Max Weber, est un économiste et sociologue allemand originellement formé en droit.
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Max Weber, est un économiste et sociologue allemand originellement formé en droit.
Max Weber [maks vebɛʁ]1 (en allemand [maks ˈveːbɐ]2), né le 21 avril 1864 et mort le 14 juin 1920, est un économiste et sociologue allemand originellement formé en droit.
Considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie, ses interrogations portent sur les changements opérés sur la société avec l'entrée dans la modernité. On lui doit notamment des analyses complexes du capitalisme industriel, de la bureaucratie et du processus de rationalisation en Occident.
Contrairement à Émile Durkheim, considéré lui aussi comme un père de la sociologie, Weber a peu enseigné et n'a pas fait école de son vivant. Et à la différence de Karl Marx, il aborde le capitalisme non pas « de l'extérieur » (en analysant ses composantes économiques) mais « de l'intérieur », en passant au crible les motivations de ses promoteurs et en recourant pour cela à une méthode qu'il qualifie de « compréhensive ». Selon lui, avant de devenir un système économique, le capitalisme est une éthique. C'est pourquoi, estime-t-il, pour analyser ce système, il importe d'étudier d'abord cette éthique, qu'il appelle « l'esprit du capitalisme ».
En marge de son travail de recherche, Weber s'est engagé dans l'action politique, contribuant notamment à la rédaction de la Constitution de la république de Weimar en 1919.
Après sa mort, son épouse, née Marianne Schnitger, également sociologue et connue pour ses positions féministes, a fait publier ses derniers manuscrits. Son œuvre n'a été traduite en France qu'à partir de 1959. Elle connaît aujourd'hui une réputation internationale.
Considéré comme l'un des fondateurs de la sociologie, ses interrogations portent sur les changements opérés sur la société avec l'entrée dans la modernité. On lui doit notamment des analyses complexes du capitalisme industriel, de la bureaucratie et du processus de rationalisation en Occident.
Contrairement à Émile Durkheim, considéré lui aussi comme un père de la sociologie, Weber a peu enseigné et n'a pas fait école de son vivant. Et à la différence de Karl Marx, il aborde le capitalisme non pas « de l'extérieur » (en analysant ses composantes économiques) mais « de l'intérieur », en passant au crible les motivations de ses promoteurs et en recourant pour cela à une méthode qu'il qualifie de « compréhensive ». Selon lui, avant de devenir un système économique, le capitalisme est une éthique. C'est pourquoi, estime-t-il, pour analyser ce système, il importe d'étudier d'abord cette éthique, qu'il appelle « l'esprit du capitalisme ».
En marge de son travail de recherche, Weber s'est engagé dans l'action politique, contribuant notamment à la rédaction de la Constitution de la république de Weimar en 1919.
Après sa mort, son épouse, née Marianne Schnitger, également sociologue et connue pour ses positions féministes, a fait publier ses derniers manuscrits. Son œuvre n'a été traduite en France qu'à partir de 1959. Elle connaît aujourd'hui une réputation internationale.
Azul- Nombre de messages : 29959
Date d'inscription : 09/07/2008
Re: Max Weber, est un économiste et sociologue allemand originellement formé en droit.
Max Weber a entrepris une vaste étude comparative des grandes religions du monde, pour tenter de comprendre comment elles ont influencé ou non le développement économique. Après un siècle, ses typologies servent encore de références – plus ou moins valides – en sociologie des religions.
Dans l'Olympe de la sociologie religieuse, Max Weber (1864-1920) siège aujourd’hui au sommet, foudre en main. Aucun étudiant en sciences sociales ne peut décemment ignorer son emprise, sous peine de sacrilège ou de note éliminatoire. Des ouvrages comme L’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme (1904-1905), Le Judaïsme antique (1917-1919), Economie et Société (posthume, 1922) font presque office de livres saints. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. A y regarder de plus près, M. Weber évoque moins un dieu olympien que le Phénix, créature mythologique réputée renaître de ses cendres.
C’est dans le cadre d’une revue de sciences sociales, créée avec Edgar Jaffé et Werner Sombart, que M. Weber publie coup sur coup plusieurs études qui l’imposent comme un sociologue d’exception. La plus importante n’est autre que L’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme, dans laquelle il développe l’hypothèse d’affinités électives entre une partie de l’éthique et de la théologie protestantes (surtout le puritanisme calviniste) et la culture de l’investissement et du profit d’un entrepreneur capitaliste. Mais son analyse dépasse de loin le terrain protestant : tout en développant une épistémologie rigoureuse et novatrice, il s’attaque à la question du rapport entre la religion, l’économie et la civilisation occidentale. Ses études sur le confucianisme et le taoïsme (sans recherche de terrain), puis sur le judaïsme antique s’inscrivent dans cette perspective, tout comme plusieurs essais inachevés publiés en 1921 et 1922, après la disparition précoce du penseur allemand.
A l’inverse de l’approche d’Emile Durkheim, dont les questionnements philosophiques touchent aux fondements de la vie collective, M. Weber a adopté une approche plus pratique et historique, axée sur la construction des formes de pouvoir et de domination (Herrschaftsoziologie). Sa fameuse typologie des formes d’autorité est restée dans la vulgate de la sociologie religieuse. M. Weber distingue l’autorité rationnelle légale du prêtre, au service d’une bureaucratie de salut, l’autorité traditionnelle du sorcier, fondée sur la transmission d’une tradition reçue, et l’autorité charismatique du prophète, porteur d’une révélation singulière. Cette typologie s’adosse à une opposition binaire entre deux types d’organisations religieuses. D’un côté, nous avons la secte, association volontaire d’individus religieusement qualifiés, en forte tension avec les valeurs dominantes. On se situe dans l’univers des virtuoses du religieux, des fraternités électives et de la prévalence du charisme. De l’autre se dresse le type « Eglise », bureaucratie de biens de salut. Cette dernière est portée par les prêtres, professionnels de la médiation entre le divin et les hommes, gardiens du dogme et du rite. Le type « Eglise » est par excellence celui de l’institution hiérarchisée à vocation d’encadrement de masse.
Une sociologie de la domination
Un autre acquis majeur de l’œuvre wébérienne est la notion d’idéal-type. Comme le soulignent Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime, « M. Weber, plus que tout autre, nous avertit qu’il ne faut jamais confondre l’objet réel et l’objet de connaissance (1) », d’où la fonction essentielle de l’idéal-type dans la démarche d’élucidation des phénomènes socioreligieux. L’idéal-type n’est pas une moyenne empirique, ni l’essence d’une réalité, encore moins un modèle idéal. Il s’agit d’une reconstruction stylisée qui isole certains caractères spécifiques, typiques, du phénomène étudié. En d’autres termes, il s’agit d’une image mentale parmi d’autres possibles. On l’obtient par un effort de rationalisation et d’explicitation, en faisant ressortir certains traits observables dans la réalité empirique, que l’on retient parce qu’on les juge significatifs pour le problème que l’on veut étudier. Cette fonction de « portrait-robot » a nourri, après M. Weber, un siècle de recherche en sciences sociales des religions, débordant du cadre de la sociologie pour nourrir l’approche de nombreux historiens, politologues, anthropologues. M. Weber lui-même a scrupuleusement recouru à l’outil de l’idéal-type qu’il avait forgé pour étudier les relations entre la religion et les autres sphères du social (économie, culture, politique), ainsi que les processus de rationalisation de la conduite dans les sociétés occidentales (thématique de la démagification du monde).
« Adversaire aussi bien du positivisme que de l’historicisme relativiste (2) », il accorde une grande importance aux valeurs. Dans un monde où la religion perd peu à peu son pouvoir englobant, M. Weber formule l’hypothèse que ces valeurs, loin de s’éteindre dans un monde désenchanté, basculent alors dans un régime polythéiste : ce dernier terrain d’analyse, qui postule une « guerre des dieux » suite au retrait de tout sens religieux unificateur global (chrétienté médiévale), reste aujourd’hui d’une actualité brûlante.
Une empreinte durable et discutée
Un siècle après la première publication de L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, la méthodologie wébérienne et ses typologies continuent à faire le bonheur des chercheurs. Mais ces derniers savent aussi qu’on ne saurait sacraliser une pensée historiquement située. L’univers religieux qui était celui de M. Weber, marqué par un contexte dominé par un contraste entre Eglises nationales et sectes, n’est plus le nôtre. Les logiques de pluralisation et de globalisation ont donné naissance à des formes religieuses qui ne rentrent ni dans le type « Eglise » ni dans le type « secte ». Des typologies plus fines sont nécessaires, comme l’ont bien compris, en France, J.-P. Willaime (du modèle associatif-charismatique au modèle institutionnel-rituel) et D. Hervieu-Léger (modes de validation institutionnelle, communautaire, mutuelle). La sociologie des réseaux, inscrite dans les problématiques de la mondialisation des échanges (dont les religions sont d’actifs agents), appelle aussi « un renouveau dans les modèles d’analyse (3) ». Enfin, la problématique explicitement occidentalo-centrée de M. Weber invite à révision. Un siècle d’étude des religions asiatiques a remis en question beaucoup d’hypothèses wébériennes.
Le dogme suivant lequel l’autorité charismatique est en tension avec la bureaucratie rationnelle des Eglises se heurte par exemple avec l’institution taoïste Zhang du Maître céleste (fondée au IIe siècle de l’ère chrétienne). Dans ce dernier cas de figure, le charisme du fondateur ne se routinise pas pour disparaître. Il se transmet au contraire dans un lignage (le successeur n’est choisi que si on lui reconnaît le charisme) et à l’intérieur d’un cadre bureaucratique de type « Eglise ». Il reste que si les catégories sont révisables, l’épistémologie wébérienne a de beaux jours devant elle : des cendres toujours chaudes du foyer allumé il y a cent ans par M. Weber continuent à surgir aujourd’hui les meilleurs travaux en sciences sociales des religions.
NOTES
(1) D. Hervieu-Léger et J.-P. Willaime, Sociologie et religion. Approches classiques, Puf, 2001.
(2) M. Löwy et H. Wismann, « Max Weber, la religion et la construction du social », Archives de sciences sociales des religions, n° 127, juillet-septembre 2004.
(3) A. Colonomos, Églises en réseaux. Trajectoires politiques entre Europe et Amérique, Presses de Sciences po, 2000.
Max Weber, un esprit éclectique
Né à Erfurt (Thuringe), le 21 avril 1864, Max Weber a développé sa formation universitaire à Heidelberg, Strasbourg, Berlin et Göttingen. Du droit à l’économie politique, de la philosophie à la théologie ou l’histoire, sa curiosité est éclectique, sa force de travail fait merveille. Après un doctorat d’histoire médiévale soutenu en 1889, il obtient un premier poste universitaire en 1894, puis décroche une chaire à Heidelberg en 1896. C’est après avoir arrêté l’enseignement en 1903, suite à une dépression nerveuse, que ses travaux en sociologie des religions ont atteint toute leur ampleur.
Sébastien Fath
Historien, chercheur au Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (GSRL, EPHE/ NRS), il a entre autres publié Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en france (1800-2005), Labor et fides, 2005 ; Dieu bénisse l’amérique. La religion de la maison-blanche, seuil, 2004 ; Militants de la bible aux états-unis. Évangéliques et fondamentalistes du sud, autrement, 2004 ; et il a dirigé Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion, Brépols, 2004.
Les grandes religions vues par Max Weber
• L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme
1904-1905, trad. Jean-Pierre Grossein, Gallimard, rééd. 2004.
Cet ouvrage, devenu un classique de la sociologie des religions, est composé de deux études, parues en 1904 et 1905, dont l’édition sera révisée en 1920 et complétée par de copieuses notes
M. Weber part d’un constat : « Le caractère très majoritairement protestant tant des possesseurs de capital et des chefs d’entreprise que des couches supérieures des travailleurs qualifiés, et en particulier du personnel des entreprises modernes doté d’une formation technique ou commerciale supérieure. » Il va donc s’attacher à comprendre en quoi l’éthique protestante a pu en partie favoriser l’essor de l’économie capitaliste.
M. Weber ne dit pas que le protestantisme est à l’origine du capitalisme, ce qui serait réducteur. Il cherche plutôt à montrer les liens, les affinités qui lient l’esprit du capitalisme, une certaine rationalité économique et un certain protestantisme ascétique. Pour ce dernier, le salut ne s’obtient pas par des « œuvres », mais procède uniquement de l’élection par Dieu. Reste que le protestant considère sa réussite matérielle dans ce bas monde comme un signe de bénédiction et d’élection divine. L’objectif n’est pas pour autant de cumuler des richesses pour en jouir. Au contraire, le protestant animé d’un idéal ascétique se consacre tout entier au travail conçu comme une vocation (Beruf). C’est cette éthique, décrite très finement par M. Weber, qui, sans être l’unique cause, aurait contribué au développement de l’économie capitaliste.
• Le Judaïsme antique
1917-1918, trad. Freddy Raphaël, Pocket, 1998.
M. Weber, se référant au système des castes hindoues, définit les Juifs comme un peuple paria, qui vit dans un environnement étranger, mais qui, à la différence des tribus parias de l’Inde, attend le jour où il retrouvera la place supérieure qui doit être la sienne. D’où la question au cœur de cette étude : « Comment les Juifs sont-ils devenus un peuple paria avec une spécificité aussi prononcée ? »
L’étude du judaïsme apparaît pour le sociologue comme déterminante eu égard à son rôle crucial dans l’histoire des religions. Car outre les rites, le judaïsme antique avait « une éthique religieuse du comportement social, éthique hautement rationnelle, c’est-à-dire libre de toute magie comme de toute quête irrationnelle du salut, donc sans rapport aucun avec les quêtes de salut caractérisant les religions de la délivrance asiatiques. Dans une large mesure, cette éthique sert encore de fondement à l’éthique religieuse actuelle des civilisations de l’Europe et de l’Asie Mineure. »
• Sociologie des religions
Textes réunis et traduits par Jean-Pierre Grossein, Gallimard, rééd. 2006.
Ce recueil de textes offre une vue générale et synthétique des principes théoriques qui animent la sociologie des religions de M. Weber. Il permet de mieux comprendre l’articulation entre les différents volets de son enquête et met en évidence son souci d’établir des comparaisons entre les différentes religions.
• Hindouisme et Bouddhisme
1913-1921, traduit de l’allemand par Isabelle Kalinowski et Roland Lardinois, Flammarion, coll. « Champs », 2003.
• Confucianisme et Taoïsme
1916, traduit de l’allemand par Catherine Colliot-Thélène et Jean-Pierre Grossein, Gallimard, 2000.
Ces deux ouvrages entendent non seulement faire le point de ce que la sociologie des religions connaît, à l’époque, des religions indiennes et chinoises, mais aussi et surtout répondre à une question. Comment se fait-il que des sociétés, qui avaient tout pour qu’y naisse le système d’échanges connu comme capitaliste (les villes, les artisans, les acquis techniques…), n’aient pas évolué en ce sens ?
Certes, un spécialiste relèvera immanquablement des affirmations erronées. Mais l’état des connaissances, au début du XXe siècle, rend ces erreurs factuelles secondaires. Reste la thèse, brillamment défendue par le sociologue allemand : si le capitalisme a dû attendre la rencontre avec l’Occident pour émerger en Inde et en Chine (un constat que lui reprocheront nombre de tiers-mondistes dans les années 1970), c’est que les systèmes religieux en place figeaient ces sociétés dans des logiques d’échanges qui n’autorisaient pas l’émergence d’économies autres.
Ainsi de l’Inde. M. Weber décrit la société indienne comme une structure articulée autour du système des castes. Emanation sociétale de l’hindouisme, ce dernier se visualise comme un ensemble de relations construit autour des brahmanes. Ces prêtres détiennent des fonctions qui ressortissent à la fois à celles de l’Eglise et de la secte, sans pour autant s’intégrer à l’un de ces idéaux-types : ils dominent et stabilisent leur société, mais n’imposent pas de dogme. Détenteurs exclusifs de l’interprétation des textes sacrés des Vedas, ils exercent un monopole du sacré et se succèdent de père en fils, héritant ainsi d’un charisme inaliénable.
Ainsi de la Chine. Remontant aux alentours de 200 avant notre ère, M. Weber explique que ce moment voit l’unification de l’Empire chinois, agglomérat de principautés désormais fédérées par le culte rendu à l’empereur. Dans ce système, les villes, contrairement à l’Europe, ne détiendront jamais d’autonomie politique. Les populations, structurées autour des liens de parenté, eux-mêmes sous-tendus par le culte rendu aux ancêtres (taoïsme) et par l’obéissance inconditionnelle due aux supérieurs (le père dans la famille, l’empereur dans le politique, le tout dans le cadre confucéen), ne pourront jamais mettre en œuvre des transactions marchandes à une échelle suffisante pour s’affranchir du pouvoir impérial.
M. Weber analyse donc les rapports de domination à l’œuvre dans les sociétés indiennes et chinoises, recherchant systématiquement des parallèles dans l’histoire d’autres sociétés. Dans la droite ligne de L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (au total, trois études intégrées dans le cadre global de l’Éthique économique des grandes religions), il en conclut :
1) que l’emprise de la religion hindoue fut tellement puissante qu’elle ne fut jamais remise en cause dans l’histoire de l’Inde. La concurrence de religions apparues au sein de son espace (le bouddhisme) ou imposées de l’extérieur (l’islam) ne fit que pousser le système socio-économique des castes à s’adapter. Il ne disparut jamais, s’imposa aux autres cultes, et rendit caduque toute mutation économique… jusqu’à la colonisation britannique.
2) que la domination exercée par le système impérial chinois, reposant sur un gigantesque réseau de fonctionnaires qui monopolisait l’économique par le biais des impôts et étouffait toute émergence d’une bourgeoisie, empêcha la mise en place d’une mentalité capitaliste.
Cette dernière thèse est fragilisée par les études actuelles, qui soulignent que dans certains cadres, la mentalité confucéenne a permis régionalement la constitution de systèmes capitalistes rationalisés (au sens du terme wébérien).
Dans l'Olympe de la sociologie religieuse, Max Weber (1864-1920) siège aujourd’hui au sommet, foudre en main. Aucun étudiant en sciences sociales ne peut décemment ignorer son emprise, sous peine de sacrilège ou de note éliminatoire. Des ouvrages comme L’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme (1904-1905), Le Judaïsme antique (1917-1919), Economie et Société (posthume, 1922) font presque office de livres saints. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi. A y regarder de plus près, M. Weber évoque moins un dieu olympien que le Phénix, créature mythologique réputée renaître de ses cendres.
C’est dans le cadre d’une revue de sciences sociales, créée avec Edgar Jaffé et Werner Sombart, que M. Weber publie coup sur coup plusieurs études qui l’imposent comme un sociologue d’exception. La plus importante n’est autre que L’Ethique protestante et l’Esprit du capitalisme, dans laquelle il développe l’hypothèse d’affinités électives entre une partie de l’éthique et de la théologie protestantes (surtout le puritanisme calviniste) et la culture de l’investissement et du profit d’un entrepreneur capitaliste. Mais son analyse dépasse de loin le terrain protestant : tout en développant une épistémologie rigoureuse et novatrice, il s’attaque à la question du rapport entre la religion, l’économie et la civilisation occidentale. Ses études sur le confucianisme et le taoïsme (sans recherche de terrain), puis sur le judaïsme antique s’inscrivent dans cette perspective, tout comme plusieurs essais inachevés publiés en 1921 et 1922, après la disparition précoce du penseur allemand.
A l’inverse de l’approche d’Emile Durkheim, dont les questionnements philosophiques touchent aux fondements de la vie collective, M. Weber a adopté une approche plus pratique et historique, axée sur la construction des formes de pouvoir et de domination (Herrschaftsoziologie). Sa fameuse typologie des formes d’autorité est restée dans la vulgate de la sociologie religieuse. M. Weber distingue l’autorité rationnelle légale du prêtre, au service d’une bureaucratie de salut, l’autorité traditionnelle du sorcier, fondée sur la transmission d’une tradition reçue, et l’autorité charismatique du prophète, porteur d’une révélation singulière. Cette typologie s’adosse à une opposition binaire entre deux types d’organisations religieuses. D’un côté, nous avons la secte, association volontaire d’individus religieusement qualifiés, en forte tension avec les valeurs dominantes. On se situe dans l’univers des virtuoses du religieux, des fraternités électives et de la prévalence du charisme. De l’autre se dresse le type « Eglise », bureaucratie de biens de salut. Cette dernière est portée par les prêtres, professionnels de la médiation entre le divin et les hommes, gardiens du dogme et du rite. Le type « Eglise » est par excellence celui de l’institution hiérarchisée à vocation d’encadrement de masse.
Une sociologie de la domination
Un autre acquis majeur de l’œuvre wébérienne est la notion d’idéal-type. Comme le soulignent Danièle Hervieu-Léger et Jean-Paul Willaime, « M. Weber, plus que tout autre, nous avertit qu’il ne faut jamais confondre l’objet réel et l’objet de connaissance (1) », d’où la fonction essentielle de l’idéal-type dans la démarche d’élucidation des phénomènes socioreligieux. L’idéal-type n’est pas une moyenne empirique, ni l’essence d’une réalité, encore moins un modèle idéal. Il s’agit d’une reconstruction stylisée qui isole certains caractères spécifiques, typiques, du phénomène étudié. En d’autres termes, il s’agit d’une image mentale parmi d’autres possibles. On l’obtient par un effort de rationalisation et d’explicitation, en faisant ressortir certains traits observables dans la réalité empirique, que l’on retient parce qu’on les juge significatifs pour le problème que l’on veut étudier. Cette fonction de « portrait-robot » a nourri, après M. Weber, un siècle de recherche en sciences sociales des religions, débordant du cadre de la sociologie pour nourrir l’approche de nombreux historiens, politologues, anthropologues. M. Weber lui-même a scrupuleusement recouru à l’outil de l’idéal-type qu’il avait forgé pour étudier les relations entre la religion et les autres sphères du social (économie, culture, politique), ainsi que les processus de rationalisation de la conduite dans les sociétés occidentales (thématique de la démagification du monde).
« Adversaire aussi bien du positivisme que de l’historicisme relativiste (2) », il accorde une grande importance aux valeurs. Dans un monde où la religion perd peu à peu son pouvoir englobant, M. Weber formule l’hypothèse que ces valeurs, loin de s’éteindre dans un monde désenchanté, basculent alors dans un régime polythéiste : ce dernier terrain d’analyse, qui postule une « guerre des dieux » suite au retrait de tout sens religieux unificateur global (chrétienté médiévale), reste aujourd’hui d’une actualité brûlante.
Une empreinte durable et discutée
Un siècle après la première publication de L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme, la méthodologie wébérienne et ses typologies continuent à faire le bonheur des chercheurs. Mais ces derniers savent aussi qu’on ne saurait sacraliser une pensée historiquement située. L’univers religieux qui était celui de M. Weber, marqué par un contexte dominé par un contraste entre Eglises nationales et sectes, n’est plus le nôtre. Les logiques de pluralisation et de globalisation ont donné naissance à des formes religieuses qui ne rentrent ni dans le type « Eglise » ni dans le type « secte ». Des typologies plus fines sont nécessaires, comme l’ont bien compris, en France, J.-P. Willaime (du modèle associatif-charismatique au modèle institutionnel-rituel) et D. Hervieu-Léger (modes de validation institutionnelle, communautaire, mutuelle). La sociologie des réseaux, inscrite dans les problématiques de la mondialisation des échanges (dont les religions sont d’actifs agents), appelle aussi « un renouveau dans les modèles d’analyse (3) ». Enfin, la problématique explicitement occidentalo-centrée de M. Weber invite à révision. Un siècle d’étude des religions asiatiques a remis en question beaucoup d’hypothèses wébériennes.
Le dogme suivant lequel l’autorité charismatique est en tension avec la bureaucratie rationnelle des Eglises se heurte par exemple avec l’institution taoïste Zhang du Maître céleste (fondée au IIe siècle de l’ère chrétienne). Dans ce dernier cas de figure, le charisme du fondateur ne se routinise pas pour disparaître. Il se transmet au contraire dans un lignage (le successeur n’est choisi que si on lui reconnaît le charisme) et à l’intérieur d’un cadre bureaucratique de type « Eglise ». Il reste que si les catégories sont révisables, l’épistémologie wébérienne a de beaux jours devant elle : des cendres toujours chaudes du foyer allumé il y a cent ans par M. Weber continuent à surgir aujourd’hui les meilleurs travaux en sciences sociales des religions.
NOTES
(1) D. Hervieu-Léger et J.-P. Willaime, Sociologie et religion. Approches classiques, Puf, 2001.
(2) M. Löwy et H. Wismann, « Max Weber, la religion et la construction du social », Archives de sciences sociales des religions, n° 127, juillet-septembre 2004.
(3) A. Colonomos, Églises en réseaux. Trajectoires politiques entre Europe et Amérique, Presses de Sciences po, 2000.
Max Weber, un esprit éclectique
Né à Erfurt (Thuringe), le 21 avril 1864, Max Weber a développé sa formation universitaire à Heidelberg, Strasbourg, Berlin et Göttingen. Du droit à l’économie politique, de la philosophie à la théologie ou l’histoire, sa curiosité est éclectique, sa force de travail fait merveille. Après un doctorat d’histoire médiévale soutenu en 1889, il obtient un premier poste universitaire en 1894, puis décroche une chaire à Heidelberg en 1896. C’est après avoir arrêté l’enseignement en 1903, suite à une dépression nerveuse, que ses travaux en sociologie des religions ont atteint toute leur ampleur.
Sébastien Fath
Historien, chercheur au Groupe de sociologie des religions et de la laïcité (GSRL, EPHE/ NRS), il a entre autres publié Du ghetto au réseau. Le protestantisme évangélique en france (1800-2005), Labor et fides, 2005 ; Dieu bénisse l’amérique. La religion de la maison-blanche, seuil, 2004 ; Militants de la bible aux états-unis. Évangéliques et fondamentalistes du sud, autrement, 2004 ; et il a dirigé Le protestantisme évangélique. Un christianisme de conversion, Brépols, 2004.
Les grandes religions vues par Max Weber
• L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme
1904-1905, trad. Jean-Pierre Grossein, Gallimard, rééd. 2004.
Cet ouvrage, devenu un classique de la sociologie des religions, est composé de deux études, parues en 1904 et 1905, dont l’édition sera révisée en 1920 et complétée par de copieuses notes
M. Weber part d’un constat : « Le caractère très majoritairement protestant tant des possesseurs de capital et des chefs d’entreprise que des couches supérieures des travailleurs qualifiés, et en particulier du personnel des entreprises modernes doté d’une formation technique ou commerciale supérieure. » Il va donc s’attacher à comprendre en quoi l’éthique protestante a pu en partie favoriser l’essor de l’économie capitaliste.
M. Weber ne dit pas que le protestantisme est à l’origine du capitalisme, ce qui serait réducteur. Il cherche plutôt à montrer les liens, les affinités qui lient l’esprit du capitalisme, une certaine rationalité économique et un certain protestantisme ascétique. Pour ce dernier, le salut ne s’obtient pas par des « œuvres », mais procède uniquement de l’élection par Dieu. Reste que le protestant considère sa réussite matérielle dans ce bas monde comme un signe de bénédiction et d’élection divine. L’objectif n’est pas pour autant de cumuler des richesses pour en jouir. Au contraire, le protestant animé d’un idéal ascétique se consacre tout entier au travail conçu comme une vocation (Beruf). C’est cette éthique, décrite très finement par M. Weber, qui, sans être l’unique cause, aurait contribué au développement de l’économie capitaliste.
• Le Judaïsme antique
1917-1918, trad. Freddy Raphaël, Pocket, 1998.
M. Weber, se référant au système des castes hindoues, définit les Juifs comme un peuple paria, qui vit dans un environnement étranger, mais qui, à la différence des tribus parias de l’Inde, attend le jour où il retrouvera la place supérieure qui doit être la sienne. D’où la question au cœur de cette étude : « Comment les Juifs sont-ils devenus un peuple paria avec une spécificité aussi prononcée ? »
L’étude du judaïsme apparaît pour le sociologue comme déterminante eu égard à son rôle crucial dans l’histoire des religions. Car outre les rites, le judaïsme antique avait « une éthique religieuse du comportement social, éthique hautement rationnelle, c’est-à-dire libre de toute magie comme de toute quête irrationnelle du salut, donc sans rapport aucun avec les quêtes de salut caractérisant les religions de la délivrance asiatiques. Dans une large mesure, cette éthique sert encore de fondement à l’éthique religieuse actuelle des civilisations de l’Europe et de l’Asie Mineure. »
• Sociologie des religions
Textes réunis et traduits par Jean-Pierre Grossein, Gallimard, rééd. 2006.
Ce recueil de textes offre une vue générale et synthétique des principes théoriques qui animent la sociologie des religions de M. Weber. Il permet de mieux comprendre l’articulation entre les différents volets de son enquête et met en évidence son souci d’établir des comparaisons entre les différentes religions.
• Hindouisme et Bouddhisme
1913-1921, traduit de l’allemand par Isabelle Kalinowski et Roland Lardinois, Flammarion, coll. « Champs », 2003.
• Confucianisme et Taoïsme
1916, traduit de l’allemand par Catherine Colliot-Thélène et Jean-Pierre Grossein, Gallimard, 2000.
Ces deux ouvrages entendent non seulement faire le point de ce que la sociologie des religions connaît, à l’époque, des religions indiennes et chinoises, mais aussi et surtout répondre à une question. Comment se fait-il que des sociétés, qui avaient tout pour qu’y naisse le système d’échanges connu comme capitaliste (les villes, les artisans, les acquis techniques…), n’aient pas évolué en ce sens ?
Certes, un spécialiste relèvera immanquablement des affirmations erronées. Mais l’état des connaissances, au début du XXe siècle, rend ces erreurs factuelles secondaires. Reste la thèse, brillamment défendue par le sociologue allemand : si le capitalisme a dû attendre la rencontre avec l’Occident pour émerger en Inde et en Chine (un constat que lui reprocheront nombre de tiers-mondistes dans les années 1970), c’est que les systèmes religieux en place figeaient ces sociétés dans des logiques d’échanges qui n’autorisaient pas l’émergence d’économies autres.
Ainsi de l’Inde. M. Weber décrit la société indienne comme une structure articulée autour du système des castes. Emanation sociétale de l’hindouisme, ce dernier se visualise comme un ensemble de relations construit autour des brahmanes. Ces prêtres détiennent des fonctions qui ressortissent à la fois à celles de l’Eglise et de la secte, sans pour autant s’intégrer à l’un de ces idéaux-types : ils dominent et stabilisent leur société, mais n’imposent pas de dogme. Détenteurs exclusifs de l’interprétation des textes sacrés des Vedas, ils exercent un monopole du sacré et se succèdent de père en fils, héritant ainsi d’un charisme inaliénable.
Ainsi de la Chine. Remontant aux alentours de 200 avant notre ère, M. Weber explique que ce moment voit l’unification de l’Empire chinois, agglomérat de principautés désormais fédérées par le culte rendu à l’empereur. Dans ce système, les villes, contrairement à l’Europe, ne détiendront jamais d’autonomie politique. Les populations, structurées autour des liens de parenté, eux-mêmes sous-tendus par le culte rendu aux ancêtres (taoïsme) et par l’obéissance inconditionnelle due aux supérieurs (le père dans la famille, l’empereur dans le politique, le tout dans le cadre confucéen), ne pourront jamais mettre en œuvre des transactions marchandes à une échelle suffisante pour s’affranchir du pouvoir impérial.
M. Weber analyse donc les rapports de domination à l’œuvre dans les sociétés indiennes et chinoises, recherchant systématiquement des parallèles dans l’histoire d’autres sociétés. Dans la droite ligne de L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (au total, trois études intégrées dans le cadre global de l’Éthique économique des grandes religions), il en conclut :
1) que l’emprise de la religion hindoue fut tellement puissante qu’elle ne fut jamais remise en cause dans l’histoire de l’Inde. La concurrence de religions apparues au sein de son espace (le bouddhisme) ou imposées de l’extérieur (l’islam) ne fit que pousser le système socio-économique des castes à s’adapter. Il ne disparut jamais, s’imposa aux autres cultes, et rendit caduque toute mutation économique… jusqu’à la colonisation britannique.
2) que la domination exercée par le système impérial chinois, reposant sur un gigantesque réseau de fonctionnaires qui monopolisait l’économique par le biais des impôts et étouffait toute émergence d’une bourgeoisie, empêcha la mise en place d’une mentalité capitaliste.
Cette dernière thèse est fragilisée par les études actuelles, qui soulignent que dans certains cadres, la mentalité confucéenne a permis régionalement la constitution de systèmes capitalistes rationalisés (au sens du terme wébérien).
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