un seul Heros, le peuple!
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Re: un seul Heros, le peuple!
11 DÉCEMBRE 1960, Le peuple d’Alger sort dans la rue.
Par Djoudi ATTOUMI (Ancien officier de l’ALN, Écrivain)
source : l’expression du 21 Décembre 2010
1960: le peuple d’Alger et de toutes les autres villes d’Algérie déferla dans les rues, face aux blindés et aux soldats de l’armée coloniale française.
Les manifestations du 11 Décembre 1960 constituaient un événement sans précédent depuis le début de la guerre de Libération. Pour la première fois, le peuple d’Alger est sorti dans la rue, les mains nues, face aux blindés et aux soldats de l’armée française. Il fut aussitôt suivi dans toutes les autres villes d’Algérie.
Ce fut la fête chez les Algériens où qu’ils se trouvaient, à l’intérieur, dans les maquis ou à l’étranger, tandis que l’opinion française favorable ou pas à notre cause, comprit désormais que l’indépendance était inéluctable. Pour se rendre compte de l’importance de ce grand événement, il faut se rappeler le contexte militaire et politique de l’époque et le déroulement de ces manifestations. Nous arriverons enfin aux conséquences de ce déferlement de citoyens, au niveau des maquis, dans les rangs de l’armée française et au niveau de l’opinion internationale.
1-Le contexte militaire au cours de l’année 1960.
L’arrivée du général de Gaulle au pouvoir avait consacré un renforcement extraordinaire du potentiel militaire français, tant du point de vue matériel qu’humain. Du point de vue matériel, l’armée française s’était vue renforcée par un matériel sophistiqué, de dernière génération, surtout d’origine US.
C’est ainsi que nous voyons arriver les hélicoptère «bananes» capables de transporter chacun une section de 35 hommes avec tout leurs équipements, d’un point à un autre, d’un secteur à un autre, selon les besoins du moment.
Il y eut les B 29, les bombes de «cinq quintaux», les jumelles à infrarouge pour la surveillance de nuit. Il y eut aussi le napalm utilisé à outrance, lors de moindres accrochages, au mépris de la Convention de Genève sur le droit de la guerre.
L’armée française s’était vue dotée d’équipements et d’armes US, comme la mitraillette Thompson, le fusil «Garant», le fusil-mitrailleur «BAR», la mitrailleuse «30 US» etc. L’Otan (Organisation de l’Atlantique Nord) avait mis à sa disposition en plus, une division de soldats affectée en Kabylie et dont le PC fut installé à Fréha (Azazga). C’était la 2e division de l’Infanterie de Marine. De tels équipements étaient destinés à essayer d’écraser les troupes de l’ALN. Mais avant de tenter une telle aventure, le général de Gaulle devait remanier l’armée. Il remplaça tout son état-major, en commençant par nommer le général Maurice Challe en qualité de commandant en chef des armées en Algérie. Ce nouveau responsable militaire était considéré comme un stratège, ayant fait toutes les écoles d’état-major. Après lui avoir confié tous les pouvoirs civils et militaires, le président français le chargea de restructurer l’armée, de l’adapter aux luttes antiguérilla et d’opérer des changements à la tête de son état-major, au niveau des corps d’armée, des unités d’élite et des secteurs opérationnels existant dans le cadre de la politique de quadrillage des douars et des villages.
Le général Challe réclama le renforcement des effectifs qu’il obtint aussitôt. Après avoir constitué des forces de réserve de 40.000 hommes, il déclencha les opérations gigantesques de dernier recours, appelées «opérations Challe», avec pour mission de tenter d’écraser l’ALN. Chaque région du pays eut son opération, comme suit:
-«Trident», le 4 octobre 1960 pour la Wilaya I (Aurès-Nemenchas)
-«Pierres précieuses», le 6 septembre 1959 pour la Wilaya II (Nord Constantinois).
-«Jumelles» pour la Wilaya III, le 22 juillet 1959,
-«Courroie» et «Cigalle» en juin 1960 pour la Wilaya IV (Algérois».
-«Couronne», le 6 février 1959 pour la Wilaya V (Oranie).
-«Etincelles», en août 1959 et Flammèche, en juin 1960 pour la Wilaya VI (Sud).
Ce fut un véritable rouleau compresseur de plus de 40.000 hommes qui s’abattit sur toutes ces régions. Des milliers de villages furent bombardés, rasés et évacués. Selon les statistiques de l’armée, deux millions de personnes, soit 30% de la population rurale furent regroupés dans des centres de recasement ou autour des postes militaires pour servir de bouclier humain et y vivre misérablement, en subissant les pires humiliations quotidiennes. Devant cet enfer, certaines wilayas avaient perdu les trois quarts de leurs effectifs principalement, la Wilaya II et la Wilaya III. Mais il resta des milliers de combattants aguerris, toujours combatifs et toujours prêts au sacrifice suprême. La Wilaya III disposait toujours, quant à elle, d’une force de frappe de 4000 combattants qui continuèrent à traquer les soldats français jusqu’au dernier jour de la guerre, le 19 mars 1962.
2 - Le contexte politique
La politique de De Gaulle fut toujours ambiguë. La fameuse phrase «Je vous ai compris» dans son discours du 4 juin 1958 au Forum d’Alger, était révélatrice. Tout en promettant «l’Algérie française» à l’armée et aux Européens d’Algérie, il ne manqua pas de reconnaître aux Algériens, le droit à l’autodétermination. Il proposa même la paix des braves aux combattants de l’ALN, tout en projetant de préparer une troisième force parmi les «notables», les messalistes, les harkis.....C’est dire qu’il prétendait satisfaire tout le monde!
Parallèlement, son cabinet parisien concocta une autre formule, beaucoup plus dangereuse, beaucoup plus grave: c’était la partition de l’Algérie, avec des statuts différents pour le Centre, pour l’Ouest et surtout garder la souveraineté française sur le Sahara, probablement en vue d’une mainmise sur le pétrole qui venait d’être découvert.
Devant les échecs diplomatiques du gouvernement français, ce dernier ira jusqu’à présenter à l’assemblée générale de l’ONU, des échantillons d’Algériens «fidèles à la France», comme le bachagha Boualem, Mlle Sid Cara, Ali Chekal etc.. Cependant, tous ces projets, tous ces programmes connurent des échecs, comme la politique de «pacification», la «paix des braves», la tentative de négociations d’un cessez-le-feu local avec la Wilaya IV, du complot «messaliste» dans le Hodna avec le faux général Bellounis, des contre-maquis organisés dans l’Ouarsenis par le faux colonel «Kobus», alias Belhadj Djillali, etc..Devant de tels échecs politiques, diplomatiques et militaires, la France s’enlisait de plus en plus dans la Guerre d’Algérie; cette guerre lui coûtait très cher en argent et en vies humaines. «La Guerre d’Algérie nous coûte plus qu’elle ne nous rapporte», disait le général de Gaulle. D’un autre côté, la population, meurtrie par les atrocités de la guerre, humiliée et blessée dans son honneur et sa dignité, n’a jamais flanché dans son soutien quotidien et inconditionnel à l’ALN et au FLN. Elle attendait l’occasion propice pour l’exprimer encore plus aux yeux du monde entier. Le 11 décembre arriva enfin!
3 - Le déroulement des manifestations
Le déroulement des manifestations du peuple d’Alger eut des origines endogènes et exogènes. Sans aller jusqu’à une analyse profonde de son état d’esprit, de sa vie quotidienne, de sa misère, il y avait un ras-le-bol général chez les Algériens, ce qui pouvait déclencher l’étincelle à tout moment.
A l’origine, ce fut une manifestation organisée par les activistes du «FAF ou Front de l’Algérie française» contre la politique de De Gaulle. Les Européens d’Alger, se sentant trahis, envahirent la rue pour manifester en scandant des slogans «Algérie française», «A bas De Gaulle» etc. Au moment où les cortèges s’approchaient des quartiers populaires, comme Belcourt, Clos Salembier, La Redoute, La Casbah, Bab El Oued etc., la population musulmane décida de les affronter. Ce fut l’embrasement! De leur côté, l’ALN et le FLN préparèrent leur plan des manifestations, grâce à des hommes des Wilayas III et IV qui ont rejoint Alger à cette fin. C’est ainsi que le capitaine Zoubir connut une fin héroïque à Belcourt. Ainsi, sous le prétexte de répondre aux provocations des pieds-noirs, les Algériens envahirent à leur tour la rue. Ils scandèrent des slogans, comme «Vive le FLN et l’ALN», «Vive le GPRA», «Oui à l’indépendance» etc. Des hommes, des femmes et des enfants défilèrent fièrement, les mains nues, avec des drapeaux algériens. Pour la première fois depuis le début de la colonisation, et mise à part la manifestation du 8 mai 1945, l’emblème national est sorti de la clandestinité dans laquelle il était relégué depuis plus d’un siècle. Des échauffourées s’ensuivirent pendant trois jours. Sans hésiter, les soldats tirèrent sur la foule, sur une foule aux mains nues, à l’aide de grenades défensives, au lacrymogène et à l’arme automatique. Il y eut 118 morts parmi les manifestants musulmans. Au fur et à mesure que les nouvelles parvenaient, tous les quartiers d’Alger s’embrasèrent, surtout lorsque les gens apprirent la mort de plusieurs dizaines de personnes. Ce fut un déferlement, au mépris de la mort. Désormais, rien ne sera plus comme avant. Dans les cités populaires de la Casbah, Clos Salembier, Diar Essaâda etc., des vigiles furent postés de jour, comme de nuit, pour prévenir toute incursion dans leur quartier par les pieds-noirs et l’armée. Toutes les autres villes du pays connurent le même déferlement, le même embrasement, comme si chacune d’elles ne voulait pas rester à la traîne, pour prouver ses sentiments patriotiques et affronter à son tour les soldats. Et chacune d’elles eut également son lot de morts.
Les répercussions des manifestations du 11 Décembre 1960
La rupture fut définitive entre les deux communautés musulmane et européenne. Désormais, rien ne sera plus comme avant. Les quartiers des deux communautés se trouvèrent séparés par des barrages édifiés des deux côtés.
La population musulmane était décidée à faire reconnaître ses droits, à arracher l’indépendance par la voie de l’ALN, alors que les Européens étaient envahis par la peur de l’autre, du voisin, du camarade et même d’un passant de qui, ils craignaient une vengeance, face à tous les morts.
Le peuple et le gouvernement français eurent une preuve supplémentaire que les Algériens étaient solidaires du FLN et de l’ALN.
Sur le plan international, la position du FLN s’était trouvée confortée et M.M’hamed Yazid, son représentant auprès de l’ONU, exploita ce grand événement. Après la réunion du Gpra, le 15 décembre 1960, Krim Belkacem, vice-président du Gpra, déclara que «les clameurs de la foule de Belcourt sont parvenues au Palais de Manhattan!»
Le monde entier comprit le message: «Vox populi, vox Dei» (la voix du peuple, c’est la voix de Dieu), disait la citation latine! L’opinion internationale bascula du côté du FLN qui, dès lors, est devenu un interlocuteur exclusif pour les Français. Les instances internationales firent désormais pression sur le gouvernement français pour négocier la fin de la guerre avec le Gpra.
Dans les maquis, nous étions heureux d’apprendre ce déferlement dans les rues d’Alger et des autres villes. Usés par 6 années de guerre et laminés par les opérations Challe, les moudjahidine furent envahis par un grand bonheur et gagnés par un immense soulagement, même s’ils n’avaient jamais douté du soutien du peuple, tout au long de cette guerre.
En Wilaya III, les villes de Tizi Ouzou, Bougie, Bordj Bou Arréridj et Sétif avaient suivi le mouvement. Un conseil de wilaya extraordinaire se réunit dans la même semaine. C’était l’heure de dresser le bilan et une occasion inespérée pour renforcer l’organisation de la Zone Autonome d’Alger qui était à son balbutiement depuis son démantèlement lors de la fameuse bataille d’Alger. Désormais, le doute n’était plus permis au sein de la population et dans les maquis, quant à l’issue de la guerre. La panique s’est installée dans les rangs de l’armée française. Ses stratèges furent subjugués par cette réaction violente du peuple, par son courage et sa détermination. Après les succès éphémères des opérations Challe, ils se heurtèrent à un véritable désastre politique. Les goumiers servant dans l’armée française furent envahis par la panique; ils comprirent qu’ils avaient fait le mauvais choix et que l’indépendance était inéluctable.
Désormais, la peur changea de camp. Tous les appelés, les harkis, les goumiers et tous les supplétifs paniquèrent pour avoir fait le mauvais choix et devant l’imminence de l’indépendance. Alors, ils s’empressèrent de «prendre le train avant son arrivée en gare!»
Nous reçûmes alors des contacts de toutes parts. Une vingtaine de postes militaires furent alors enlevés grâce à leur complicité; tout l’armement fut récupéré, en faisant des dizaines de prisonniers. Ce fut le cas de Ighil Amar à Djaâfra, de Hamam Sidi Ayad et Oued El Djemaâ dans la vallée de la Soummam, Iguersaffène dans les Aït Idjeur, Tafoughalt dans les Aït Yahia Oumoussa, à Tadarte Oufella (Larba N’Aït Iraten), El Kseur (Bougie) etc.
Ainsi, face à une armée française minée par le putsch de ses propres généraux et épuisée par une guerre sans fin, l’ALN fit de l’enlèvement des postes militaires, sa dernière stratégie; et elle fut payante. Alors, toutes ces armes et tous ces jeunes déserteurs permirent la reconstitution de ses unités qui avaient subi les coups de boutoir des unités d’élite de l’armée française. Cette nouvelle situation a permis à nos groupes de reprendre l’initiative sur le terrain, comme l’embuscade de Sfayah dans la région d’Adekar où en juin 1961, une trentaine d’armes furent récupérées par les hommes du lieutenant Aslat Méziane et un convoi de trois camions décimé. A quelques kilomètres de là et à la même période, ce fut aussi l’embuscade de Achelouf (Toudja) où une vingtaine d’armes furent récupérées par la compagnie de la Région 4, Zone 2 commandée par l’aspirant Zène Boualem. L’armée française fut ébranlée par nos actions et par le climat de suspicion dans ses propres rangs, tant par les centaines de désertions que par la méfiance entre les officiers eux-mêmes, entre loyalistes et putschistes; elle entama alors son plan de désengagement. Certains postes militaires furent évacués, tandis que quelques unités de l’armée de l’air furent rapatriées en France, tout ceci à notre grand soulagement.
Désormais, nous avions nos zones libérées. Ainsi, les manifestations du 11 Décembre 1960 avaient donné une leçon au gouvernement français et au monde entier, sur les capacités du peuple, sur les miracles qu’il pouvait réaliser. Elles permirent aussi à l’ONU de voter la motion 1514 du 14 décembre 1960 pour demander aux gouvernements occidentaux (surtout à la France) d’entamer le processus de décolonisation. Et ce fut à cette occasion que 17 pays africains obtinrent leur indépendance, sans avoir tiré un seul coup de feu! En l’espace de quelques mois seulement, il y eut un renversement de la situation politique en notre faveur. Le général de Gaulle s’est empressé d’appeler le Gpra à des négociations sans conditions, en renonçant à tous ses projets de partition de l’Algérie et à toutes ses manoeuvres. Et c’est ainsi que les deux délégations se rencontrèrent à Lugrin en Suisse, pour négocier les Accords d’Evian et parvenir enfin à un cessez-le-feu le 19 mars 1962. Le FLN et l’ALN sortirent victorieux de cette guerre d’indépendance. Alors commença l’exode vers la France, des pieds-noirs, des harkis, des goumiers, des traîtres et tous ceux qui avaient fait le mauvais choix. Le peuple ne leur a jamais pardonné leurs errements.
(*) Ancien officier de l’ALN
Ecrivain
Djoudi ATTOUMI (*)
Par Djoudi ATTOUMI (Ancien officier de l’ALN, Écrivain)
source : l’expression du 21 Décembre 2010
1960: le peuple d’Alger et de toutes les autres villes d’Algérie déferla dans les rues, face aux blindés et aux soldats de l’armée coloniale française.
Les manifestations du 11 Décembre 1960 constituaient un événement sans précédent depuis le début de la guerre de Libération. Pour la première fois, le peuple d’Alger est sorti dans la rue, les mains nues, face aux blindés et aux soldats de l’armée française. Il fut aussitôt suivi dans toutes les autres villes d’Algérie.
Ce fut la fête chez les Algériens où qu’ils se trouvaient, à l’intérieur, dans les maquis ou à l’étranger, tandis que l’opinion française favorable ou pas à notre cause, comprit désormais que l’indépendance était inéluctable. Pour se rendre compte de l’importance de ce grand événement, il faut se rappeler le contexte militaire et politique de l’époque et le déroulement de ces manifestations. Nous arriverons enfin aux conséquences de ce déferlement de citoyens, au niveau des maquis, dans les rangs de l’armée française et au niveau de l’opinion internationale.
1-Le contexte militaire au cours de l’année 1960.
L’arrivée du général de Gaulle au pouvoir avait consacré un renforcement extraordinaire du potentiel militaire français, tant du point de vue matériel qu’humain. Du point de vue matériel, l’armée française s’était vue renforcée par un matériel sophistiqué, de dernière génération, surtout d’origine US.
C’est ainsi que nous voyons arriver les hélicoptère «bananes» capables de transporter chacun une section de 35 hommes avec tout leurs équipements, d’un point à un autre, d’un secteur à un autre, selon les besoins du moment.
Il y eut les B 29, les bombes de «cinq quintaux», les jumelles à infrarouge pour la surveillance de nuit. Il y eut aussi le napalm utilisé à outrance, lors de moindres accrochages, au mépris de la Convention de Genève sur le droit de la guerre.
L’armée française s’était vue dotée d’équipements et d’armes US, comme la mitraillette Thompson, le fusil «Garant», le fusil-mitrailleur «BAR», la mitrailleuse «30 US» etc. L’Otan (Organisation de l’Atlantique Nord) avait mis à sa disposition en plus, une division de soldats affectée en Kabylie et dont le PC fut installé à Fréha (Azazga). C’était la 2e division de l’Infanterie de Marine. De tels équipements étaient destinés à essayer d’écraser les troupes de l’ALN. Mais avant de tenter une telle aventure, le général de Gaulle devait remanier l’armée. Il remplaça tout son état-major, en commençant par nommer le général Maurice Challe en qualité de commandant en chef des armées en Algérie. Ce nouveau responsable militaire était considéré comme un stratège, ayant fait toutes les écoles d’état-major. Après lui avoir confié tous les pouvoirs civils et militaires, le président français le chargea de restructurer l’armée, de l’adapter aux luttes antiguérilla et d’opérer des changements à la tête de son état-major, au niveau des corps d’armée, des unités d’élite et des secteurs opérationnels existant dans le cadre de la politique de quadrillage des douars et des villages.
Le général Challe réclama le renforcement des effectifs qu’il obtint aussitôt. Après avoir constitué des forces de réserve de 40.000 hommes, il déclencha les opérations gigantesques de dernier recours, appelées «opérations Challe», avec pour mission de tenter d’écraser l’ALN. Chaque région du pays eut son opération, comme suit:
-«Trident», le 4 octobre 1960 pour la Wilaya I (Aurès-Nemenchas)
-«Pierres précieuses», le 6 septembre 1959 pour la Wilaya II (Nord Constantinois).
-«Jumelles» pour la Wilaya III, le 22 juillet 1959,
-«Courroie» et «Cigalle» en juin 1960 pour la Wilaya IV (Algérois».
-«Couronne», le 6 février 1959 pour la Wilaya V (Oranie).
-«Etincelles», en août 1959 et Flammèche, en juin 1960 pour la Wilaya VI (Sud).
Ce fut un véritable rouleau compresseur de plus de 40.000 hommes qui s’abattit sur toutes ces régions. Des milliers de villages furent bombardés, rasés et évacués. Selon les statistiques de l’armée, deux millions de personnes, soit 30% de la population rurale furent regroupés dans des centres de recasement ou autour des postes militaires pour servir de bouclier humain et y vivre misérablement, en subissant les pires humiliations quotidiennes. Devant cet enfer, certaines wilayas avaient perdu les trois quarts de leurs effectifs principalement, la Wilaya II et la Wilaya III. Mais il resta des milliers de combattants aguerris, toujours combatifs et toujours prêts au sacrifice suprême. La Wilaya III disposait toujours, quant à elle, d’une force de frappe de 4000 combattants qui continuèrent à traquer les soldats français jusqu’au dernier jour de la guerre, le 19 mars 1962.
2 - Le contexte politique
La politique de De Gaulle fut toujours ambiguë. La fameuse phrase «Je vous ai compris» dans son discours du 4 juin 1958 au Forum d’Alger, était révélatrice. Tout en promettant «l’Algérie française» à l’armée et aux Européens d’Algérie, il ne manqua pas de reconnaître aux Algériens, le droit à l’autodétermination. Il proposa même la paix des braves aux combattants de l’ALN, tout en projetant de préparer une troisième force parmi les «notables», les messalistes, les harkis.....C’est dire qu’il prétendait satisfaire tout le monde!
Parallèlement, son cabinet parisien concocta une autre formule, beaucoup plus dangereuse, beaucoup plus grave: c’était la partition de l’Algérie, avec des statuts différents pour le Centre, pour l’Ouest et surtout garder la souveraineté française sur le Sahara, probablement en vue d’une mainmise sur le pétrole qui venait d’être découvert.
Devant les échecs diplomatiques du gouvernement français, ce dernier ira jusqu’à présenter à l’assemblée générale de l’ONU, des échantillons d’Algériens «fidèles à la France», comme le bachagha Boualem, Mlle Sid Cara, Ali Chekal etc.. Cependant, tous ces projets, tous ces programmes connurent des échecs, comme la politique de «pacification», la «paix des braves», la tentative de négociations d’un cessez-le-feu local avec la Wilaya IV, du complot «messaliste» dans le Hodna avec le faux général Bellounis, des contre-maquis organisés dans l’Ouarsenis par le faux colonel «Kobus», alias Belhadj Djillali, etc..Devant de tels échecs politiques, diplomatiques et militaires, la France s’enlisait de plus en plus dans la Guerre d’Algérie; cette guerre lui coûtait très cher en argent et en vies humaines. «La Guerre d’Algérie nous coûte plus qu’elle ne nous rapporte», disait le général de Gaulle. D’un autre côté, la population, meurtrie par les atrocités de la guerre, humiliée et blessée dans son honneur et sa dignité, n’a jamais flanché dans son soutien quotidien et inconditionnel à l’ALN et au FLN. Elle attendait l’occasion propice pour l’exprimer encore plus aux yeux du monde entier. Le 11 décembre arriva enfin!
3 - Le déroulement des manifestations
Le déroulement des manifestations du peuple d’Alger eut des origines endogènes et exogènes. Sans aller jusqu’à une analyse profonde de son état d’esprit, de sa vie quotidienne, de sa misère, il y avait un ras-le-bol général chez les Algériens, ce qui pouvait déclencher l’étincelle à tout moment.
A l’origine, ce fut une manifestation organisée par les activistes du «FAF ou Front de l’Algérie française» contre la politique de De Gaulle. Les Européens d’Alger, se sentant trahis, envahirent la rue pour manifester en scandant des slogans «Algérie française», «A bas De Gaulle» etc. Au moment où les cortèges s’approchaient des quartiers populaires, comme Belcourt, Clos Salembier, La Redoute, La Casbah, Bab El Oued etc., la population musulmane décida de les affronter. Ce fut l’embrasement! De leur côté, l’ALN et le FLN préparèrent leur plan des manifestations, grâce à des hommes des Wilayas III et IV qui ont rejoint Alger à cette fin. C’est ainsi que le capitaine Zoubir connut une fin héroïque à Belcourt. Ainsi, sous le prétexte de répondre aux provocations des pieds-noirs, les Algériens envahirent à leur tour la rue. Ils scandèrent des slogans, comme «Vive le FLN et l’ALN», «Vive le GPRA», «Oui à l’indépendance» etc. Des hommes, des femmes et des enfants défilèrent fièrement, les mains nues, avec des drapeaux algériens. Pour la première fois depuis le début de la colonisation, et mise à part la manifestation du 8 mai 1945, l’emblème national est sorti de la clandestinité dans laquelle il était relégué depuis plus d’un siècle. Des échauffourées s’ensuivirent pendant trois jours. Sans hésiter, les soldats tirèrent sur la foule, sur une foule aux mains nues, à l’aide de grenades défensives, au lacrymogène et à l’arme automatique. Il y eut 118 morts parmi les manifestants musulmans. Au fur et à mesure que les nouvelles parvenaient, tous les quartiers d’Alger s’embrasèrent, surtout lorsque les gens apprirent la mort de plusieurs dizaines de personnes. Ce fut un déferlement, au mépris de la mort. Désormais, rien ne sera plus comme avant. Dans les cités populaires de la Casbah, Clos Salembier, Diar Essaâda etc., des vigiles furent postés de jour, comme de nuit, pour prévenir toute incursion dans leur quartier par les pieds-noirs et l’armée. Toutes les autres villes du pays connurent le même déferlement, le même embrasement, comme si chacune d’elles ne voulait pas rester à la traîne, pour prouver ses sentiments patriotiques et affronter à son tour les soldats. Et chacune d’elles eut également son lot de morts.
Les répercussions des manifestations du 11 Décembre 1960
La rupture fut définitive entre les deux communautés musulmane et européenne. Désormais, rien ne sera plus comme avant. Les quartiers des deux communautés se trouvèrent séparés par des barrages édifiés des deux côtés.
La population musulmane était décidée à faire reconnaître ses droits, à arracher l’indépendance par la voie de l’ALN, alors que les Européens étaient envahis par la peur de l’autre, du voisin, du camarade et même d’un passant de qui, ils craignaient une vengeance, face à tous les morts.
Le peuple et le gouvernement français eurent une preuve supplémentaire que les Algériens étaient solidaires du FLN et de l’ALN.
Sur le plan international, la position du FLN s’était trouvée confortée et M.M’hamed Yazid, son représentant auprès de l’ONU, exploita ce grand événement. Après la réunion du Gpra, le 15 décembre 1960, Krim Belkacem, vice-président du Gpra, déclara que «les clameurs de la foule de Belcourt sont parvenues au Palais de Manhattan!»
Le monde entier comprit le message: «Vox populi, vox Dei» (la voix du peuple, c’est la voix de Dieu), disait la citation latine! L’opinion internationale bascula du côté du FLN qui, dès lors, est devenu un interlocuteur exclusif pour les Français. Les instances internationales firent désormais pression sur le gouvernement français pour négocier la fin de la guerre avec le Gpra.
Dans les maquis, nous étions heureux d’apprendre ce déferlement dans les rues d’Alger et des autres villes. Usés par 6 années de guerre et laminés par les opérations Challe, les moudjahidine furent envahis par un grand bonheur et gagnés par un immense soulagement, même s’ils n’avaient jamais douté du soutien du peuple, tout au long de cette guerre.
En Wilaya III, les villes de Tizi Ouzou, Bougie, Bordj Bou Arréridj et Sétif avaient suivi le mouvement. Un conseil de wilaya extraordinaire se réunit dans la même semaine. C’était l’heure de dresser le bilan et une occasion inespérée pour renforcer l’organisation de la Zone Autonome d’Alger qui était à son balbutiement depuis son démantèlement lors de la fameuse bataille d’Alger. Désormais, le doute n’était plus permis au sein de la population et dans les maquis, quant à l’issue de la guerre. La panique s’est installée dans les rangs de l’armée française. Ses stratèges furent subjugués par cette réaction violente du peuple, par son courage et sa détermination. Après les succès éphémères des opérations Challe, ils se heurtèrent à un véritable désastre politique. Les goumiers servant dans l’armée française furent envahis par la panique; ils comprirent qu’ils avaient fait le mauvais choix et que l’indépendance était inéluctable.
Désormais, la peur changea de camp. Tous les appelés, les harkis, les goumiers et tous les supplétifs paniquèrent pour avoir fait le mauvais choix et devant l’imminence de l’indépendance. Alors, ils s’empressèrent de «prendre le train avant son arrivée en gare!»
Nous reçûmes alors des contacts de toutes parts. Une vingtaine de postes militaires furent alors enlevés grâce à leur complicité; tout l’armement fut récupéré, en faisant des dizaines de prisonniers. Ce fut le cas de Ighil Amar à Djaâfra, de Hamam Sidi Ayad et Oued El Djemaâ dans la vallée de la Soummam, Iguersaffène dans les Aït Idjeur, Tafoughalt dans les Aït Yahia Oumoussa, à Tadarte Oufella (Larba N’Aït Iraten), El Kseur (Bougie) etc.
Ainsi, face à une armée française minée par le putsch de ses propres généraux et épuisée par une guerre sans fin, l’ALN fit de l’enlèvement des postes militaires, sa dernière stratégie; et elle fut payante. Alors, toutes ces armes et tous ces jeunes déserteurs permirent la reconstitution de ses unités qui avaient subi les coups de boutoir des unités d’élite de l’armée française. Cette nouvelle situation a permis à nos groupes de reprendre l’initiative sur le terrain, comme l’embuscade de Sfayah dans la région d’Adekar où en juin 1961, une trentaine d’armes furent récupérées par les hommes du lieutenant Aslat Méziane et un convoi de trois camions décimé. A quelques kilomètres de là et à la même période, ce fut aussi l’embuscade de Achelouf (Toudja) où une vingtaine d’armes furent récupérées par la compagnie de la Région 4, Zone 2 commandée par l’aspirant Zène Boualem. L’armée française fut ébranlée par nos actions et par le climat de suspicion dans ses propres rangs, tant par les centaines de désertions que par la méfiance entre les officiers eux-mêmes, entre loyalistes et putschistes; elle entama alors son plan de désengagement. Certains postes militaires furent évacués, tandis que quelques unités de l’armée de l’air furent rapatriées en France, tout ceci à notre grand soulagement.
Désormais, nous avions nos zones libérées. Ainsi, les manifestations du 11 Décembre 1960 avaient donné une leçon au gouvernement français et au monde entier, sur les capacités du peuple, sur les miracles qu’il pouvait réaliser. Elles permirent aussi à l’ONU de voter la motion 1514 du 14 décembre 1960 pour demander aux gouvernements occidentaux (surtout à la France) d’entamer le processus de décolonisation. Et ce fut à cette occasion que 17 pays africains obtinrent leur indépendance, sans avoir tiré un seul coup de feu! En l’espace de quelques mois seulement, il y eut un renversement de la situation politique en notre faveur. Le général de Gaulle s’est empressé d’appeler le Gpra à des négociations sans conditions, en renonçant à tous ses projets de partition de l’Algérie et à toutes ses manoeuvres. Et c’est ainsi que les deux délégations se rencontrèrent à Lugrin en Suisse, pour négocier les Accords d’Evian et parvenir enfin à un cessez-le-feu le 19 mars 1962. Le FLN et l’ALN sortirent victorieux de cette guerre d’indépendance. Alors commença l’exode vers la France, des pieds-noirs, des harkis, des goumiers, des traîtres et tous ceux qui avaient fait le mauvais choix. Le peuple ne leur a jamais pardonné leurs errements.
(*) Ancien officier de l’ALN
Ecrivain
Djoudi ATTOUMI (*)
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» « Un peuple sans culture est un peuple dévitalisé, pour ainsi dire mort »
» A la mémoire du héros ...
» Guemache Idris à La Cité: « Un peuple qui croit que contrarier un imam est un tabou, c’est un peuple intraitable ».
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