1ER ACCROCHAGE DANS LA REGION : TIBOUALAMINE 15 DÉCEMBRE 1955
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1ER ACCROCHAGE DANS LA REGION : TIBOUALAMINE 15 DÉCEMBRE 1955
ACCROCHAGE DANS LA REGION : TIBOUALAMINE 15 DÉCEMBRE 1955
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iver 1955. Le cirque de montagnes en entonnoir encore couvertes de neige entoure de sa blancheur le lieudit Tiboualamine situé à Aït Bouissi, l’un des douars de la commune mixte de Oued-Marsa. Le mois de décembre entame sa deuxième quinzaine au moment où les chrétiens s’apprêtent à célébrer les fêtes de fin d’année. Ce jeudi-là, sous un ciel gris et par un froid glacial, des fellahs labourent un champ ; l’araire bien en mains, ils creusent les sillons dans la terre meuble. Absorbés par leur besogne, ils ne remarquent pas le groupe d’hommes armés qui descend en file indienne le versant d’une vallée encaissée.
Les trente six hommes sont vêtus de tenues militaires neuves et portent des fusils en bandoulière et des grenades offensives. Seul celui qui semble être l’officier possède une mitraillette.
Quand celui-ci les interpelle, les paysans restent médusés devant ces fameux Moudjahidine dont ils ont entendu parler mais qu’ils n’ont encore jamais vus. La légende raconte même que ces hommes pouvaient prendre à leur guise des formes animales différentes, et que leurs corps étaient réfractaires aux balles des armes à feu. A l’évocation de cette pensée, ils ont de la peine à cacher le sentiment irraisonné mêlé de crainte et de curiosité qui les étreint à cet instant. Mais le sourire et l’attitude paisible du chef rassurent aussitôt les agriculteurs qui s’avancent pour donner l’accolade à leurs compatriotes.
L’homme à la mitraillette leur adresse la parole en arabe :
« Mes frères, à voir votre étonnement on devine que c’est la première fois que vous rencontrez des Moudjahidine. Depuis le 1er Novembre 1954, la Révolution algérienne, c'est-à-dire la guerre de la liberté contre l’occupant, est en marche. Nous sommes venus ici chercher le soutien du peuple pour continuer la lutte.
L’un des laboureurs se propose d’accompagner les hommes chez Mohamed Lakhdar, imam et chef du village. Celui-ci, comme s’il les attendait, les accueille chaleureusement et leur offre l’hospitalité en désignant trois foyers pour les héberger. En outre, pour leur permettre de se réunir en privé, il attribue aux quatre responsables la petite salle de prière réservée chaque semaine aux femmes[1]. Le lendemain, vendredi, vers quatorze heures, après la grande prière hebdomadaire, l’un des Moudjahidine, qui répond au nom de Si Brahim, monte sur le Minbar[2]et prononce un discours devant un nombreux auditoire essentiellement masculin. Il met en évidence les exactions commises par le régime français envers le peuple algérien depuis cent vingt-cinq ans. Puis, en ponctuant ses paroles d’une voix forte, il déclare que l’heure du Djihad est enfin venue et que chaque Algérien est concerné par cette résistance. Il souligne longuement l’importance de l’unité nationale pour venir à bout de ce pouvoir oppressif. Puis, il conclut son exhortation en levant le poing dans un geste de triomphe :
« Avec vous, nous vaincrons, et nous recouvrerons notre dignité ! Tahia El Djazaïr ! »
Ensuite tout le monde sort de la mosquée. Si Brahim demande à un petit garçon de lui procurer un long bâton sur lequel il fixe le drapeau algérien retiré d’une sacoche. Et au moment où il brandit l’emblème national qui ondoie dans le vent, les Moudjahidine alignés en formation militaire entonnent l’hymne à la gloire de la révolution :
« Min Djibalina…»
Sur ces entrefaites, les guetteurs donnent l’alarme. Ils viennent d’apercevoir à la jumelle des mouvements de soldats convergeant vers la mosquée. Dans une manœuvre d’encerclement, l’armée française progresse à partir de quatre points différents : Tizi Ibaouène, La crête Amirouche, Tizi Ouel et Aït Meloul. Sans s’affoler outre mesure, le chef des Moudjahidine demande à ses hommes d’un signe entendu de mener le chant à son terme.
Puis, les maquisards se déploient dans un mouvement défensif tandis que les habitants rentrent dans leurs foyers. Un moment après, des détonations retentissent soudainement et des fusillades éclatent s’amplifiant de tous les échos qu’elles éveillent dans la large cuvette géographique. Amari Hadj Messaoud, né en 1919, se souvient de ces rafales et échanges de coups de feu ininterrompus et inhabituels qui apparaissaient alors dans son esprit comme une vision de mort et d’enfer. A un moment donné, le vrombissement d’un avion – un mouchard – vient s’ajouter au bruit infernal des détonations. Les pétarades durent plus de quatre heures jusqu’au déclin du jour.
Puis, plus rien. Les troupes ennemies repartent en emportant à dos de mulet un soldat sénégalais abattu au cours de l’affrontement. Quant aux combattants algériens, ils se sont volatilisés.
Le lendemain, au point du jour, la petite bergère Tassaadit court annoncer à la population la découverte du corps recroquevillé et sans vie d’un moudjahid au lieudit Agni. C’est celui de Si Brahim. La dépouille est transportée dans la mosquée où les autorités coloniales viendront la photographier.
Le corps de Si Brahim sera inhumé tel quel, avec sa tenue ensanglantée, dans le cimetière dénommé Tizamourine pour sa proximité avec les oliveraies qui l’entourent. La sépulture du martyr, désignée par l’expression « Tombe de l’étranger », deviendra pour les femmes un lieu de pèlerinage. Le jour suivant, les Moudjahidine reviennent à Tiboualamine et arrêtent trois habitants qu’ils interrogent longuement à l’écart avant de les libérer.
Avant de continuer leur marche vers d’autres horizons, les maquisards nomment un comité chargé de coordonner les actions logistiques dans la région. Le groupe des cinq est composé de Mouhoubi Ali, président, Azibi Amar, Mohli Mouloud, Amari Messaoud et Djouder mohamed.
Depuis cette date historique, quand on évoque le déclenchement de la Révolution algérienne dans la région, c’est l’accrochage de Tiboualamine qui vient d’abord à l’esprit. C’est dans ce hameau que le premier tir de guerre est tiré, que le premier soldat ennemi est tué, et que le premier martyr de la liberté et de la résistance est tombé au champ d’honneur.
Pourtant, à ce jour, aucune stèle n’a été érigée dans ce lieu mémorable pour immortaliser le souvenir de cet événement.
[1] Ce lieu de prière était en avance sur son temps car, bien avant d’autres mosquées, les femmes y étaient tolérées.
[2] Chaire de l’Imam.
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iver 1955. Le cirque de montagnes en entonnoir encore couvertes de neige entoure de sa blancheur le lieudit Tiboualamine situé à Aït Bouissi, l’un des douars de la commune mixte de Oued-Marsa. Le mois de décembre entame sa deuxième quinzaine au moment où les chrétiens s’apprêtent à célébrer les fêtes de fin d’année. Ce jeudi-là, sous un ciel gris et par un froid glacial, des fellahs labourent un champ ; l’araire bien en mains, ils creusent les sillons dans la terre meuble. Absorbés par leur besogne, ils ne remarquent pas le groupe d’hommes armés qui descend en file indienne le versant d’une vallée encaissée.
Les trente six hommes sont vêtus de tenues militaires neuves et portent des fusils en bandoulière et des grenades offensives. Seul celui qui semble être l’officier possède une mitraillette.
Quand celui-ci les interpelle, les paysans restent médusés devant ces fameux Moudjahidine dont ils ont entendu parler mais qu’ils n’ont encore jamais vus. La légende raconte même que ces hommes pouvaient prendre à leur guise des formes animales différentes, et que leurs corps étaient réfractaires aux balles des armes à feu. A l’évocation de cette pensée, ils ont de la peine à cacher le sentiment irraisonné mêlé de crainte et de curiosité qui les étreint à cet instant. Mais le sourire et l’attitude paisible du chef rassurent aussitôt les agriculteurs qui s’avancent pour donner l’accolade à leurs compatriotes.
L’homme à la mitraillette leur adresse la parole en arabe :
« Mes frères, à voir votre étonnement on devine que c’est la première fois que vous rencontrez des Moudjahidine. Depuis le 1er Novembre 1954, la Révolution algérienne, c'est-à-dire la guerre de la liberté contre l’occupant, est en marche. Nous sommes venus ici chercher le soutien du peuple pour continuer la lutte.
L’un des laboureurs se propose d’accompagner les hommes chez Mohamed Lakhdar, imam et chef du village. Celui-ci, comme s’il les attendait, les accueille chaleureusement et leur offre l’hospitalité en désignant trois foyers pour les héberger. En outre, pour leur permettre de se réunir en privé, il attribue aux quatre responsables la petite salle de prière réservée chaque semaine aux femmes[1]. Le lendemain, vendredi, vers quatorze heures, après la grande prière hebdomadaire, l’un des Moudjahidine, qui répond au nom de Si Brahim, monte sur le Minbar[2]et prononce un discours devant un nombreux auditoire essentiellement masculin. Il met en évidence les exactions commises par le régime français envers le peuple algérien depuis cent vingt-cinq ans. Puis, en ponctuant ses paroles d’une voix forte, il déclare que l’heure du Djihad est enfin venue et que chaque Algérien est concerné par cette résistance. Il souligne longuement l’importance de l’unité nationale pour venir à bout de ce pouvoir oppressif. Puis, il conclut son exhortation en levant le poing dans un geste de triomphe :
« Avec vous, nous vaincrons, et nous recouvrerons notre dignité ! Tahia El Djazaïr ! »
Ensuite tout le monde sort de la mosquée. Si Brahim demande à un petit garçon de lui procurer un long bâton sur lequel il fixe le drapeau algérien retiré d’une sacoche. Et au moment où il brandit l’emblème national qui ondoie dans le vent, les Moudjahidine alignés en formation militaire entonnent l’hymne à la gloire de la révolution :
« Min Djibalina…»
Sur ces entrefaites, les guetteurs donnent l’alarme. Ils viennent d’apercevoir à la jumelle des mouvements de soldats convergeant vers la mosquée. Dans une manœuvre d’encerclement, l’armée française progresse à partir de quatre points différents : Tizi Ibaouène, La crête Amirouche, Tizi Ouel et Aït Meloul. Sans s’affoler outre mesure, le chef des Moudjahidine demande à ses hommes d’un signe entendu de mener le chant à son terme.
Puis, les maquisards se déploient dans un mouvement défensif tandis que les habitants rentrent dans leurs foyers. Un moment après, des détonations retentissent soudainement et des fusillades éclatent s’amplifiant de tous les échos qu’elles éveillent dans la large cuvette géographique. Amari Hadj Messaoud, né en 1919, se souvient de ces rafales et échanges de coups de feu ininterrompus et inhabituels qui apparaissaient alors dans son esprit comme une vision de mort et d’enfer. A un moment donné, le vrombissement d’un avion – un mouchard – vient s’ajouter au bruit infernal des détonations. Les pétarades durent plus de quatre heures jusqu’au déclin du jour.
Puis, plus rien. Les troupes ennemies repartent en emportant à dos de mulet un soldat sénégalais abattu au cours de l’affrontement. Quant aux combattants algériens, ils se sont volatilisés.
Le lendemain, au point du jour, la petite bergère Tassaadit court annoncer à la population la découverte du corps recroquevillé et sans vie d’un moudjahid au lieudit Agni. C’est celui de Si Brahim. La dépouille est transportée dans la mosquée où les autorités coloniales viendront la photographier.
Le corps de Si Brahim sera inhumé tel quel, avec sa tenue ensanglantée, dans le cimetière dénommé Tizamourine pour sa proximité avec les oliveraies qui l’entourent. La sépulture du martyr, désignée par l’expression « Tombe de l’étranger », deviendra pour les femmes un lieu de pèlerinage. Le jour suivant, les Moudjahidine reviennent à Tiboualamine et arrêtent trois habitants qu’ils interrogent longuement à l’écart avant de les libérer.
Avant de continuer leur marche vers d’autres horizons, les maquisards nomment un comité chargé de coordonner les actions logistiques dans la région. Le groupe des cinq est composé de Mouhoubi Ali, président, Azibi Amar, Mohli Mouloud, Amari Messaoud et Djouder mohamed.
Depuis cette date historique, quand on évoque le déclenchement de la Révolution algérienne dans la région, c’est l’accrochage de Tiboualamine qui vient d’abord à l’esprit. C’est dans ce hameau que le premier tir de guerre est tiré, que le premier soldat ennemi est tué, et que le premier martyr de la liberté et de la résistance est tombé au champ d’honneur.
Pourtant, à ce jour, aucune stèle n’a été érigée dans ce lieu mémorable pour immortaliser le souvenir de cet événement.
[1] Ce lieu de prière était en avance sur son temps car, bien avant d’autres mosquées, les femmes y étaient tolérées.
[2] Chaire de l’Imam.
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
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