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Islam et Démocratie

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Islam et Démocratie  Empty Islam et Démocratie

Message  Azul Jeu 30 Sep - 0:06

Réseau des Démocrates
Islam et Démocratie
Nasr Hamed Abou Zeïd. Professeur d’études islamiques
« La critique traditionaliste des régimes part des droits divins et non des droits humains »

Pour le spécialiste des études islamiques, Nasr Hamed Abou Zeïd, le Coran ne peut être interprété qu’à la lumière des événements qui ont marqué l’expansion de l’Islam du vivant du Prophète. L’Islam, en tant que doctrine religieuse, affirme-t-il, porte l’empreinte de l’époque à laquelle il a été élaboré par les fouqaha, les docteurs de la foi. La défense de cette thèse dans ses écrits a valu à Nasr Hamed Abou Zeïd, dès 1993, l’hostilité des intégristes religieux de l’institution académique cairote. Cette hostilité prendra la forme d’un refus de le titulariser dans le grade de professeur. Elle se prolongera, au dehors de l’université, par une plainte réclamant sa séparation d’avec son épouse, sous prétexte qu’il avait déclaré son apostasie et qu’une musulmane, aux termes de la loi égyptienne, ne peut être mariée à un non-musulman. Cette plainte aboutira à la dissolution, par arrêt judiciaire, de son mariage avec Ibtihal Younès. Il est l’auteur de nombreux ouvrages, en arabe et en anglais. Son livre Critique du discours religieux est paru en français aux éditions Sindbad/Actes Sud en 1999.



Vous défendez une interprétation non littéraliste du Coran et appelez à n’en retenir que ce qui constitue des valeurs fondamentales. Si on appliquait votre proposition, que resterait-il comme spécificité à l’Islam par rapport à d’autres religions ou systèmes éthiques ?



Il y a des penseurs qui distinguent dans le Coran entre des aspects primordiaux et d’autres accessoires, marginaux. Ce n’est pas mon cas. Ce à quoi j’appelle, c’est à interpréter ce texte et d’autres textes religieux fondateurs, en tenant compte du contexte historique (de leur production, ndlr). Cette démarche est sous-tendue par une conception précise de ce que c’est que la Révélation. La Révélation est principalement une communication, le plus souvent non verbale. C’est ce sens général qu’elle a dans le Coran. L’élément humain est donc nécessaire à son accomplissement. Dans l’histoire de la théologie islamique, toute l’importance a été accordée au divin, au détriment de la dimension humaine de cette communication. Il ne s’agit donc pas de distinguer une interprétation littéraliste d’une autre qui le serait moins, mais d’insérer tout le phénomène (coranique, ndlr) dans son contexte historique. C’est cela qui nous permet de saisir la nature de la communication entre Dieu et les humains auxquels il s’adresse. Car, rappelons-le, le Coran ne s’adresse pas au seul Prophète, mais aussi aux associationnistes koraïchites, aux musulmans, aux chrétiens, aux juifs, etc. Cette multiplicité de récepteurs, et d’autres éléments encore, font du texte coranique un texte riche, pluridimensionnel et si complexe, qu’aussi bien la méthode d’interprétation littéraliste que celle non littéraliste nous paraissent d’un grand simplisme, d’une grande naïveté. Insérer le discours de ce texte dans son contexte historique ne signifie pas en retrancher telle ou telle partie. C’est là la propagande des adversaires de cette méthode. Il faut éviter de confondre l’Islam avec le Coran. L’Islam n’est pas le Coran. Il est l’intitulé d’une époque historique qui a suivi la Révélation. Naturellement , comme la connaissance de l’époque pré-islamique est importante pour la compréhension du Coran, il est important de savoir comment les générations anciennes l’interprétaient. Mais porter sur ce texte un regard historique est plus important. L’Islam des Arabes qui ont quitté la Péninsule arabique (lors des conquêtes musulmanes, ndlr) était ce qu’on pourrait considérer comme un embryon de religion : la foi en l’unicité divine, des principes moraux primordiaux, etc. L’Islam n’a pris la forme qu’il a fini par prendre que grâce à l’interaction entre cet embryon et les civilisations des pays où il s’est répandu.



Vous affirmez que depuis le philosophe arabo-andalou Ibn Rochd (Averroès, 1126-1198), la pensée islamique s’est rigidifiée. Cela signifierait-il que les mouvements de réforme religieuse apparus dans le monde islamique dès la fin du XIXe siècle (comme celui mené par Mohamed Abduh, en Egypte, par exemple) n’ont pas revivifié cette pensée ?



Il s’agissait bien de mouvements de revivification (ihya’, ndlr). La revivification a été un mouvement global, qui a concerné d’autres domaines, comme la littérature, par exemple. Aussi bien Mohamed Abduh que Djamal El Dine Al Afghani (un penseur politique afghan, 1838-1897, ndlr) étaient préoccupés par des questions plus générales que les strictes questions religieuses : la libération nationale, la lutte contre le despotisme… De ce point de vue, l’époque que vous évoquez peut être appelée « l’ère de la renaissance ». Par « rigidification de la pensée religieuse », je veux dire que cette pensée a perdu sa vitalité. Cette vitalité s’exprimait au travers d’une grande pluralité d’écoles théologiques, juridiques, etc. D’ailleurs, d’autres domaines de la pensée et de la spiritualité connaissaient cette même grande vitalité : la philosophie, avec ses multiples écoles néoplatonicienne..., le soufisme avec ses différents rites, etc. Cette époque, que l’on qualifie de civilisation arabo-musulmane, a commencé à se clore après Ibn Rochd. Je ne dis pas que ces mouvements réformistes nés à la fin du XIXe siècle n’ont rien apporté (à la pensée islamique, ndlr) ; l’apport de Mohamed Abduh, par exemple, est capital. La question se pose néanmoins : pourquoi leur pensée ne s’est pas traduite dans les faits ? La réponse se trouve dans la nature des régimes politiques, la relation des intelligentsias à ces régimes, dans la période coloniale et ses héritages, etc. ; bref, dans la situation globale prévalant dans les pays islamiques à cette époque-là. A cause de cette situation, la pensée réformiste que vous évoquez n’a pu trouver un terrain fertile et produire un changement social.



Quel était le point faible de cette pensée réformiste ?



L’Europe, qui était indéniablement un continent développé, et dont le progrès avait été le produit d’un mouvement de réforme religieuse, d’un mouvement philosophique comme les Lumières, d’une révolution scientifique, etc. ; cette Europe donc occupait notre terre et nous privait de notre liberté. C’est là une contradiction fondamentale que cette pensée réformiste n’a pu résoudre. Elle n’a pas pu la résoudre parce qu’elle percevait l’Europe comme une entité statique et non comme le produit de l’histoire. La philosophie des Lumières, par exemple, a aussi contribué à l’élan colonial, la Raison étant pour beaucoup de philosophes de ce courant, la « raison de l’homme blanc » ayant pour mission de diriger les peuples arriérés ! La pensée réformiste que vous évoquez subissait une autre contrainte. Il lui fallait trouver à la modernité une justification dans le patrimoine (religieux, ndlr) ! De là est née la dualité dont les deux pôles étaient la modernité, d’un côté, et le patrimoine, de l’autre. Des penseurs progressistes pour ainsi dire, comme Mohamed Abduh et Djamal El Dine Al Afghani, proposaient de moderniser le patrimoine. Le patrimoine, on le voit, restait la Référence et il s’agissait seulement de le moderniser. Islamiser la modernité plutôt que moderniser le patrimoine islamique : c’est là la proposition de la génération suivante de penseurs. Elle s’est élaborée dans des conditions différentes, dont, notamment, la disparition du califat ottoman, qui est un fait historique de la plus grande importance. Nous pouvons citer parmi les penseurs de cette deuxième génération aussi bien les premiers Frères musulmans que leur prédécesseur, l’Egyptien Rachid Réda (1865-1935, ndlr). Avec eux, la question de la dualité modernité-patrimoine s’est transformée en question identitaire.





Vous, Gamal Al Banna et d’autres penseurs encore, fournissez de grands efforts de réforme de la pensée religieuse. Mais vous restez minoritaires…



L’université d’Oxford faisait partie, à l’origine, de l’institution ecclésiastique. Ceci renseigne sur le fait qu’en Europe, la modernisation a commencé au sein même des institutions traditionnelles. Chez nous, elle a été entreprise par la construction d’institutions, comme les universités, ayant une existence parallèle à celle des institutions traditionnelles. La modernité ne s’est pas substituée à la tradition, elle coexiste avec elle. Le problème est aussi que les médias et le système éducatif sont dans l’état déplorable que vous connaissez. Les médias, contrôlés par leurs financeurs, accomplissent une action plus que négative, destructrice, dirai-je, qu’il s’agisse de leurs programmes de divertissement ou de ceux consacrés aux questions intellectuelles. Il y a des tentatives de modernisation de l’enseignement, mais le foisonnement de facultés de communication, de marketing, etc. cache mal le fait que c’est une modernisation de façade. Le mouvement de réforme que vous évoquez dans votre question est porté par des individus et non par des institutions. Il n’est pas, cela étant dit, sans influence…



Quelle est son influence ?



Si elle a quelque crédibilité, aucune idée ne dépérit complètement parce qu’on l’a rejetée momentanément. Elle s’insinue jusque dans l’inconscient des traditionalistes. J’ai été condamné à cause de phrases extraites de leurs contextes, comme, par exemple, « le Coran est un texte historique ». Après l’accès des Frères musulmans (égyptiens, ndlr) au Parlement, on a demandé à leur morched (guide, ndlr) ce que serait le statut des chrétiens égyptiens dans un Etat islamique. Il a réitéré le discours classique de son organisation sur l’égalité des droits et des devoirs, etc. Puis, il a expliqué que pour ne pas mettre les coptes mal à l’aise en cas de guerre contre un Etat chrétien – notez bien l’adjectif « chrétien » –, ils seront dispensés du service militaire. Et puisqu’ils en seront dispensés, il leur faudra payer à l’Etat une indemnité ! Bien sûr, le morched a évité d’appeler cette indemnité « djizia », (impôt de capitation, payé aux pouvoirs musulmans par les non-musulmans des pays conquis, ndlr). Cette déclaration a provoqué un grand émoi en Egypte, aussi bien chez les coptes que chez les musulmans. Qu’a déclaré le Cheikh d’Al Azhar ? Qu’« al djizia » était une « pratique historique » ! Il contredisait sa logique habituelle, car, selon celle-ci, « al djizia » ne peut être une « pratique historique » dans la mesure où elle est évoquée dans le Coran ! J’aurais pu l’attaquer devant les tribunaux et demander qu’il soit séparé de son épouse ! Son usage du mot « historique » est, pour moi, la preuve que les idées réformistes n’étaient pas restées sans influence sur lui.



Pour vous, la pensée traditionaliste et l’interprétation littéraliste du Coran restent dominantes dans le monde islamique. Pourquoi ?



Parce que les Etats sont de leur côté. Ces Etats affirment que leur religion est l’Islam et que la charia est leur principale source de législation. Comment voulez-vous qu’un penseur traditionaliste ne se sente pas fort de toutes ces affirmations ? La liberté est un grand danger pour les régimes. Si liberté il y a, ils disparaîtront. Et la haine de la liberté est constitutive de cette pensée (traditionaliste, ndlr), pour laquelle la foi est une question de contrainte et non de libre arbitre…



Mais il y a des mouvements traditionalistes qui s’opposent à ces mêmes régimes…



C’est une lutte pour le pouvoir, pour le contrôle des esprits et non pour leur libération. On rejette ces régimes parce qu’« ils sont impies », « n’appliquent pas la charia », etc. La critique des gouvernants, on le voit, est une critique de leur légitimité religieuse. Elle n’a pas pour point de départ les droits humains mais les droits divins. Selon un dicton égyptien, deux singes ne peuvent jouer sur une même corde. C’est une bonne description de la lutte entre ces deux singes que sont les régimes et les mouvements traditionalistes. Cette lutte explique la transformation de la religion, dans ses manifestations populaires, en quelque chose de complètement hideux. La religion a toujours eu une forte dimension spirituelle et éthique. Elle s’est muée en une somme de rituels et, surtout, en une haine féroce de l’autre. L’autre, d’ailleurs, n’est plus seulement le chrétien, etc. C’est aussi maintenant le musulman non pratiquant !



Vous critiquez les Constitutions qui font de l’Islam une religion officielle ? L’aboutissement logique de cette critique n’est-il pas l’exigence de séparation entre la religion et l’Etat dans les pays musulmans ?



Oui, je le revendique clairement. L’Etat est un ensemble d’institutions qui organisent la vie sociale. Un Etat ayant une religion est un non-sens. C’est aussi une calamité.



L’extrême-droite européenne utilise certains versets du Coran pour démontrer ce qu’elle appelle le « caractère intrinsèquement violent de la religion musulmane ». Qu’auriez-vous à répondre à une telle accusation ?



On a le choix entre deux réponses. Ou on rappelle, de façon polémique, que le Coran comporte aussi des versets appelant à la tolérance et à la paix et on ignore que pour certains faqihs (docteurs de la loi, ndlr), ces versets ont été abrogés par celui du « Sabre », le cinquième de la sourate « Al Tawba ». Ou on répond qu’il existe une méthode d’interprétation du Coran qui explique aussi bien ceci que cela et on rappelle que c’est le fiqh qui a fait du djihad une institution, à une époque précise de l’histoire, celle des guerres frontalières entre l’empire musulman et l’empire byzantin. Il faut examiner le Coran dans sa totalité. Il ne faut pas en retenir certaines parties et en ignorer d’autres, mais l’interpréter en tant que totalité, à la lumière de l’histoire. Cela étant dit, je rappelle que le terme « djihad » signifie, dans le Coran : « fournir le plus d’efforts possible » dans tous les domaines, et pas seulement dans celui de la lutte contre les ennemis.



Cette définition belliqueuse du djihad n’est-elle pas en vogue parce que certains Etats musulmans sont occupés par des forces étrangères ?



C’est certain. L’Europe laïque a contribué à la création de deux Etats religieux, l’un musulman, le Pakistan, et l’autre juif, Israël. Mais l’occupation est un fait politique. L’Etat hébreu ne combat pas les Palestiniens avec la Torah mais avec son armée et sa technologie.



Par Yassin Temlali in El Watan du 27 décembre 2009.



Deuxième article de cette série

Pour une démocratie musulmane



Comme d’autres sociétés avant elle, au cours des deux siècles précédents, l’Algérie rencontre des difficultés à passer d’une société d’autorité à une société de libertés.



Durant cette transition apparaissent, dans la plupart des cas, des mouvements militant pour une société de vérité. Cette dernière quête est portée, chez nous, par un islamisme intransigeant qui tient, sur le plan dogmatique, du jansénisme que l’Europe chrétienne a connu aux XVIIe et XVIIIe siècles. Aussi bien l’un que l’autre privilégient l’initiative divine face à la liberté humaine. Mais si l’islamisme intransigeant a trouvé un terrain favorable dans les couches les plus démunies des sociétés musulmanes, le jansénisme s’est développé dans la bourgeoisie européenne. Blaise Pascal, entre autres, a pris le parti des jansénistes et en a fait l’apologie dans Les Provinciales, en s’attaquant sévèrement aux jésuites. Il s’inscrit, en cela, dans le droit fil de la tradition augustinienne.



Cette question de la prédestination et du libre arbitre, qui se pose derrière les querelles politiques, est certainement l’une des questions religieuses qui a donné lieu aux plus grandes controverses théologiques et philosophiques. Très tôt, dès le milieu du deuxième siècle hégirien (VIIIe siècle chrétien), la théologie spéculative musulmane fondait son système philosophique sur le qadar qui signifie pouvoir de l’homme de produire ses actes et d’en être responsable.

Cette position avait trouvé des partisans jusque dans le royaume rostémide de Tahert (aujourd’hui Tiaret). La doctrine du libre arbitre se trouvait déjà chez les khârijites dans leur théorie de la justice divine. Ils défendaient aussi le droit pour les croyants de choisir leurs chefs.



L’hérésiologie musulmane qui les présente comme une secte rigoriste et intransigeante, leur reconnaît, cependant, un certain esprit démocratique. Il semble, d’après Abdurrahmân Badawi, que Ali Ibn Abî Tâlib considérait la liberté de l’homme comme « un Etat intermédiaire entre le déterminisme et le tafwîd ». Le tafwîd étant le pouvoir accordé par Dieu à l’homme d’agir et de choisir par une sorte de mandat ou de délégation de pouvoir qu’Il lui donne sur ses propres actes. Le fondateur du Ilm el kalam mu’tazilite, Wâsil B. Ata, affirmait, selon al-Sharastâni dans son Kitab Al milal wa al nihal, que l’homme était libre dans ses actes et en était le créateur.

Vision que contestaient les Jabriyya appelés aussi Jahmiyya à cause de Jahm B. Safwân qui défendait la thèse du déterminisme, bien que de très nombreux versets coraniques reconnaissent à l’homme le droit d’exercer sa liberté, à la condition que celle-ci ne devienne pas un absolu. Je crois que c’est Bossuet qui disait que « par l’appât de la liberté absolue, le mal est entré dans le monde ». Suivant ce qui précède, aucun doute n’est permis sur les faveurs de l’Islam pour une position médiane entre le radicalisme libéral et le mythe d’un fatalisme musulman. Al Shahrastâni rapporte dans Al Milal que Abû Ali Al Jubbâi et son fils Abû Hâshim qui ont dominé la pensée mu’tazilite soutiennent, à la suite de Wâsil B. Ata, que « l’acte volontaire émane de l’homme, il lui est propre ; l’homme le créé ». Une polémique fameuse a opposé sunnites et mu’tazilites sur ce sujet. Les mu’tazilites qui font la différence entre « les actes libres » et « les actes engendrés », ont conscience que la liberté fait de l’homme une personne.



D’un point de vue ontologique, la personne se définit dans les conceptions musulmane et chrétienne comme une synthèse entre sa constitution biologique et sa vie spirituelle. Le philosophe marocain, Mohammed Aziz Lahbabi, précise que « la constitution biologique que donne le Coran pourrait aussi bien s’appliquer à d’autres animaux que l’être humain s’il n’y avait intervention de l’âme ». Sa conception de la shakhçânyya musulmane rejoint la conception chrétienne du personnalisme dont le théoricien le plus important est le philosophe Emmanuel Mounier.



De son côté, le marxisme qui s’inscrit dans la pure tradition matérialiste d’Héraclite jusqu’à Spinoza, a toujours considéré la personne humaine comme faisant partie de la nature. Roger Garaudy a tenté de modérer cette opinion dans son opuscule Le marxisme et la personne humaine, mettant le mouvement dialectique au centre de sa philosophie. S’appuyant pour la 2e thèse sur Feuerbach de Karl Marx : « Il ne s’agit pas d’interpréter le monde, mais de le transformer », Roger Garaudy qui s’est converti, depuis, à l’Islam, écrit, à ce propos, que « le rapport actif entre l’homme et la nature transforme radicalement l’ancien matérialisme ». Le clivage entre le marxisme et la philosophie de la personne se situe plus précisément dans les valeurs de la liberté humaine, qui ne sont pas le produit du seul monde chrétien, comme l’affirmait à tort Saint Jean Damascène.



L’Islam et les musulmans y ont apporté une contribution plus que significative sur le plan théorique et de la pratique sociale. Al Fârabi qui a fondé la philosophie politique musulmane parle de la « politique civile » dans un sens presque moderne, faisant dans sa Al-Siyâsât al-madanyyah, la distinction entre les cités vertueuses et les cités perverses. Son livre Mabâdi ârâ’ ahl al madînah al fâdilah (Idées des habitants de la cité vertueuse) est, sans doute, le plus connu parmi une œuvre immense qui englobe un savoir encyclopédique allant de la logique à la musique et la poétique en passant par la métaphysique, l’éthique, la politique et la psychologie.



De tous les philosophes péripatéticiens, Al Fârâbi est certainement le plus aristotélicien, ce qui lui a valu le surnom de Magister secundus. Il dénonce « la cité de la domination » comme une société fondée sur la force brutale et la coercition ; elle soumet les hommes et leur enlève toute liberté d’action. Dans un travail remarquable sur « La cité vertueuse », Muhsin Mahdi, professeur émérite de l’université de Harvard, souligne que « Al Fârâbi pose, conformément à la description de Platon dans La République , le premier principe de la démocratie (…) comme étant liberté, et il appelle également le régime démocratique, régime libre. (…) L’autorité ne se justifie qu’en vue de la préservation et de la promotion de la liberté et de l’égalité… Le souverain ne gouverne que par la volonté des citoyens ». Dans le système musulman, la liberté se pose comme un principe essentiel de la vie alors que l’égalité et la justice constituent les deux piliers sur lesquels repose la société musulmane.



Les musulmans avaient de la liberté une conception juridique, la notion civique et politique de celle-ci ne se posera que bien plus tard. Le gouvernement musulman se préoccupait d’abord de distinguer entre le juste et l’injuste. Contrairement à ce que Bernard Lewis laisse supposer sur le caractère réfractaire de l’Islam à la liberté, les idées démocratiques travaillent et transforment la conscience religieuse des musulmans. Bien avant que n’éclate la révolution en France, portée par le développement de l’économie et le progrès technique qui permettent un accroissement sans précédent de la bourgeoisie, ainsi qu’une réflexion philosophique puissante qui fonde le « siècle des lumières », l’empire ottoman sous le règne du sultan Abdulhamid 1er (1774-1789), puis l’Egypte de Mohamed Ali (1805-1848) entreprennent des réformes qui touchent aussi bien à l’armée et à la justice qu’à l’économie, l’administration et le système politique.

Ces réformes qui sont une vraie tentative de modernisation, ont échoué à cause de deux faits majeurs : d’une part, l’anarchie suscitée par les Janissaires et le wahabisme qui prend de plus en plus d’ampleur en péninsule arabique, et, d’autre part, les convoitises de l’Europe (ce que l’on a appelé La Question d’Orient) et la rivalité russo-ottomane. Sur le plan des idées, les auteurs musulmans défendent avec plus de conviction encore la liberté, non seulement collective, mais personnelle, même si certains autres la dénoncent et l’assimilent à la licence et au libertinage.



L’Europe chrétienne a connu la même réaction : Joseph de Maistre et le vicomte Louis de Bonald ont incarné la contre-révolution. La liberté de l’individu n’existe pas pour ces deux critiques du rationalisme, partisans de l’ordre contre le progrès, d’un Etat monarchique théocratique contre la démocratie qui n’est pas, pour eux, le gouvernement le plus naturel à l’homme. Des philosophes et des théoriciens comme Saint-Simon, Fourier et Proudhon ne croyaient pas davantage dans la démocratie qu’ils distinguaient de la liberté. C’est Saint-Simon qui suggère la distinction, désormais classique, entre libertés formelles et libertés réelles.

A l’inverse de Proudhon, qui développe une doctrine de la liberté et de l’égalité, Saint-Simon considère que l’inégalité est conforme à l’ordre de la nature. Alors que, en Orient, Ibrahim Mûtâfârika défend dans son livre Fondements des sagesses ou l’organisation des nations publié vers 1731, le système démocratique parlementaire et insiste sur l’adoption de la raison comme critère de la pensée. Au milieu du XIXe siècle, Rifâ Rafî At Tahtaoui se prononce pour l’introduction d’un système constitutionnel de gouvernement au moment où s’engagent les deuxième et troisième temps des tanzimat (réformes) par le Khatti humayun, en 1856, et la Constitution de 1876. Mustafa Fazil publie, de son côté, dans le journal français La liberté une lettre ouverte qui dénonce la tyrannie, l’ignorance et la misère économique comme principales causes de la décadence des musulmans.

Il propose comme remède la liberté qui doit être accordée et garantie au peuple. Le réformisme musulman qui se manifeste à la même époque appuie le mouvement constitutionnel et la libération de l’énergie du peuple. Les réformistes « répètent volontiers que dans le domaine de la vie pratique, l’Islam laisse aux hommes l’entière liberté (fawwad) d’agir en vue de leur bien dans le monde », écrit le professeur Ali Merad dans l’encyclopédie de l’Islam. Pour lui, ils ont établi « le caractère libéral de l’Islam et justifié son adaptabilité (non certes en tant que dîn, mais en tant que shari’a) à toutes les situations humaines dans le temps et dans l’espace ».

Chaque génération doit tenir compte de son époque, souligne Mohamed Abduh dont les idées libérales ont eu une grande influence sur le mouvement réformiste en Orient et au Maghreb. Le réformisme musulman est lié à l’avènement de la société moderne à laquelle, selon l’auteur de la Rissalât at-Tawhid, les vieux concepts de l’Islam devaient être adaptés. La pensée politique d’inspiration musulmane se trouve engagée dans une réflexion qui remet en cause l’immobilisme social, politique, religieux et intellectuel des musulmans.

Dans Umm el Kura ( La Mère des cités, i.e. La Mecque ), Abderrahmane El Kawakibi examine les causes de la décadence du monde musulman et préconise des solutions qui vont dans le sens de la réforme. Influencé par Montesquieu, il critique, dans Caractères du despotisme (Tabâ’i’ al Istibdâd), les régimes dictatoriaux, dénonce l’absolutisme politique et religieux, prône la consultation (shoûrâ) et appelle à un fonctionnement démocratique des institutions. Le discours est très franchement favorable à l’idée d’adapter la société musulmane aux réalités du monde moderne. Nous l’avons vu, la région maghrébine n’est pas restée à l’écart de ce débat : en Tunisie, le ministre réformateur, Kheireddine, fait remarquer, en 1868, dans son Aqwâm al masâlik fî ma’rifat ahwâl al mamâlik (Réformes nécessaires aux Etats musulmans), que « les nations avancées avaient pour fondement la liberté et la Constitution », et, en Algérie, cheikh Abdelhamid Ben Badis, qui a créé l’Association des uléma musulmans algériens en 1931, reconnaît aux hommes le droit de travailler pour leur « bonheur terrestre ». On voit bien que sur la liberté de penser et d’agir de l’homme, un large consensus (ijmâ) s’est réalisé entre les savants et les politiques musulmans depuis que l’Islam s’est constitué en Etat au VIIe siècle de l’ère chrétienne. Cela pose, de manière spécifique, la limite de l’autorité en islam. La problématique de l’autorité Les questions profanes, ce que les musulmans appellent les dunyawiyyat, sont l’affaire de tous les citoyens, comme le recommande, d’ailleurs, le Coran au Prophète. Rien n’interdit au musulman de choisir son système de gouvernement. A l’exception du pouvoir fondé sur le droit divin et du pouvoir absolu, toutes les autres formes de gouvernement sont tolérées par l’Islam qui n’en privilégie aucune, mais la République est, sans conteste, le régime le plus proche du système consultatif musulman.



Le califat étant d’essence divine pour Al Mawardî, il écarte, de ce fait, la liberté des musulmans de choisir le chef du pouvoir exécutif, au profit de la désignation de l’héritier présomptif par le calife en fonction. La dévolution du pouvoir peut aussi être décidée par un collège électoral préalablement nommé. Contemporain d’Al Mawardî, Ibn Hazm, né à Cordoue sous la dynastie umayyade entrée en pleine décomposition, soutient la même thèse et « insiste sur le côté obligatoire et unique du califat ». Cette position est justifiée par le fait que deux califes sont simultanément en poste en Andalousie. Le légiste dahirite rejette également, pour les mêmes raisons, la bay’a (investiture/allégeance) qu’il considère comme trop démocratique et difficile à mettre en œuvre. En principe, la bay’a doit émaner de la majorité de la population, mais, dans la plupart des cas, elle a été le fait d’une seule personne.

Le grand théologien, Abû Hamid Al-Ghazalî, légitime cette dernière démarche, écrivant : « La bay’a d’un seul individu qui est réellement suivi et obéi est suffisante, puisque son approbation c’est l’approbation des masses. » Quant à lui, Ibn Khaldoun ne s’embarrasse pas de toutes ces subtilités et de toutes ces considérations théoriques, il a du califat une approche exclusive : le calife est le lieutenant de Dieu, prenant ainsi le risque de donner de l’Etat islamique une vision théocratique alors qu’il n’y a pas de conception du pouvoir plus étrangère à l’Islam. La théocratie est le pouvoir des hommes de religion qui prétendent à l’inspiration divine réservée au seul Prophète auquel il est fait obligation de consulter l’ensemble de la communauté sur tout ce qui touche à la gestion des affaires publiques. L’Islam ne confie le pouvoir spirituel à aucun homme, fut-il le calife qui ne détient pas son autorité de Dieu, mais des hommes qui peuvent le destituer s’il manque à l’exercice de sa charge.

Le califat n’est pas nécessaire pour Ibn Taymiyya qui insiste sur la stricte application de la charia. Il y a même chez l’auteur de Kitab as-siyâsa ash-shar’iyya fi islâh ar-râ’î war-ra’iyya une conception de séparation entre le religieux et le politique dans le sens où le pouvoir politique peut agir librement dans son propre domaine. C’est à lui seul qu’appartient l’autorité de l’Etat. Sur cette question, Mohammed Abduh est, quant à lui, catégorique : « Il n’y a en aucune façon en Islam ce que certains appellent l’autorité religieuse ". (…) " Il n’est permis ni au calife, ni au qâdi, ni au muftî, ni au "sheikh al-Islam" de prétendre à un droit de domination sur la foi, le culte ou les idées de l’individu. » C’est, d’ailleurs, tardivement que les Etats musulmans ont créé des institutions de type administratif comme le qadi ou le muftî pour faire appliquer les décisions califales ou les éclairer.

Les fondements du pouvoir en Islam ont donné lieu à des divergences qui ont marqué tout le XXe siècle avec la publication du fameux livre de Ali Abderraziq Al islam wa uçul al hukm, en 1925, soutenant la thèse que « le califat n’a pas été négligé seulement par le Coran, qui ne l’a même pas évoqué, il a été ignoré tout autant par la sunna, qui n’en fait aucune mention ». L’année précédente, le 3 mars 1924, le califat ottoman est aboli par Mustafa Kemal Atatürk qui a déjà fondé la République le 29 octobre 1923 et entrepris une vaste politique de laïcisation des institutions et de sécularisation de la société. Les apologistes du califat qui ont violemment réagi à ces événements ont conclu au complot contre l’Islam. Le Cheikh d’Al Azhar, Ali Abderraziq, qui récuse le califat comme catégorie religieuse ou politique a provoqué une série de réactions négatives le condamnant et l’accusant de participer à une œuvre de destruction de la religion. Une avalanche de critiques acerbes s’est abattue sur Abderraziq par des « savants » musulmans conservateurs et des intellectuels comme Mohammed Al Khidr Hussein, Mohammed Bakhit Al Muti’i et Aberrazzak Sanhoury qui a, en 1926, consacré au califat une thèse importante en langue française, dans laquelle il défend pourtant la nécessité de faire évoluer cette institution. Le professeur Ali Merad souligne dans L’Islam contemporain, qu’à partir des années 1925-1926, « le modèle du califat canonique sera de plus en plus discuté, y compris dans les milieux les moins suspects de sécularisme ou d’adhésion aux valeurs socioculturelles de l’Occident ».

Pour l’auteur du Réformisme musulman algérien, la position de Abdelhamid Ben Badis « illustre le mieux la tendance islamique ouverte aux réalités des temps modernes ». Tandis que le monde chrétien change et s’adapte aux nouvelles réalités sociales, économiques et politiques imposées par la révolution industrielle, le monde musulman continue de rêver à son passé glorieux et persiste à vouloir restaurer les vieilles structures tombées en désuétude. Le califat n’est ni cette « cité de Dieu » que saint Augustin oppose à la « cité séculière » ni cette « République prophétique » que le messager d’Allah a instaurée à Médine, dont Jacques Berque parle dans Relire le Coran. Le calife ne symbolise pas le pouvoir spirituel, il ne guide pas l’esprit des gens et ne dispose pas du pouvoir religieux, comme le pape dans la chrétienté. Il détient uniquement, sous le contrôle permanent de la communauté représentée par les « ahl al-hall wa l’aqd » (ceux qui délient et lient), le pouvoir temporel.



Par Brahim Younessi

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Message  azemour Dim 6 Mar - 12:02

le plus grand probléme de l'islam et des études sur l'islam est justement le fait que la plus part des études qui ont trait à l'islam comme religion sont faites par des non musulmans ,en majorité des occidentaux ,ce qui pose le probléme d'objectivité et de probité morale .
et d'autres par ,les rares études (rares parceque elles sont pas diffusées) entreprises par des musulmans modernistes et laiques sur le même sujet ,d'une part souffre d'un grand probléme de diffusion donc de publicité ,méconnues par un large pan du lectorat ,du fait du peu de couverture médiatique que lui réservent les médias occidentaux ,qui est en elle même soumises aux différents lobby de la coalition judéo_chrétienne et au pouvoir de l'argent
et d'autres par la grande tendance des lecteurs musulmans à tout ce qui est édition occidentale ,du fait d'un complexe d'ancien colonisés ,qui est basé sur le principe tout ce qui occidental est forcément meilleur même ce qui a trait à la religion musulmane
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