L’assassinat de Lounès Matoub
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L’assassinat de Lounès Matoub
Cest un grand cahier cartonné, sans reliures ni décorations ostentatoires. Posé sur la table basse, à l’entrée de l’Association de culture berbère (ACB), il accueille, depuis jeudi 25 juin, la tristesse et la colère des amis, des « frères », ou des admirateurs du chanteur Lounès Matoub, tué ce même jour en Algérie.
Des photos du chanteur, des affiches de son dernier concert au Zénith trônent sur les murs. Dans la grande salle, à droite de l’entrée, des dizaines de bougies, et des chaises, presque toutes vides. Les dizaines d’hommes et de femmes préfèrent écouter la voix de Lounès Matoub à l’extérieur, adossés au muret qui borde à cet endroit la rue des Maronites, dans le XXe arrondissement de Paris, ou assis sur les jardinières de fleurs. Ils se parlent doucement, attendent. Jusqu’à ce qu’ils se décident à venir prendre la plume et rédiger leur dernier mot au chanteur.
Les intimes ont écrit les premiers, jeudi soir. « Te dire quoi ? T’écrire quoi ? Ma rage, mon chagrin ? Tu me manques déjà. Mes poèmes, à qui je vais les donner ? » « Que te dire ? Pourquoi ? Comment ? Où trouver la force ? Le 9 juin, tu m’avais dit que si quelque chose devait arriver, ça arriverait. Si seulement j’avais su que ce jour serait le dernier, je t’aurais dit tout l’amour, toute l’affection que je te porte. » « Comme Ahmed et Rabah, assassinés, tu continueras à vivre dans notre coeur. » « Comment vais-je faire sans tes coups de gueule au concert ? Sans ta joie de vivre, sans toi à photographier ? » « Et la dernière blague que tu nous as racontée. J’ai beaucoup rigolé. Mais aujourd’hui, je pleure. » Ceux-là sont musiciens, artistes, ou simples militants de la cause berbère, habitués de ces lieux où Matoub aimait à passer chaque fois qu’il venait en France. « JAMAIS ILS N’AURONT TA VOIX »
Puis sont venus les anonymes. Ceux qui le croyaient « invulnérable ». Qui jurent que « Non, Matoub, tu n’es pas mort ». Tous pleurent l’homme, mais aussi, le militant de la cause berbère, l’opposant résolu à l’intégrisme, le chanteur rebelle. « Un homme a été assassiné, pas l’idée », assure l’un.
-1-
« Matoub, tu vivras, nous aussi », implore l’autre. Et la troisième d’assurer qu’« ils ont eu ta mort, mais jamais ils n’auront ta voix ».
Certains restent dix minutes, incapables de trouver le premier mot. D’autres écrivent à deux. Une femme dicte lentement son message à son mari, lui demande de tout relire, avant de corriger deux mots. Un jeune homme s’approche pour la troisième fois, fond en larmes, et repart sans rien inscrire. L’adolescent, lui, s’est soigneusement préparé. Il sort de sa poche un papier, le déplie et recopie en s’appliquant : « Rassure-toi, mon frère, ton sang n’a été versé que pour effacer l’obscurantisme. »
Un vieil homme voûté, portant chapeau et costume, s’installe avec peine, et se penche sur le cahier : « C’est notre deuil, le deuil de tous les amis du quartier et d’ailleurs, le deuil de tous les démocrates. » Autre vieil homme, d’origine européenne celui-là, venu avec sa femme : « A toi Lounès, qui avait l’âge de nos enfants nés en Kabylie. »
La voix chaude et grave du chanteur inonde toujours la pièce. Souvent d’autres voix, d’autres timbres reprennent, tout bas, appuyant soudain sur un mot, les larmes aux yeux. La musique, seule « arme » dont voulait se servir Lounès Matoub, et ces mots qu’il aimait tant manier, chacun ici les connaît, les récite.
NATHANIEL HERZBERG Le Monde - 28 juin 1998
Des photos du chanteur, des affiches de son dernier concert au Zénith trônent sur les murs. Dans la grande salle, à droite de l’entrée, des dizaines de bougies, et des chaises, presque toutes vides. Les dizaines d’hommes et de femmes préfèrent écouter la voix de Lounès Matoub à l’extérieur, adossés au muret qui borde à cet endroit la rue des Maronites, dans le XXe arrondissement de Paris, ou assis sur les jardinières de fleurs. Ils se parlent doucement, attendent. Jusqu’à ce qu’ils se décident à venir prendre la plume et rédiger leur dernier mot au chanteur.
Les intimes ont écrit les premiers, jeudi soir. « Te dire quoi ? T’écrire quoi ? Ma rage, mon chagrin ? Tu me manques déjà. Mes poèmes, à qui je vais les donner ? » « Que te dire ? Pourquoi ? Comment ? Où trouver la force ? Le 9 juin, tu m’avais dit que si quelque chose devait arriver, ça arriverait. Si seulement j’avais su que ce jour serait le dernier, je t’aurais dit tout l’amour, toute l’affection que je te porte. » « Comme Ahmed et Rabah, assassinés, tu continueras à vivre dans notre coeur. » « Comment vais-je faire sans tes coups de gueule au concert ? Sans ta joie de vivre, sans toi à photographier ? » « Et la dernière blague que tu nous as racontée. J’ai beaucoup rigolé. Mais aujourd’hui, je pleure. » Ceux-là sont musiciens, artistes, ou simples militants de la cause berbère, habitués de ces lieux où Matoub aimait à passer chaque fois qu’il venait en France. « JAMAIS ILS N’AURONT TA VOIX »
Puis sont venus les anonymes. Ceux qui le croyaient « invulnérable ». Qui jurent que « Non, Matoub, tu n’es pas mort ». Tous pleurent l’homme, mais aussi, le militant de la cause berbère, l’opposant résolu à l’intégrisme, le chanteur rebelle. « Un homme a été assassiné, pas l’idée », assure l’un.
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« Matoub, tu vivras, nous aussi », implore l’autre. Et la troisième d’assurer qu’« ils ont eu ta mort, mais jamais ils n’auront ta voix ».
Certains restent dix minutes, incapables de trouver le premier mot. D’autres écrivent à deux. Une femme dicte lentement son message à son mari, lui demande de tout relire, avant de corriger deux mots. Un jeune homme s’approche pour la troisième fois, fond en larmes, et repart sans rien inscrire. L’adolescent, lui, s’est soigneusement préparé. Il sort de sa poche un papier, le déplie et recopie en s’appliquant : « Rassure-toi, mon frère, ton sang n’a été versé que pour effacer l’obscurantisme. »
Un vieil homme voûté, portant chapeau et costume, s’installe avec peine, et se penche sur le cahier : « C’est notre deuil, le deuil de tous les amis du quartier et d’ailleurs, le deuil de tous les démocrates. » Autre vieil homme, d’origine européenne celui-là, venu avec sa femme : « A toi Lounès, qui avait l’âge de nos enfants nés en Kabylie. »
La voix chaude et grave du chanteur inonde toujours la pièce. Souvent d’autres voix, d’autres timbres reprennent, tout bas, appuyant soudain sur un mot, les larmes aux yeux. La musique, seule « arme » dont voulait se servir Lounès Matoub, et ces mots qu’il aimait tant manier, chacun ici les connaît, les récite.
NATHANIEL HERZBERG Le Monde - 28 juin 1998
achrchur- Nombre de messages : 9
Date d'inscription : 21/09/2008
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