Tunisie : des centaines de salafistes attaquent le théâtre

Un comédien, retranché devant le théâtre municipal de Tunis. (Thierry Brésillon)


La culture dans la rue sera-t-elle désormais une provocation en
Tunisie ? Condamnée à ne se montrer que dans des espaces assignés ?
C'est le sens de la pièce en trois actes qui s'est jouée dimanche devant
le théâtre municipal de Tunis.

Acte 1 : la confrontation programmée


Depuis trois mois, une association fondée par des comédiens amateurs,
étudiants et professionnels, avait prévu de jouer quelques saynètes
inspirées du théâtre classique sur deux scènes disposées sur l'avenue
Habib Bourguiba. Une manière de célébrer la journée mondiale du théâtre
(le 27 mars).

Le vendredi 23 avait été décrété Journée nationale du Coran
par le ministère des Affaires religieuses, au moment où la place de la
charia dans la Constitution est débattue et surtout après la dégradation
d'un exemplaire du Livre saint dans une mosquée de Ben Guerdane, dans
des conditions troubles. Or, le rassemblement prévu ce jour-là à la
Kasbah (devant le siège du Premier ministre) est reporté à dimanche pour
une raison qui reste à éclaircir, devant le théâtre municipal, au lieu
même où les représentations théâtrales sont prévues. La confrontation
était programmée. Elle n'a pas manqué de se produire.



Les partisans de l'Etat islamique sur l'avenue Habib Bourguiba (Thierry Brésillon)


Pour éviter les incidents, les organisateurs de la manifestation
demandent qu'elle se déroule plus bas sur l'avenue où convergent des
milliers de personnes. Mais ce n'est pas suffisant. Anissa Daoud,
comédienne venue soutenir l'initiative en spectatrice, raconte la
suite :

<blockquote>« Des salafistes ont pris d'assaut les deux scènes.
Détruit la première et pris possession de la seconde qu'ils n'ont pas
quittée ensuite. Les comédiens ont été malmenés. Une comédienne a pris
un coup violent sur la poitrine. La police leur a demandé de se replier
devant les portes du théâtre municipal. Elle leur a assuré qu'elle ne
pouvait pas repousser les salafistes, mais a demandé d'attendre deux
heures, le temps que la situation se calme. »

</blockquote>
Acte 2 : le spectacle continue



Le face-à-face comédiens / salafistes (Thierry Brésillon)


Un curieux face-à-face s'installe. D'un côté, des comédiens en
costumes Renaissance, sur les marches du théâtre. De l'autre les
manifestants, pour qui le théâtre est une activité impie, dont beaucoup
portent portent des tenues typiques de cette identité islamique
recomposée : qamis saoudiens blancs, noirs ou couleur camouflage
militaire, bandeaux frappés de la chahada (la profession de foi) autour du front, casquettes de base ball ou arakia (petit bonnet).

Sur l'avenue, la célébration du Coran tourne à l'appel à l'Etat islamique :

<blockquote>« Le gouvernement par la charia et non par le peuple ! »
« La femme veut la charia »
« La Constitution écrite est péché. Séparer l'Etat de la religion est péché. »

</blockquote>


Une représentation sous pression devant le théâtre municipal (Thierry Brésillon)


Au bout d'un moment, les comédiens décident de jouer sur le trottoir.
Un acte de résistance plus qu'un spectacle. Un résumé de la guerre des
Capulet et des Montaigu, vêtus de blanc et de rouge, aux couleurs du
drapeau tunisien, censé s'achever en réconciliation.

Une pure fiction ! Dans la réalité, malgré le cordon de sécurité
assuré par l'organisation de la manifestation pour le Coran, les
salafistes accentuent leur pression et la représentation s'arrête.

La police se déploie, s'interpose et fait reculer les islamistes.
Bouteilles d'eau, œufs, verres de café volent en direction des comédiens
qui entonnent l'hymne national. Le théâtre, assiégé, contraint au
silence, assailli par une foule en colère criant des slogans religieux
et protégé par la police, c'est évidemment plus qu'un dispositif. C'est
un symbole.


Les comédiens protégés par le cordon de sécurité de la police (Thierry Brésillon)


Acte 3 : l'assaut


Malgré quelques provocations, que l'avocat à l'origine des
manifestations tente de contenir en médiateur infatigable, la situation
finit par se calmer. Le spectacle reprend, mais rapidement les cris de
« Allah ou Akbar » reprennent, la clameur enfle sur l'avenue. La
police décide brutalement d'évacuer les comédiens et les pousse à
l'intérieur du théâtre.



Les militants islamistes contenus par la police. (Thierry Brésillon)


La tension monte. Derrière le cordon de policiers, la place est vide.
Face à eux plus de mille manifestants veulent forcer le passage.

Il n'y a que deux issues : soit la confrontation, soit la police
cède. De toute évidence, une fois de plus, les policiers esquivent la
confrontation avec les salafistes et se retirent.

Anissa Daoud, comédienne, déplore :

<blockquote>« Nous pensions que la police nous utilisait comme appât pour se confronter aux salafistes. Mais ce n'est pas le cas. »

</blockquote>
Un officier de police explique après coup, la stratégie adoptée :

<blockquote>« Il ne faut pas radicaliser davantage ces extrémistes en employant la force. »

</blockquote>
Immédiatement, plusieurs centaines de salafistes déchaînés se ruent
sur les marches du théâtre. Certains vont frapper sur les portes pour
effrayer les comédiens retranchés à l'intérieur. Les salafistes
scandent :

<blockquote>« Le peuple veut appliquer la Loi de Dieu ! »

</blockquote>
La démonstration de force a réussi. Le théâtre a perdu la bataille.


Salafistes contre théâtre from Thierry Bresillon on Vimeo.


Epilogue


Pour les organisateurs de la manifestation et pour la police, le
pire, c'est-à-dire la confrontation violente, a été évité. Pour les
artistes bien sûr, le message est clair, ils ont été chassés de la rue,
sans aucune protection de la part des forces de l'ordre, alors que leur
événement était autorisé.

Quelques passants commentent :

<blockquote>« Les extrémistes sont des deux côtés. Il ne fallait pas
organiser cette pièce de théâtre, c'est une provocation. Pour éviter
les problèmes, il faudrait interdire les regroupements sur l'avenue
Habib Bourguiba. »

</blockquote>
C'est la place de l'art dans l'espace public qui est en jeu. L'art
va-t-il devenir une provocation au même titre que la violence ? L'ordre
public sera-t-il le cheval de Troie de l'islamisation de l'espace
social ?

La question peut paraître accessoire au regard de la détresse sociale
des Tunisiens. Mais faut-il pour autant laisser une conception
liberticide de la religion prendre le contrôle de la société ?

Ces troubles sont peut-être le fait d'une minorité, c'est évident.
Mais pour l'instant, elle semble ne rencontrer aucun obstacle pour
dicter sa loi.

En fin d'après-midi, les comédiens ont obtenu de pouvoir faire une
marche silencieuse de quelques centaines de mètres sur l'avenue où, il y
a un peu plus d'un an, naissaient les espoirs de liberté de la Tunisie
et du monde arabe.


Une comédienne enveloppée du drapeau devant le théâtre municipal (Thierry Brésillon)

http://blogs.rue89.com/tunisie-libre/2012/03/26/tunisie-la-culture-chassee-de-la-rue-par-les-salafistes-227015

la Tunisie d'aujourd' hui vit les mémes pratiques de l Algerie des années 1990. je me demande quelle difference entre le FIS dissous et Ennahda ! un islamiste est un islamiste; qui croit encore a l'existence d'islamistes moderés!