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Littérature Entretien avec Brahim Tazaghart

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Message  MOB AOKAS Mer 22 Mai - 17:44

Littérature Entretien avec Brahim Tazaghart
«Le prix Nobel ? Oui, Tamazight a besoin d’ambition»


Brahim Tazaghart, auteur de «Inig Aneggaru», fait partie des écrivains militants. Convaincu que seuls les écrits pérennisent la langue, il a mobilisé toute son énergie pour la mettre au service de l’écriture.

Il mettra même sur pieds Tira-Editions, une entreprise qui se focalisera essentiellement sur ce qui est écrit en et sur Tamazight. Dans cet entretien, que nous consacrons à son livre Inig aneggaru, l’auteur parlera aussi de son ambition de «participer à faire entrer la littérature amazighe dans le mouvement qui réinvente l’humanisme»

La Dépêche de Kabylie : Dans quasiment toutes vos œuvres, l’amour même s’il n’est qu’un prétexte pour asseoir une thématique, semble « monopoliser » l’œuvre. Cela est-il réfléchi ?

Brahim Tazaghart : Je ne fais rien qui ne soit pas pensé. Vous savez bien que le lectorat amazigh est jeune, constitué particulièrement de lycéens et d’étudiants. De ce point de vue, l’attente est facilement déchiffrable. Par ailleurs, je suis convaincu que notre société a connu un énorme déficit d’amour. Acculée des siècles durant dans une position défensive, elle a cultivé plus la rancœur, la haine que la compréhension et l’amour. Dans un exercice que j’ai tenté dans le recueil de nouvelle Ljerrat, publié en 2003, j’ai trouvé que le lexique de l’amour est réduit comparativement à celui de la violence qui est riche… Sans l’amour, toute construction sociale, culturelle ou politique est impossible. Le projet démocratique et moderniste, contrairement aux projets totalitaires et archaïques, doit reposer sur l’amour de soi et de son prochain, car seule la générosité est révolutionnaire. L’égoïsme, le renfermement sur soi, le mépris de l’autre produisent les pires destins pour les hommes. Ce fait, nous le vérifions chaque jour dans toutes ces guerres qu’on allume avec les braises de l’ignorance. J’ai pour ambition de participer à placer la littérature amazighe dans le mouvement qui aspire à la réinvention de l’humanisme. Car tel est le défi actuel qui se pose aux hommes, poussés à chercher refuge dans leurs religions, leurs races et leurs appartenances tribales. Amazigh, homme libre, est le mieux indiqué pour refuser les intégrismes d’où qu’ils viennent. J’ai tenté de scruter cette voie. Je suis parti à la recherche de l’équilibre de l’individu et de la société, ainsi qu’un mode intelligent de vivre ensemble. Ce sont les axes de mon dernier roman.



Inig Aneggaru, votre dernier roman, sort du lot. Il prend ses distances par rapport à votre précédent roman Salas d Nuja. On y sent une recherche, notamment sur la narration. Le lecteur habitué à la linéarité est plutôt agréablement surpris.

Ce roman se caractérise aussi par une diversité de thèmes…

J’ai travaillé sur cette œuvre des années durant. La narration a été revue à plusieurs reprises. J’ai tenté de m’adresser au lecteur autrement. J’ai pris le temps qu’il faut. Dans ce roman, j’ai essayé de mettre en mouvement tous mes personnages, de faire d’eux des entités actives, entièrement impliquées dans l’élaboration de leurs propres histoires. Chacun de mes personnages est le propre narrateur de ses tranches de vie… Ainsi, le point de vue du personnage n’a pas été altéré par un narrateur extérieur… J’ai opté pour une sorte de démocratie directe, si j’ose dire, en donnant la parole à tous, sans que j’intervienne pour juger ou expliquer telle attitude ou tel comportement. Les personnages de « Inig aneggaru » ne sont pas prisonniers d’une trame réduite et réductrice. Ils vont et reviennent sans cesse entre le présent et le passé, entre le visible et l’invisible, dans une société sévère en apparence, mais tolérante, à sa façon bien entendu. En outre, raconter l’amour d’une femme est toujours lié à celui de la patrie, et cet amour de la terre, des ancêtres, des vents, des collines, des mers et des dunes est aussi complexe que les amours interdites qui ont besoin de mettre en avant une vitrine pour survivre et se mettre à l’abri. Dans notre cas, la vitrine c’est l’idéologie qui n’est pas utilisée dans le texte pour mobiliser, mais pour camoufler des dérives. C’est l’usage que fait le père de Tiziri, avocat de son état, pour refuser le mariage de sa fille avec Youba. On avance souvent une grande cause pour arriver à des fins dérisoires, souvent mercantiles. Disant pour finir, que les deux héros du roman, l’un amoureux d’une fille issue d’une famille de marabouts et l’autre d’une fille arabe, ne pouvaient pas avoir des vies faciles dans une société qui n’arrive pas encore à dépasser ses archaïsmes.

Mehdi, l’amoureux «mélancolique », est un personnage très attachant. Il l’est à tel point que l’on demanderaità l’auteur de le faire revenir. Autrement dit, Inig aneggaru pourrait avoir une suite… Pourquoi pas une trilogie ?

Comme si Mehdi devaient revenir pour nous sauver de nous-mêmes. Oui, notre déchirement est énorme, et nos blessures nous font terriblement mal au point de ne penser à rien d’autre qu’à hurler, nous défouler et noyer notre souffrance ! Notre mal nous empêche de penser, d’installer notre réflexion dans la durée. Nous sommes souvent impatients de passer à autre chose dans l’espoir d’oublier ! Même l’Etat algérien que nous avons bâti par le sang et la sueur, nous voulons le détruire pour en fonder un autre, des autres, qui peuvent être moins agréables à vivre, mais qui nous permettront d’errer dans le temps, sans trop maîtriser les dynamiques et les processus. A vrai dire, notre souffrance ancestrale nous rend suicidaires... Le suicide est aussi dans la séparation d’avec les êtres et la terre. Mehdi, sage et mélancolique comme vous dites, est à la recherche des solutions aux crises. Il refuse de se piéger dans l’aggravation presque maladive de celles-ci comme le font beaucoup. Il est un personnage symbole d’une synthèse que nous devons construire et adopter. Il tente de comprendre l’autre, je dirais les autres, au lieu de les condamner et d’en faire des ennemis ! En amoureux, Mehdi tente de se soustraire à tous les conditionnements pour être libre de sa pensée et de ses choix… Il ne regarde pas les autres à travers ses préjugés, il les scrute avec son cœur. Au lecteur qui voudrait « Tughalin », je dirais qu’il y a déjà un retour au moment du départ. Il y a le retour de Nayla. Il y a le retour de Mehdi vers l’amour premier après avoir vécu l’amour refuge ! Et en tant qu’auteur, je suis obligé de revenir avec un autre roman qui soit, peut être comme vous le dites, dans le prolongement de « Inig aneggaru ». L’idée d’une trilogie est intéressante! J’y réfléchirai !

Au regard de tout ce qui se fait en terme de production littéraire, Brahim Tazaghart est-il toujours attaché à l’idée d’un prix Nobel pour un roman kabyle ?

Tamazight a besoin d’ambition. Le prix Nobel est à notre portée, à condition de travailler et de créer une osmose entre tous les acteurs de l’’’amazighophonie’’, de l’amazighité et au-delà. L’humanité a besoin des langues de la diversité qui font sa richesse, et tamazight occupe une belle place dans ce domaine. Il y a quelques temps, j’ai proposé à des ONG, associations et intellectuels amis de discuter sur la possibilité de création d’un prix international dans les langues minoritaires. L’idée s’est installée. Le débat porte actuellement sur les risques de voir ces langues cloîtrées dans un statut mineur, sur le rôle de ce prix dans l’encouragement de ces langues, de leur légitimation ! Une ONG, en l’occurrence « Literature across frontiers » a proposé un festival international des littératures dans les langues défavorisées. Je trouve que c’est une belle opportunité pour ces langues de se rencontrer, de se connaître et de plaider ensemble pour une nouvelle politique internationale des langues. Il y a à mon avis deux réponses possibles à la situation des langues dominées : une réponse qui se repose sur le droit et la justice, et une autre sur la force. En l’absence de politiques nationales et internationales qui reconnaissent le droit des langues au développement, il est fort probable que nous nous retrouverons, à un moment ou un autre, devant la situation ou toute langue chercherait à se doter d’un Etat qui lui donnerait les moyens de s’épanouir. A ce moment précis, nous sortirons définitivement des Etats républicains vers les Etats ethniques et religieux. Le risque est grand et personne n’est à l’abri. En effet, si les Touarègues sont séparés par les frontières des Etats libérés de la colonisation comme il est souligné à l’occasion de la guerre qui s’installe au Mali, les Catalans le sont aussi par la frontière franco-espagnole, les basques de même, ainsi que d’autres comme les kurdes… A ce propos, nous avons besoin d’échanges et de dialogues. Car toutes les frontières sont par essence arbitraires. Et seuls le droit et la justice peuvent remédier à cette situation et garantir la paix et la stabilité pour tous dans des regroupements qui privilégient les politiques d’intégration.

Le monde de l’édition, et vous êtes aussi éditeur, semble en désamour avec le livre en tamazight. Pourquoi donc ?

Il y a des mentalités tellement déstructurées qu’elles n’arrivent pas à avancer. Ils y a des hommes et des femmes qui n’ont plus la capacité de se mettre débout, tant leur asservissement à l’absurde et au non sens est grand. Il y a encore des responsables qui font dans la négation de tamazight lorsque même la constitution lui fait place. Leurs comportements soulignent toute l’incohérence d’un système où les responsables agissent en dehors de la loi et en toute impunité, un système en faillite, condamné à disparaître et à laisser place à une gouvernance démocratique. Dans une correspondance signée par le PDG de L’ ENAG, chargé par le ministère de la Culture de représenter les éditeurs algériens aux salons du livre de Paris et de Casablanca, tamazight est exclue ! C’est scandaleux ! Inadmissible ! Seules les langues française et arabe sont concernées par ces deux rendez-vous. Seuls les livres dans ces deux langues seront acheminés par les moyens de l’Etat algérien, et seuls les écrivains de ces deux langues seront pris en charge par l’argent de la recette pétrolière et des contribuables. C’est du pur bannissement. C’est une injustice inqualifiable. Les rédacteurs de la lettre pouvaient ne pas signaler la langue d’édition, car nous avons, en plus de tamazight, le droit d’éditer en anglais, en espagnole... Dans quel objectif ont-ils commis cette faute, sachant qu’ils ne représentent pas seulement leur entreprise économique mais le ministère de la Culture et le gouvernement algérien ? Y a-t-il une intention de tester notre vigilance ? Sont-ils en train d’asseoir une dynamique de remise en cause des acquis de tamazight ? Toutes les difficultés que connaît la prise en charge institutionnelle de tamazight plaident pour cette compréhension ! J’ai interpellé le PDG de l’ENAG, en ma qualité d’auteur et éditeur de livre en tamazight. Et à ce jour, aucune réponse ne m’est parvenue. C’est le silence méprisant, suffisant, et à la limite suicidaire ! Des gens nous ont dit que c’est peut être une omission, d’autres nous ont conseillé d’envoyer nos catalogues, car ils ne vont pas les refuser ! Je dis que de la sorte, nous allons valider une présence clandestine de tamazight, chose que je refuse catégoriquement ! Chaque Algérien, essentiellement le responsable institutionnel, est concerné par le développement de cette langue plusieurs fois millénaires, sinon, à quoi sert de parler de l’algérianité, à quoi sert d’avoir une constitution quand chacun la viole impunément ? De ce qui précède, il faut admettre qu’il n’y a pas de désamour, il y a absence de l’amour, et depuis le départ. Et nous revenons à la vérité que sans l’amour, c’est l’absurde qui tiendra les rênes de nos destinées. Nous sommes en plein dedans. Mais toujours avec l’espoir de sortir de cette impasse…

Entretien réalisé par Salas.O. A

MOB AOKAS

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Message  MOB AOKAS Mer 22 Mai - 17:44

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MOB AOKAS

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