Temps sacré et sacré temps ! par Khaled Lemnaouer

Temps sacré et sacré temps !

Khaled Lemnaouer
Le Soir d'Algérie : 12 - 04 - 2010


A l'instar de toutes les villes du pays, celle-ci grouille de jeunes. Cette masse juvénile représente ici plus de 70 % de la population. Parmi ces jeunes, on trouve des étudiants (souvent), des travailleurs (quelquefois), des chômeurs (toujours). Mais si toutes ces catégories de jeunes sont différentes les unes des autres, elles ont un ennemi commun : le temps.
Pour les sans-travail, l'ennemi est plus redoutable encore, plus vorace, parce que le temps a tout le temps de faire inexorablement des ravages. Mais pour les autres aussi, le temps est un épouvantail effroyable pour ne pas dire un effroyable épouvantail ! Que faire après la sortie de l'école ou du travail ? Où aller ? Au cinéma ? Au cyber ? Regarder la Télé ? Faire les mots croisés ? Lire ? Se promener ? Jouer au domino ? Faire du sport ? Discuter avec les copains ? Ecouter de la musique ? Dormir ? Ou s'occuper à ne rien faire ? Que font donc ces jeunes de cette ville de leur temps libre ? Ou plutôt, comment fond le temps chez ces jeunes libres ? C'est la question posée à quelques-uns d'entre eux. Et le moins que l'on puisse dire est que les réponses sont tout à fait inattendues. Jugez-en.
Rachid, chômeur : «Qu'est-ce que je fais de mon temps libre ? Vous avez vraiment la plaisanterie facile, vous ! Savez-vous qu'un chômeur est un «sans emploi» du temps ? D'abord un temps libre s'entend par opposition au temps occupé, ce qui n'est pas mon cas. Mais puisque vous insistez, voici ma réponse : j'emploi mon temps libre à réfléchir au moyen de l'occuper. Et comme cela me prend tout le temps, je n'arrive donc pas à trouver un temps à consacrer au temps libre.»
Brahim, professeur d'anglais : «Une grande partie de mon temps est absorbée par mon travail à l'école et à la préparation des leçons à la maison. Le reste est consacré à ma fiancée auprès de laquelle je coule des moments de bonheur. Pour moi donc, le temps est un ami, et, contrairement à ceux qui le trouvent long, moi je le trouve plutôt court. Une définition du temps ? Je dirais que le temps est une belle pomme qu'il faut croquer à pleines dents, sans tarder, parce qu'on peut tomber à jamais dans les pommes d'un instant à l'autre...»
Saïd, contractuel : «Le temps libre, dites-vous ? Le mot libre peut signifier «vivre» alors que dans cette ville on se contente d'exister seulement. Et encore ! Pour moi, le temps libre est enfermé dans une prison dont on a jeté la clef dans un puits sans fond. Tiens, un puits sans fond ! Voilà la définition que je donnerais du temps. Et en ce qui me concerne, j'ajouterais sans... fonds.»
Farida, lycéenne, 3eA.S. : «Je dois d'abord vous dire que la préparation de l'examen du bac ne me laisse pas beaucoup de temps libre pour penser au temps libre. Mais voici en vrac à quoi ce dernier me fait penser : au jeu, parce que « perdre et gagner du temps» ; au sport, parce que «rattraper le temps» ; à un tamis, parce que «passer le temps. En vérité, je suis toujours angoissée par le temps que j'ai appris à conjuguer à tous les temps. Et puis, je sais qu'après avoir vécu tout le temps avec un emploi du temps, je serai appelée un jour à vivre le temps de l'emploi. Vous comprenez à présent pourquoi je désire laisser le temps autant ?»
Saâdia, universitaire : «Le temps n'est pas perçu de la même manière ici et ailleurs. J'en veux pour exemple ces deux proverbes anglais et arabe : Time is money» et «Koul aâtla fiha kheir». Les premiers pensent qu'il faut utiliser le temps pour avoir l'argent, les seconds pensent qu'il faut utiliser l'argent pour avoir le temps...»