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Révolutions arabes: accoucheront-elles de la démocratie?

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Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 17:15

Révolutions arabes: accoucheront-elles de la démocratie?


Toute révolution est commencée par des idéalistes, poursuivie par des démolisseurs et achevée par un tyran, avait dit le journaliste français Louis Latzarus. Je ne sais pas pourquoi, surtout dans le cas des révolutions arabes, la chose est on ne peut plus vrai. À la tournure que prennent ces révolutions, je me dis qu’Albert Camus avait plus que raison : « Ce n’est pas la révolte en elle-même qui est noble, mais ce qu’elle exige». Et sincèrement, je ne crois pas que ces révoltes, aussi nobles, sincères et fécondatrices de hauts idéaux sont-elles, sont parties pour hisser les hommes et les femmes aux cimes de la pratique de l’état. À savoir des états où il ferait bon vivre, où la différence n’outrage pas les divinités, où la démocratie n’attente pas au vivre commun. Loin s’en faut. Bien pire, nous avons toutes les raisons de penser que l’unicité de la pensée, l’impossibilité de la rencontre de deux idées contradictoires dans ces espaces, l’inimaginable processus de désacralisation et de l’historisation du texte sacré, les prédicateurs et zélateurs de tout acabit qui ont plus que jamais pignon sur rue, l’idéologisation des patries, notamment en tabouisant et sanctifiant le concept de la nation et des constantes que l’on y a greffé, l’état on ne peut plus ruineux des systèmes éducatifs arabes, etc., et pour cause, n’augure pas pour des heureux temps à venir.

C’est simple. La plupart de ces pays ont entretenu l’enseignement de la certitude. La certitude que l’on a raison et que l’autre a tort, la certitude que notre religion est la seule qui soit vraie et l’autre évidement erronée, falsifiée, positiviste, la certitude que l’islam est la solution a tout et que la démocratie n’est point une valeur universelle tirée de la nature, cette nature qui conçoit la différence comme un fait vérifiable journellement.

Les décolonisations de ces pays dits arabes ont accouché d’états post-indépendants qui se définissent dans l’antinomie. Je m’explique. Exister par opposition à l’autre, ne concevoir conséquemment cet même autre que comme l’incarnation de l’agression culturelle, l’occident prévaricateur, cet ennemi d’hier qui nonobstant les moyens colossaux qu’il s’était donné pour asseoir son aliénation, son acculturation, son effacement pour les identités, etc., n’a pas pu charrier les valeurs Propres fondées par un islam pur et vrai. Aussi, ce que l’on nomme communément l’état-nation a-t-il pris en charge dans les états arabes le pensé commun en produisant des schèmes culturels, des référents idéologiques forts pour annihiler la velléité de l’individu apte à produire des opinions qui sortent de la ligne, disait le poète, tracée au cordeau par l’idéologue.

La démocratie en tant que système protecteur de la différence et du vivre ensemble est perçue dans ces sociétés comme émanation fétide de l’occident et la prise en charge des moyens de productions sociales, comme la culture, l’histoire, la sociologie, etc., par les idéologies baathistes et islamistes, notamment en démolissant systématiquement tout modèle culturel venant de l’occident et en diabolisant par le biais de propagandes eschatologiques[1] tout intellectuel qui propose de séculariser l’état, de séculariser l’histoire pour reprendre l’expression chère à Mohammed Harbi, c’est à dire en la détachant de toutes les interprétations idéologiques qui du reste ont en fait un outil de domination et de sacralisation de la dictature. Une sacralisation et idéologisation d’autant plus poussées que tous les manuels scolaires des pays arabes, la quasi-majorité en tout cas, à fortiori ceux des monarchies du golf, proposent une histoire qui commence avec, ni plus ni moins, l’avènement de l’islam. D’ailleurs la littérature antéislamique pour désigner la production littéraire arabe précédant la venue de l’islam, notamment la poésie, puisque c’était le moyen d’expression littéraire le plus en vogue est appelé par les arabes Al Chiîr El Djahili, ce qui se traduit intégralement par la poésie de l’ignorance. Ce qui peut nous paraître absurde eu égard à la grande qualité et profondeur poétiques des poètes d’alors et que le monde ne cesse de célébrer jusqu’à nos jours. Le grand poète syrien Adonis a démontré dans son livre pamphlet La prière et l’épée : essai sur la culture arabe la dichomie, voire l’absurdité, d’une telle appellation idéologique qui ne cesse par ailleurs de sortir la culture arabe de l’Andalousie des profondeurs, pour reprendre encore une de ses expressions.

L’anthropologue, philosophe et islamologue Mohammed Arkoun dit à ce sujet que tout ce à quoi on assiste aujourd’hui, comme la déconfiture culturelle, l’idéologisation des cultures, bref, toutes ces inextricables et négatives pour ainsi dire conditionnalités, est dû essentiellement à un point : les arabes, les musulmans en général, n’ont pas vécu les Lumières, c’est-à-dire l’introduction de la philosophie dans les outils de production de la connaissance savante; selon le penseur :« Le public actuel n’est guère préparé à recevoir des explications d’ordre philosophique, et pourtant ces explications sont absolument essentielles parce que la philosophie est la seule discipline qui s’occupe de la manière dont l’esprit humain fonctionne et, elle enseigne la façon d’observer l’esprit humain pour ne pas le laisser divaguer du côté de l’imaginaire, du côté de l’idéologie, du côté du débat politique, et par conséquent empêche de penser.»


Une grande partie des écrits de l’immense pensée Arkounienne se penche sur l’humanisme dans la civilisation musulmane. Un humanisme qui a produit une pensée féconde dans tous les domaines de la connaissance et qui dans une certaine mesure a auguré à l’existence de la pensée rationnelle qui va à son tour penser la gestion idéale et sans grandes violences de l’état, d’où est issue d’ailleurs la laïcité entre autres. Ibn Rochd, Averroès pour l’occident, était le dernier penseur selon Mohammed Arkoun symbole des cimes atteintes par la civilisation musulmane et que d’aucuns, beaucoup de penseurs et philosophes occidentaux notamment, comme Luc Ferry, que l’on a connu comme ministre de l’éducation naguère dans un gouvernement de Chirac, considèrent comme l’initiateur de la laïcité que l’on connaît dans ses contours modernes : la gouvernance au philosophe et non au théologien! (traduction libre). C’est dire que les arabes auraient pu vivre Les lumières si la tradition de la pensée initiée par des penseurs musulmans, comme ce que l’on nommait les cercles de la parole, Halakat El Kalam, et auraient sans doute évité que les Muphtis, les zélateurs, les prédicateurs prennent en charge le pensée et l’impensé dans le monde musulman pour reprendre Arkoun encore une fois, s’ils avaient réussi à perpétuer cette haute cadence de production intellectuelle.

Notre propos n’est point de déprécier le soulèvement spontané, naturel, on ne peut plus juste des sociétés arabes ou dites arabes, puisque le facteur mobilisateur, l’objet fédérateur de ces révolutions si l’on veut est la liberté en général, mais de dire tout simplement que la démocratie n’est pas pour bientôt, que la démocratie n’est avenue en occident qu’après que des penseurs ont eu le courage de s’attaquer à des sujets jusque là imperméables, impénétrables, voire tout simplement impensables. La question de l’historicité de la bible et du droit canon, versus la charia chez les musulmans, était une question centrale et qu’il fallait aborder. À savoir que l’on ne peut prendre un texte très ancien et prétendre qu’il est capable de répondre à toutes les questions sociales d’une société et ce, des millénaires après. Ou encore la question de l’égalité homme femme qui replace la femme dans d’autres rôles sociaux en dehors de son rôle de couveuse et de génitrice. La question de l’évolution soulevée par Darwin et qui a chamboulé le monde de la croyance érigée jusqu’ici comme une soupente inébranlable, une question tranchée dont laquelle il ne fallait plus revenir. La résolution de la question posée par Copernic sur l’héliocentrisme ou géocentrisme de la terre et qui donna naissance à de célèbres polémiques et à des débats nourris comme l’affaire Galilée, la question est-ce que l’homme est au service de la nature ou bien que ce soit la nature qui est au service du bipède qui pareillement donna naissance à l’humanisme, au structuralisme, aux lumières, à l’écologie…

L’échec, le fiasco et la ruine auxquels ont abouti les politiques nationalistes et idéologisantes des états arabes ont accouché d’un mouvement idéologique, à savoir l’islamisme, d’autant plus néfaste qu’il propose un modèle théocratique, entièrement détaché de l’histoire, hautement uniformisant, incroyablement anti-démocratique, qu’il biffe d’un trait le concept de citoyenneté, puisque une théocratie propose une stratification sociale exclusivement faite de croyants et de non incroyants, une conception d’autant plus enracinée dans les couches sociales démunies, c’est-à-dire la majorité des gens, que l’imaginaire collectif « Arabe» voit dans le retour aux « Sources» la condition sin qua non de sortie de crise. Bien pire, la proposition islamiste est tellement négationniste qu’elle ne se projette qu’au détriment de l’autre, puisque l’objectif premier des islamistes est d’atteindre la grande nation, la Oumma, une nation mondiale aux frontières uniquement spirituelles, voire même pas puisque ils disparaitraient après la réalisation du rêve suprême.

Pour s’en apercevoir, il suffit seulement d’analyser la réception des intellectuels arabes, berbères ou musulmans dits Libéraux dans les sociétés arabes. Des intellectuels œuvrant dans les sciences humaines à l’exemple du sociologue des religions koweitien Ahmed El Baghdadi, le saoudien El Balihi ou la féministe Al Bedaîr, Sid El Qomni en Égypte, El Djabiri au Maroc, Mohamed Arkoun dans le monde musulman, puisque, lui, est de notoriété mondiale, Sadik Jalal Al Azm en Syrie, Adonis le Libano-Syrien, etc., tout au plus s’ils sont écoutés et diffusés dans des milieux restreints, très minoritaires, voire marginaux. Du reste, un chiffre des plus significatifs à ce titre n’est pas sans abasourdir de l’ampleur de la tragédie : plus de 2000 intellectuels ont été assassinés dans le monde musulman depuis le début de la décennie 1990 dont des centaines rien qu’en Algérie.

Souvent, dans ces pays, l’intellectuel, hormis en milieux savants, milieux élitistes, académiques, universitaires, etc., n’est pas le personnage public qui tente de réfléchir un monde, de poser un sens dans le monde qui l’environne intimement, de propulser sa patrie dans le savoir, mais une personne banale que l’on réceptionne eu égard à sa croyance ou à sa non croyance, à sa piété ou à son impiété, voire son accomplissement ou non pour les fondements de l’islam, etc. Ainsi est-il pour des penseurs majeures mondialement célèbres pour leur sérieux et profondeur qu’un simple imam, voire un simple croyant, discréditera d’un demi mot. Du reste, qui d’entre nous n’a pas connu une personne qui ne daigne pas lire un auteur pour le simple fait qu’il n’observe pas la prière ou le ramadan! Aussi, pour l’exemple, Kateb Yacine n”est pour ces gens l’auteur universellement admiré mais tout simplement l”incroyant que Mohammed Al Ghazali a jugé indigne d’être enterré dans son propre pays qu’il a pourtant servi corps et âme une vie durant.

Les assassinats en 1992 de Fardj Fouda, un penseur égyptien laïque, de Tahar Djaout en 1993, des innombrables tentatives d’assassinats ratés contre Naguib Mahfoud, le seul prix Nobel de littérature de pays dits arabes, la fatwa émise par l’ayatollah Khomeiny contre Salman Rushdie après l’apparition de son Versets sataniques, des exemples innombrables, ont propulsé plus que jamais l’idéologie funeste et nihiliste, relancé le concept de Guerre sainte et redéfini les frontières imaginaires de la Oumma.

Sociologiquement, le mouvement islamiste radical moderne est né à partir de l’incapacité des états-nations nés des décolonisations en général à prendre en charge les aspirations populaires. Ainsi est né le mouvement des frères musulmans, Jamiat Al-Ikhwan Al-muslimin, fondé en 1928 par Hassan Al-Banna, le grand père maternel du célèbre télé-prédicateur égypto-suisse, Tarik Ramadan, un mouvement dit de renaissance islamique, farouchement opposé à toute idée laïque et à toute idée de reconnaissance de l’existence d’un état juif en Palestine, qui propose de prendre en charge la société en retournant aux sources d’un islam pur. D’ailleurs, c’est dans les mêmes circonstances que naquit un mouvement islamiste radical en Algérie qui a remis en cause tout le travail effectué par des intellectuels de renom comme Kateb Yacine, Mouloud Mammeri, Rachid Mimouni, etc.,. Un mouvement qui ressasse aujourd’hui que notre histoire commence avec Okba Ibn Naffaa, comme en témoigne si significativement le débat sur la statue de la Kahina, la reine berbère, à Khenchla, un mouvement est en faveur du démantèlement de la célèbre statue, car, argumente-il, la Kahina, Dihya pour les berbères, avait combattu les musulmans et donc n’a pas sa place dans un pays résolument musulman!

Il est vrai cependant que les révolutions arabes ont été initiées par de jeunes internautes aux idées généralement puisées dans des idéaux démocratiques, il est vrai par ailleurs que la révolution tunisienne, dite du Jasmin, avait déjà réussi à galvaniser les jeunesses d’autres pays en ce sens qu’ils avaient fait tomber le mur de la peur érigé insidieusement dans les cœurs par des décennies de règne tyran, comme il est vrai que ces révolutions ont ouvert de grands horizons, mais, il est vrai aussi, et ce, bien que les infiltrations islamistes soient vite rejetées au départ, que les prédicateurs de naguère ont vite repris le terrain. Tels des caméléons, ils se sont déjà adaptés à la nouvelle couleur!

Comment? C’est que le long travail des profondeurs effectué auprès des populations porte aujourd’hui ses fruits. La dualité idéologique Islamisme-Arabisme des états arabes ne laisse aucunement place à une proposition sociale inédite. L’islamisme, bien qu’il ne produise ni littérature, ni philosophie, ni sociologie, etc., est galvanisé par un fait inédit : le parti islamiste d’Erdogan en Turquie. Un pays que l’on connaît pourtant être laïc. Du coup, et soudainement, tous les islamistes, surtout pendant les révolutions, la guerre étant ruse, Al Harbo Khodaa, louent et vantent la laïcité, alors que juste hier ils nous disaient qu’être laïc c’est inexorablement finir en enfer. Ainsi Al Ghenouchi, le chef charismatique des islamistes tunisiens, de retour de son exil après la chute de Ben Ali, s’empresse de souligner son respect pour les valeurs laïques héritées de Bourguiba. En Égypte, au Yémen, au Bahreïn, même en Arabie saoudite des voix islamistes s’élèvent pour crâner la vertu de la laïcité. Ainsi, comble du mirifique, la laïcité est désormais le cheval de Troie des islamistes pour reprendre leur main de fer sur la rue arabe.

Pourtant, pendant que l’on vante ces révolutions qui arrachèrent aux griffes de la dictature une fois pour toutes, des peuples soumis, asservis et spoliés, un sondage en Égypte nous rappelle brusquement à la triste réalité : plus de 70% de la société est pour la lapidation pour adultère. En Tunisie, les islamistes, chevauchant le célèbre cheval en bois pour infiltrer l’antique Troie, s’attaquent aux femmes, aux maisons closes, se renforcent de jour en jour, selon un ami Tunisien, et menacent d’abolir d’une triste l’héritage de Bourguiba qui a fait de la Tunisie le seul pays dit arabe ou il fait moins mauvais pour vivre. L’adhésion au mouvement se fait par masses et les acquis des femmes deviennent de plus en plus une question secondaire.

Je me souviens de cette jeune étudiante dans le reportage à la télé qui a dit être enfin libre, et pour célébrer cette liberté nouvellement arrachée, elle arborait d’ores et déjà son voile qu’elle disait être symbole de liberté. Autrement dit, on sortait d’une dictature pour aller vers une autre encore pire, puisque dans cette dernière on y pénétrait avec en plus la conviction. La révolution ne supprime pas les privilèges, disait un journaliste français, mais se borne plutôt à les changer.

Spinoza, le célèbre philosophe, avait stipulé que la démocratie est le système politique le plus proche de la nature. Pourtant tout indique que les pays arabes ont toujours du mal à concevoir que la démocratie n’attente pas à Dieu ni à la foi en un dieu créateur des mondes. D’ailleurs, tous les prédicateurs islamistes jouent sur la fibre de la culpabilité. Culpabiliser le démocrate, culpabiliser le laïc, culpabiliser toute idée qui remet en cause la charia, le règne des télé-prédicateurs …

Je crois profondément que la démocratie commence à l’école. Elle commence ici dans la manière d’expliquer à un mioche, le pompier de demain, disait un célèbre chroniqueur, le médecin de demain, le maçon, le coiffeur, le soldat, le ministre, etc., de demain, le monde qui l’entoure, dans la façon de lui expliquer l’autre qui est différent de lui culturellement, religieusement, historiquement, etc.. Mais, pour y parvenir, la sécularisation de l’enseignement en le détachant de tous les schèmes et référents idéologiques doit être la condition première. Expliquer à un enfant que l’on peut être frères, amis, collègues tout en étant différents, tout en ayant des idées divergentes, passe par une pratique de la différence déjà à l’école. C’est pour cette raison que je suis convaincu que les révolutions arabes ont un long chemin à faire avant de composer pratiquement avec la démocratie.
H. Lounes
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