Plaidoyer pour une Algérie debout: Le piège de la rente du gaz de schiste
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Plaidoyer pour une Algérie debout: Le piège de la rente du gaz de schiste
Comment je vois le monde
Plaidoyer pour une Algérie debout
Le piège de la rente du gaz de schiste
Le piège de la rente du gaz de schiste
Chems Eddine Chitour
Le Pr Chems Eddine Chitour
«Une nation dont le peuple est incapable de concevoir l'avenir est condamnée à périr.»
Miyamoto Musashi, un samouraï du XVIe siècle
Une triste nouvelle pour le Sahara. Le Conseil des ministres vient de décider l'exploitation des gaz de schiste, mais précise le communiqué, «tout en respectant l'environnement». Nous ne sommes pas rassurés pour autant. Dans cette contribution, peut-être la centième sur l'énergie, l'environnement, les changements climatiques et les gaz de schiste, encore une fois nous allons réexpliquer le danger de cette démarche. Et encore, le débat n'est pas d'être pour ou contre le gaz de schiste, le débat est celui d'accepter une disparition de l'Algérie en tant qu'Etat souverain avec un territoire ouvert à tout vent, qui se contente de gérer le quotidien immédiat ou celui de donner une chance pour que la prochaine génération trouve un pays en ordre de marche qui a tourné le dos à la rente et qui est réellement en voie de développement. Il est hors de doute qu'un projet de société pour qu'il soit viable et emporte l'adhésion du plus grand nombre doit s'appuyer sur une stratégie, un cap où seul le savoir permettra à l'Algérie ne pas compromettre son avenir. Pour cela, il faut parler vrai! Les Algériens sont tout à fait capables de comprendre les enjeux et adhérer à une démarche qui leur assure un futur vivable.
D'où venons-nous?
L'Algérie a eu une chance extraordinaire avec l'exploitation rationnelle du pétrole -au départ- dont elle a essayé de tirer le meilleur usage dans les années 1970. Depuis 1971, nous avons extrait du sous-sol environ 2 milliards de tep. De 1965 à 1978, l'Algérie a engrangé 22,5 milliards de dollars. Il y eut la création d'une centaine d'entreprises qui ont assuré le développement du pays. L´essentiel de l´industrie pétrolière actuelle date de cette époque. Nous sommes bien contents d´avoir reçu en héritage, une capacité de raffinage de 22 millions de tonnes des complexes de pétrochimie. L'essentiel du raffinage et de la pétrochimie actuels datent de cette période.
De 1979 à 1991, c'est à près de 125 milliards de dollars de rente. Cette époque est marquée par le programme anti-pénurie l'importation massive de biens de consommation donnait à l'Algérien l'illusion qu'il était riche et appartenait à un pays développé; tragique erreur que la chute des prix du pétrole de 1986 est venue brutalement nous rappeler et le début de la démolition des pans entiers de l'industrie. De 1999 à 2013, c'est plus de 600 milliards de dollars. Au total, c'est près de 750 milliards de dollars en 50 ans. On dit que l'Algérie aurait un matelas de réserve de 200 milliards de dollars! Pourquoi ne pas avoir extrait du sous-sol que le strict nécessaire au développement du pays? Notre meilleure banque est notre sous-sol! et à titre d'exemple le prix du baril était d'environ 20 dollars en 2000, il est à 100 dollars actuellement (5 fois plus cher). Il le sera encore dix fois plus cher dans 10 ans! Pourquoi, en plus de ne pas avoir converti - comme l'a fait l'Inde- ces dollars qui s'effritent au fil des ans en or? Un pays comme le Liban a plus d'or que l'Algérie. L'or cette «relique barbare» n'a cessé de prendre de la valeur. Ainsi, si on prend en compte seulement la dernière période de 2000 à 2014, les prix de l'or par rapport aux indices boursiers sont passés de 300 dollars en 2000 à près de 1800 dollars en 2012. (1300) dollars en mai 2014. En moyenne, l'or a été multiplié par cinq. Nos réserves ne seraient pas de 180 milliards, mais auraient largement dépassé les 250 milliards de dollars La gestion -en bon père de famille- est certes sécurisante, mais là comme ailleurs, il nous faut nous impliquer dans le mouvement du monde dans ce XXIe siècle de tous les dangers.
Qu'avons-nous fait de pérenne? Nous avons construit des milliers d'écoles, des centaines de lycées, des dizaines d'universités. Nous avons construit des hôpitaux, nous avons construit des barrages et des routes. Tout ceci est à mettre à l'actif des gouvernants successifs, mais nous n'avons pas créé de richesse. Le peu d'industrie qui existait a commencé à être démantelé dès les années 1990. Le terrorisme et le FMI ont eu raison de l'industrie algérienne qui n'intervient que pour 5% dans la création de richesse. Notre dépendance est plus importante que jamais. Quand 80% de la nourriture du pays proviennent de l'extérieur, c'est très grave!
Autre signe de gravité, nous avons donné à l'Algérien l'illusion qu'il était «développé» gaspillant sans vergogne. «Tout ce qui est fondamental ailleurs comme l'énergie, l'eau, la nourriture est gratuit en Algérie.» Est-il moral de laisser ce gaspillage grandir dans des proportions effarantes. Les Algériens doivent savoir que nous importons de l'essence et du gasoil pour 3,5 milliards de dollars avec un prix de gasoil acheté de l'étranger 6 à 7 fois plus cher que le prix auquel l'Etat le vend au citoyen, que le même citoyen paye l'eau à 6 DA le m3 alors qu'elle revient à 40 DA le m3. Paradoxalement, un litre d'eau minérale acheté à 30 DA ne pose pas problème. Il en est de même du gaspillage de nourriture, les prix administrés vont faire le malheur de ce pays. J'ai toujours dit que cette situation était intenable et le sera de plus en plus dans l'avenir.
Nous sommes dépendants pour notre nourriture à 80% de l'étranger. Depuis 2008, nos dépenses ont été multipliées par deux, record de 55 milliards de dollars dont 7 milliards de dollars pour les voitures et aussi pour les opérateurs téléphoniques. Un flexy de 500 DA, c'est 5 dollars en partie transférable. Au moins 40 millions de portables. L'économie se bazadise de plus en plus et nous incite à la paresse. L´Algérien finance ainsi l´emploi des ouvriers chinois, turcs, les emplois de Renault qui ne veut pas construire autre chose que des showrooms.... Sommes-nous, comme le dit l´adage populaire, des marchands et non des bâtisseurs?
On parle beaucoup de transition démocratique. Dans plusieurs de mes écrits, j'avais parlé plus largement de transition multidimensionnelle, notamment par l'avènement d'une Constitution qui, outre le fait qu'elle doit graver dans le marbre, l'alternance, les libertés individuelles, l'indépendance réelle de la justice en rendant justiciable tout citoyen algérien quelle que soit sa fonction. La protection des générations futures par la transition vers le développement durable devrait être inscrite dans la Constitution. J'avais aussi énuméré les autres transitions rendues nécessaires par la délicate situation de nos réserves qui sont sur le déclin et par le mouvement du monde. Transition vers l'économie de la connaissance, et transition énergétique. Nous allons montrer que permettre l'exploitation des gaz de schiste sans l'inscrire dans une démarche globale ne fera que perpétuer les mécanismes de l'Etat rentier qui sera de moins en moins possible. Nos réserves conventionnelles pompées sans retenue sont sur le déclin.
L'amère réalité des gaz de schiste
Quelques mots de la réalité des gaz de schiste. Pour William Engdhal ´´la révolution du gaz de schiste´´ aux Etats-Unis a échoué. L'accroissement considérable de la production de gaz par ´´fracturation hydraulique´´ a été interrompu par les principales compagnies comme Shell et BP par manque de rentabilité. Shell vient juste d'annoncer une importante réduction de son activité de production de gaz de schiste. Shell vend son droit d'exploitation sur environ 300.000 ha de terrain dans les principaux gisements de gaz de schiste du Texas, de Pennsylvanie, du Colorado et du Kansas et annonce qu'il sera peut-être obligé d'en vendre encore plus pour stopper ses pertes dans ce domaine. (...) «David Hughes, un analyste dont la compétence en matière de gaz de schiste est reconnue, a très bien résumé l'illusion du gaz de schiste dans une étude portant sur plusieurs années d'extraction aux Etats-Unis: ´´ La production de gaz de schiste a explosé jusqu'à constituer presque 40% de la production du gaz naturel des Etats-Unis. Cependant la production plafonne depuis décembre 2011. L'importance du déclin des puits exige de continuels apports de capitaux - 42 milliards de dollars par an pour forer plus de 7000 nouveaux puits - afin de maintenir la production. En comparaison, le montant en dollars du gaz de schiste produit en 2012 atteignait tout juste 32,5 milliards.´´.(1)
Il semble que les puits s'épuisent très vite. (...) La fracturation de la roche ne permet de libérer ces gaz que dans un périmètre restreint autour de la zone fracturée. Par conséquent, la production d'un puits d'hydrocarbures de schiste atteint en général sa production record dès son ouverture, et décline ensuite très rapidement, Pour maintenir une production élevée, il est nécessaire de forer sans cesse de nouveaux puits, de dix à cent fois plus que pour du pétrole conventionnel, d'après la direction du groupe Total. (2)
Louis Allstadt, ancien vice-président exécutif de Mobil Oil, déclare: «Le gaz de schiste est pire que le charbon» «La fracturation hydraulique utilise de 50 à 100 fois plus d'eau et de produits chimiques que les anciens forages conventionnels. il faut environ 20 millions de litres d'eau et environ 200.000 litres de produits chimiques pour fracturer. Un tiers environ de ces liquides ressort du puits chargé de métaux lourds. Ce sont des déchets toxiques et pour une part radioactifs. Le lien a été fait entre leur stockage sous pression, dans les puits d'injection, et des tremblements de terre à proximité. La moindre fuite crée un sérieux problème aux réserves d'eau potable. Les riverains de forages par fracturation hydraulique sont victimes de nuisances importantes. Cette technologie ne peut pas être utilisée sans dommage, (...) Au départ, les entreprises gazières prétendaient que là où il y a du gaz de schiste, vous pouvez bâtir un puits et en extraire du gaz.. Ce qu'on a découvert, c'est que ce gaz n'est pas présent partout dans le sous-sol, mais seulement en quelques endroits d'un potentiel gisement, ce qu'on appelle des «sweet spots», des «parties tendres». Par ailleurs, les premières estimations de l'étendue des réserves gazières ont été très surestimées. Au départ, il se disait que les États-Unis pouvaient avoir dans leur sous-sol l'équivalent de cent ans de consommation de gaz. Maintenant, on ne parle plus que de vingt ans ou moins. (...) Les puits de pétrole et de gaz de schiste s'épuisent très vite. En un an, la rentabilité peut décliner de 60%, alors que les gisements conventionnels de gaz déclinent lentement et peuvent rester productifs 40 ans après le début du forage. (...) Les hydrocarbures faciles et bon marché ont déjà été exploités.»(3)
Que sait-on des effets sanitaires de l'exploitation du gaz de schiste? Le manque de recul fait que nous avons de plus en plus de surprises: «Trois chercheurs américains ont tenté de répondre à cette question en passant au crible l'ensemble des travaux publiés ces dernières années sur le sujet. Le résultat de cette synthèse, publiée mercredi 16 avril dans Environmental Health Perspectives (EHP), dresse un état des lieux paradoxal: «Il y a des preuves de risques potentiels pour la santé publique dus au développement du gaz de schiste», écrit Seth Shonkoff (université de Californie à Berkeley) en notant un manque criant d'études épidémiologiques qui permettraient de sortir du doute sur leur réalité et l'ampleur de ces risques potentiels.(4)
De même, des géologues de l'État de l'Ohio établissent pour la première fois dans leur région un lien entre fracturation hydraulique et activité sismique, provoquant le durcissement des conditions d'autorisation de forage dans cet État. Veux-t-on aller vers un second cataclysme pour le Sahara qui a connu la bombe atomique, les gaz chimiques, est-il condamné à un troisième chaos? A l'évidence, non!
Que devons-nous faire avant qu'il ne soit trop tard?
Au vu de la réalité du monde et des techniques, l'Algérie ne doit pas miser et s'en remettre uniquement d'une façon résignée aux gaz de schiste. D'ailleurs, lors de la 18e journée de l'énergie sur la transition énergétique et le développement durable, organisée par l'Ecole polytechnique, la nécessité de la mise en place un modèle de consommation de 2030-2050 pour freiner la consommation des énergies fossiles a été affirmée avec force par les élèves ingénieurs, futurs citoyens de 2030.
La mise en place d'un Conseil national de l'énergie et du développement durable qui devrait de mon point de vue être prévu dans la Constitution, devra veiller à une rationalité et à une sobriété en tout. Le problème de l'énergie n'est pas du ressort exclusif du ministère de l'Energie, tous les autres départements doivent, à des degrés divers, être partie prenante. Je veux citer, notamment le ministère de l'Environnement qui est en théorie garant de la non-nocivité des opérations. C'est aussi le système éducatif dans son ensemble qui doit d'abord former à l'école l'écocitoyen de demain, la formation professionnelle qui devra habiliter à des emplois dans le domaine de l'énergie, l'eau...
C'est enfin l'enseignement supérieur qui aura la lourde tâche de former les milliers d'ingénieurs et de techniciens qui auront à prendre en charge ce Plan Marshall de la Transition énergétique, il aura aussi à développer la recherche et la formation d'ingénieurs dans la technologie des gaz de schiste qui devront être opérationnels dans les vingt prochaines années... A cet effet, une feuille de route ´´pour un passage en douceur du fossile aux énergies douces à l'horizon 2040, en misant sur une rente utilisée rationnellement´´. Seule une transition énergétique permettra de tourner le dos aux énergies fossiles et développer les gisements d'énergie verte, mais aussi le moment venu d'exploiter les gaz de schiste quand la technologie sera mature. Il faut expliquer aux citoyens la nécessité de freiner le gaspillage, de ne pas vivre sur un train de vie qui n'est pas celui de l'effort et du mérite. Le temps nous est compté. Justement, la transition énergétique est, non seulement inéluctable, mais ne doit en aucun cas être différée.
Avoir et exploiter le gaz de schiste est-ce l'eldorado tant vanté? C'est non, si nous continuons à y penser avec une mentalité formatée par la rente. Notre pays devra encore une fois faire preuve d'imagination, de compétence et de prudence pour optimiser ce qui reste de ses réserves en les consacrant aux générations futures. Le recours massif aux énergies renouvelables et aux économie d'énergie est inéluctable Tout a un prix. Nous ne pouvons pas nous projeter dans le XXIe siècle avec une mentalité du siècle dernier. Le gaz de schiste aura toute sa place dans un bouquet énergétique à mettre en place. Il sera exploité quand les conditions d'une exploitation respectueuse de l'environnement qui ne compromette pas l'avenir hydrique du pays sont réunies. Je suis sûr que les habitants de Timimoun qui ont fait des foggaras une culture et un art de vivre préféreront l'eau au gaz de schiste...
1. http://www.legrandsoir.info/la-maison-blanche-ment-a-l-union-europeenne-sur-la-fourniture-de-gaz-etasunien-nsnbc.html
2. http://petrole.blog.lemonde.fr
/2013/10/01/gaz-de-schiste-premiers-declins-aux-etats-unis/
3. http://www.mediapart.fr/journal/economie/150414/un-ancien-de-mobil-oil-le-gaz-de-schiste-est-pire-que-le-charbon16 avril 2014
4. http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/04/17/gaz-de-schiste-quelles-consequences-sanitaires_4403545_3244.html
Professeur Chems Eddien Chitour
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Re: Plaidoyer pour une Algérie debout: Le piège de la rente du gaz de schiste
http://www.palestine-solidarite.org/analyses.chems-eddine_chitour.250514.htm
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