Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
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Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne
peut bloquer l’expression artistique
July 29, 2011
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onelas
Zizi
Smail dans son atelier à Carrara, en Italie centrale
Je trouve son téléphone sur le
site. Le grand sculpteur, me dis-je, est à portée d’un simple coup de
fil. Fallait pas trop tergiverser. Je compose, le téléphone retentit,
une voix gentille de dame répond de l’autre côté en Italien : «hello ! Can
I speak with mister Smail?», trouvai-je à dire. « Yes! One
minute please ! » dit-elle. Quelques secondes plus tard, j’avais le
sculpteur. Oui ! Il n’en fallait pas plus pour deviner une voix chaude,
limpide, une voix qui transpire le ressac de la vague méditerranéenne et
la brise nuptiale des Babors. Je me présente. Tout de suite les
salamalecs familiales, à croire que l’on se connaissait depuis toujours.
Parce qu’en vérité je ne le connaissais que de ses sculptures à Bejaia
et au musée de l’armée à Alger. « Comment va Aokas ? » me dit-il, elle
lui manque pour sûr. La tête farcie de légendes à son sujet, normal, les
sculpteurs sont chez nous une race à part, une engeance qui rivalise
avec la création divine, nous parlâmes de tout et de rien, histoire de
le mettre à l’aise quant au caractère strictement culturel, voire
intellectuel de l’interview que j’avais l’honneur de solliciter. Il me
dit que l’honneur était pour lui, comme quoi… le Kabyle qui survit
encore en lui après quarante ans d’exil à Carrara en Italie ! Carrara et
les innombrables voyages pour exposer son savoir faire aux quatre coins
du monde. Comment allons-nous faire, par écrit ou au téléphone ? me
dit-il. Les deux, lui répondis-je. Faudrait, me dit-il, que je
dépoussière mon français, cela fait bientôt quarante ans que je
n’utilise pas la langue de Molière, railla-t-il encore. Du reste,
rajouta-t-il, mon clavier est allergique aux accents circonflexes. Ne
t’inquiète, lui dis-je, si tu as sculpté le Boudha en Jade de Bangkok,
le reste est enveloppe à la poste. Je préparai les questions, j’avais
envie de lui en poser mille, mais quelques unes s’imposèrent
d’elles-mêmes, et puis fallait pas en abuser. Pourvu que le grand
sculpteur algérien nous plonge un tant soit peu dans son monde. Voici
donc l’interview, je vous la livre dans sa succulence la plus naturelle,
je veux dire dans les mots mêmes du sculpteur.
H. Lounes : Tout d’abord, Z.
Smaïl, si je peux me permettre de te tutoyer, peux-tu te présenter en
tant que personne, en tant que parcours, qui a cheminé vers le sculpteur
que l’on connaît, à savoir sans doute l’un des plus grands sculpteurs
algériens et africains?
Zizi Smaïl : Ce n’est
pas facile de commencer à résumer un parcours qui, tout de même, dure
depuis plus d’une quarantaine d’années. Sportif, je l’ai été
effectivement, mais pour quelque temps. Mais bon, essayons d’y mettre
quelques dates, je sui né à Aokas, en Basse Kabylie, le 24 novembre
1946. J’ai fait mes études primaires normalement, puis le collège de
Bejaia jusqu’en juin 1964 et ensuite un année au C.R.E.P.S de
Ben-Aknoun à Alger, cours accélérés de préparation pour la formation de
maitre en éducation physique. Après ça, j’ai quand même enseigné pendant
quatre ans à Jijel et à Bejaia. Je voudrais préciser, avant de rentrer
dans le vif du sujet, que j’étais conscient de mes aptitudes
artistiques, depuis déjà mes premières années d’école, mais j’ignorais,
jusqu’en octobre 1969, l’existence d’une école des beaux-arts.
H.L : Comment
tu t’es découvert cette passion, voire cette manie, à vouloir sculpter
tout ce qui te tombe entre les mains? D’autant plus, parait-il, que l’on
te prédestinait plutôt à une carrière sportive.
Z. S :Franchement
parlant, je me suis toujours dit que les cinq années (stage et
enseignement) furent pour moi un énorme temps
Un
marbre et un marteau comme une muse et une parole pour un poète
perdu, surtout après avoir découvert la
merveilleuse école des beaux-arts d’Alger où, sans grande difficulté,
j’y fus admis par concours et où j’avais passé quatre années
inoubliables. L’enseignement était appréciable, toutes les matières
étaient intéressantes, mais le modelage, qui est la meilleure
expression pour un sculpteur, me plaisait particulièrement, donc une
année de spécialité en sculpture était inévitable. Enfin, arriva la
bourse d’études pour l’Italie, ce fut vraiment comme un rêve! La
découverte de Carrara, en janvier 1974, fut la grande récompense
finale. C’est dire que c’est à Carrara que j’ai réellement appris la
technique de la taille directe. À partir de là, ma passion pour la
sculpture s’est “quintuplée”. Je n’ai eu aucune difficulté à suivre les
cours à l’académie des beaux-arts de Carrara. Cela prouve, par
ailleurs, la validité de l’école d’Alger. Je parle bien sûr des matières
artistiques, à savoir le dessin et le modelage en sculpture, et
théoriques comme l’anatomie artistique et l’histoire de l’art. C’est ici
que je pris contact, pour la première fois, avec cette noble matière
qui est le marbre ; il y en avait partout, il suffisait d’avoir la bonne
volonté et surtout une grande passion pour se perfectionner. C’est
donc, avec enthousiasme que je me suis mis à tailler. Au début, les
coups de marteau visaient plus le dos de ma main que le burin. Pour
conclure, il m’a fallu quatre ans d’académie et surtout la “gavette”
dans un atelier privé pour apprendre tous les secrets de la taille et
surtout me perfectionner en la matière.
H.L : Sais-tu
que l’une de tes sculptures, celle des combattants enchainés dans le
rond point, à Bejaia, près de Nacéria je crois, a été défruite pendant
les événements noirs de Kabylie en 2001? Qu’en penses-tu?
Z.S : La statue, les
Combattants enchainés dis-tu du rond-point, prés de Nacéria, ne
m’appartient pas, tu la confonds sûrement avec celle qui était au
centre ville, détruite aussi, je crois. Quoique j’y pense, je crois que
c’est dommage tout de même, considérant ne serait-ce que le côté
symbolique de la représentation. Mais, vu du point de vue des jeunes en
révolte, c’est difficile de condamner leur action et leur rage de tout
casser après avoir subi autant d’injustice.
H.L : Penses-tu
monsieur Zizi que ton départ en occident, notamment avec les
innombrables succès et prix mondiaux que l’on te connaît, a redéfini ton
rapport au corps, à la nudité, à la sculpture en général?
Z.S : Tous les
artistes, de prés ou de loin, se sont intéressés depuis la nuit des
temps au corps humain. Je voudrais te rappeler que même à l académie des
Beaux Arts d’Alger, durant mes années d’études, on dessinait et on
modelait le nu. Mais, il faut le dire, l’arrivée très rétrograde des
intégristes a tout bloqué. Je t’avoue que faire le métier de sculpteur
est difficile et ce, partout dans le monde, mais, en Algérie, c’est
tout de même plus risqué, à cause de la montée incontrôlable du
fanatisme religieux. La statue est considérée comme “Tabou” en Islam.
Tout a commencé quand les prophètes détruisirent les idoles. Je pense
qu’à l’aube du troisième millénaire, se prosterner aux pieds d’une
statue risque de devenir ridicule. Enfin, ce serait trop long de rentrer
dans les détails. Je conclue, donc, ce passage de cette manière si tu
me le permets: là où n’existe pas la totale liberté d’expression, c’est
tout simplement un grand malheur pour le pays en question. La Culture
universelle est indispensable et l’Art, entre autres, en fait partie. Je
voudrais te donner un simple exemple concret, c’est grâce aux artistes
qu’on a pu avoir un témoignage précis des civilisations (us et costumes)
de nos antécédents, de nos ancêtres si tu veux, enfin de toutes les
anciennes civilisations. En somme, ils nous ont “Illuminé” en quelque
sorte le passé, ils l’ont mis à la disposition de nos sciences, mieux,
nous en avons grâce à ça un témoignage visuel, et ça depuis la
préhistoire. Aussi, il ne faut pas, en aucune manière que ce soit,
interrompre le cheminement historique de l’art et de ses innombrables
expressions, ou alors c’est le noir total, l’obscurantisme,
l’ignorance. Depuis trop longtemps, l’Algérie ne pense qu’à remplir
son ventre, et de ce point de vue elle prend le grand risque de se
retrouver un jour dans l’oubli, surtout en ne donnant pas un grand
espace pour la culture, dans toutes ses formes comme le théâtre, le
cinéma, la littérature, etc.
Z. Smail
dans le monde qu'il maîtrise le mieux!
H.L : J’ai
l’impression, je me trompe peut-être, que la présence du tissu dans la
plupart de tes sculptures nues énonce en non-dit les traces de ton
rapport idéologique au corps, tu places le tissu au centre de la
féminité. L’Algérien, le Kabyle, voire le musulman s’il en est en toi…
Je ne sais pas si j’ai le droit de te poser la question!
Z.S : Mes figures
féminines, représentées de cette manière, me permettent d’illustrer un
message de critique et surtout de provocation. Ce mélange de sacré et de
profane est plus que jamais d’actualité. La sculpture à toujours
quelque chose de subversif. Cela me permet, ici, de créer, en toute
liberté et en toute fantaisie, ce que je n’aurais pas pu faire en
Algérie, pays malheureusement de plus en plus moyenâgeux. Je voudrais
rappeler que les artistes de l’Europe médiévale ont eu les mêmes
difficultés : le nu était banni. L’exemple le plus connu fut la
couverture des parties intimes, pour un certaine période du moins, des
figures peintes par Michel Ange dans la fameuse Chapelle Sixtine à Rome,
et c’était déjà le début de la renaissance. Dans des certaines de mes
pièces, j’utilise le voile comme support tout en tenant compte de
l’équilibre et de la légèreté de l’œuvre. Ici, les vides sont aussi
importants que les pleins. Le marbre, à la différence du bronze, est
quand même fragile et il conditionne l’artiste à trouver un “compromis”
entre la solidité et l’harmonie. Et puis, il y a aussi, dans ce cas là,
un grand défi à relever avec la matière.
H.L : Qu’est-ce
qu’offre l’occident au sculpteur et que n’offre pas l’Algérie ou le
monde musulman? Dans le site qui consacre tes œuvres, quelques unes au
moins, les nus féminins s’entend, il en ressort tout de suite un regard
mythologique que symbolise le voile, le morceau de tissu, un œil
dé-érotisée si je puis me permette l’expression, bref, il y en a
souvent, j’ai l’impression, la trace d’une origine culturelle…
Z.S : Je ne pourrais
pas nier, certes, mes origines ou effacer d’un trait mes années passées
en Algérie, les plus importantes au moins, enfin, celles qui ont
marqué ma vie. Ceci porte certainement les personnes qui découvrent mes
œuvres à se poser la même question. De toutes les façons, je laisse à
chacun sa libre imagination.
Pour revenir à ta question, je dirais que de manière générale, la
liberté d’expression offerte par tous les pays démocratiques est d’une
importance vitale pour le développement d’une société saine. À mon
humble avis, la répression et la censure sont la ruine d’une nation.
La sculpture, “maillon” d’un longue chaîne que représente la culture,
n’a pas une place très “confortable” dans la plupart des pays
musulmans. Je voudrais rappeler la mémorable et triste destruction des
bouddhas géants en Afghanistan. Ceci explique suffisamment l’exil de
toute personne éprise de liberté.
H.L : Es-tu au
courant de la condition faite aux artistes en général en Algérie?
Qu’est-ce qu’il faut faire à ton avis
Le corps dans les
limites de son expression sculpturale
pour que l’artiste soit au
centre de la société? Car, si la musique éduque l’émotion, l’art,
disait voltaire, corrige la nature. Il n’est de doute que plus d’art
dans l’espace public œuvre pour la diminution de la production de la
violence?
Z.S : Il m’est
difficile de donner un avis sur le l’art en Algérie, pour ma trop
longue absence, malheureusement. Je peux dire quand même, sans risquer
d’exagérer, que le pays est plein d’artistes vraiment talentueux. C’est
ce système politique éternel, médiocre et réactionnaire qui freine
toute liberté d’expression culturelle, et ceci a pour conséquence que
les jeunes talents s’autocensurent ou cherchent l’exil. Je pense
qu’aucun régime totalitaire ne peut conditionner ou bloquer
complètement la nécessité de l’homme de s’exprimer librement, pour
rappel, je prends à témoin sa longue histoire tumultueuse, mais très
riche en art. Je garde, donc, l’espoir d’un changement, chez nous aussi.
H. L : As-tu eu déjà l’envie de
jeter ta palette ou ton marteau pour te consacrer à autre chose?
Z.S : Non, l’idée de
changer de métier ne m’effleure même pas. La sculpture est pour moi une
passion trop forte pour l’abandonner. Il m’exprime au plus haut point,
la magie de faire s’exprimer un morceau de marbre avec quelques simples
outils, d’y mettre mon capital culturel et historique n’a pas son égale
dans l’expression de la vie pour moi.
H.L : Quelles
sont tes plus grandes sculptures dans le monde et en Algérie?
Comme grandes sculptures en Algérie,
outre le “Moujahid” de Bejaia, j’ai réalisé différents monuments à
Kherrata, à Guelma et à Ifri. Je ne sais pas si je dois y mettre Aokas,
dont l’œuvre est inachevée. Puis, il y a aussi les trois statuts au
“Musée de l’Armée” d’Alger. Je voudrais quand même préciser que je
regrette énormément de n’avoir eu aucune opportunité d’utiliser le
marbre ou le bronze, techniques que je maitrisais déjà très bien à
l’époque. Ailleurs, dans d’autres pays, il y a pour ne citer que ça le
grand Bouddha en jade à Bangkok, et un monument en marbre dans la région
de Massa-Carrara.
H.L : Quelle est la sculpture
devant laquelle tu te dis : j’aimerais bien sculpter une œuvre du genre.
Le tissu au centre
de la féminité
Z.S : Je n’ai pas en
mémoire quelque sculpture particulière, mais j’espère avoir un jour la
possibilité de réaliser une œuvre monumentale en marbre pour l’Algérie.
Autrement, j’ai toujours la tête en ”effervescence” quand il s’agit de
la créativité artistique et les idées ne manquent pas.
H.L : La rumeur colporte que tu
as été reçu par l’ancien président algérien, Chadli Ben Jedid en
l’occurrence, est-ce vrai? Raconte-nous…
Z.S : Je n’ai jamais
été reçu par Chadli et je ne l’avais jamais souhaité de toute façon.
J’ai toujours critiqué le système politique imposé par cette junte.
H.L : Personne ne passe par
Aokas, en Kabylie méditerranéenne, sans qu’il remarque la sculpture que
l’on a consacrée comme monument aux martyrs Aokassiens de la guerre
d’Algérie. Il est indéniable que l’on y sent la minutie de l’orfèvre et
le talent grandiose de l’ouvrier. Cela étant dit, tout le monde
s’accorde a dire que la sculpture est inachevée. D’aucuns disent même
qu’ils y en a eu un différend qui t’opposait aux autorités d’alors…
Bref, peux-tu nous en éclairer davantage?
Z.S : Parlons de
nouveau de la statue d’Aokas. J’étais “armé”, alors, d’une grande
volonté pour faire du beau travail. Le modelage, il faut en convenir,
était bien fait, le moulage aussi, mais la phase finale fut décevante.
Le béton qu’on devait couler n’était pas assez fluide, ceci avait donc
donné cet aspect de non fini. Je suis définitivement persuadé que le
béton n’est pas très approprié pour la sculpture. Je garde, tout de
même, l’espoir, utopique peut-être, de réaliser un monument à Aokas, en
marbre, cette fois.
Le Bouddha réalisé
par Zizi Smail et Paolo Viaggi à Bangkok, en Thailande
H.L : Disons que l’appel est lancé, à bon entendeur donc !
Puisse nos autorités daigné penser que rentrer dans l’histoire est plus
important que se remplir les poches! J’ai envie
maintenant de te raconter une rumeur. Du reste, peut-être que ce n’en
est pas une. On raconte qu’après avoir terminé le Bouddha de Jade, à
Bangkok, en Thaïlande, des gens se sont mis à se prosterner devant toi…
Enfin, voila, c’est quoi cette histoire avec ce fameux Bouddha?
Z.S : Bangkok fut une
expérience unique en tout genre. J’y ai passé dix mois, le temps qu’il a
fallu pour tailler le Bouddha d’un bloc de jade, lequel, au départ,
pesait trente cinq (35) tonnes environ. Je considère que la statue, du
point de vu artistique, n’a rien d’extraordinaire, puisqu’il y a des
milliers de Bouddha, de toutes dimensions, dans le monde. La différence
est dans la matière dans laquelle il a été sculpté. Je m’explique, le
jade en question (ou néphrite) est une pierre semi-précieuse, très dure,
dont il est presque impossible de trouver un bloc pur d’une telle
dimension. Ceci est donc la raison de son importance. Les Thaïlandais
vouent, pour la plupart, un grand respect pour le Bouddha. L’épreuve
était assez “spectaculaire” et innombrables furent les visites
journalières ainsi que les inévitables commentaires, compliments et
admirations.
La statue Le Moudjahid au
centre ville de Bejaia
H.L : Tu es né en basse Kabylie,
à Aokas plus précisément, en quoi cet espace a contribué au cheminement
du sculpteur, de l’artiste en général, en toi? Une région splendide où
les montagnes embrassent l’azur et le ressac de la mer, Vava Lvhur,
comme disaient nos lointains ancêtres…
Z.S : Cela fait plus de cinq ans que je
ne suis pas renter au pays. Aokas a sûrement changé depuis le temps,
mais pour ma part, je veux garder en mémoire le fantastique paysage qui
m’a vu grandir. Je ne saurais dire si le site magnifique, les montagnes,
la mer, toutes ces magnificences, ont eu leur importance dans mon
choix de vie, voire leur influence, peut-être bien que oui. Disons,
sans doute que tout cela aide les personnes extrêmement sensibles à être
plus créatives et plus rêveuses.
H.L : Être sculpteur en Algérie
c’est immanquablement être aux prises avec le tabou, le sacré,
l’impensable et l’impensé, pour reprendre l’expression d’un penseur
connu, ce qui m’amène à te poser la question inévitable : quelle est la
part de l’engagement politique dans ton œuvre?
Z.S : Dans mon parcours artistique, il y
a eu différentes étapes. Tout au début, ma recherche fut orientée vers
l’art sur la résistance”, ce qui par ailleurs explique un peu mes
différentes réalisations en Algérie. Malheureusement, le thème et le
temps de consigne étaient de rigueur. P our moi, ce n’était pas
réellement le maximum de mon inspiration artistique.
Comme la liberté d’expression était
nulle dans notre pays, il faut l’admettre, concevoir un quelconque
engagement politique de l’art, à ma guise, m’aurait créé, peut-être,
quelques problèmes. Mais ce qui me révoltait surtout, c’était le
terrible abus de pouvoir et d’injustice que faisait subir ce système à
tout un peuple. Ma décision de retourner en Italie, en avril 1988, fut
prise au juste moment, car, j’avais flairé, depuis quelque temps déjà,
l’imminente révolte.
H.L : Comment
vis-tu ton exil en Italie?
Z.S : Ce ne fut pas
facile de redémarrer, à Carrara. J’avais perdu le contact et je ne
pouvais pas faire l’artiste tout en ayant une famille à charge. Il me
fallait, rapidement, un travail payant. Je fis, donc, l’artisan de
marbre (art funéraire surtout), et ce, pendant plusieurs années.
Cependant, durant mes journées de repos, je me suis attelé à faire mes
propres sculptures. Je dois dire que ce ne fut pas un sacrifice, j’avais
besoin de ces moments-là. C’était comme un exutoire. C’était l’étape
suivante, donc. Je m’étais libéré de mon obsession de l’art du monument
à la résistance pour faire des recherches de formes sculpturales,
expressives ou allégoriques, étudiant différents phénomènes sociaux
d’actualité. À Carrara, de nombreux sculpteurs, du monde entier, se
côtoient, se confrontent, se copient aussi et c’était le lieu idéal
pour se mesurer.
H.L : Aurais-tu affronté la
nudité et en avoir autant créé si tu étais en Algérie?
Z.S : Le nu artistique a
toujours existé, et ça, depuis la préhistoire. Je ne sais pas si, en
Algérie, j’aurais pu créer ce genre de sculptures. Vu d’ici, surtout
maintenant, je ne crois vraiment pas. De toutes les façons, à Carrara,
j’ai affronté le nu sans aucun “tabou”, titre que j’ai d’ailleurs donné à
certaines de mes figures.
H.L : Quels
conseils donnerais-tu aux jeunes sculpteurs algériens, aux artistes en
général?
Z.S : Comme l’art est
un mouvement continu, le premier conseil qui me vient à l’esprit est de
dire aux jeunes artistes algériens d’essayer de suivre de près ces
évolutions, de manière à rester toujours “moderne”. Le progrès
technologique a toujours conditionné le monde artistique et, à l’ère
du digital, du numérique et du computer, nous, ceux de la vieille
génération, on est un peu dépassé. De toute manière, beaucoup de
choses bougent dans l’expression artistique planétaire, aujourd’hui.
Alors, laissons les jeunes et donnons-leur les moyens de s’exprimer
librement.
H.L : Quelle
est la chose qui te manque le plus en exil?
Z.S : À part quelques
interruptions, cela fait quand-même presque quarante ans que je vis en
Italie. De réflexe, maintenant, je refoule toute nostalgie, sinon je
devrais dire adieu à ma tranquillité. L’Algérie et la Kabylie me
manquent. Mais, Aokas me manque particulièrement, c’est une évidence. Je
sais toutefois qu’une fois là-bas, j’aurai sûrement et inversement la
nostalgie de Carrara. Le déracinement est de toutes les
manières, inévitable. Cela dit, si j’ai à répondre à ta question, je te
répondrai facilement, c’est trop facile je veux dire, que ma mère me
manque, la famille, les frères et sœurs, les amis. Je dois dire
toutefois que l’Algérie que j’ai surtout dans ma tête est celle des
années soixante et soixante dix.
H.L : Un mets particulier, ou un
quelque goût, je ne sais pas, une tomate du potager de la maman que tu
aurais envie de cueillir, d’ouvrir et d’accompagner d’un morceau de
galette berbère au feu tout fumant!
Z.S :Tu as raison, je
ne sais pas, je viens de manger, mais tu sais, Carrara et Aokas ne sont
pas si différentes que cela, mais si j’ai à te
Le bronze et le marbre: les
matières préférées du sculpteur
dire un plat particulier, je penserai
inévitablement aux poivrons cuits au feu de braises, Iflefel G
lkhanoune, ça oui, personne au monde ne le prépare comme nos
mamans.
H.L : Un
souhait?
Z.S : Le seul souhait
que je fais, tout le temps, jusqu’à épuisement, est que l’Algérie
devienne très vite un pays normal, avec une vraie démocratie. Enfin, un
pays de paix surtout où toutes les idées se confrontent avec une grande
liberté.
Interview réalisée par: H. Lounes
Lire aussi:
Zizi Smail:
le sculpteur qui fracasse notre rapport au corps.
Le
site: Zizi Smail le sculpteur.
source:
http://www.kabyleuniversel.com/?p=1969
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July 29, 2011
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onelas
Zizi
Smail dans son atelier à Carrara, en Italie centrale
Je trouve son téléphone sur le
site. Le grand sculpteur, me dis-je, est à portée d’un simple coup de
fil. Fallait pas trop tergiverser. Je compose, le téléphone retentit,
une voix gentille de dame répond de l’autre côté en Italien : «hello ! Can
I speak with mister Smail?», trouvai-je à dire. « Yes! One
minute please ! » dit-elle. Quelques secondes plus tard, j’avais le
sculpteur. Oui ! Il n’en fallait pas plus pour deviner une voix chaude,
limpide, une voix qui transpire le ressac de la vague méditerranéenne et
la brise nuptiale des Babors. Je me présente. Tout de suite les
salamalecs familiales, à croire que l’on se connaissait depuis toujours.
Parce qu’en vérité je ne le connaissais que de ses sculptures à Bejaia
et au musée de l’armée à Alger. « Comment va Aokas ? » me dit-il, elle
lui manque pour sûr. La tête farcie de légendes à son sujet, normal, les
sculpteurs sont chez nous une race à part, une engeance qui rivalise
avec la création divine, nous parlâmes de tout et de rien, histoire de
le mettre à l’aise quant au caractère strictement culturel, voire
intellectuel de l’interview que j’avais l’honneur de solliciter. Il me
dit que l’honneur était pour lui, comme quoi… le Kabyle qui survit
encore en lui après quarante ans d’exil à Carrara en Italie ! Carrara et
les innombrables voyages pour exposer son savoir faire aux quatre coins
du monde. Comment allons-nous faire, par écrit ou au téléphone ? me
dit-il. Les deux, lui répondis-je. Faudrait, me dit-il, que je
dépoussière mon français, cela fait bientôt quarante ans que je
n’utilise pas la langue de Molière, railla-t-il encore. Du reste,
rajouta-t-il, mon clavier est allergique aux accents circonflexes. Ne
t’inquiète, lui dis-je, si tu as sculpté le Boudha en Jade de Bangkok,
le reste est enveloppe à la poste. Je préparai les questions, j’avais
envie de lui en poser mille, mais quelques unes s’imposèrent
d’elles-mêmes, et puis fallait pas en abuser. Pourvu que le grand
sculpteur algérien nous plonge un tant soit peu dans son monde. Voici
donc l’interview, je vous la livre dans sa succulence la plus naturelle,
je veux dire dans les mots mêmes du sculpteur.
H. Lounes : Tout d’abord, Z.
Smaïl, si je peux me permettre de te tutoyer, peux-tu te présenter en
tant que personne, en tant que parcours, qui a cheminé vers le sculpteur
que l’on connaît, à savoir sans doute l’un des plus grands sculpteurs
algériens et africains?
Zizi Smaïl : Ce n’est
pas facile de commencer à résumer un parcours qui, tout de même, dure
depuis plus d’une quarantaine d’années. Sportif, je l’ai été
effectivement, mais pour quelque temps. Mais bon, essayons d’y mettre
quelques dates, je sui né à Aokas, en Basse Kabylie, le 24 novembre
1946. J’ai fait mes études primaires normalement, puis le collège de
Bejaia jusqu’en juin 1964 et ensuite un année au C.R.E.P.S de
Ben-Aknoun à Alger, cours accélérés de préparation pour la formation de
maitre en éducation physique. Après ça, j’ai quand même enseigné pendant
quatre ans à Jijel et à Bejaia. Je voudrais préciser, avant de rentrer
dans le vif du sujet, que j’étais conscient de mes aptitudes
artistiques, depuis déjà mes premières années d’école, mais j’ignorais,
jusqu’en octobre 1969, l’existence d’une école des beaux-arts.
H.L : Comment
tu t’es découvert cette passion, voire cette manie, à vouloir sculpter
tout ce qui te tombe entre les mains? D’autant plus, parait-il, que l’on
te prédestinait plutôt à une carrière sportive.
Z. S :Franchement
parlant, je me suis toujours dit que les cinq années (stage et
enseignement) furent pour moi un énorme temps
Un
marbre et un marteau comme une muse et une parole pour un poète
perdu, surtout après avoir découvert la
merveilleuse école des beaux-arts d’Alger où, sans grande difficulté,
j’y fus admis par concours et où j’avais passé quatre années
inoubliables. L’enseignement était appréciable, toutes les matières
étaient intéressantes, mais le modelage, qui est la meilleure
expression pour un sculpteur, me plaisait particulièrement, donc une
année de spécialité en sculpture était inévitable. Enfin, arriva la
bourse d’études pour l’Italie, ce fut vraiment comme un rêve! La
découverte de Carrara, en janvier 1974, fut la grande récompense
finale. C’est dire que c’est à Carrara que j’ai réellement appris la
technique de la taille directe. À partir de là, ma passion pour la
sculpture s’est “quintuplée”. Je n’ai eu aucune difficulté à suivre les
cours à l’académie des beaux-arts de Carrara. Cela prouve, par
ailleurs, la validité de l’école d’Alger. Je parle bien sûr des matières
artistiques, à savoir le dessin et le modelage en sculpture, et
théoriques comme l’anatomie artistique et l’histoire de l’art. C’est ici
que je pris contact, pour la première fois, avec cette noble matière
qui est le marbre ; il y en avait partout, il suffisait d’avoir la bonne
volonté et surtout une grande passion pour se perfectionner. C’est
donc, avec enthousiasme que je me suis mis à tailler. Au début, les
coups de marteau visaient plus le dos de ma main que le burin. Pour
conclure, il m’a fallu quatre ans d’académie et surtout la “gavette”
dans un atelier privé pour apprendre tous les secrets de la taille et
surtout me perfectionner en la matière.
H.L : Sais-tu
que l’une de tes sculptures, celle des combattants enchainés dans le
rond point, à Bejaia, près de Nacéria je crois, a été défruite pendant
les événements noirs de Kabylie en 2001? Qu’en penses-tu?
Z.S : La statue, les
Combattants enchainés dis-tu du rond-point, prés de Nacéria, ne
m’appartient pas, tu la confonds sûrement avec celle qui était au
centre ville, détruite aussi, je crois. Quoique j’y pense, je crois que
c’est dommage tout de même, considérant ne serait-ce que le côté
symbolique de la représentation. Mais, vu du point de vue des jeunes en
révolte, c’est difficile de condamner leur action et leur rage de tout
casser après avoir subi autant d’injustice.
H.L : Penses-tu
monsieur Zizi que ton départ en occident, notamment avec les
innombrables succès et prix mondiaux que l’on te connaît, a redéfini ton
rapport au corps, à la nudité, à la sculpture en général?
Z.S : Tous les
artistes, de prés ou de loin, se sont intéressés depuis la nuit des
temps au corps humain. Je voudrais te rappeler que même à l académie des
Beaux Arts d’Alger, durant mes années d’études, on dessinait et on
modelait le nu. Mais, il faut le dire, l’arrivée très rétrograde des
intégristes a tout bloqué. Je t’avoue que faire le métier de sculpteur
est difficile et ce, partout dans le monde, mais, en Algérie, c’est
tout de même plus risqué, à cause de la montée incontrôlable du
fanatisme religieux. La statue est considérée comme “Tabou” en Islam.
Tout a commencé quand les prophètes détruisirent les idoles. Je pense
qu’à l’aube du troisième millénaire, se prosterner aux pieds d’une
statue risque de devenir ridicule. Enfin, ce serait trop long de rentrer
dans les détails. Je conclue, donc, ce passage de cette manière si tu
me le permets: là où n’existe pas la totale liberté d’expression, c’est
tout simplement un grand malheur pour le pays en question. La Culture
universelle est indispensable et l’Art, entre autres, en fait partie. Je
voudrais te donner un simple exemple concret, c’est grâce aux artistes
qu’on a pu avoir un témoignage précis des civilisations (us et costumes)
de nos antécédents, de nos ancêtres si tu veux, enfin de toutes les
anciennes civilisations. En somme, ils nous ont “Illuminé” en quelque
sorte le passé, ils l’ont mis à la disposition de nos sciences, mieux,
nous en avons grâce à ça un témoignage visuel, et ça depuis la
préhistoire. Aussi, il ne faut pas, en aucune manière que ce soit,
interrompre le cheminement historique de l’art et de ses innombrables
expressions, ou alors c’est le noir total, l’obscurantisme,
l’ignorance. Depuis trop longtemps, l’Algérie ne pense qu’à remplir
son ventre, et de ce point de vue elle prend le grand risque de se
retrouver un jour dans l’oubli, surtout en ne donnant pas un grand
espace pour la culture, dans toutes ses formes comme le théâtre, le
cinéma, la littérature, etc.
Z. Smail
dans le monde qu'il maîtrise le mieux!
H.L : J’ai
l’impression, je me trompe peut-être, que la présence du tissu dans la
plupart de tes sculptures nues énonce en non-dit les traces de ton
rapport idéologique au corps, tu places le tissu au centre de la
féminité. L’Algérien, le Kabyle, voire le musulman s’il en est en toi…
Je ne sais pas si j’ai le droit de te poser la question!
Z.S : Mes figures
féminines, représentées de cette manière, me permettent d’illustrer un
message de critique et surtout de provocation. Ce mélange de sacré et de
profane est plus que jamais d’actualité. La sculpture à toujours
quelque chose de subversif. Cela me permet, ici, de créer, en toute
liberté et en toute fantaisie, ce que je n’aurais pas pu faire en
Algérie, pays malheureusement de plus en plus moyenâgeux. Je voudrais
rappeler que les artistes de l’Europe médiévale ont eu les mêmes
difficultés : le nu était banni. L’exemple le plus connu fut la
couverture des parties intimes, pour un certaine période du moins, des
figures peintes par Michel Ange dans la fameuse Chapelle Sixtine à Rome,
et c’était déjà le début de la renaissance. Dans des certaines de mes
pièces, j’utilise le voile comme support tout en tenant compte de
l’équilibre et de la légèreté de l’œuvre. Ici, les vides sont aussi
importants que les pleins. Le marbre, à la différence du bronze, est
quand même fragile et il conditionne l’artiste à trouver un “compromis”
entre la solidité et l’harmonie. Et puis, il y a aussi, dans ce cas là,
un grand défi à relever avec la matière.
H.L : Qu’est-ce
qu’offre l’occident au sculpteur et que n’offre pas l’Algérie ou le
monde musulman? Dans le site qui consacre tes œuvres, quelques unes au
moins, les nus féminins s’entend, il en ressort tout de suite un regard
mythologique que symbolise le voile, le morceau de tissu, un œil
dé-érotisée si je puis me permette l’expression, bref, il y en a
souvent, j’ai l’impression, la trace d’une origine culturelle…
Z.S : Je ne pourrais
pas nier, certes, mes origines ou effacer d’un trait mes années passées
en Algérie, les plus importantes au moins, enfin, celles qui ont
marqué ma vie. Ceci porte certainement les personnes qui découvrent mes
œuvres à se poser la même question. De toutes les façons, je laisse à
chacun sa libre imagination.
Pour revenir à ta question, je dirais que de manière générale, la
liberté d’expression offerte par tous les pays démocratiques est d’une
importance vitale pour le développement d’une société saine. À mon
humble avis, la répression et la censure sont la ruine d’une nation.
La sculpture, “maillon” d’un longue chaîne que représente la culture,
n’a pas une place très “confortable” dans la plupart des pays
musulmans. Je voudrais rappeler la mémorable et triste destruction des
bouddhas géants en Afghanistan. Ceci explique suffisamment l’exil de
toute personne éprise de liberté.
H.L : Es-tu au
courant de la condition faite aux artistes en général en Algérie?
Qu’est-ce qu’il faut faire à ton avis
Le corps dans les
limites de son expression sculpturale
pour que l’artiste soit au
centre de la société? Car, si la musique éduque l’émotion, l’art,
disait voltaire, corrige la nature. Il n’est de doute que plus d’art
dans l’espace public œuvre pour la diminution de la production de la
violence?
Z.S : Il m’est
difficile de donner un avis sur le l’art en Algérie, pour ma trop
longue absence, malheureusement. Je peux dire quand même, sans risquer
d’exagérer, que le pays est plein d’artistes vraiment talentueux. C’est
ce système politique éternel, médiocre et réactionnaire qui freine
toute liberté d’expression culturelle, et ceci a pour conséquence que
les jeunes talents s’autocensurent ou cherchent l’exil. Je pense
qu’aucun régime totalitaire ne peut conditionner ou bloquer
complètement la nécessité de l’homme de s’exprimer librement, pour
rappel, je prends à témoin sa longue histoire tumultueuse, mais très
riche en art. Je garde, donc, l’espoir d’un changement, chez nous aussi.
H. L : As-tu eu déjà l’envie de
jeter ta palette ou ton marteau pour te consacrer à autre chose?
Z.S : Non, l’idée de
changer de métier ne m’effleure même pas. La sculpture est pour moi une
passion trop forte pour l’abandonner. Il m’exprime au plus haut point,
la magie de faire s’exprimer un morceau de marbre avec quelques simples
outils, d’y mettre mon capital culturel et historique n’a pas son égale
dans l’expression de la vie pour moi.
H.L : Quelles
sont tes plus grandes sculptures dans le monde et en Algérie?
Comme grandes sculptures en Algérie,
outre le “Moujahid” de Bejaia, j’ai réalisé différents monuments à
Kherrata, à Guelma et à Ifri. Je ne sais pas si je dois y mettre Aokas,
dont l’œuvre est inachevée. Puis, il y a aussi les trois statuts au
“Musée de l’Armée” d’Alger. Je voudrais quand même préciser que je
regrette énormément de n’avoir eu aucune opportunité d’utiliser le
marbre ou le bronze, techniques que je maitrisais déjà très bien à
l’époque. Ailleurs, dans d’autres pays, il y a pour ne citer que ça le
grand Bouddha en jade à Bangkok, et un monument en marbre dans la région
de Massa-Carrara.
H.L : Quelle est la sculpture
devant laquelle tu te dis : j’aimerais bien sculpter une œuvre du genre.
Le tissu au centre
de la féminité
Z.S : Je n’ai pas en
mémoire quelque sculpture particulière, mais j’espère avoir un jour la
possibilité de réaliser une œuvre monumentale en marbre pour l’Algérie.
Autrement, j’ai toujours la tête en ”effervescence” quand il s’agit de
la créativité artistique et les idées ne manquent pas.
H.L : La rumeur colporte que tu
as été reçu par l’ancien président algérien, Chadli Ben Jedid en
l’occurrence, est-ce vrai? Raconte-nous…
Z.S : Je n’ai jamais
été reçu par Chadli et je ne l’avais jamais souhaité de toute façon.
J’ai toujours critiqué le système politique imposé par cette junte.
H.L : Personne ne passe par
Aokas, en Kabylie méditerranéenne, sans qu’il remarque la sculpture que
l’on a consacrée comme monument aux martyrs Aokassiens de la guerre
d’Algérie. Il est indéniable que l’on y sent la minutie de l’orfèvre et
le talent grandiose de l’ouvrier. Cela étant dit, tout le monde
s’accorde a dire que la sculpture est inachevée. D’aucuns disent même
qu’ils y en a eu un différend qui t’opposait aux autorités d’alors…
Bref, peux-tu nous en éclairer davantage?
Z.S : Parlons de
nouveau de la statue d’Aokas. J’étais “armé”, alors, d’une grande
volonté pour faire du beau travail. Le modelage, il faut en convenir,
était bien fait, le moulage aussi, mais la phase finale fut décevante.
Le béton qu’on devait couler n’était pas assez fluide, ceci avait donc
donné cet aspect de non fini. Je suis définitivement persuadé que le
béton n’est pas très approprié pour la sculpture. Je garde, tout de
même, l’espoir, utopique peut-être, de réaliser un monument à Aokas, en
marbre, cette fois.
Le Bouddha réalisé
par Zizi Smail et Paolo Viaggi à Bangkok, en Thailande
H.L : Disons que l’appel est lancé, à bon entendeur donc !
Puisse nos autorités daigné penser que rentrer dans l’histoire est plus
important que se remplir les poches! J’ai envie
maintenant de te raconter une rumeur. Du reste, peut-être que ce n’en
est pas une. On raconte qu’après avoir terminé le Bouddha de Jade, à
Bangkok, en Thaïlande, des gens se sont mis à se prosterner devant toi…
Enfin, voila, c’est quoi cette histoire avec ce fameux Bouddha?
Z.S : Bangkok fut une
expérience unique en tout genre. J’y ai passé dix mois, le temps qu’il a
fallu pour tailler le Bouddha d’un bloc de jade, lequel, au départ,
pesait trente cinq (35) tonnes environ. Je considère que la statue, du
point de vu artistique, n’a rien d’extraordinaire, puisqu’il y a des
milliers de Bouddha, de toutes dimensions, dans le monde. La différence
est dans la matière dans laquelle il a été sculpté. Je m’explique, le
jade en question (ou néphrite) est une pierre semi-précieuse, très dure,
dont il est presque impossible de trouver un bloc pur d’une telle
dimension. Ceci est donc la raison de son importance. Les Thaïlandais
vouent, pour la plupart, un grand respect pour le Bouddha. L’épreuve
était assez “spectaculaire” et innombrables furent les visites
journalières ainsi que les inévitables commentaires, compliments et
admirations.
La statue Le Moudjahid au
centre ville de Bejaia
H.L : Tu es né en basse Kabylie,
à Aokas plus précisément, en quoi cet espace a contribué au cheminement
du sculpteur, de l’artiste en général, en toi? Une région splendide où
les montagnes embrassent l’azur et le ressac de la mer, Vava Lvhur,
comme disaient nos lointains ancêtres…
Z.S : Cela fait plus de cinq ans que je
ne suis pas renter au pays. Aokas a sûrement changé depuis le temps,
mais pour ma part, je veux garder en mémoire le fantastique paysage qui
m’a vu grandir. Je ne saurais dire si le site magnifique, les montagnes,
la mer, toutes ces magnificences, ont eu leur importance dans mon
choix de vie, voire leur influence, peut-être bien que oui. Disons,
sans doute que tout cela aide les personnes extrêmement sensibles à être
plus créatives et plus rêveuses.
H.L : Être sculpteur en Algérie
c’est immanquablement être aux prises avec le tabou, le sacré,
l’impensable et l’impensé, pour reprendre l’expression d’un penseur
connu, ce qui m’amène à te poser la question inévitable : quelle est la
part de l’engagement politique dans ton œuvre?
Z.S : Dans mon parcours artistique, il y
a eu différentes étapes. Tout au début, ma recherche fut orientée vers
l’art sur la résistance”, ce qui par ailleurs explique un peu mes
différentes réalisations en Algérie. Malheureusement, le thème et le
temps de consigne étaient de rigueur. P our moi, ce n’était pas
réellement le maximum de mon inspiration artistique.
Comme la liberté d’expression était
nulle dans notre pays, il faut l’admettre, concevoir un quelconque
engagement politique de l’art, à ma guise, m’aurait créé, peut-être,
quelques problèmes. Mais ce qui me révoltait surtout, c’était le
terrible abus de pouvoir et d’injustice que faisait subir ce système à
tout un peuple. Ma décision de retourner en Italie, en avril 1988, fut
prise au juste moment, car, j’avais flairé, depuis quelque temps déjà,
l’imminente révolte.
H.L : Comment
vis-tu ton exil en Italie?
Z.S : Ce ne fut pas
facile de redémarrer, à Carrara. J’avais perdu le contact et je ne
pouvais pas faire l’artiste tout en ayant une famille à charge. Il me
fallait, rapidement, un travail payant. Je fis, donc, l’artisan de
marbre (art funéraire surtout), et ce, pendant plusieurs années.
Cependant, durant mes journées de repos, je me suis attelé à faire mes
propres sculptures. Je dois dire que ce ne fut pas un sacrifice, j’avais
besoin de ces moments-là. C’était comme un exutoire. C’était l’étape
suivante, donc. Je m’étais libéré de mon obsession de l’art du monument
à la résistance pour faire des recherches de formes sculpturales,
expressives ou allégoriques, étudiant différents phénomènes sociaux
d’actualité. À Carrara, de nombreux sculpteurs, du monde entier, se
côtoient, se confrontent, se copient aussi et c’était le lieu idéal
pour se mesurer.
H.L : Aurais-tu affronté la
nudité et en avoir autant créé si tu étais en Algérie?
Z.S : Le nu artistique a
toujours existé, et ça, depuis la préhistoire. Je ne sais pas si, en
Algérie, j’aurais pu créer ce genre de sculptures. Vu d’ici, surtout
maintenant, je ne crois vraiment pas. De toutes les façons, à Carrara,
j’ai affronté le nu sans aucun “tabou”, titre que j’ai d’ailleurs donné à
certaines de mes figures.
H.L : Quels
conseils donnerais-tu aux jeunes sculpteurs algériens, aux artistes en
général?
Z.S : Comme l’art est
un mouvement continu, le premier conseil qui me vient à l’esprit est de
dire aux jeunes artistes algériens d’essayer de suivre de près ces
évolutions, de manière à rester toujours “moderne”. Le progrès
technologique a toujours conditionné le monde artistique et, à l’ère
du digital, du numérique et du computer, nous, ceux de la vieille
génération, on est un peu dépassé. De toute manière, beaucoup de
choses bougent dans l’expression artistique planétaire, aujourd’hui.
Alors, laissons les jeunes et donnons-leur les moyens de s’exprimer
librement.
H.L : Quelle
est la chose qui te manque le plus en exil?
Z.S : À part quelques
interruptions, cela fait quand-même presque quarante ans que je vis en
Italie. De réflexe, maintenant, je refoule toute nostalgie, sinon je
devrais dire adieu à ma tranquillité. L’Algérie et la Kabylie me
manquent. Mais, Aokas me manque particulièrement, c’est une évidence. Je
sais toutefois qu’une fois là-bas, j’aurai sûrement et inversement la
nostalgie de Carrara. Le déracinement est de toutes les
manières, inévitable. Cela dit, si j’ai à répondre à ta question, je te
répondrai facilement, c’est trop facile je veux dire, que ma mère me
manque, la famille, les frères et sœurs, les amis. Je dois dire
toutefois que l’Algérie que j’ai surtout dans ma tête est celle des
années soixante et soixante dix.
H.L : Un mets particulier, ou un
quelque goût, je ne sais pas, une tomate du potager de la maman que tu
aurais envie de cueillir, d’ouvrir et d’accompagner d’un morceau de
galette berbère au feu tout fumant!
Z.S :Tu as raison, je
ne sais pas, je viens de manger, mais tu sais, Carrara et Aokas ne sont
pas si différentes que cela, mais si j’ai à te
Le bronze et le marbre: les
matières préférées du sculpteur
dire un plat particulier, je penserai
inévitablement aux poivrons cuits au feu de braises, Iflefel G
lkhanoune, ça oui, personne au monde ne le prépare comme nos
mamans.
H.L : Un
souhait?
Z.S : Le seul souhait
que je fais, tout le temps, jusqu’à épuisement, est que l’Algérie
devienne très vite un pays normal, avec une vraie démocratie. Enfin, un
pays de paix surtout où toutes les idées se confrontent avec une grande
liberté.
Interview réalisée par: H. Lounes
Lire aussi:
Zizi Smail:
le sculpteur qui fracasse notre rapport au corps.
Le
site: Zizi Smail le sculpteur.
source:
http://www.kabyleuniversel.com/?p=1969
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
la simplicité a un nom c'est la grandeur
Re: Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
Allah n'aime pas ça
fatima- Nombre de messages : 1074
Date d'inscription : 28/02/2009
Re: Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
BRAVO cher onelas ,Zizi Smail homme exemplaire et un exemple pour nous .....;;;;
lami-d-aokas- Nombre de messages : 3
Date d'inscription : 16/10/2011
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
fatima a écrit:Allah n'aime pas ça
Tout à fait, des statues, des dessins, de la peinture, de la musique, de la poésie, tout ça met Allah en fureur.
Allah aime qu'on le prie, il aime qu'on fasse la guerre sainte pour lui, il adore qu'on lapide, qu'on décapite et qu'on égorge.
Ce sont là les vrais valeurs de l'islam.
moi- Nombre de messages : 8760
Date d'inscription : 30/01/2009
Re: Entretien avec le sculpteur Zizi Smaïl: aucun régime totalitaire ne peut bloquer l’expression artistique
tu es mignonne comme Krinou mon Namurmoi a écrit:
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