Accepte de parler, contrairement à d'autres qui jouent l'agressivité comme pour confirmer que les prostituées sont revêches.
Elle parle de sa fille, mariée récemment, salariée, oui, oui, tout va bien pour elle, merci. Et ce Noël sur le trottoir ? ‘C'est dur, c'est vrai mais je travaille. Il y a moins de clients, ils réveillonnent’, regrette-t-elle. Elle est propriétaire de son studio. Celles qui ne le sont pas ont été expulsées par la police. La dure loi de 2003. D'autres hommes rôdent. Il faut la laisser travailler, mais c'est gentil d'avoir causé.
‘Ils ne sont pas timides, ils choisissent’
Des policiers roulent, ne ralentissent pas. Personne ne s'inquiète. Cheikh ne fête pas Noël. Pas sa fête :
‘J'ai fêté l'Aïd, mais ma sœur qui est mariée à un Français organise un repas ce soir, à Châtillon, je ne sais pas si je vais y aller.’
Un kebab plus loin, Cheikh offre sa tournée : du café. Là, un barbu chante. Il y a de l'arménien dans ses mots ; les patrons comprennent sa chanson. Il s'arrête, commande un pastis, tape du poing et sourit franchement quand deux touristes américains échouent à une table voisine. Des compatriotes ! Le vieil Arménien vient de l'Idaho. C'est ce qu'il raconte avant de souhaiter un joyeux Noël à toute la salle. Il part à reculons, heurte un chauve, blouson RATP, venu acheter des sandwichs.
Sur le trottoir, les hommes sont nombreux. Une dizaine. Ils observent. Traversent parfois la rue pour aller parler à une femme. Cheikh, qui habite là, s'amuse :
‘Ils ne sont pas timides ! Ils choisissent. Une fois que celle qui leur plaît redescent, ils y vont.’
La porte d'un immeuble donnant sur une minuscule cour est continuellement entrebaillée. Des allées et venues. Un curieux : ‘Vous venez voir les garces ? Ses yeux lorgnent une garce’ rousse. La plus convoitée. Grande, belle, des yeux immenses. Sirotant un verre de whisky, elle officie, vacillante, contre l'immeuble d'une petite ruelle perpendiculaire.
‘C'est réservé ici’, expose Cheikh, décidément au fait des nuits de Saint-Denis. Les filles s'installent par type. La rue principale est multicolore. Aux alentours, les hommes savent où aller pour dénicher une Africaine ou une Slave. Cinquante euros et c'est le paradis dans de la chair molle, dans de la chair qui a froid, dans de la chair qui ne prend pas le temps de se déshabiller.
‘Ca peut durer un quart d'heure à vingt minutes mais revenez parler en journée, là je travaille’, bredouille une vieille blonde. Très vite, elle repart, claudiquant. Les talons de ses bottes sont fins, très allongés.
‘C'est Noël, elles sont chrétiennes’
Sortie du métro Château Rouge. A l'angle de la rue Poulet, les éboueurs enjambent des cartons humides, ruisselants de jus jaunâtres. A l'heure où le marché a depuis longtemps plié ses stands, une odeur forte le ressuscite. Rue Doudeauville, un Sénégalais s'acharne à essayer de joindre ses parents à Dakar. Une carte téléphonique à la main, il en est à sa cinquième tentative.
Il observe que les filles sont rares ce soir : ‘C'est Noël, elles sont chrétiennes.’ De jeunes Ghanéennes et Nigérianes anglophones trainent contre les murs. Sans studios individuels, elles se font, au mieux, payer une chambre d'hôtel. Les cages d'escaliers sont aussi utilisées. Cheikh note que les hommes sont pressés. Urgence de se vider qui exaspère des riverains parfois obligés d'intervenir.
Gloria, Togolaise. Visage poupon. Hématome. Des yeux qui hurlent, une bière à la main. Elle confie qu'elle ne fête pas Noël même si sa mère et sa sœur sont là, dans l'appartement en face. Les lumières y sont éteintes. Le réveillon en famille, ce sera pour l'année prochaine, en Afrique. Dos contre le mur, bassin avancé, impudique, Gloria attend : ‘Quelqu'un va m'inviter à boire une bière. Je suis là pour ça.’ Invariablement, les clients passent, négocient, disparaissent avec elle et ressurgissent. Une dizaine de minutes. Les mains dans leurs gros blousons, leurs épaules qui se referment, ils repartent tête baissée.
La nuit s'achève vers 2 heures. Cheikh a finalement décidé de rejoindre sa soeur pour boire un thé.
http://www.rue89.com/2007/12/26/pas-de-noel-sur-le-trottoir-de-la-rue-saint-denis
« On croit toujours que je suis mauvais. C'est à cause de mon look. Parfois, je fume des pétards. Et parfois aussi, je viens là parce que je n'ai pas de copine. »
Ici, rue Saint-Denis. Un 24 décembre. Une rue d'hommes. Une rue qui pue la pisse. Eclairée par des réverbères à la lumière faiblarde. Autour, de maigres guirlandes argentées. Du gris qui brille.
« Courage ! “ Deux vieilles femmes soutiennent une fille. Elle sourit, répond un ‘merci’ d'une voix déchirante. Parce qu'elle a froid, cette quadragénaire en minijupe qui s'obstine à repousser toujours un peu plus le pan de son manteau rose. Au moindre homme qui passe en hésitant, ses cuisses se découvrent. ‘Viens’. Elle susurre. ‘Viens’. Un type la suit. Une porte se referme.
‘Elles vont toutes là, dans la maison.’ Cheikh explique ces bordels ; des immeubles occupés par les filles. Un quart d'heure après, le client est parti. Elle se replace et recommence. Elle a 43 ans. Accepte de parler, contrairement à d'autres qui jouent l'agressivité comme pour confirmer que les prostituées sont revêches.
Elle parle de sa fille, mariée récemment, salariée, oui, oui, tout va bien pour elle, merci. Et ce Noël sur le trottoir ? ‘C'est dur, c'est vrai mais je travaille. Il y a moins de clients, ils réveillonnent’, regrette-t-elle. Elle est propriétaire de son studio. Celles qui ne le sont pas ont été expulsées par la police. La dure loi de 2003. D'autres hommes rôdent. Il faut la laisser travailler, mais c'est gentil d'avoir causé.
‘Ils ne sont pas timides, ils choisissent’
Des policiers roulent, ne ralentissent pas. Personne ne s'inquiète. Cheikh ne fête pas Noël. Pas sa fête :
‘J'ai fêté l'Aïd, mais ma sœur qui est mariée à un Français organise un repas ce soir, à Châtillon, je ne sais pas si je vais y aller.’
Un kebab plus loin, Cheikh offre sa tournée : du café. Là, un barbu chante. Il y a de l'arménien dans ses mots ; les patrons comprennent sa chanson. Il s'arrête, commande un pastis, tape du poing et sourit franchement quand deux touristes américains échouent à une table voisine. Des compatriotes ! Le vieil Arménien vient de l'Idaho. C'est ce qu'il raconte avant de souhaiter un joyeux Noël à toute la salle. Il part à reculons, heurte un chauve, blouson RATP, venu acheter des sandwichs.
Sur le trottoir, les hommes sont nombreux. Une dizaine. Ils observent. Traversent parfois la rue pour aller parler à une femme. Cheikh, qui habite là, s'amuse :
‘Ils ne sont pas timides ! Ils choisissent. Une fois que celle qui leur plaît redescent, ils y vont.’
La porte d'un immeuble donnant sur une minuscule cour est continuellement entrebaillée. Des allées et venues. Un curieux : ‘Vous venez voir les garces ? Ses yeux lorgnent une garce’ rousse. La plus convoitée. Grande, belle, des yeux immenses. Sirotant un verre de whisky, elle officie, vacillante, contre l'immeuble d'une petite ruelle perpendiculaire.
‘C'est réservé ici’, expose Cheikh, décidément au fait des nuits de Saint-Denis. Les filles s'installent par type. La rue principale est multicolore. Aux alentours, les hommes savent où aller pour dénicher une Africaine ou une Slave. Cinquante euros et c'est le paradis dans de la chair molle, dans de la chair qui a froid, dans de la chair qui ne prend pas le temps de se déshabiller.
‘Ca peut durer un quart d'heure à vingt minutes mais revenez parler en journée, là je travaille’, bredouille une vieille blonde. Très vite, elle repart, claudiquant. Les talons de ses bottes sont fins, très allongés.
‘C'est Noël, elles sont chrétiennes’
Sortie du métro Château Rouge. A l'angle de la rue Poulet, les éboueurs enjambent des cartons humides, ruisselants de jus jaunâtres. A l'heure où le marché a depuis longtemps plié ses stands, une odeur forte le ressuscite. Rue Doudeauville, un Sénégalais s'acharne à essayer de joindre ses parents à Dakar. Une carte téléphonique à la main, il en est à sa cinquième tentative.
Il observe que les filles sont rares ce soir : ‘C'est Noël, elles sont chrétiennes.’ De jeunes Ghanéennes et Nigérianes anglophones trainent contre les murs. Sans studios individuels, elles se font, au mieux, payer une chambre d'hôtel. Les cages d'escaliers sont aussi utilisées. Cheikh note que les hommes sont pressés. Urgence de se vider qui exaspère des riverains parfois obligés d'intervenir.
Gloria, Togolaise. Visage poupon. Hématome. Des yeux qui hurlent, une bière à la main. Elle confie qu'elle ne fête pas Noël même si sa mère et sa sœur sont là, dans l'appartement en face. Les lumières y sont éteintes. Le réveillon en famille, ce sera pour l'année prochaine, en Afrique. Dos contre le mur, bassin avancé, impudique, Gloria attend : ‘Quelqu'un va m'inviter à boire une bière. Je suis là pour ça.’ Invariablement, les clients passent, négocient, disparaissent avec elle et ressurgissent. Une dizaine de minutes. Les mains dans leurs gros blousons, leurs épaules qui se referment, ils repartent tête baissée.
La nuit s'achève vers 2 heures. Cheikh a finalement décidé de rejoindre sa soeur pour boire un thé.
http://www.rue89.com/2007/12/26/pas-de-noel-sur-le-trottoir-de-la-rue-saint-denis
folle- Nombre de messages : 3347
Date d'inscription : 25/01/2009
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