Aokas: la mer, les arbres et les hommes
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Aokas: la mer, les arbres et les hommes
Aokas: la mer, les arbres et les hommes
Une forêt comme il n’en existe pas dans tout le pays, conjurée du lieu et de la mémoire ; une patrie qui avait planté dans nos tréfonds l’amour de la bête et de la plante, et qui continuait de nous transmettre cette façon qu’avait l’ancêtre de convier dame nature dans nos chaumières…
aokas3
Une plage d’Aokas
— Alors, me dit l’ami, comment étaient les vacances?
— Magiques!
— Comme d’habitude, tu aimes adjectiver, mais sérieusement…
— Tu sais, Y, je crois humblement que rien, mais alors rien au monde, ne vaut la rencontre de ceux et de celles que l’on aime ; rien ne vaut le sourire des gens humbles contentés du peu, de l’ami qui te renvoie dans les calendes de la mémoire… C’était magique, je te le dis.
— Alors, objectivement, le pays ?
— L’État? Je m’en fous comme de l’an quarante, mais les gens, la patrie…
— Mais qu’est-ce que la patrie pour toi?
Une étreinte d’ami, pensé-je, une veillée qui encense la vastitude du monde, une discussion qui survole la mémoire, un proche qui te ramène dans la topographie de l’enfance, un ruisseau qui te murmure dans l’oreille une sonate de l’eau, une fontaine qui glougloute comme un cœur battant, quelques bières, fraîches et envoilées, qui délient le verbe, le goût de la figue sur l’arbre, de la tomate coupée et étalée sur un morceau de galette encore fumant, l’eau et les chandelles dans les yeux…
— Tout sauf ce que l’on veut nous imposer.
— Tu n’as jamais cessé d’être émerveillé par les mêmes paysages…
— Et comment!
Au-dessous de la pinède, après le sable or et farine, un morceau de la Méditerranée, un poème d’eau aux rimes des vaguelettes et du clapotis. Azurée, l’infinité aquatique accueillait bateaux et felouques. Sur la plage, le pays encore possible continue de ré-concilier les hommes. Un havre de paix et de tolérance, dit un enseignant, que cette ville d’Aokas. Sur la plage, des hommes et des femmes se tiennent la main. Il y en a même, noyés dans la foule ou se baignant dans les eaux lointaines, qui s’embrassent, dérobent à la foule baisers et caresses. En haut, orgueilleuses, vertigineuses, sentinelles plurimillénaires, les montagnes des Babors. Comment ne pas être journellement fasciné d’un pays aussi pétri d’horizon, les pieds dans les ondes et la tête dans les étoiles? comment…
Aokas résiste, repousse encore les eaux inexorables du déluge idéologique caractéristique. Le pays est une rare contrée où l’on prend encore sa bière sans attenter aux cieux et aux hommes ; rare pays où les bars ne ressemblent pas aux toilettes publiques des pays de la dèche, où l’on marche encore pour la liberté de conscience et de religion, où la tolérance est un fait de tous les jours, où l’orientation laïque d’une discussion dans un estaminet relève plutôt de l’évidence du vivre ensemble.
— Je renais à chaque voyage, je dis encore à mon ami Y.
— Et l’islamisme ?
— Visible un peu, mais se contente pour l’instant de marcher à pas feutrés.
— Pourquoi ?
— Pour un tas de raisons. Il y a encore la place du livre, des associations qui militent, des gens qui œuvrent, des écologistes, des berbéristes, des démocrates convaincus, bref, des gens qui croient encore que l’on peut être autre chose que des hommes rationnées par les œillères de l’islamisme et de l’arabisme. C’est encore une région où les islamistes n’ont aucune chance. Demain, si Aokas sombre, c’est que l’Algérie est une théocratie depuis longtemps!
— Toujours aussi optimiste.
— L’optimisme c’est voir la vie à travers un rayon de soleil[1].
— Mais les ordures, la déchetterie sur la plage…
— Tu as raison, avant que l’on ait la déchetterie à sa fenêtre, il fallait qu’on l’ait eu dans l’âme. Seulement, c’est plus complexe, ça dépasse la ville…
— Et que penses-tu de la forêt et de la ceinture d’arbres qui ceignent la mer ?
Mon ami Y parle de ceux qui disent sacrés les arbres versus ceux qui les pensent intégrables dans un projet touristique digne de ce nom.
Un ami m’en a déjà posé la question, autour d’un café. J’ai répondu qu’enfant j’avais une mer de verdure à la fenêtre. Qui des miens ne se souvient pas d’Acheritt et de la légendaire étroitesse d’esprit d’un ministre qui, surplombant le pays des arbres, avait décrété que la forêt n’avait plus sa place dans les cœurs. Oh! Nos parents et grands parents disent encore que nous ne connaissions pas alors toutes ces légions de fourmis voraces qui engloutissent tout, que nous ne savions pas pour toutes ces maladies bizarres qui ravissent désormais tous les jours. Le pays humait une brise pure, un vent fécond qui ne charriait pas les ordures pestilentielles et qui semait partout ses oiseaux parfumés et invisibles. La tomate, le poivron, la figue, la grenade, la poire, la pomme, la prune… doraient au soleil, arboraient les plus belles de leurs robes. Le fruit se souvenait encore de la Méditerranée, avait encore la mémoire du soleil et l’empreinte de la main paysanne.
— Alors, me dit encore insatisfait de ma réponse Y.
— Un arbre est là avant l’hôtel, avant le camping, avant l’homme, avant le tourisme, avant nous. Le Canada c’est presque dix millions kilomètres carrés de superficie, l’un des pays les plus verts et les plus sauvages de la planète, pourtant un gratte-ciel ne détrône pas l’arbre; c’est au bâtiment de chercher ailleurs, de se courber ou de se plier s’il le fallait pour que l’arbre continue à dompter les hauteurs.
— Tu veux dire que l’investissement dont on parle c’est du pipeau ?
— Je ne doute pas de la bonne intention des uns et des autres, mais je pense que personne n’a le droit de toucher à un seul arbre. C’est ce qui me fait, c’est ce qui nous fait. Quant aux investissements dont on parle, l’État qui rase sa flore n’est pas dans son espace temps. D’ailleurs de quel État on parle ? Des hommes politiques qui croient encore qu’un pays c’est des panses à remplir ne peuvent pas réfléchir un pays qui ne dépasse pas la réflexion autour du litre de sang tribal. Qu’est-ce que la plage d’Aokas sans la singularité que lui procurent ses pins et ses eucalyptus, sans le voile de verdure qui pose ses aquarelles sur le pays de l’azur ?
Je raconte à Y l’histoire d’un ami étudiant, M, que j’ai connu à l’université et qui avait campé ici, au milieu de la forêt qui ceinture les eaux. Mon ami M me dit qu’il s’était endormi durant tout le voyage et qu’il ne s’était réveillé qu’une fois le véhicule stationné, au milieu des arbres titans qui tamisent à peine la mer, tant ils sont feuillus et croissent dans une forêt quasi-sauvage. Et comme les temps colportaient alors de toutes les rumeurs abracadabrantesques, l’ami me dit qu’il pensait qu’un quelque groupe terroriste islamiste avait détourné les touristes en direction de l’une de ces lieux de sinistre mémoire. Il n’en revenait pas qu’à quelques coudées d’ici, il y avait, majestueuse, après le sable comme des pépites d’étoiles, la Méditerranée. J’ai été en Espagne, avait rajouté M, les plages sont incroyablement propres ; j’ai été en Italie… Mais jamais je n’ai vue pareille plage.
Mon ami parlait de la plage et de la nature alentour avant le bipède que nous sommes, avant l’État qui croit que l’on fait la paix comme on fait la guerre, que l’on instruit un peuple comme on gave des élevages concentrationnaires.
— Franchement, enchéris-je pour étayer mon point de vue auprès de Y, un État issu du viol de la raison la plus élémentaire, un pays qui vote des constitutions à coup de mains levées, des députés qui payent des fortunes pour être têtes de listes et s’octroyer le droit seigneurial moyenâgeux de pucelage des peuples… et on parle du tourisme !
Les États partent. Demain, l’Algérie s’appellera peut-être autrement, mais la forêt restera. Doit rester. L’investissent, oui, mais celui qui réfléchira l’arbre et la bête, raisonnera l’avoir et l’être, pensera à l’argent au même titre qu’à l’arbre.
Je me souviens de la forêt d’Acheritt. On y faisait paître nos vaches, nos brebis, nos biquettes. L’herbe était drue, haute, verte. L’eau qui y coulait, enfourchait rigoles, lacs et ruisseaux, était l’espace de la sérénade des amphibiens et des kyrielles des oiseaux. Nous parlions tous les jours aussi bien des animaux domestiques que de ceux sauvages. Ils n’étaient pas encore ces souillures que disqualifient l’oraison et le pamphlet doctrinaire. Ils n’étaient pas encore ces créatures qui chassent les angelots et qui contraignent à une autre ablution.
Quelquefois, on égarait une bête. Commençait alors la nuit interminable à vaticiner sur le sort de la génisse ou de la brebis génitrice. Parfois, le lendemain, comblés de bonheur, nous retrouvions, indemne et visiblement harassée, notre bête qui avait mis bas. Un agneau et une agnelle pour enrichir la bergerie et le foyer, au nez et à la barbe du chacal, maître incontesté du labyrinthe boisé et feuillu.
Le martinet ou la baguette d’osier guettait le moindre faux pas des jeunes bergers que nous étions. Les arbres, innombrables et touffus, avaient la crinière dans la Voûte. On raconte que nos combattants, pendant la glorieuse guerre, y évoluaient comme des poissons dans l’eau. L’armée française ne pouvait les en déloger et pour cause, c’était la jungle nourrie au pluriel du vivant, au marécage et à la brise marine. Du reste, c’était pour ça que les Français n’avaient jamais pensé en faire autre chose que la forêt.
Vint alors l’État, le pays dit de la légitimité historique qui n’a cure de la préoccupation élémentaire des hommes et des femmes; une décision unilatérale de simplet et voila les camions, les bulldozers, les tombereaux et les pelles mécaniques à nos fenêtres pour déloger de nos cœurs la verdure, conjurer le paysage forgeron de notre regard sur le monde. Quelques mois plus tard, il ne restait plus que quelques arbres dépouillés et disparates semés comme des petites îles dans le naufrage du renoncement et de l’invention désertique. Pour l’agriculture, nous dira-t-on, de surcroît !
Une forêt comme il n’en existe pas dans tout le pays, conjurée du lieu et de la mémoire ; une patrie qui avait planté dans nos tréfonds l’amour de de la bête et de la plante, et qui continuait de nous transmettre cette façon qu’avait l’ancêtre de convier dame nature dans nos chaumières…
Je dis à mon ami Y que les pays ouverts sont ceux qui ont la forêt à la fenêtre, que l’Inquisiteur a horreur de la verdure et des arbres afin qu’il voie et contrôle tout. Je lui dis que la forêt était un de ces endroits qui avait affranchi les Européens du sombre Moyen-Âge et de l’église. La forêt est l’espace de la transgression, du baiser et de l’amour à l’insu, de l’évasion et de l’escapade qui posaient les premières gestes qui auguraient pour les Lumières. Le désert par contre est synonyme de contrôle. Raser l’arbre dénude l’âme, voue aux gémonies des sentinelles de l’ordre établi. Les religions, toutes les religions d’ailleurs qui croient que la diversité est une malédiction, sont originaires du désert, de l’erg aphasique pour qui l’oasis est parole subversive, de là où l’arbre est un être rare, de là où on peut voir le visiteur trois jours avant son arrivée, comme dit un ami.
Ce n’est pas à l’arbre de s’acclimater, c’est au capital et au capitaliste de le faire. Mais, n’est-ce pas, dit le proverbe africain, si l’arbre savait ce que lui réserve la hache, il ne lui fournirait pas de manche!
Par Louenas Hassani
……………………………
[1]- Antonio Gramsci.
Source:
http://kabyleuniversel.com/…/aokas-la-mer-les-arbres-et-le…/
Une forêt comme il n’en existe pas dans tout le pays, conjurée du lieu et de la mémoire ; une patrie qui avait planté dans nos tréfonds l’amour de la bête et de la plante, et qui continuait de nous transmettre cette façon qu’avait l’ancêtre de convier dame nature dans nos chaumières…
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Une plage d’Aokas
— Alors, me dit l’ami, comment étaient les vacances?
— Magiques!
— Comme d’habitude, tu aimes adjectiver, mais sérieusement…
— Tu sais, Y, je crois humblement que rien, mais alors rien au monde, ne vaut la rencontre de ceux et de celles que l’on aime ; rien ne vaut le sourire des gens humbles contentés du peu, de l’ami qui te renvoie dans les calendes de la mémoire… C’était magique, je te le dis.
— Alors, objectivement, le pays ?
— L’État? Je m’en fous comme de l’an quarante, mais les gens, la patrie…
— Mais qu’est-ce que la patrie pour toi?
Une étreinte d’ami, pensé-je, une veillée qui encense la vastitude du monde, une discussion qui survole la mémoire, un proche qui te ramène dans la topographie de l’enfance, un ruisseau qui te murmure dans l’oreille une sonate de l’eau, une fontaine qui glougloute comme un cœur battant, quelques bières, fraîches et envoilées, qui délient le verbe, le goût de la figue sur l’arbre, de la tomate coupée et étalée sur un morceau de galette encore fumant, l’eau et les chandelles dans les yeux…
— Tout sauf ce que l’on veut nous imposer.
— Tu n’as jamais cessé d’être émerveillé par les mêmes paysages…
— Et comment!
Au-dessous de la pinède, après le sable or et farine, un morceau de la Méditerranée, un poème d’eau aux rimes des vaguelettes et du clapotis. Azurée, l’infinité aquatique accueillait bateaux et felouques. Sur la plage, le pays encore possible continue de ré-concilier les hommes. Un havre de paix et de tolérance, dit un enseignant, que cette ville d’Aokas. Sur la plage, des hommes et des femmes se tiennent la main. Il y en a même, noyés dans la foule ou se baignant dans les eaux lointaines, qui s’embrassent, dérobent à la foule baisers et caresses. En haut, orgueilleuses, vertigineuses, sentinelles plurimillénaires, les montagnes des Babors. Comment ne pas être journellement fasciné d’un pays aussi pétri d’horizon, les pieds dans les ondes et la tête dans les étoiles? comment…
Aokas résiste, repousse encore les eaux inexorables du déluge idéologique caractéristique. Le pays est une rare contrée où l’on prend encore sa bière sans attenter aux cieux et aux hommes ; rare pays où les bars ne ressemblent pas aux toilettes publiques des pays de la dèche, où l’on marche encore pour la liberté de conscience et de religion, où la tolérance est un fait de tous les jours, où l’orientation laïque d’une discussion dans un estaminet relève plutôt de l’évidence du vivre ensemble.
— Je renais à chaque voyage, je dis encore à mon ami Y.
— Et l’islamisme ?
— Visible un peu, mais se contente pour l’instant de marcher à pas feutrés.
— Pourquoi ?
— Pour un tas de raisons. Il y a encore la place du livre, des associations qui militent, des gens qui œuvrent, des écologistes, des berbéristes, des démocrates convaincus, bref, des gens qui croient encore que l’on peut être autre chose que des hommes rationnées par les œillères de l’islamisme et de l’arabisme. C’est encore une région où les islamistes n’ont aucune chance. Demain, si Aokas sombre, c’est que l’Algérie est une théocratie depuis longtemps!
— Toujours aussi optimiste.
— L’optimisme c’est voir la vie à travers un rayon de soleil[1].
— Mais les ordures, la déchetterie sur la plage…
— Tu as raison, avant que l’on ait la déchetterie à sa fenêtre, il fallait qu’on l’ait eu dans l’âme. Seulement, c’est plus complexe, ça dépasse la ville…
— Et que penses-tu de la forêt et de la ceinture d’arbres qui ceignent la mer ?
Mon ami Y parle de ceux qui disent sacrés les arbres versus ceux qui les pensent intégrables dans un projet touristique digne de ce nom.
Un ami m’en a déjà posé la question, autour d’un café. J’ai répondu qu’enfant j’avais une mer de verdure à la fenêtre. Qui des miens ne se souvient pas d’Acheritt et de la légendaire étroitesse d’esprit d’un ministre qui, surplombant le pays des arbres, avait décrété que la forêt n’avait plus sa place dans les cœurs. Oh! Nos parents et grands parents disent encore que nous ne connaissions pas alors toutes ces légions de fourmis voraces qui engloutissent tout, que nous ne savions pas pour toutes ces maladies bizarres qui ravissent désormais tous les jours. Le pays humait une brise pure, un vent fécond qui ne charriait pas les ordures pestilentielles et qui semait partout ses oiseaux parfumés et invisibles. La tomate, le poivron, la figue, la grenade, la poire, la pomme, la prune… doraient au soleil, arboraient les plus belles de leurs robes. Le fruit se souvenait encore de la Méditerranée, avait encore la mémoire du soleil et l’empreinte de la main paysanne.
— Alors, me dit encore insatisfait de ma réponse Y.
— Un arbre est là avant l’hôtel, avant le camping, avant l’homme, avant le tourisme, avant nous. Le Canada c’est presque dix millions kilomètres carrés de superficie, l’un des pays les plus verts et les plus sauvages de la planète, pourtant un gratte-ciel ne détrône pas l’arbre; c’est au bâtiment de chercher ailleurs, de se courber ou de se plier s’il le fallait pour que l’arbre continue à dompter les hauteurs.
— Tu veux dire que l’investissement dont on parle c’est du pipeau ?
— Je ne doute pas de la bonne intention des uns et des autres, mais je pense que personne n’a le droit de toucher à un seul arbre. C’est ce qui me fait, c’est ce qui nous fait. Quant aux investissements dont on parle, l’État qui rase sa flore n’est pas dans son espace temps. D’ailleurs de quel État on parle ? Des hommes politiques qui croient encore qu’un pays c’est des panses à remplir ne peuvent pas réfléchir un pays qui ne dépasse pas la réflexion autour du litre de sang tribal. Qu’est-ce que la plage d’Aokas sans la singularité que lui procurent ses pins et ses eucalyptus, sans le voile de verdure qui pose ses aquarelles sur le pays de l’azur ?
Je raconte à Y l’histoire d’un ami étudiant, M, que j’ai connu à l’université et qui avait campé ici, au milieu de la forêt qui ceinture les eaux. Mon ami M me dit qu’il s’était endormi durant tout le voyage et qu’il ne s’était réveillé qu’une fois le véhicule stationné, au milieu des arbres titans qui tamisent à peine la mer, tant ils sont feuillus et croissent dans une forêt quasi-sauvage. Et comme les temps colportaient alors de toutes les rumeurs abracadabrantesques, l’ami me dit qu’il pensait qu’un quelque groupe terroriste islamiste avait détourné les touristes en direction de l’une de ces lieux de sinistre mémoire. Il n’en revenait pas qu’à quelques coudées d’ici, il y avait, majestueuse, après le sable comme des pépites d’étoiles, la Méditerranée. J’ai été en Espagne, avait rajouté M, les plages sont incroyablement propres ; j’ai été en Italie… Mais jamais je n’ai vue pareille plage.
Mon ami parlait de la plage et de la nature alentour avant le bipède que nous sommes, avant l’État qui croit que l’on fait la paix comme on fait la guerre, que l’on instruit un peuple comme on gave des élevages concentrationnaires.
— Franchement, enchéris-je pour étayer mon point de vue auprès de Y, un État issu du viol de la raison la plus élémentaire, un pays qui vote des constitutions à coup de mains levées, des députés qui payent des fortunes pour être têtes de listes et s’octroyer le droit seigneurial moyenâgeux de pucelage des peuples… et on parle du tourisme !
Les États partent. Demain, l’Algérie s’appellera peut-être autrement, mais la forêt restera. Doit rester. L’investissent, oui, mais celui qui réfléchira l’arbre et la bête, raisonnera l’avoir et l’être, pensera à l’argent au même titre qu’à l’arbre.
Je me souviens de la forêt d’Acheritt. On y faisait paître nos vaches, nos brebis, nos biquettes. L’herbe était drue, haute, verte. L’eau qui y coulait, enfourchait rigoles, lacs et ruisseaux, était l’espace de la sérénade des amphibiens et des kyrielles des oiseaux. Nous parlions tous les jours aussi bien des animaux domestiques que de ceux sauvages. Ils n’étaient pas encore ces souillures que disqualifient l’oraison et le pamphlet doctrinaire. Ils n’étaient pas encore ces créatures qui chassent les angelots et qui contraignent à une autre ablution.
Quelquefois, on égarait une bête. Commençait alors la nuit interminable à vaticiner sur le sort de la génisse ou de la brebis génitrice. Parfois, le lendemain, comblés de bonheur, nous retrouvions, indemne et visiblement harassée, notre bête qui avait mis bas. Un agneau et une agnelle pour enrichir la bergerie et le foyer, au nez et à la barbe du chacal, maître incontesté du labyrinthe boisé et feuillu.
Le martinet ou la baguette d’osier guettait le moindre faux pas des jeunes bergers que nous étions. Les arbres, innombrables et touffus, avaient la crinière dans la Voûte. On raconte que nos combattants, pendant la glorieuse guerre, y évoluaient comme des poissons dans l’eau. L’armée française ne pouvait les en déloger et pour cause, c’était la jungle nourrie au pluriel du vivant, au marécage et à la brise marine. Du reste, c’était pour ça que les Français n’avaient jamais pensé en faire autre chose que la forêt.
Vint alors l’État, le pays dit de la légitimité historique qui n’a cure de la préoccupation élémentaire des hommes et des femmes; une décision unilatérale de simplet et voila les camions, les bulldozers, les tombereaux et les pelles mécaniques à nos fenêtres pour déloger de nos cœurs la verdure, conjurer le paysage forgeron de notre regard sur le monde. Quelques mois plus tard, il ne restait plus que quelques arbres dépouillés et disparates semés comme des petites îles dans le naufrage du renoncement et de l’invention désertique. Pour l’agriculture, nous dira-t-on, de surcroît !
Une forêt comme il n’en existe pas dans tout le pays, conjurée du lieu et de la mémoire ; une patrie qui avait planté dans nos tréfonds l’amour de de la bête et de la plante, et qui continuait de nous transmettre cette façon qu’avait l’ancêtre de convier dame nature dans nos chaumières…
Je dis à mon ami Y que les pays ouverts sont ceux qui ont la forêt à la fenêtre, que l’Inquisiteur a horreur de la verdure et des arbres afin qu’il voie et contrôle tout. Je lui dis que la forêt était un de ces endroits qui avait affranchi les Européens du sombre Moyen-Âge et de l’église. La forêt est l’espace de la transgression, du baiser et de l’amour à l’insu, de l’évasion et de l’escapade qui posaient les premières gestes qui auguraient pour les Lumières. Le désert par contre est synonyme de contrôle. Raser l’arbre dénude l’âme, voue aux gémonies des sentinelles de l’ordre établi. Les religions, toutes les religions d’ailleurs qui croient que la diversité est une malédiction, sont originaires du désert, de l’erg aphasique pour qui l’oasis est parole subversive, de là où l’arbre est un être rare, de là où on peut voir le visiteur trois jours avant son arrivée, comme dit un ami.
Ce n’est pas à l’arbre de s’acclimater, c’est au capital et au capitaliste de le faire. Mais, n’est-ce pas, dit le proverbe africain, si l’arbre savait ce que lui réserve la hache, il ne lui fournirait pas de manche!
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