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Entretien avec Ali Kaidi, professeur de philosophie à l’université d’Alger

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Entretien avec Ali Kaidi, professeur de philosophie à l’université d’Alger Empty Entretien avec Ali Kaidi, professeur de philosophie à l’université d’Alger

Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 16:51

Entretien avec Ali Kaidi, professeur de philosophie à l’université d’Alger.


Militant démocrate de longue date, Mr Ali Kaidi n’a pas la langue dans la poche quand il s’agit de commettre la parole osée quand tout un peuple est réduit à son stade aphasique. Quand la parole, rien que la parole, est acte mutin qui sculpte le rêve dans des horizons rêveurs… Mr Ali Kaidi est professeur de philosophie à l’université Alger 2 depuis plusieurs années. Sa thèse de doctorat porte sur La philosophie politique de Spinoza et sa relation avec l’héritage politique hobbesien et son magister, lui, sur La position de l’état de nature par rapport à l’état politique dans la philosophie politique de Spinoza. Deux thèses qui ont incontestablement forgé la profondeur d’un regard, affûté une vision aussi pénétrante que simple à comprendre. Le professeur est convaincu que la démocratie est pour l’homme ce que la nature est pour la différence. Bref, tous les peuples méritent la démocratie. Car, la démocratie est de l’ordre de la nature. Voici un modeste entretien qu’il a livré récemment au journal Les débats et dans lequel il nous livre un bout de son regard.

M. Ali Kaidi, docteur en philosophie politique et enseignant à l’université Alger 2

«Le changement doit aller dans le sens d’un système parlementaire réel»

Le débat national ouvert au début de l’année ayant trait aux réformes politiques qui doivent avoir lieu de façon impérative a tendance à se généraliser à tous les acteurs politiques et également aux représentants de la société civile. Les points de vue et avis les plus divers émergent petit à petit, exprimant toute la richesse d’une société, la nôtre, qui se sent concernée au plus haut point par son devenir.



«Les Débats» : A l’ombre d’une contestation ascendante, le pouvoir, on le voit, fait de plus en plus de concessions, mais beaucoup plus sociales. Qu’en est-il du politique ?

M. Ali Kaidi : D’abord, signalons la mentalité qui règne actuellement en Algérie : on voit défiler les chiffres qui donnent le vertige et des recettes faramineuses engrangées par l’exportation des hydrocarbures. Mais il n’y a pas, pour autant, une réelle traduction de la manne pétrolière en une aisance sociale. Que pense l’Algérien ? Il ne veut plus servir son pays et lui être utile. Tout ce à quoi il aspire, c’est sa part du gâteau, ce qui est vraiment désolant. Encouragées par les révolutions des voisins, mais beaucoup plus sur un plan social, différentes corporations se sont élevées pour parfois demander des augmentations salariales et des avantages sociaux exagérés. Et le pouvoir ne peut que les satisfaire ou du moins faire la promesse de les satisfaire dans des délais, eux aussi, exagérés. Cependant, construire un logement nécessite du temps. Et pour construire des centaines de milliers de logements… Créer un poste d’emploi permanant nécessite beaucoup d’argent et beaucoup d’efforts. Qu’en est-il de milliers de postes d’emploi que les Algériens veulent dans l’immédiat

Pour les réformes politiques dont on fait sans cesse la promesse, ils sont d’une autre logique. Le peu de concessions que le pouvoir a fait ou qu’il a promis de faire sont une politique d’apaisement, puisqu’il souffre de manque ou plutôt de l’absence totale de légitimité. Ajoutée à cela l’absence de contrepoids dans la gestion des affaires du pays qui a induit une crise politique sans précédant. Voyons, en guise d’exemple, nos voisins et pays arabes qui ont connu des soulèvements. Dès qu’un mouvement de quelque ordre soit-il est perçu à l’horizon, les présidents ou les rois promettent des réformes politiques, ce qui est dû beaucoup plus à une carence en légitimité. On les voit même se rétracter et revenir sur des décisions qu’ils ont déjà signées et approuvées, ce qui dénote le flou et la fragilité du système. Un président, un pouvoir et un système légitimes n’ont pas a avoir peur devant les barons, la mafia et les lobbys qui se forment par-ci par-là, car il n’a de comptes à rendre à personne sauf bien sûr au peuple qu’il est censés servir.



Le pouvoir a satisfait, entre autres, les revendications des enseignants contractuels. Serait-ce une erreur qui poussera toute corporation à vouloir aller jusqu’au bout de ses revendications ?

Tout à fait ! C’est tout le monde qui va dire : «Les contractuels ont réussi, les gardes communaux sont sur le point de le faire… et pourquoi pas nous ?» Et il ne faut pas aussi perdre de vue que le retard accusé par le pays durant la décennie noir qui, on le sait, est difficilement rattrapable, va pousser la contestation à des degrés inattendus, car il y a beaucoup de chantiers qui sont restés à l’abandon et leur relance n’est pas toujours facile. Prenons l’exemple du marché informel qui est devenu tentaculaire et face auquel les autorités demeurent impuissantes. On a pris des mesures pour son éradication, mais on a peur de la grogne sociale de ceux qui y activent mais aussi des barons de l’importation qui y vendent leurs marchandises.



Et pour le pouvoir, quelle sera la solution ?

Pour qu’il puisse aspirer à une sortie honorable de la crise, il faudra qu’il opère de réelles réformes politiques à même de mettre fin à la crise de légitimité qu’il traverse et ainsi réinstaurer la confiance entre la base et le sommet, laquelle est depuis longtemps perdue. Contrairement aux mesures économiques et sociales, cela ne va pas supposer, comme on l’a cité plus haut, des budget s faramineux et un temps trop long. Elles devraient être des reformes qui permettront à tout un chacun de trouver son compte ainsi qu’une représentativité au sein du système politique qui est actuellement fermé sur lui-même, car un pouvoir à une seule tête ouvre les portes à toutes les dérives. Quant on sait que le Parlement n’est actuellement qu’une chambre d’enregistrement, on se rend compte de la gravité de la situation. Ajoutons à cela la profanation de la Constitution qui remet en cause, elle aussi, la légitimité du pouvoir en place. L’accaparement d’une large marge de ce pouvoir laisse tout le monde frustré. Un changement doit aller dans le sens d’un système parlementaire réel et d’une séparation des pouvoirs, seuls susceptibles de créer un équilibre politique.



L’opposition actuellement a du mal à se faire entendre et drainer les foules souhaitées pour un réel changement, ou du moins participer à la création de cet équilibre dont vous parlez. Quelles sont à votre avis les causes d’une telle inhibition politique ?

Les populations sont, à un point jamais égalé auparavant, dépolitisées. Cela est dû bien évidemment à l’expérience amère que nous avons eu à vivre durant la décennie noire. On se dit, ou du moins on le sent au plus profond de nous-même, que tout le malheur que nous avons eu à vivre était le fruit de la politique. En d’autres mots, quand deux événements se succèdent, on considère le deuxième comme étant le fruit du premier. Pour les Algériens, la longue décennie qui a vu le sang des nôtres couler est la conséquence directe de l’ouverture politique de la fin des années quatre vingt. Cela a mené de facto à la diabolisation du politique. A cela s’ajoute l’ambiguïté des lignes politiques des partis qui donnent parfois la «nausée». On voit effectivement les partis politiques tenir des discours mitigés qui les met en proie à tous les doutes, et leur fait ainsi perdre leur base, et ils ne pourront aussi avoir de nouvelles recrues. Il y a même des partis politiques qui sont conscients que jamais, du moins dans les circonstances politiques, culturelles, sociales, internationales… actuelles, atteindre le trône, et au lieu d’adopter un discours clair et des idéaux à même de leur permettre de convaincre quelques franges de la société, il font dans la poésie et la littérature. Au lieu, dans un sens restreint, de faire de sorte que les gens aillent vers eux et épousent leurs idées, ils essayent d’aller vers le peuple dans la perspective d’avoir le maximum de sympathisants et de militants. Mais leurs démarches restent non visées, parfois aléatoires. Je m’explique : un parti politique qui aspire à instaurer une nouvelle république qui aura comme l’un des fondement la laïcité devrait justement battre toutes ses cartes et il aura, de la sorte, tout à gagner. Car il y a même des laïques en Algérie, sans être pour autant, comme on a tendance à le penser, athées. Ce genre de partis, s’ils arrivent à éclaircir leurs projets de société, pourront constituer une force politique et de là servir de contrepoids au pouvoir en place. Ils pourront ainsi dénoncer ses abus en tant que formation représentative sans obligation d’être au sommet.



Cela aurait été l’idéal, car ce serait vraiment la démocratie dans tous ses sens ! Mais on a tendance à dire qu’on est incapable de démocratie. Il y a même ceux qui disent que celle-ci (la démocratie) devrait nous être injectée au compte-gouttes…

On n’a pas forcément besoin de beaucoups de diplômes, d’un grand savoir et d’une vie prospère pour aspirer à la démocratie. Les défenseurs de la thèse selon laquelle les Algériens ne sont pas encore préparés à un système démocratique font fausse route, car pour qu’une réelle démocratie soit instaurée, on aura besoin de la liberté et de l’égalité, les deux fondements de la démocratie qui sont inhérents à la nature de l’être humain.

Pour ce qui est de la liberté, l’Algérien est connu pour l’amour qu’il lui porte, et le million et demi de martyrs, à eux seuls, le prouvent largement. Quant à l’égalité, elle reste à construire. Mais il faut signaler que penser que nous ne soyons pas capables de démocratie vient de l’expérience de l’ouverture démocratique de 1989 qui n’a pas vraiment été une démocratie.



Aujourd’hui, tout le monde parle de changement, le pouvoir y compris, mais chacun à sa propre vision de la chose. Cependant, il y a une différence de taille entre les uns et les autres. Il y a ceux qui prêchent pour un changement qui viendrait du système lui-même et ceux qui voudraient qu’il vienne de l’extérieur du système. Où réside réellement la différence ?

Un changement qui viendrait du système ne peut qu’être partiel. En revanche, celui qui viendrait de l’extérieur serait total. Si le système actuel propose son propre changement, c’est qu’il veut sauver la face, car il sent qu’on veut sa tête.

Mais une chose est sûre : on doit s’attendre à des reformes qui ne seront pas à la hauteur des aspirations des différentes parties de l’opposition. Pour preuve : la levée de l’état d’urgence n’est qu’une formalité, puisque le droit de marcher sur Alger est toujours dénié. Par contre, un changement, comme je l’ai dit, va remettre en cause toutes les institutions du système.

Propos recueillis par Hamid Fekhart

Source: journal Les Débats du 06/04/2011
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