"Amirouche est un héros pur et parfait, beaucoup plus proche d’un prophète ou d’un saint que d’un homme de guerre"
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"Amirouche est un héros pur et parfait, beaucoup plus proche d’un prophète ou d’un saint que d’un homme de guerre"
Au cours de ces dix dernières années, les biographies de Amirouche écrites par des auteurs algériens n’ont, certes, pas été aussi abondantes que l’on aurait souhaité, au vu de l’importance de ce personnage dans l’histoire de la guerre de Libération nationale. Mais il y en a eu suffisamment pour que le lecteur curieux puisse assouvir sa soif de connaissance de la vie et de la mort de cet homme d’exception et de ce grand héros de la guerre de Libération.
Plusieurs compagnons de combat de ce colonel commandant la Wilaya III historique, et qui, donc, l’ont côtoyé et ont partagé avec les fatigues, les tensions, les dangers, les frayeurs, les actes d’héroïsme et les trahisons propres aux guerres, quelle qu’en soit la forme, ont mis par écrit leurs souvenirs et les ont soumis à la critique de leurs lecteurs. Parmi eux, on voudrait mentionner plus particulièrement deux partisans inconditionnels de Amirouche, remplissant les conditions d’origine régionale qui les mettent au-dessus des critiques de biais antagonistes à la Kabylie et à sa culture et attachés à Amirouche par ce sentiment naturel de loyauté que le subordonné ressent envers son chef, en particulier s’il dégage le charisme propre aux leaders exceptionnels.
Ces auteurs sont :
- Attoumi Djoudi qui a écrit les deux ouvrages suivants, édités par Ryma, maison d’édition de Tizi Ouzou : Le Colonel Amirouche entre légende et histoire (2004) Le Colonel Amirouche à la croisée des chemins (2007), deux ouvrages sortis dans la discrétion et restés plus ou moins inconnus du grand public en dépit de leur qualité à la fois littéraire et de documents historiques frappés de sincérité, de franchise et d’esprit critique.
- Hamou Amirouche, dont le livre intitulé : Akfadou, un an avec le Colonel Amirouche (Casbah Éditions, 2009), a reçu sur tout le territoire algérien un accueil digne de la qualité de son auteur et de la grandeur de son héros. L’auteur ne cache ni son attachement à Amirouche, ni l’admiration qu’il lui porte, et se montre particulièrement critique à l’égard de l’évolution politique depuis l’indépendance.
Un innocent assassiné est une victime de trop
Ces deux auteurs ne font rien pour cacher leur loyauté et leur admiration sans limites à l’égard du Colonel, traitent avec précaution et doigté, sans récuser les éventuelles accusations de dérives staliniennes, du drame de la Bleuite, qui a constitué une défaite pour tout le peuple algérien et une tache dans l’histoire de sa lutte de libération, même si ses victimes, que ce soient les hommes qui ont torturé, jugé, condamné à mort et exécuté des innocents, dont le nombre importe peu, car un innocent assassiné est une victime de trop, ou ces victimes qui avaient abandonné leurs foyers et leurs vies normales pour combattre le colonialisme, provenaient d’une seule région de notre pays. Ces anciens compagnons de Amirouche mentionnent également les soupçons de trahison qui auraient entouré les conditions de la mort au combat du Colonel. On sait, maintenant, que ces soupçons n’ont aucun fondement.
Des auteurs engagés, des ouvrages au-dessus de toute polémique
Pourquoi leurs ouvrages n’ont soulevé aucune tempête médiatique ou le déchaînement de haine et de violence verbale qui a été déclenché par le plus récent essai biographique sur Amirouche. Ce n’est ni le contenu intrinséque des ouvrages en cause, ni l’indépendance des auteurs vis-à-vis du pouvoir politique qui pourraient en expliquer la différence immense en termes de qualité et d’intensité des réactions. C’est simplement parce que ces deux auteurs n’avaient d’autres objectifs que de partager avec les lecteurs avides de connaître l’histoire de notre pays, leur expérience personnelle de collaborateurs du colonel Amirouche. Dans leurs interviews accordées à la presse locale ou nationale, ils se sont limités à expliquer les motifs qui les ont poussés à écrire leurs livres et se sont présentés comme témoins privilégiés, mais modestes, d’une page glorieuse de notre histoire. Et, pourtant, la vie de Amirouche, les évènements qui ont marqué son passage à la tête de la Wilaya III historique ne sont pas entièrement dénués de toute possibilité de polémique.(...)
Sadi pose au débat, ordonné ou non, sur son ouvrage un certain nombre de règles qui vont à l’encontre même des règles normalement acceptées dans ce genre de débat. Son livre n’est pas un programme politique et tous ses lecteurs ne sont pas des adhérents de son parti. Il aurait pu en réserver la diffusion exclusive à ses partisans en leur interdisant d’en partager le contenu avec les personnes étrangères au mouvement politique qu’il dirige. Dès lors qu’il n’a pas pris cette voie, qu’il avait tout pouvoir de prendre, il ne peut pas exiger du grand public le type d’adhésion aveugle et disciplinée de ceux qui acceptent son leadership, car membres de son parti. En fait, ses réactions aux critiques qui ont été adressées à son ouvrage prouvent, par leur violence et leur caractère acerbe, qu’il refuse tout autre type de jugement que l’approbation béate et admiratrice de la moindre de ses affirmations. Toute personne qui, à tort ou à raison, peu importe, s’aviserait de réfuter telle ou telle de ses affirmations, est exclue de son parti, car quiconque lit son livre serait, par définition, membre de son parti qu’il ait choisi de l’être ou pas. C’est là une vision totalitaire du public des lecteurs qui se retrouve dans toutes les interventions publiques que cet auteur a faite pour défendre ses vues et attaquer ses critiques.
Tous les dires de l’auteur sont vrais par définition
Pour lui, les termes du débat sont clairs : quiconque lit son livre doit accepter chacun de ses mots, chacune de ses phrases, chacun des faits reportés, chacune des affirmations proclamées comme au-dessus de toute critique. Le débat, suivant ces termes, doit se résumer à répéter mot pour mot ce qu’il écrit. Toute personne qui oserait violer ce terme de base qui lui est imposé ne peut être que manipulée par des forces occultes, mais dont, paradoxalement, tout le monde connaît les tenants et les aboutissants, ou membre de ces forces pour le compte desquelles il agit, comme agent stipendié, ou plus prosaïquement mercenaire. Aucun contradicteur n’est, au vu de l’auteur, un simple homme, libre de toutes attaches politiques ou partisanes, qui donnerait son point de vue de manière neutre. Un lecteur qui refuse de prendre comme argent comptant l’écrit en cause est étiqueté comme membre d’une vaste cabale, d’une camora qui ne dit pas son nom, d’un complot ourdi depuis longtemps et dont les membres secrets ou publics étendent leurs tentacules même au fond des cerveaux de certains, leur dictant ce qu’ils doivent dire et faire à tout instant de leur vie.
On n’aime pas le livre, donc on hait le groupe ethnique de l’auteur !
De plus, quiconque qui oserait faire preuve d’esprit critique à l’égard de ce livre serait animé par des sentiments de haine envers les membres de la région en cause. Ainsi, par exemple, les méta-moralistes qui ont prouvé que les impératifs catégoriques qui, selon Kant, doivent servir de guides aux règles morales, ne sont d’aucune utilité dans la vie morale de tous les jours, seraient, en fait, des philosophes pleins de haine pour la race germanique, et les critiques qu’ils adresseraient aux théories morales de ce philosophe allemand seraient beaucoup plus l’expression de cette haine que simplement des conclusions tirées de l’analyse des conséquences pratiques de ces impératifs. À suivre cette dialectique de la pente glissante, toute personne qui n’aimerait pas Sartre est anti-français ; quiconque préfère lire Albert Camus plutôt que Mohammed Dib serait un partisan du colonialisme et haïrait les Tlemceniens. Ceux qui trouveraient à redire aux romans de George Orwell, l’ex-gendarme colonial devenu épicier, mais auteur génial, pourraient se classer parmi les ennemis jurés de la Grande-Bretagne ; etc. etc. On pourrait croire qu’il s’agit là d’une simple caricature des termes du débat imposés par l’auteur. Mais, que l’on ne s’y méprenne pas ; telle est, hélas, la triste réalité.
Suivez "mon" débat
Quant aux thèmes du débat, il y en a trois :
1) Amirouche est un héros pur et parfait, beaucoup plus proche d’un prophète ou d’un saint que d’un homme de guerre. Tout ce qu’il dit ne peut donner lieu à revue ou correction, tout ce qu’il a accompli est parfait et il n’y a rien à y redire de quelque angle qu’on l’examine ; son comportement se conforme toujours aux nécessités des circonstances ; c’était l’ami des pauvres, des intellectuels, des prisonniers étrangers ; sans lui, l’appui de la classe politique d’une grande puissance n’aurait jamais été acquis à la cause algérienne, etc.
2) Il y a des méchants et leurs noms sont connus ; ils étaient tellement jaloux de lui et le craignaient tellement qu’ils auraient comploté sa mort avec les ennemis qu’ils combattaient. C’est un peu l’histoire inversée de Lénine, conduit dans un train blindé par les autorités allemandes pour qu’il lance la révolution ayant permis la sortie de la Russie de l’alliance avec les puissances européennes de l’Ouest, pendant la première Guerre mondiale ! Comme l’ennemi ne pouvait pas le convaincre de le transporter par avion jusqu’en Tunisie pour qu’il «secoue» les «lâches» qui se prélassaient loin des combats, et qu’il «dissolve le GPRA et l’étatmajor », il se serait entendu avec ces responsables pour qu’il les débarrasse de cet homme encombrant, dont les objectifs étaient, suivant la thématique proposée, divergeants des objectifs du leadership de la guerre de Libération nationale. Apparemment, aussi absurde que puisse apparaître ce scénario, l’auteur veut à tout prix qu’on s’y tienne. Quiconque le rejette ne pourrait qu’avoir été complice dans la mort de Amirouche.
3) Amirouche, bien que reconnu chef suprême, incontesté de la Wilaya III, pensant à tout et décidant de tout, se trouve brusquement totalement innocenté de toute participation à la Bleuite ; il n’aurait fait que suivre le mouvement, tout en le critiquant. Bref, un groupe de quatre hommes était à la fois avocats, procureurs, témoins, juges, jurys, tortionnaires et bourreaux, aurait été créé sur la propre initiative de ses membres, Amirouche aurait ignoré totalement ce qu’ils faisaient et les meurtres qu’ils étaient en train de perpétrer en se couvrant de son autorité. Là aussi, quiconque ne croirait pas à cette version du thème de la Bleuite serait un complice du pouvoir en place, aurait contribué à organiser la mort de Amirouche et serait digne d’être traduit devant un tribunal.
Sortir des versions de ces trois thèmes ; tels qu’exposés dans l’ouvrage en cause, constituerait un acte de rupture des règles de débat imposés par l’auteur et justifierait ses foudres jupitériennes. Ce qu’on reproche aux uns et aux autres, c’est le refus de respecter ces règles de jeu. L’auteur a provoqué le débat ; c’est donc son débat, et, suivant cette logique, il est normal qu’il impose ses règles à un jeu qu’il a conçu et dont il veut maîtriser chacune de ses phases, chacun de ses mouvements. Mais cette façon d’organiser les échanges de vue constitue un monologue, qu’on impose en semant la terreur par le lancement d’accusations tous azimuts contre ceux qui refusent ce type de débat à sens unique. Le caractère outrancier des attaques lancées contre tous les contestataires, tous les critiques ne s’explique pas autrement, car il n’est pas question de mettre en cause la rationalité ou l’équilibre mental de l’auteur. Va-t-il réussir à imposer envers et contre tous sa version des faits ? Rien n’est moins sûr, car, que cet auteur le veuille ou non, Amirouche reste ce qu’il est : un homme appartenant à l’histoire d’une nation, et non d’une région. En fait, Amirouche a été peut-être enterré deux fois, mais il a été déterré trois fois, la dernière fois pour servir d’arme de guerre politique dans une période sensible de l’histoire actuelle de notre pays.
En conclusion
1) L’auteur a fixé des termes et des thèmes au débat sur Amirouche pour mettre, une fois pour toutes, fin à tout débat sur cet homme appartenant à l’histoire de l’Algérie.
2) Ce n’est plus de manipulation que l’on doit parler, mais de kidnapping de l’histoire que cet auteur veut perpétrer au profit d’une cause confuse, mais néanmoins dangereuse.
3) Ce kidnapping s’effectue par des pratiques contraires à l’esprit que reflète le nom choisi pour son organisation politique, où figurent les termes de culture, mot dont l’étymologie vient d’un verbe latin, signifiant honorer (coleo) ; et de démocratie, dont le fondement est la libre discussion entre citoyens égaux de tous les problèmes de la cité.
4) Ce n’est pas en déterrant une troisième fois des héros nationaux pour en faire des armes de guerre politique qu’on les honore.
5) Ce n’est pas en manipulant les termes et les thèmes du débat que l’on fait avancer la démocratie et qu’on donne des leçons de civisme aux Algériennes et Algériens.
6) Criminaliser l’écriture de l’histoire qui ne correspond pas à ses propres vues sur elle n’est pas non plus une preuve de culture et de démocratie, ce n’est pas un crime que de refuser de donner une dimension surhumaine et divine à un homme, si héroïque a-t-il été !
7) Qu’est-ce donc que les Algériennes et les Algériens ont à gagner à appuyer une démarche et une campagne politique qui reproduit le schéma de pouvoir en place depuis 1962, mais pour le compte d’un homme et d’un groupe différents ?
On pensait que le grand problème politique du pays était un changement de système politique ; ce qui est proposé dans la démarche, c’est de garder le même système, mais au profit d’autres.
9) Cela ne s’appelle pas alternance au pouvoir, mais alternance au pillage du pays, du moins suivant la terminologie et l’analyse employées par des opposants d’intérêts, non une opposition de principes !
Mourad Benachenhou
http://www.lematindz.net/news/3107-amirouche-est-un-heros-pur-et-parfait-beaucoup-plus-proche-dun-prophete-ou-.html
Plusieurs compagnons de combat de ce colonel commandant la Wilaya III historique, et qui, donc, l’ont côtoyé et ont partagé avec les fatigues, les tensions, les dangers, les frayeurs, les actes d’héroïsme et les trahisons propres aux guerres, quelle qu’en soit la forme, ont mis par écrit leurs souvenirs et les ont soumis à la critique de leurs lecteurs. Parmi eux, on voudrait mentionner plus particulièrement deux partisans inconditionnels de Amirouche, remplissant les conditions d’origine régionale qui les mettent au-dessus des critiques de biais antagonistes à la Kabylie et à sa culture et attachés à Amirouche par ce sentiment naturel de loyauté que le subordonné ressent envers son chef, en particulier s’il dégage le charisme propre aux leaders exceptionnels.
Ces auteurs sont :
- Attoumi Djoudi qui a écrit les deux ouvrages suivants, édités par Ryma, maison d’édition de Tizi Ouzou : Le Colonel Amirouche entre légende et histoire (2004) Le Colonel Amirouche à la croisée des chemins (2007), deux ouvrages sortis dans la discrétion et restés plus ou moins inconnus du grand public en dépit de leur qualité à la fois littéraire et de documents historiques frappés de sincérité, de franchise et d’esprit critique.
- Hamou Amirouche, dont le livre intitulé : Akfadou, un an avec le Colonel Amirouche (Casbah Éditions, 2009), a reçu sur tout le territoire algérien un accueil digne de la qualité de son auteur et de la grandeur de son héros. L’auteur ne cache ni son attachement à Amirouche, ni l’admiration qu’il lui porte, et se montre particulièrement critique à l’égard de l’évolution politique depuis l’indépendance.
Un innocent assassiné est une victime de trop
Ces deux auteurs ne font rien pour cacher leur loyauté et leur admiration sans limites à l’égard du Colonel, traitent avec précaution et doigté, sans récuser les éventuelles accusations de dérives staliniennes, du drame de la Bleuite, qui a constitué une défaite pour tout le peuple algérien et une tache dans l’histoire de sa lutte de libération, même si ses victimes, que ce soient les hommes qui ont torturé, jugé, condamné à mort et exécuté des innocents, dont le nombre importe peu, car un innocent assassiné est une victime de trop, ou ces victimes qui avaient abandonné leurs foyers et leurs vies normales pour combattre le colonialisme, provenaient d’une seule région de notre pays. Ces anciens compagnons de Amirouche mentionnent également les soupçons de trahison qui auraient entouré les conditions de la mort au combat du Colonel. On sait, maintenant, que ces soupçons n’ont aucun fondement.
Des auteurs engagés, des ouvrages au-dessus de toute polémique
Pourquoi leurs ouvrages n’ont soulevé aucune tempête médiatique ou le déchaînement de haine et de violence verbale qui a été déclenché par le plus récent essai biographique sur Amirouche. Ce n’est ni le contenu intrinséque des ouvrages en cause, ni l’indépendance des auteurs vis-à-vis du pouvoir politique qui pourraient en expliquer la différence immense en termes de qualité et d’intensité des réactions. C’est simplement parce que ces deux auteurs n’avaient d’autres objectifs que de partager avec les lecteurs avides de connaître l’histoire de notre pays, leur expérience personnelle de collaborateurs du colonel Amirouche. Dans leurs interviews accordées à la presse locale ou nationale, ils se sont limités à expliquer les motifs qui les ont poussés à écrire leurs livres et se sont présentés comme témoins privilégiés, mais modestes, d’une page glorieuse de notre histoire. Et, pourtant, la vie de Amirouche, les évènements qui ont marqué son passage à la tête de la Wilaya III historique ne sont pas entièrement dénués de toute possibilité de polémique.(...)
Sadi pose au débat, ordonné ou non, sur son ouvrage un certain nombre de règles qui vont à l’encontre même des règles normalement acceptées dans ce genre de débat. Son livre n’est pas un programme politique et tous ses lecteurs ne sont pas des adhérents de son parti. Il aurait pu en réserver la diffusion exclusive à ses partisans en leur interdisant d’en partager le contenu avec les personnes étrangères au mouvement politique qu’il dirige. Dès lors qu’il n’a pas pris cette voie, qu’il avait tout pouvoir de prendre, il ne peut pas exiger du grand public le type d’adhésion aveugle et disciplinée de ceux qui acceptent son leadership, car membres de son parti. En fait, ses réactions aux critiques qui ont été adressées à son ouvrage prouvent, par leur violence et leur caractère acerbe, qu’il refuse tout autre type de jugement que l’approbation béate et admiratrice de la moindre de ses affirmations. Toute personne qui, à tort ou à raison, peu importe, s’aviserait de réfuter telle ou telle de ses affirmations, est exclue de son parti, car quiconque lit son livre serait, par définition, membre de son parti qu’il ait choisi de l’être ou pas. C’est là une vision totalitaire du public des lecteurs qui se retrouve dans toutes les interventions publiques que cet auteur a faite pour défendre ses vues et attaquer ses critiques.
Tous les dires de l’auteur sont vrais par définition
Pour lui, les termes du débat sont clairs : quiconque lit son livre doit accepter chacun de ses mots, chacune de ses phrases, chacun des faits reportés, chacune des affirmations proclamées comme au-dessus de toute critique. Le débat, suivant ces termes, doit se résumer à répéter mot pour mot ce qu’il écrit. Toute personne qui oserait violer ce terme de base qui lui est imposé ne peut être que manipulée par des forces occultes, mais dont, paradoxalement, tout le monde connaît les tenants et les aboutissants, ou membre de ces forces pour le compte desquelles il agit, comme agent stipendié, ou plus prosaïquement mercenaire. Aucun contradicteur n’est, au vu de l’auteur, un simple homme, libre de toutes attaches politiques ou partisanes, qui donnerait son point de vue de manière neutre. Un lecteur qui refuse de prendre comme argent comptant l’écrit en cause est étiqueté comme membre d’une vaste cabale, d’une camora qui ne dit pas son nom, d’un complot ourdi depuis longtemps et dont les membres secrets ou publics étendent leurs tentacules même au fond des cerveaux de certains, leur dictant ce qu’ils doivent dire et faire à tout instant de leur vie.
On n’aime pas le livre, donc on hait le groupe ethnique de l’auteur !
De plus, quiconque qui oserait faire preuve d’esprit critique à l’égard de ce livre serait animé par des sentiments de haine envers les membres de la région en cause. Ainsi, par exemple, les méta-moralistes qui ont prouvé que les impératifs catégoriques qui, selon Kant, doivent servir de guides aux règles morales, ne sont d’aucune utilité dans la vie morale de tous les jours, seraient, en fait, des philosophes pleins de haine pour la race germanique, et les critiques qu’ils adresseraient aux théories morales de ce philosophe allemand seraient beaucoup plus l’expression de cette haine que simplement des conclusions tirées de l’analyse des conséquences pratiques de ces impératifs. À suivre cette dialectique de la pente glissante, toute personne qui n’aimerait pas Sartre est anti-français ; quiconque préfère lire Albert Camus plutôt que Mohammed Dib serait un partisan du colonialisme et haïrait les Tlemceniens. Ceux qui trouveraient à redire aux romans de George Orwell, l’ex-gendarme colonial devenu épicier, mais auteur génial, pourraient se classer parmi les ennemis jurés de la Grande-Bretagne ; etc. etc. On pourrait croire qu’il s’agit là d’une simple caricature des termes du débat imposés par l’auteur. Mais, que l’on ne s’y méprenne pas ; telle est, hélas, la triste réalité.
Suivez "mon" débat
Quant aux thèmes du débat, il y en a trois :
1) Amirouche est un héros pur et parfait, beaucoup plus proche d’un prophète ou d’un saint que d’un homme de guerre. Tout ce qu’il dit ne peut donner lieu à revue ou correction, tout ce qu’il a accompli est parfait et il n’y a rien à y redire de quelque angle qu’on l’examine ; son comportement se conforme toujours aux nécessités des circonstances ; c’était l’ami des pauvres, des intellectuels, des prisonniers étrangers ; sans lui, l’appui de la classe politique d’une grande puissance n’aurait jamais été acquis à la cause algérienne, etc.
2) Il y a des méchants et leurs noms sont connus ; ils étaient tellement jaloux de lui et le craignaient tellement qu’ils auraient comploté sa mort avec les ennemis qu’ils combattaient. C’est un peu l’histoire inversée de Lénine, conduit dans un train blindé par les autorités allemandes pour qu’il lance la révolution ayant permis la sortie de la Russie de l’alliance avec les puissances européennes de l’Ouest, pendant la première Guerre mondiale ! Comme l’ennemi ne pouvait pas le convaincre de le transporter par avion jusqu’en Tunisie pour qu’il «secoue» les «lâches» qui se prélassaient loin des combats, et qu’il «dissolve le GPRA et l’étatmajor », il se serait entendu avec ces responsables pour qu’il les débarrasse de cet homme encombrant, dont les objectifs étaient, suivant la thématique proposée, divergeants des objectifs du leadership de la guerre de Libération nationale. Apparemment, aussi absurde que puisse apparaître ce scénario, l’auteur veut à tout prix qu’on s’y tienne. Quiconque le rejette ne pourrait qu’avoir été complice dans la mort de Amirouche.
3) Amirouche, bien que reconnu chef suprême, incontesté de la Wilaya III, pensant à tout et décidant de tout, se trouve brusquement totalement innocenté de toute participation à la Bleuite ; il n’aurait fait que suivre le mouvement, tout en le critiquant. Bref, un groupe de quatre hommes était à la fois avocats, procureurs, témoins, juges, jurys, tortionnaires et bourreaux, aurait été créé sur la propre initiative de ses membres, Amirouche aurait ignoré totalement ce qu’ils faisaient et les meurtres qu’ils étaient en train de perpétrer en se couvrant de son autorité. Là aussi, quiconque ne croirait pas à cette version du thème de la Bleuite serait un complice du pouvoir en place, aurait contribué à organiser la mort de Amirouche et serait digne d’être traduit devant un tribunal.
Sortir des versions de ces trois thèmes ; tels qu’exposés dans l’ouvrage en cause, constituerait un acte de rupture des règles de débat imposés par l’auteur et justifierait ses foudres jupitériennes. Ce qu’on reproche aux uns et aux autres, c’est le refus de respecter ces règles de jeu. L’auteur a provoqué le débat ; c’est donc son débat, et, suivant cette logique, il est normal qu’il impose ses règles à un jeu qu’il a conçu et dont il veut maîtriser chacune de ses phases, chacun de ses mouvements. Mais cette façon d’organiser les échanges de vue constitue un monologue, qu’on impose en semant la terreur par le lancement d’accusations tous azimuts contre ceux qui refusent ce type de débat à sens unique. Le caractère outrancier des attaques lancées contre tous les contestataires, tous les critiques ne s’explique pas autrement, car il n’est pas question de mettre en cause la rationalité ou l’équilibre mental de l’auteur. Va-t-il réussir à imposer envers et contre tous sa version des faits ? Rien n’est moins sûr, car, que cet auteur le veuille ou non, Amirouche reste ce qu’il est : un homme appartenant à l’histoire d’une nation, et non d’une région. En fait, Amirouche a été peut-être enterré deux fois, mais il a été déterré trois fois, la dernière fois pour servir d’arme de guerre politique dans une période sensible de l’histoire actuelle de notre pays.
En conclusion
1) L’auteur a fixé des termes et des thèmes au débat sur Amirouche pour mettre, une fois pour toutes, fin à tout débat sur cet homme appartenant à l’histoire de l’Algérie.
2) Ce n’est plus de manipulation que l’on doit parler, mais de kidnapping de l’histoire que cet auteur veut perpétrer au profit d’une cause confuse, mais néanmoins dangereuse.
3) Ce kidnapping s’effectue par des pratiques contraires à l’esprit que reflète le nom choisi pour son organisation politique, où figurent les termes de culture, mot dont l’étymologie vient d’un verbe latin, signifiant honorer (coleo) ; et de démocratie, dont le fondement est la libre discussion entre citoyens égaux de tous les problèmes de la cité.
4) Ce n’est pas en déterrant une troisième fois des héros nationaux pour en faire des armes de guerre politique qu’on les honore.
5) Ce n’est pas en manipulant les termes et les thèmes du débat que l’on fait avancer la démocratie et qu’on donne des leçons de civisme aux Algériennes et Algériens.
6) Criminaliser l’écriture de l’histoire qui ne correspond pas à ses propres vues sur elle n’est pas non plus une preuve de culture et de démocratie, ce n’est pas un crime que de refuser de donner une dimension surhumaine et divine à un homme, si héroïque a-t-il été !
7) Qu’est-ce donc que les Algériennes et les Algériens ont à gagner à appuyer une démarche et une campagne politique qui reproduit le schéma de pouvoir en place depuis 1962, mais pour le compte d’un homme et d’un groupe différents ?
On pensait que le grand problème politique du pays était un changement de système politique ; ce qui est proposé dans la démarche, c’est de garder le même système, mais au profit d’autres.
9) Cela ne s’appelle pas alternance au pouvoir, mais alternance au pillage du pays, du moins suivant la terminologie et l’analyse employées par des opposants d’intérêts, non une opposition de principes !
Mourad Benachenhou
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femme libre- Nombre de messages : 651
Date d'inscription : 22/02/2009
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