Boualem Sansal : "On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature?"
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Boualem Sansal : "On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature?"
Pour une fois, il va devoir remiser son blue-jean élimé et son éternelle dégaine d'étudiant. Ce dimanche, Boualem Sansal se rendra en l'église Saint-Paul de Francfort. Non pas qu'il soit le genre de citoyen à suivre la messe, lui qui réclame le droit d'être «athée», sinon «anticlérical», et confesse son aversion pour «le curé, les gens en soutane, les imams».
Simplement, c'est là que ce courageux franc-tireur de la littérature algérienne doit recevoir en grande pompe le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands dont il est, onze ans après sa compatriote Assia Djebar, l'un des très rares lauréats francophones.
Ca n'est pas le Nobel, mais ça y ressemble. «Pour les Allemands, évidemment, c'est même un prix plus important ! D'ailleurs, leur président sera là», observe l'auteur du «Serment des barbares» en déchiffrant de son bienveillant regard myope l'emploi du temps de ministre qui l'attend, avec interviews et cérémonies officielles en pagaille.
A Paris, courant septembre, il semble assez éberlué de sa bonne fortune. Le jury du Friedenspreis ne s'est pourtant pas trompé, en saluant la façon dont il «critique ouvertement la situation politique et sociale» de son pays. Il la paie chaque jour, au prix fort. Elle a valu à ce haut fonctionnaire, titulaire d'un doctorat en économie, d'être limogé en 2003 par le ministère de l'Industrie. Son crime? Avoir proposé la suppression de l'enseignement religieux à l'école.
Depuis 1999 et un premier roman salué en France comme un chef-d'oeuvre, il a subi chez lui les pires insultes, la censure, et des menaces qui font froid dans le dos. Un pic a été atteint en 2008, quand il a osé comparer islamisme et nazisme dans le puissant «Village de l'Allemand», inspiré par la vie d'un officier SS reconverti en héros du FLN. Le roman a trouvé 100.000 lecteurs en France, décroché plusieurs prix, été traduit dans seize langues. Mais rien à faire: on a accusé ce dissident désormais célèbre d'avoir trop d'imagination, de rouler pour Israël, de salir la légende dorée de l'Algérie indépendante.
Il est à craindre que le tout récent «Rue Darwin» (Gallimard) n'arrange pas son cas. Car dans ce beau «récit-roman» qui est son livre le plus personnel, le plus secret, et peut-être le plus troublant, Boualem Sansal n'évoque pas seulement le quartier pauvre d'Alger où vécut Albert Camus et où il est lui-même arrivé à l'âge de 8 ans:
«Des images me restaient, de mon enfance dans un village. Mais il n'y avait personne pour répondre à mes questions. Mon père est mort quand j'avais 1 an. Ma mère était très évasive. Et mes frères et moi n'avons jamais vraiment vécu ensemble. L'un est témoin de Jéhovah à Marseille, je ne l'ai pas vu depuis quarante ans. Le dernier a vécu à Oran, puis est devenu islamiste pendant un temps. Quand ma mère est morte, j'ai senti le besoin défaire un travail de spéléologue sur une vie que j'ai vécue sans la vivre.»
En réactivant les zones sombres de sa mémoire, il s'est souvenu d'avoir d'abord grandi dans un étonnant phalanstère régi par une impératrice locale qui, à l'époque coloniale, tirait une partie de sa fortune d'un gigantesque lupanar. Et «ça n'est pas des choses qu'on raconte, évidemment.»
Naturellement, il a suivi les révolutions arabes avec la plus grande attention. Mais il est bien placé pour savoir que le plus dur reste à faire: «En Algérie, après l'indépendance, il n'y a pas eu la liberté mais un système coincé à la Brejnev, avec un islam qui commençait à régresser... Les premières respirations ont été les mouvements berbères, qui ont mené à octobre 1988, avec des révolutions qui ont dégénéré. On a vu alors qu'une dictature n'est pas un homme, mais un système très enraciné: même avec les désherbants les plus puissants, trois mois après tout repousse.»
Il a pu le vérifier à nouveau au printemps : «On a essayé de marcher, à Alger, en février-mars. Le premier jour on était 2000, ilyavait 3S.000 policiers. Le deuxième samedi on était 1000, ils étaient toujours 35.000, superarmés, superagressifs. Le troisième week-end on était 500, c'était fini. Et puis nous avions presque tous plus de 50 ans: des avocats, des intellectuels, les chef s de deux ou trois partis... C'est une grosse différence avec ce qui s'est passé ailleurs, où les révolutions ont été menées par des jeunes. Chez nous, ils sont plus proches des jeunes des banlieues françaises, très en colère contre la société, contre tout ce qui représente la réussite.»
Il y a bien « 4 000 à 5 000 émeutes » par an en Algérie, «mais le pouvoir fonctionne sur le modèle syrien: il tape tout de suite très fort pour éviter la contagion, pour éviter que ça se sache.» Que le mouvement du printemps ait été lancé par des partis laïcs «dans une société qui compte beaucoup de musulmans» n'a rien arrangé.
Ce problème, majeur à ses yeux, n'est pas uniquement celui de l'Algérie : «On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature? De sortir de l'organisation traditionnelle arabo-musulmane, du culte du chef de l'omnipotence de la religion? On va arriver devant la grande forteresse, la vraie: est-ce que la femme est l'égale de l'homme? Tant que les élites musulmanes ne feront pas un travail de modernisation de l'islam pour le déconnecter de la politique, n'importe qui pourra puiser n'importe quoi dans le Coran. L'Europe s'est affranchie de l'Eglise et de la féodalité grâce à sa société civile et à sa bourgeoisie. Nous n'avons pas l'équivalent de cette classe. Elle vit de manière presque parasitaire à l'étranger: oui, une société civile qui ne produit pas du sens, qui ne vit que sur le sens qu'elle trouve ailleurs, est parasitaire!»
Source : Le Nouvel Observateur
Simplement, c'est là que ce courageux franc-tireur de la littérature algérienne doit recevoir en grande pompe le prestigieux prix de la Paix des libraires allemands dont il est, onze ans après sa compatriote Assia Djebar, l'un des très rares lauréats francophones.
Ca n'est pas le Nobel, mais ça y ressemble. «Pour les Allemands, évidemment, c'est même un prix plus important ! D'ailleurs, leur président sera là», observe l'auteur du «Serment des barbares» en déchiffrant de son bienveillant regard myope l'emploi du temps de ministre qui l'attend, avec interviews et cérémonies officielles en pagaille.
A Paris, courant septembre, il semble assez éberlué de sa bonne fortune. Le jury du Friedenspreis ne s'est pourtant pas trompé, en saluant la façon dont il «critique ouvertement la situation politique et sociale» de son pays. Il la paie chaque jour, au prix fort. Elle a valu à ce haut fonctionnaire, titulaire d'un doctorat en économie, d'être limogé en 2003 par le ministère de l'Industrie. Son crime? Avoir proposé la suppression de l'enseignement religieux à l'école.
Depuis 1999 et un premier roman salué en France comme un chef-d'oeuvre, il a subi chez lui les pires insultes, la censure, et des menaces qui font froid dans le dos. Un pic a été atteint en 2008, quand il a osé comparer islamisme et nazisme dans le puissant «Village de l'Allemand», inspiré par la vie d'un officier SS reconverti en héros du FLN. Le roman a trouvé 100.000 lecteurs en France, décroché plusieurs prix, été traduit dans seize langues. Mais rien à faire: on a accusé ce dissident désormais célèbre d'avoir trop d'imagination, de rouler pour Israël, de salir la légende dorée de l'Algérie indépendante.
Il est à craindre que le tout récent «Rue Darwin» (Gallimard) n'arrange pas son cas. Car dans ce beau «récit-roman» qui est son livre le plus personnel, le plus secret, et peut-être le plus troublant, Boualem Sansal n'évoque pas seulement le quartier pauvre d'Alger où vécut Albert Camus et où il est lui-même arrivé à l'âge de 8 ans:
«Des images me restaient, de mon enfance dans un village. Mais il n'y avait personne pour répondre à mes questions. Mon père est mort quand j'avais 1 an. Ma mère était très évasive. Et mes frères et moi n'avons jamais vraiment vécu ensemble. L'un est témoin de Jéhovah à Marseille, je ne l'ai pas vu depuis quarante ans. Le dernier a vécu à Oran, puis est devenu islamiste pendant un temps. Quand ma mère est morte, j'ai senti le besoin défaire un travail de spéléologue sur une vie que j'ai vécue sans la vivre.»
En réactivant les zones sombres de sa mémoire, il s'est souvenu d'avoir d'abord grandi dans un étonnant phalanstère régi par une impératrice locale qui, à l'époque coloniale, tirait une partie de sa fortune d'un gigantesque lupanar. Et «ça n'est pas des choses qu'on raconte, évidemment.»
Naturellement, il a suivi les révolutions arabes avec la plus grande attention. Mais il est bien placé pour savoir que le plus dur reste à faire: «En Algérie, après l'indépendance, il n'y a pas eu la liberté mais un système coincé à la Brejnev, avec un islam qui commençait à régresser... Les premières respirations ont été les mouvements berbères, qui ont mené à octobre 1988, avec des révolutions qui ont dégénéré. On a vu alors qu'une dictature n'est pas un homme, mais un système très enraciné: même avec les désherbants les plus puissants, trois mois après tout repousse.»
Il a pu le vérifier à nouveau au printemps : «On a essayé de marcher, à Alger, en février-mars. Le premier jour on était 2000, ilyavait 3S.000 policiers. Le deuxième samedi on était 1000, ils étaient toujours 35.000, superarmés, superagressifs. Le troisième week-end on était 500, c'était fini. Et puis nous avions presque tous plus de 50 ans: des avocats, des intellectuels, les chef s de deux ou trois partis... C'est une grosse différence avec ce qui s'est passé ailleurs, où les révolutions ont été menées par des jeunes. Chez nous, ils sont plus proches des jeunes des banlieues françaises, très en colère contre la société, contre tout ce qui représente la réussite.»
Il y a bien « 4 000 à 5 000 émeutes » par an en Algérie, «mais le pouvoir fonctionne sur le modèle syrien: il tape tout de suite très fort pour éviter la contagion, pour éviter que ça se sache.» Que le mouvement du printemps ait été lancé par des partis laïcs «dans une société qui compte beaucoup de musulmans» n'a rien arrangé.
Ce problème, majeur à ses yeux, n'est pas uniquement celui de l'Algérie : «On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature? De sortir de l'organisation traditionnelle arabo-musulmane, du culte du chef de l'omnipotence de la religion? On va arriver devant la grande forteresse, la vraie: est-ce que la femme est l'égale de l'homme? Tant que les élites musulmanes ne feront pas un travail de modernisation de l'islam pour le déconnecter de la politique, n'importe qui pourra puiser n'importe quoi dans le Coran. L'Europe s'est affranchie de l'Eglise et de la féodalité grâce à sa société civile et à sa bourgeoisie. Nous n'avons pas l'équivalent de cette classe. Elle vit de manière presque parasitaire à l'étranger: oui, une société civile qui ne produit pas du sens, qui ne vit que sur le sens qu'elle trouve ailleurs, est parasitaire!»
Source : Le Nouvel Observateur
Zhafit- Admin
- Nombre de messages : 13508
Date d'inscription : 26/04/2008
Re: Boualem Sansal : "On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature?"
mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature?"
this is the real question
this is the real question
Re: Boualem Sansal : "On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature?"
si on est un peuple vraiment "3adim"...
Zhafit- Admin
- Nombre de messages : 13508
Date d'inscription : 26/04/2008
Re: Boualem Sansal : "On a chassé des dictateurs, mais nos pays sont-ils capables de chasser ce qui fait la dictature?"
tout les peuples sevalent ,il faut travailler sur les élites
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