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Qui est Ferhat Mehenni ?

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Qui est Ferhat Mehenni ? Empty Qui est Ferhat Mehenni ?

Message  Jonas Mar 10 Nov - 18:07

Ferhat Mehenni, le maquisard de la chanson kabyle, comme aimait à l’appeler Kateb Yacine, est né le 5 mars 1951 à Illoula en Grande Kabylie, Algérie. Fils de combattant, la guerre de libération lui ravit son père le laissant très tôt orphelin. Admis tardivement à l’école primaire des enfants de Martyrs à Alger où il fait face pour la première fois au problème linguistique, il découvre sa différence identitaire et du même coup la stigmatisation dont les Berbères font l’objet.


Parcours politique de Ferhat

À l'âge de dix-huit ans, il est forcé de quitter l'école pour gagner sa vie et venir en aide à sa famille. Cependant, parallèlement à sa vie professionnelle il prépare et passe avec succès son baccalauréat, ce qui lui permet d'entrer à l'Université d'Alger où il étudie les sciences politiques. C'est là qu'il fait la connaissance de ceux qui deviendront ses compagnons de lutte. Ensemble ils collaborent à la publication de deux revues « Taftilt » (Lumière) et « Itri » (Étoile) dans lesquelles ils formulent leurs revendications culturelles et linguistiques.

Dès 1967, il s'initie au métier d'auteur compositeur. Deux ans plus tard il est l'invité d'une émission de radio et en avril 1973 il participe au festival de la musique moderne avec son groupe Imazighen Imoula (Les hommes libres du Nord) où il gagne le premier prix.

Ferhat Mehenni est le premier chanteur à poser en termes clairs le problème de l'identité berbère. Son répertoire composé essentiellement de textes engagés dérange dès lors le pouvoir algérien habitué à bâillonner la moindre voix dissidente et prompt à juger subversive toute initiative qui n'a pas l'heur de lui plaire. Cela n'empêche pas Ferhat de prendre part en 1976 au débat sur la Charte nationale en posant la question berbère dans toutes les assemblées ; se faisant la sécurité militaire (SM) le repère ne le lâchera plus. Le 30 octobre 1976 à 6h00 du matin, la SM force la porte de sa chambre à la Cité universitaire et l'arrête dans son sommeil. Après une garde à vue de vingt-quatre heures dans des conditions odieuses, il est fiché et relâché.

En octobre 1977, il obtient sa licence en sciences politiques et après avoir tenté de travailler dans plusieurs sociétés d'État, il décide en 1978 de partir en France pour rejoindre la coopérative berbère Imdyazen ; il en devient rapidement membre actif et lui cède les recettes de ses prochains disques. Militant convaincu de la cause berbère, il est de tous les combats. En mai 1979 il participe, en France, au festival de la chanson engagée et moins d'un an plus tard il se retrouve en première ligne des manifestations du Printemps berbère, à Tizi Ouzou, en Algérie.

Avec les événements de 1980, l'implication de Ferhat va s'intensifier et sa détermination aussi. En interdisant le 11 mars 1980 à l'écrivain Mouloud Mammeri de donner une conférence sur la poésie berbère ancienne à l'Université de Titi Ouzou, le gouvernement algérien venait de donner le coup d'envoi à un mouvement de revendication généralisé à toute la population berbère. Repéré par le régime comme l'un des acteurs fondateurs du mouvement, il est arrêté le 16 avril. Relâché quelques jours après, il reprend ses activités d'animateur culturel avec l'écrivain Kateb Yacine. À partir de 1981 il collabore à la revue du Mouvement Culturel Berbère, « Tafsut » (Printemps).

D'autre part, sa situation d'enfant de martyr de la révolution le rapproche de ceux et celles qui partagent sa condition d'orphelin de guerre laissé pour compte. Avec d'autres, il fonde le Comité des enfants de Martyrs, ce qui lui vaut d'être l'objet d'intimidation et de surveillance accrue. Le 15 décembre 1982 on lui confisque son passeport pour l'empêcher de se rendre à l'étranger (il ne lui sera rendu qu'en 1988), tout en l'interdisant de scène en Algérie. En février 1985, il est arrêté et emprisonné à Tizi Ouzou. Ainsi pense-on le bâillonner, mais c'était mal le connaître. Dès sa sortie de prison il participe, le 30 juin 1985, à la fondation de la Ligue Algérienne des droits de l'Homme et siège au Comité de direction.

Le 17 juillet 1985, Ferhat est de nouveau arrêté à 6h00 du matin devant ses enfants, chez lui à Azazga, pour avoir voulu déposer en marge des cérémonies officielles une gerbe de fleurs sur le sanctuaire des Martyrs. C'est sa douzième arrestation, il est accusé d'atteinte à l'autorité de l'État. Incarcéré à la prison de Berouaghia, il est transféré dans le quartier des condamnés à mort. Torturé, tenu dans l'isolement le plus total, il fait une grève de la faim pendant 12 jours. Il passe en jugement à la Cour de la Sûreté de l'État et se voit transféré à la prison de Lambèse, près de Batna dans la région des Aurès. Dans cette prison tristement célèbre pour les pires sévices qu'on y subit, il est d'emblée accueilli par des gardiens armés de matraques et de barres de fer qui lui cassent le nez avant de le mettre au cachot où il restera plusieurs jours sans soins. Il est finalement libéré en 1987, bénéficiant d'une grâce présidentielle, à la suite d'une campagne de pression menée par la Ligue Internationale des Droits de l'Homme.

En 1989, il crée avec quelques compagnons, notamment le Docteur Saïd Saadi, le parti du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dont il devient Secrétaire national à la culture. Croyant au vent de démocratie qui commence à souffler sur l'Algérie, Ferhat décide de quitter la chanson pour se consacrer à la politique, mais il est rapidement désillusionné. En effet, l'arrivée des islamistes en 1991 et l'assassinat de Mohamed Boudiaf, rentré d'exil pour présider aux destinées du pays, jettent l'Algérie dans le chaos. Les femmes et les intellectuels tombent comme des mouches sous les balles et les couteaux des islamistes ; plusieurs d'entre eux sont de vieux amis et compagnons de route de Ferhat.

Loin de se laisser déstabiliser par le tourbillon des horreurs qui surviennent chaque jour, le poète retourne à la chanson, pour mieux exprimer sans doute les sentiments contradictoires qui animent l'Algérie toute entière. Il demeure cependant en politique puisqu'en 1993 il est élu président du Mouvement culturel berbère (MCB).

Sentant que les graves préoccupations du moment allaient donner au gouvernement un prétexte tout désigné pour mettre une fois de plus la question berbère de côté, il décide de créer la Coordination nationale du mouvement culturel berbère pour donner un nouvel essor au combat identitaire. Il lance un appel au peuple pour le boycott de la rentrée scolaire et universitaire ; l'appel est entendu et suivi. Le gouvernement accepte de négocier, mais en employant de vils moyens puisqu'il s'agit de dresser contre lui ses propres amis pour l'obliger à quitter la direction d'une organisation qu'il a lui-même fondée.

Inlassable, il crée, en 1995, le Rassemblement national amazigh, dont l'objet est de rassembler tous ceux qui luttent pour la reconnaissance de l'identité berbère. Entre temps, Ferhat est pris en otage par les intégristes islamiques dans l'avion d'Air France qui le ramène à Paris, en décembre 1994. Une fois de plus, son sang froid le sauve : au pirate de l'air qui lui promet de l'abattre, il réplique « en me tuant vous rendrez service au gouvernement ».

Dans cet avion qui le mène peut-être vers la mort, Ferhat Mehenni devait sûrement penser qu'à défaut d'avoir atteint le but pour lequel il a consacré sa vie, il n'aura pas tout à fait perdu son temps. En effet, les étudiants de tous les niveaux ont tenu le coup et après huit mois de « grève du cartable », le gouvernement finit par créer le Haut Commissariat à l'amazighité, admettant par le fait même l'existence de la réalité berbère. Le résultat est peut être mince, mais c'est un premier pas et non des moindre puisqu'il fait triompher l'Histoire. Rappelons en effet, qu'il n'y a pas si longtemps les enfants apprenaient à l'école que la présence de la vie humaine en Afrique du Nord commençait avec l'arrivée des Arabes.

À compter de 1995, Ferhat s'installe en France où il vit avec sa famille. Mais fidèle à ses engagements et à son idéal, il continue la lutte pour la culture et la démocratie. De par sa détermination, il a su insuffler le courage et la fierté à toute une génération de jeunes en mal d'être, car la jeunesse Kabyle est loin de baisser les bras. Devant l'inertie du pouvoir à régler le problème identitaire et de démocratie, toute la région berbère de Kabylie s'est soulevée pour réclamer la levée de l'ostracisme qui frappe la culture berbère depuis l'indépendance de l'Algérie, en 1962.

Incapable de laisser faire, Ferhat réinvestit de nouveau le terrain politique en prenant l'initiative avec d'autres personnes de fonder en juin 2001, le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK), afin de proposer au peuple berbère de Kabylie une autre alternative pour se sortir des mains d'un pouvoir qui envoie son armée tirer sur les jeunes. Cette initiative aura peut-être le mérite d'ouvrir de nouvelles perspectives pour l'avenir de la Kabylie qui vit depuis plus de 40 ans dans une forme d'incarcération sociale.

Soucieux de proposer des solutions de rechange au système politique algérien, Ferhat Mehenni entreprend un voyage dans plusieurs pays vivant l'expérience de la cohabitation afin de s'inspirer de leurs expériences.

sources : Nora Hamdi (Motréal 2003)

Parcours artistique de Ferhat

Pour autant, il n'a jamais abandonné la chanson. C'est ainsi, que du haut de ses 51 ans, âge qu'il ne porte pas malgré sa dure carrière d'artiste engagé faite de hauts et de bas, le maquisard de la chanson, comme l'aimait à l'appeler Kateb Yacine, revient avec nouvel album entièrement dédié à la Kabylie intitulé I tamurt n'leqbayel (pour la Kabylie).

Dans la chanson qui porte le nom de l'album, Ferhat Mehenni, qui revient sous son nom artistique Imazighen Imoula, chante cette Kabylie dont il a toujours rêvée. « Sur tes terres poussent orge et blé honorant Bgayet et Tizi, se tournent vers toi les regards de ceux attachés au respect que tu personnifies. »

En présentant ce travail, prévu initialement pour l'année passée, puis renvoyé à cause des évènements qui ont secoué la Kabylie, avec l'actualisation de quelques textes, Ferhat, dans un verbe cru, dénonce la « ségrégation linguistique, culturelle et éthnique » qu'a connue le pays et dont il est un témoin vivant : « Nous avons vécu un apartheid que nos élites nationales, en dehors de quelques très rares voix, n'avaient jamais dénoncé soit par couardise ou complaisance, soit par complicité, notamment chez les tenants de l'arabo-islamisme. »

Intrépide et infatigable, Ferhat Mehenni, qui dit que son « verbe est politique et son regard poétique », était un habitué des geôles du Pouvoir durant les années 1970 et 1980 à cause de son engagement en tant qu'artiste et homme politique.

C'est en 1971, quant il commence à chanter qu'il a déjà été censuré sur les ondes de la Chaîne II. Son verbe incisif commence à déranger. En 1984, année de sortie de 20 issegwassen aya, il est interdit de scène et de sortie du territoire national.

Cette figure emblématique de la cause identitaire, toujours égale à elle-même en dépit de toutes les tornades, ne recule devant rien quand il s'agit de lutter pour le recouvrement, dans toutes ses dimensions, de l'identité amazighe frappée d'anathème au gré d'idéologies calquées sur des modèles importés.

La dualité dans sa personnalité faite à la fois de l'homme politique et de l'artiste, il la vit en symbiose et constitue ainsi sa force tranquille. Il la vit au fait comme un naturel. Sur cette question, Ferhat répond : « Le monde politique se demande pourquoi j'empiète sur ses plates-bandes. » Il ajoutera qu'il « a peur de s'humaniser, d'où une sorte de corporatisme dans un domaine où chacun pour soi, le complot et l'intrigue sont les règles de survie. » C'est pour cela qu'il admet que si pour beaucoup de gens chanter est un acte culturel, pour lui, il est avant tout un acte politique. Il défend ses convictions dans les deux domaines.

En 1989, Ferhat avait déclaré, avec la création du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), troquer sa guitare au profit de l'activité politique, donc abandonner la scène. Durant le boycott scolaire de 1994, le père de la protest song, se distinguera. La même année, il était le rédacteur du fameux communiqué, accompagné d'un ultimatum, adressé aux ravisseurs du rebelle Matoub Lounès, les menaçant de « leur déclarer la guerre au cas où ils toucheraient à un de ses cheveux ».

S'en est suivie sa présence dans l'avion d'Air France, le 24 décembre 1994, détourné par un commando de terroristes. Il s'en est sorti miraculeusement. Les années d'après ont été une véritable traversée du désert. Il reviendra sur le piédestal en 1998 en signant Chanson de feu et de l'eau.

Avec l'éclatement des sanglants évènements du Printemps noir, évènements qui l'ont touché dans sa chair, il lancera le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK). Conférence sur conférence Ferhat Mehenni sillonnera la Kabylie pour expliquer à la population sa conception et les fondements d'une Kabylie autonome. L'idée de l'autonomie lui a valu des critiques acerbes de la classe politique.

Néanmoins, l'idée, il l'assume entièrement et reste convaincu qu'elle demeure la seule et unique voie de salut pour la Kabylie.

En octobre de l'année dernière, Ferhat a chaussé de nouveau le casque d'un studio. Il revient cette semaine avec huit chansons dans l'ancien style qui lui est toujours connu dans le microcosme artistique. A côté de Hymne à la Kabylie, Tant que, Même si, Niagara, Che Guevara, Sang de lumière, Imazighen, Imazighen chante Je reviens (ughaleghd) pour annoncer son retour : « Je reviens des pays, de mes exils, où j'ai abandonné les clès de mon cur voyageur. »

Il signe ainsi le retour de celui qui affirme : « Il est vrai aussi que le métier de la chanson est sans structure viable au point que les créateurs sont livrés à eux-mêmes et meurent dans un dénuement total, et souvent dans l'indifférence nationale, surtout quand ils ont en plus le malheur d'être kabyles. »
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