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CONFÉRENCE DE SAID SADI A EL KSEUR, LE 02 JANVIER 2015.

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Message  folle Lun 5 Jan - 10:41

CONFÉRENCE DE SAID SADI A EL KSEUR, LE 02 JANVIER 2015.


HOCINE SALHI ET TAHAR AMIROUCHENE : symboles d’hier et messagers d’aujourd’hui.



Bonjour,
Bonne année,
Je souhaite à chacune et chacun de vous la réalisation de tous ses projets.
Il y a des hommes dont les existences sont des destins
Même courtes, leurs vies sont plus fortes que la mort
Avant de renter dans le sujet qui nous rassemble en ce début de l’année 2015, je voudrais saluer les efforts des membres de l’association TIKLAT qui ont organisé cette rencontre. Je sais combien il est difficile de se mobiliser bénévolement pour entretenir l’éveil citoyen sur des questions d’intérêt général. Je sais aussi que cet engagement est d’autant plus laborieux que les pouvoirs publics poussent par toutes sortes d’artifices au délitement du monde associatif, transformé en niches clientélistes. Que chacun trouve ici l’expression de mes remerciements de conférencier et de mon respect citoyen.
La deuxième observation que je souhaiterais apporter devant vous c’est la reconnaissance que je dois à des anciens maquisards longtemps réduits au silence par la puissance médiatique d’un système qui a dégradé, quand il n’a pas mis sous une chape de plomb, le combat mené en wilaya III par le colonel Amirouche et ses hommes.
Quand, jeunes nous cherchions à savoir comment et avec qui Amirouche avait construit cette wilaya légendaire, nous avions peu ou pas de sources capables de nous éclairer pour préciser et approfondir l’héroïsme épique que nos mères chantaient pendant la guerre. Ce sont les témoignages de ces maquisards usés par les maladies, gagnés par la fatigue, légitimement désabusés par les retournements de situations qui nous ont, malgré tout, permis de retrouver les grandes balises qui ont jalonné l’histoire de la wilaya III. Que Rachid Adjaoud, Djoudi Attoumi, Abdelmadjid Azzi, Hamou Amirouche, Amokrane Abdelhafidh, Ali Yahia Abdenour, Abdelhamid Djouadi pour ne citer que les plus connus soient remerciés car c’est grâce aux bribes de vérité qu’ils ont transmis dans un monde de censure que j’ai pu entamer mes recherches sur le combat d’Amirouche qui m’a conduit à la découverte de deux jeunes, oubliés aujourd’hui et dont l’engagement a pesé de façon considérable sur les étapes décisives de la guerre de libération nationale.
A chaque fois que je me suis penché sur le destin de ces deux hommes d’exception je n’ai pas pu chasser de ma tête le chant de Mohand u Yidir Ait Amrane « amdakwel » composé dans les années 40.
Deg-gidmar’a-d neffevakken
Nettvummu s yiwenubernus
Mi vi-d wallanyaâdawen
Qqaren as wigi d atmaten
Am idudanufus
Vies parallèles qui se sont construites et accomplies dans les mêmes cadres, autour des mêmes valeurs avec la même ferveur et pour la même cause. Ces existences hors normes sont hélas oubliées, banalisées ou minimisées, ce qui est déjà un terrible dommage pour la mémoire d’une jeune nation guettée par l’oubli ou les redistributions factices d’une histoire devenu un instrument de conquête et de confiscation du pouvoir. Mais cet effacement pose un autre problème : il prive la jeunesse d’aujourd’hui de deux parcours qui peuvent éclairer ses cheminements dans une période marquée par l’absence de repères, ce qui pousse à l’assouvissement de désirs par des procédés peu compatibles avec un projet de vie digne, stable et fécond.
Plus j’avançais dans mes investigations, plus je découvrais la valeur humaine et le talent de ces deux cadres.
Pour des raisons plus ou moins compréhensibles, on a longtemps fait de la guerre de libération un événement linéaire qui a entraîné au même rythme et avec la même intensité tous les acteurs dans une dynamique où les tenants et aboutissants du conflit étaient écrits dès le premier.
Les choses sont plus complexes et il est de notre responsabilité de tout faire pour mieux comprendre chaque phase et chaque décision pour que demain nos enfants, instruits de des expériences des aînés, avancent au mieux et au plus vite dans les nouveaux combats qui les attendent. Cette devoir vigilance nous oblige cependant à un autre engagement : ne pas juger les hommes un demi siècle après des drames que nous devons et avons le droit de connaître non pas pour accabler des acteurs pris dans une terrible tourmente mais savoir pour réparer et prévenir d’autres tragédies car les positions et les décisions des militants surtout quand ils sont responsables peuvent mener au meilleur comme au pire, d’où la nécessité de toujours rétablir la vérité des faits.
Dans toute révolution il y a un objectif, des valeurs et des principes qui guident la lutte et des stratégies pour la mettre en oeuvre. Mais, redisons le, il y a aussi des hommes et tous ne peuvent pas accomplir les mêmes tâches ni jouer les mêmes rôles. L’histoire des peuples s’accomplit quand les élites sont au rendez vous des attentes du peuples.
Et dès leur prime jeunesse, Hocine Salhi et Tahar Amirouchene ont su répondre à l’appel de l’histoire. C’est en ce sens que leur vie les dépasse et qu’elles nous parlent aujourd’hui.
Ce n’est pas réduire ou minimiser l’apport des autres, de tous les autres que de mettre en valeur les qualités et les vertus des personnes qui concentrent en eux-mêmes des capacités hors du commun. En dévoilant et en soulignant ces dons, on rend hommage à tous ceux qui, chacun à sa mesure, a contribué à prolonger par une mise œuvre collective des intuitions, des idées et des décisions lumineuses qui seraient restées peut être restées lettres mortes sans la ferveur et le dévouement collective.
Dans la ville d’El Kseur, il y a deux figures semblables et pourtant singulières qui ont été vécus comme des exemples de patriotisme pour tous ceux qui les ont connus. Leur intelligence, leur maturité, leur dévouement et leur générosité leur ont conféré une aura qui ont marqué leurs compagnons, y compris ceux qui étaient plus âgés, plus gradés ou plus ancien qu’eux dans la lutte.
Hocine Salhi est né en 1928 et Tahar Amirouchene en 1929. Les deux ont vu le jour à El Kseur. Les deux sont morts dans des conditions sur lesquelles je reviendrai à l’âge de 30 ans. Ils avaient derrière eux des bilans que certains responsables revendiquent après une existence qui a duré deux fois la leur voire plus. Aujourd’hui les noms de ces deux jeunes d’exception sont honorés par des rues ou quelques modestes édifices publics de leur village d’origine.
Enfants, les deux ont grandi dans le même contexte politique où le scoutisme, à l’époque coloniale, a joué un rôle important dans l’éducation civique et l’éveil de la conscience politique des jeunes autochtones. Comme si les parcours avaient été programmés par le destin, Tahar et Hocine ont travaillé au tribunal d’El Kseur d’où ils ont pu voir comment la même loi pouvait connaître une traduction et une application différentes selon que l’on soit bien ou mal né. C’est donc sur le lieu où la justice est supposée réparer les abus que la révolte est née. Mais combien de jeunes de leur temps ont vu l’injustice accabler leurs semblables, leurs voisins ou même leurs proches sans que, pour autant, ils renoncent à une vie relativement privilégiée puisqu’au milieu des années cinquante des employés greffiers autochtones n’étaient pas, loin s’en faut, les plus défavorisés.
A priori, ces deux parcours n’avaient rien de particulier pour des jeunes Algériens sortant de l’adolescence après la seconde guerre mondiale. Et rien ne les prédisposait à un engagement dans un combat sans merci où ils devaient renoncer à la vie confortable qui s’ouvrait devant eux.
Comment et pourquoi deux commis greffiers ont été projetés en quelques mois à des responsabilités politiques et militaires qu’ils ont assumées avec un talent et une efficacité qui, on le verra plus loin, ont surpris des dirigeants aguerris aux exigences du combat clandestin.
Hocine Salhi avait découvert le scoutisme à Khemis Miliana où la guerre avait regroupé plusieurs lycéens pendant la guerre. Quand il revient dans son village d’origine en 1944, il avait 16 ans.Sitôt arrivé sur place, il renoue avec le scoutisme qui, sous son impulsion, connaît un essor remarquable. Il organise, anime, recrute et forme avec une autorité qui le fait remarquer par les parents et les responsables. Son charisme le désigne naturellement comme représentant des Scouts Musulmans Algériens au jamboree du Mouvement international de la jeunesse organisé en France dans la ville de Moisson.
Rentré dans la vie active, il ne se laisse pas distraire par les considérations ordinaires qui construisent la vie d’adulte. Le destin de sa communauté absorbe son énergie et ses compétences.
Sa vie professionnelle au tribunal d’El Kseur est marquée par deux données : la justice indigène qui règle les doléances selon les nécessités que dicte la consolidation de l’ordre colonial et le perfectionnement de la culture qu’autorise une proximité avec les livres ainsi que les discussions avec des acteurs des deux communautés dont les avis et les positions variaient selon les intérêts des uns et des autres et les conjonctures. Ces fluctuations qui amenaient des hommes, par ailleurs honnêtes pères de famille et respectables personnages, à taire une injustice ou à détourner le regard sur un abus ont averti le jeune sur le poids des contingences sur nature humaine. Peu disposé aux silences et aux compromissions auxquelles l’exposait une fonction qui le mettait face à une minorité européenne décrétée au dessus des lois, le jeune Hocine ne tardera pas à découvrir, dès les premiers mois de la guerre, la prison.
Même dans un séjour assez bref, une douzaine de jours, la sévérité des interrogatoires et les avertissements faits par les militaires français donnent déjà la mesure de l’image que le jeune homme renvoyait à ses geôliers. Libéré, il continue à travailler dans les limites qui étaient laissées à un homme surveillé de prêt par les autorités en repérant les jeunes qui pouvaient apporter à l’ALN une qualification qui faisait tant défaut à une guerre de libération décidée dans la contrainte et la précipitation engendrées par une crise historique du mouvement national.
Pour un homme de 27 ans, immergé dans le combat dès le plus jeune âge et animé par un tempérament de leader, l’action politique dans ces conditions était intenable. Il rejoint le maquis à la fin 55 et se voit confier par Amirouche, qui l’avait déjà repéré pour ses aptitudes à communiquer et convaincre, la mission de structurer la branche politique de l’ALN à une époque où cette tâche était quasiment ignorée. L’ALN en était toujours à essayer de collecter les fusils de chasse que détenaient les villageois et le travail de sensibilisation des populations se limitait, encore, à faire des exemples en sanctionnant ou en exécutant des personnes compromises avec l’administration ou trop rétives à répondre aux sollicitations du FLN. Quand d’aventure il y avait une initiative qui était prise en faveur d’un rapprochement des populations, elle alors confiée à des militants âgés auxquels les villageois pouvaient s’identifier mais dont le discours ne dépassait pas les appels à la généreuse fraternité qui devait rassembler la communauté des croyants. Cela ne pouvait pas suffire à faire pièce à une administration qui,en plus de ses structures, disposait de ses relais locaux avec ses caïds, ses zawiyas, ses gardes champêtres…Il a fallu qu’Amirouche arrive vers mars 1955 dans la Vallée pour que l’action politique soit considérée comme une activité à part entière dans la lutte pour l’indépendance. Mais les cadres capables de penser une stratégie de communication moderne et accessible à des populations peu alphabétisées faisaient cruellement défaut. C’est là que Hocine Salhi a donné la pleine mesure de son talent. Faire face à la propagande colonialiste, l’action qui en appelle à la conscience politique et la responsabilité de chacun dans une communauté sous l’emprise de la peur, la tentation ou fatalité du destin n’était pas chose aisée pour un jeune dans une société dominée par le patriarcat. Méthodiquement, Hocine Salhi commencera par identifier dans chaque village, chaque hameau les habitants les plus accessibles à l’adhésion politique; encore fallait-il qu’ils soient crédibles et sensibles aux thèses nationalistes car, expliquera Rachid Adjaoud, le plus dur dans l’affaire est que ceux qui pouvait être les plus utiles et les mieux entendus par leur proches étaient généralement les plus aisés et donc ceux qui avaient le plus à perdre socialement et matériellement. Il a fallu la connaissance psychologique, la maturité, la patience et la culture politique d’un Salhi pour que des quartiers puis des villages et enfin des douars soient pénétrés par les thèses du FLN sans que l’on ait à systématiquement recourir à la répression.
Une fois la dynamique lancée et la méthode généralisée, Hocine Salhi sera appelé avec Tahar Amirouchène à d’autres fonctions. Avec le recul, on peut se demander si des drames comme celui de la nuit Rouge de la Soummam n’aurait pas pu être évité si Hocine Salhi avait gardé la gestion de l’action politique. Le travail accompli par Hocine Salhi en zone I fut si remarquable qu’en première intention, Amirouche avait prévu d’y abriter le congrès de la Soummam. Après l’ubuesque « ralliement » de la mule qui avait rejoint avec tous les documents et une bonne partie du financement du Front, la ferme où elle avait servie ; ferme entre temps devenue caserne, le congrès allait être annulé. C’est, entre autres, sur Hocine Salhi qu’Amirouche s’appuiera pour faire une évaluation de la situation en quelques jours avant de proposer à Krim Belkacem dans un premier temps réservé, l’option de la rive droite de la Soummam.
Même si d’autres recherches doivent être encore menées pour préciser certains aspects des préparatifs du congrès, une chose est désormais certaine: le travail entamé par Hocine Salhi a été déterminant dans la précipitation de l’adhésion des populations au FLN. Cet engagement a permis au colonel Amirouche de compter sur la mobilisation de plusieurs villages en août 1956 pour accueillir le congrès de la Soummam.
Il faudra que les jeunes sachent que c’est un certain Hocine Salhi, âgé de 28 ans, qui a initié la branche de l’organisation politique pour tisser les liens entre l’ALN et les habitants qui ont assuré la sécurité et la logistique d’une rencontre qui déterminé le sort de la guerre.
Mais le développement de la lutte exigeait d’autre décisions. Après le congrès de la Soummam, il fallait procéder à la délimitation des wilayates dès octobre 1956. Aujourd’hui, on ne mesure pas toujours la difficulté de ce travail. Jusqu’au congrès, les responsables militaires de l’ALN faisait valoir leur autorité selon les circonstances où les menait le hasard d’une attaque, une connaissance ou une nécessité politique. Il fallait amener des officiers, déjà installés sur des sites, à renoncer à des territoires « conquis », veiller à ce que les aspects sociologiques ne soient pas un handicap pour le déplacement des populations déjà soumises à un quadrillage de l’armée coloniale de plus en plus contraignant…
Cette délimitation, à de très rares exceptions, près a été dessinée par deux jeunes de 28 et 27 ans.
En 1957, Hocine Salhi est lieutenant politique des zones I et IV. Il y effectue un travail qui contribuera à asseoir l’influence du FLN dans la vallée de la Soummam qui deviendra la région d’Algérie la mieux encadrée où la résistance à l’armée française sera l’une des plus héroïque. Mais et c’est une donnée récurrente dans les périodes les hommes d’exception, justement parce qu’ils sont hors norme sont chargés des missions les plus périlleuses. Or, au début de l’année 1958 des régions entières étaient encore sous l’emprise de l’administration coloniale ou des messalistes. La région de Bordj Menael, outre qu’elle était proche d’Alger, et donc très encadrée, demeurait instable à cause du travail d’un certain Bellounis affidé de messali qui en était originaire. Salhi commençait à peine à tisser ses réseaux qu’il sera arrêté par le capitaine Léger le 22 janvier 1958. Comme tant de patriotes détenus par les militaires français, il sera exécuté le 5 mai de la même année soit cinq mois après son arrestation. Son interception effectuée dans des conditions obscures déclenche l’opération « bleuite ».
Après avoir fait partie des membres fondateurs du mouvement des jeunes scouts musulmans d’El Kseur dès l’âge de 14 ans, Tahar Amirouchene se distingue lui aussi par une soif inextinguible du savoir. L’essentiel de sa culture lui vient de sa volonté à se former en lisant et en écrivant au point de venir très vite un remarquable rédacteur. Servi par un esprit de synthèse doublé d’une grande capacité d’écoute, Tahar Amirouchene trouvera auprès du colonel Amirouche sa mission de prédilection. Il sera la cheville ouvrière du secrétariat du congrès de la Soummam. Abane Ramdane lui même fut impressionné par la rapidité de la mise en forme de débats qu’il transmettait à ce militant qui était son cadet de neuf ans. Djoudi Attoumi qui avait rejoint l’ALN juste à la fin du congrès se souvient de la qualité des documents dont il avait hérité.
Plus tard, Tahar sera la cheville ouvrière du PC de la wilaya III qui sera un des plus opérationnels de l’ALN. Son talent d’analyste et de rédacteur était l’une des clés de sa réussite mais il avait en plus la capacité à structurer et animer une équipe et faire travailler ses collaborateurs en bonne entente et l’harmonie dans un environnement précaire et dangereux. J’ai pu retrouver des fiches du deuxième bureau français qui donnaient Tahar Amirouchene comme l’élément le plus dangereux après le colonel Amirouche en Kabylie. Tous ceux qui ont travaillé au PC de wilaya témoignent de l’envergure de cet homme réservé et attentif aux autres. D’une humeur égale, ce cadre pouvait donner un profil de froideur. On ne lui connaît pas un geste, une attitude ou un propos qui eut pu donner l’impression d’avoir une préférence particulière pour l’un des éléments qui activaient au PC. Abdelmadjid Azzi a longtemps travaillé dans un hôpital qui se trouvait à proximité du PC. Il a, de ce fait, eu à rencontrer et observer Tahar Amirouchene de près. Ecoutons le : « avec le recul, je crois pouvoir dire que cette réserve naturelle chez lui, était aussi dictée par la nécessité de protéger sa fonction car, en aparté, il était disponible pour tous.
Cette retenue se vérifiait aussi quand son colonel auquel le liait un respect et une confiance jamais démentie. Avant chaque réunion du PC les deux hommes se tenaient à l’écart un bref instant pour mettre une dernière main à l’ordre du jour du conseil. Mais je n’ai jamais entendu quelqu’un me dire avoir vu Tahar Amirouchene se permettre un geste ou une parole de familiarité avec son chef.
Pourtant, sous l’apparence de la redoutable machine politique et intellectuelle qu’il pouvait offrir, le jeune maquisard était d’une grande sensibilité. Après la sortie de la première édition du livre dédié à Amirouche, une jeune femme proche parente de Tahar Amirouchene, est venue me rendre visite à mon bureau. J’avais saisi l’occasion pour tenter d’obtenir quelques informations sur l’image qu’avait laissé son cousin dans sa famille, elle même ne l’ayant pas connu. Sa grand mère lui avait parlé d’un garçon avenant et généreux. Nul ne se souvient d’un caprice ou d’un accès de colère comme peuvent en manifester les adolescents quand ils sont l’objet d’un manque ou d’une frustration. Quelques mois plus tard, Mouloud Deboub, cadre au RCD, sachant que j’étais en quête de documents ou d’informations sur le secrétaire du PC d la wilaya III m’appela pour me dire que des membres de la famille de Tahar avait gardé quelques lettres qu’il leur avait fait parvenir du maquis. J’ai pu en consulter quelques unes ainsi que des photos de lui adolescent. Le style était d’une clarté cristalline et le contenu témoignait d’une humanité qui s’adressait à chaque membre de la famille qu’il fallait rassurer quant à sa propre situation.
Des maquisards ont témoigné qu’au maquis Tahar Amirouchene, faisant mentir une règle à laquelle il n’avait jamais dérogé jusque là, prenait le temps d’échanger avec une des jeunes filles montées au maquis et certains en avaient même déduit que des projets de mariage avaient pu se nouer entre eux après la guerre.
Cette sensibilité sera mise à rude épreuve après l’arrestation de son ami, le lieutenant Salhi. Tahar Amirouchène déploiera des trésors d’imagination de ficelles « diplomatiques » quand il faudra transmettre des messages à l’ennemi pour tenter d’obtenir l’échange de Hocine Salhi contre le lieutenant Dubosc détenu par la wilaya III à la suite de l’enlèvement du camp français d’El Horane situé à côté de M’sila. Après l’exécution de Hocine Salhi, la wilaya III décide d’exercer une représailles en éliminant l’officier français. Le colonel Amirouche charge son collaborateur de rédiger une lettre à envoyer aux parents du prisonnier : la message politique n’évacue pas la délicatesse due à une famille éplorée par la disparition d’un fils.
Aujourd’hui on peut estimer que la douleur ressentie après la mort de Salhi lié à Amirouchene par une solide amitié et au colonel Amirouche qui lui témoignait une grande affection ont pu peser sur les deux hommes dans le traitement de la bleuïte, du moins au début de l’opération.
Tahar Amirouchene fut une plume digne des collaborateurs les plus émérites. Le lecteur pourra vérifier la capacité à transcrire dans délais très courts les débats les plus longs et les plus complexes. En annexe du livre sur Amirouche, j’ai tenu à publier un cahier de doléances qui résume le conseil de wilaya tenu seulement quelques jours auparavant. La teneur de ce document est essentielle pour comprendre ce que devait dire et faire le colonel Amirouche une fois arrivé à Tunis mais l’écrit dévoile les capacités de Tahar Amirouchene à donner sens et cohérence à des débats que tous les participants décrivent comme marqué par la rancœur et la colère des maquisards s’estimant abandonnés. La densité et la multiplicité des recommandations du conseil de wilaya auraient pu donner lieu à une rédaction hétéroclite qui dérape dans l’acrimonie compte tenu des griefs accumulés par les maquis de l’intérieur contre les dirigeants de l’extérieur. La fermeté des messages n’altère en rien le respect de la hiérarchie et les règles qui siéent à un courrier officiel.
Mais c’est probablement le message rédigé après la mort du colonel Amirouche qui restera comme la contribution la plus élaborée de Tahar Amirouchene. La dimension politique et l’émotion ont été rendues dans une qualité littéraire qui fait de ce document un texte que les jeunes écoliers doivent pouvoir étudier un jour dans les établissements scolaires quand l’école algérienne sera rendue à sa vocation de formations civique et patriotique.
Voilà résumé très sommairement les apports de deux jeunes qui ont voué leur vie à la libération du pays. Il ne faudra plus jamais oublier les noms de Hocine Salhi et de Tahar Amirouchene quand on parlera du congrès de la Soummam. L’un a éveillé la conscience civique et politique des femmes et des hommes qui ont été à la hauteur d’un évènement historique, l’autre a transformé en matière politique immédiatement consommable des débats qui auraient pu mettre des semaines sinon des mois avant d’être portés à la connaissance du monde.
Que nous disent ces deux vies d’excellence ? Que peuvent-elles apprendre aux jeunes d’aujourd’hui à la recherche de repères et d’objectifs de vie dans une société où les dirigeants censés offrir l’exemple de vertu et d’intégrité voient leurs turpitudes servir de justifications aux tentations illicites et aux prébendes ?
Hocine Salhi et Tahar Amirouchene ont administré la preuve qu’une vie n’est belle et riche que si elle est dédiée à une cause qui élève l’homme vers des objectifs qui transcendent les satisfactions égoïstes. Ils nous ont appris qu’une vie riche n’est pas une vie facile ni même confortable mais une vie cohérente et dense.
Les deux officiers ont accompli en quantité et en qualité un travail auquel peu de leurs semblables peuvent prétendre. Les deux sont morts avec le grade de lieutenant alors que des hommes moins formés et pour certains plus récents dans l’ALN ont gravi plus rapidement les échelons. Ils n’ont, à ma connaissance, jamais tenté de profiter de leur proximité avec le colonel Amirouche pour essayer de faire précipiter leur promotion.
Le général Abdelmadjid Djouadi m’a raconté comment le colonel Amirouche l’avait un jour persuadé de ne pas manger pour laisser sa ration à des jeunes qui n’avaient pas encore fini leur croissance et qui, n’ayant un niveau politique suffisant, pouvaient ne pas comprendre la nécessité d’une privation.
Tahar et Hocine qui n’ont pas pu accéder à des études supérieures ont eu une production politique et intellectuelle que leur envieraient des hommes sortis des meilleures universités. Ils ont administré la preuve que l’effort et la volonté quand ils sont mis au service d’une belle cause peuvent qualifier pour des expertises qu’en principe seules les cursus académiques autorisent. Cette performance est un appel aux jeunes qui déplorent à bon droit la faiblesse du niveau scolaire qui les prive d’une formation fiable. Dans les pires moments il y a moyen d’avoir une prise sur son destin si l’on a une conscience aigue de ses possibilités et de ses responsabilités.
Hocine Salhi a été assassiné cinq mois après son arrestation. Cette élimination, comme un certain nombre d’autres concernant des responsables détenus par les militaires français, nous renseigne aujourd’hui sur la valeur de l’homme. Ben M’hidi, Amor Driss, l’adjoint du colonel Haoues achevé de sang froid le jour de la mort de son chef, et beaucoup d’autres n’ont eu aucune chance dès lors que les « évaluations »faites par les services de renseignements militaires estiment que leur proie est « irrécupérable ». L’exécution de Salhi après cinq mois de détention prouve que le commandement militaire français n’était ni transmettre à la justice le prisonnier ni le garder en internement car en cas d’indépendance il faisait partie de ces dirigeants qui ne cadraient pas avec l’Algérie que la France voulait se préparer. Même en tant que prisonnier Hocine Salhi et avec les sévices que l’on peut imaginer, Hocine Salhi n’a pas renié ses engagements. Il est mort pour ses idées à 30 ans.
Tahar Amirouchene a affronté la disparition de son chef avec un courage qui a redonné confiance à l’encadrement de la wilaya gagné par un insondable découragement. Une fois le commandant Mira arrivé en Kabylie les conflits opposants d’un côté Krim Belkacem et une partie du GPRA et de l’autre Boussouf et Boumediene auquel s’était adjoint Mohammedi Said, ont rejailli avec une violence qui a failli emporter la wilaya III. Tahar Amirouchene a eu des accrochages très durs avec Mira. Pour ne pas aggraver la situation, il abandonne un poste de commandement où il avait tout donné et accepte de se rendre dans la wilaya I où il repartira comme simple soldat. Il tombera au champ d’honneur le 16 juillet 1959 alors que le chef adjoint de son bataillon le suppliait de se tenir à l’écart de la bataille.
Contrarié, agressé et sanctionné il a pu surmonter son dépit en continuant le combat.
Combien de personnes changent de camp parce qu’ils n’ont pas eu le classement qu’ils escomptaient sur une liste électorale ou qu’ils ont eu un différent avec un camarade ? Un autre officier Aissa Boundaoui lui aussi a été injustement dégradé avant de reconquérir ses grades au combat. Je ne désespère pas de pouvoir un jour la bravoure et la dignité réhabiliter cet officier.
Aujourd’hui Hocine Salhi et Tahar Amirouchene sont honorés par des ruelles de leur ville natale et quelques modestes établissements. Cette relégation est inacceptable. Elle est historiquement mutilante, humainement dégradante et politiquement révoltante. On m’a répondu que les autorités officielles esquivent ou évacuent toute célébration qui valorise les apports de la wilaya III à la libération nationale. Cela est vrai. La séquestration des restes d’Amirouche est le label le plus de cette occultation. Mais cette politique n’explique pas que les universités dont c’est le rôle et le devoir de révéler la vérité de lancer des recherches sur les oubliés roman national. Combien d’enseignants ont orienté leurs étudiants pour des mémoires sur le duo Salhi-Amirouchene. Remonter à leurs premières actions, retrouver leurs écrits, fixer les témoignages de leurs compagnons, analyser leurs propositions pour en apprécier les incidences sur le cours de la guerre ne relève que de le volonté de ceux qui ont la responsabilité de remettre de la lumière sur des hommes et des événements que nous devons ramené dans la mémoire nationale.
Mes fonctions m’ont conduit à visiter de nombreuses cités de part le monde. Celles qui ont la chance et l’honneur de compter parmi leurs enfants des hommes qui ont apporté leur art, leur intelligence ou leur courage à la collectivité vivent de et par le souvenir ardent qu’elles entretiennent autour de leurs enfants prodiges.
Hocine Salhi et Tahar Amirouhene, partis à la fleur de l’âge, font partie des rares hommes dont les vies parlent par delà la mort. Il n’est pas normal que ce soit les documents de leurs ennemis qui nous indiquent leur grandeur.
Leur réhabilitation est un acte de fidélité envers ceux qui ont fait de nous des citoyens et une clé pour la libération de nos enfants.
Je vous remercie.
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