DES TUNISIENNES, CANDIDATES AU «JIHAD AL-NIKAH» : INFO OU INTOX ?
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DES TUNISIENNES, CANDIDATES AU «JIHAD AL-NIKAH» : INFO OU INTOX ?
Depuis la mi-septembre, des informations prolifèrent autour d’un nouveau «scandale islamique», celui du «jihad al-nikah» ou «jihad sexuel». Persuadées de prendre part à la guerre sainte, de jeunes Tunisiennes consentiraient ainsi à avoir des relations sexuelles avec des combattants syriens. Un phénomène aux fondements encore très obscurs et aux proportions indéterminées.
Il ne s’agit ni de prostitution ni de travail du sexe islamique, car aucune rémunération financière n’est retirée de ces pratiques.
La seule rémunération espérée par ces jeunes femmes est immatérielle - et bien plus précieuse - et se résume en un mot : «al-jenna», l’accès au Paradis. Le traitement du sujet était jusqu’à présent extrêmement périlleux. Le manque de garantie quant à la fiabilité de ces révélations – scabreuses ! - incombait au préalable une collecte de données minutieuse, évitant ainsi de tomber dans la spirale infernale d’un mensonge international aux conséquences indélébiles sur un imaginaire collectif déjà largement formaté. Or, depuis la fin septembre, les médias internationaux ne cessent de se focaliser sur cet aspect controversé du conflit syrien, en reprenant inlassablement les mêmes informations. Pourtant, aucun témoignage corroborant les faits n’est venu étayer cette hypothèse dernièrement. Cette émulation médiatique s’explique par la diffusion d’un discours du ministre de l’Intérieur tunisien, Lotfi Ben Jeddou, à la tribune d’une Assemblée nationale constituante le 19 septembre dernier. La vidéo, retransmise sur YouTube, montre un ministre vindicatif et outré, fustigeant cette pratique à l’issue de laquelle ces Tunisiennes «reviennent enceintes» au pays. L’information a été depuis relayée à une vitesse vertigineuse, sans plus d’approfondissements. L’association des termes «sexe», «jihad», «islam», «Syrie», un jackpot gagnant qui fait jubiler de nombreux médias. Le concept est pourtant à manipuler avec précaution. Pourquoi n’existe-t-il quasiment aucun témoignage de ces femmes, des proches de ces femmes, ou encore de témoins des faits, de reporters de guerre ? Est-ce un phénomène encore en gestation, ayant fait peu de «victimes» ? Aucun chiffre ne permet encore de mesurer l’ampleur du désastre. Les questions que l’on se pose, face à ce manque patent d’informations, sont nombreuses : si la véracité des faits était prochainement corroborée par un ensemble de témoignages et de preuves, comment alors juguler ce processus inquiétant sévissant au sein de la société tunisienne ? Quel avenir pour les enfants nés de ces unions éphémères aux conséquences générationnelles ? Quels sont les circuits de recrutement de ces jeunes femmes et sur quelles bases théologiques fondent-elles leurs décisions ? Et, au contraire, si l’info était de l’intox, quels bénéfices retirer de la simulation de cette déshumanisation consentie au nom du jihad ?
«Ouverture de la porte du jihad»
L’argument théologique sur lequel se baseraient ces candidates au « jihad al-nikah » en Syrie reposerait sur une fatwa lancée par le Cheikh Mohammed al-Arifi en janvier 2013. Cette fatwa, made in Internet, intitulée « ouverture de la porte du jihad par le mariage en Syrie », autoriserait les jeunes filles/femmes musulmanes, pieuses, pratiquantes et impérativement voilées, à contracter des unions temporaires avec des combattants jihadistes, célibataires ou géographiquement séparés de leurs épouses. Des « dons de soi » qui augmenteraient alors la détermination et la force du jihadiste. L’emploi du conditionnel est ici nécessaire, car depuis, le cheikh a condamné cette fatwa jugée inique et contraire à la loi islamique, dont il ne serait pas l’auteur.
L’idée de cette fatwa, qui bénéficierait à certains combattants –il est impératif de ne pas généraliser -, est d’affirmer la licéité du mariage temporaire, que certains dénomment aussi mariage de jouissance ou « zawaj al-mout’a ». Les combattants se marient et consomment un mariage qu’ils dissolvent tout de suite après. Or, sur la base des sources islamiques (Coran et Sounna), ces pratiques – au sein desquelles l’intention initiale repose finalement sur la répudiation, une intention qui annule de facto le mariage avant même sa contraction – sont condamnées par les écoles de droit sunnites. Autres obligations ignorées par les adeptes de cette pratique : la prescription de périodes de viduité avant le remariage. En effet, les femmes enchaînent les unions avec les combattants, sans attendre les délais prescrits par le Coran : pour la veuve, quatre mois et dix jours – pour la femme enceinte, la fin de l’accouchement – pour la femme divorcée ou sous le coup d’une annulation de mariage, trois menstrues. L’objectif de cette fatwa, à l’origine indéterminée, est de rendre licites des interdits pour satisfaire une obligation suprême, celle du jihad. Contre d’autres musulmans.
Lorsque l’on tente de recouper le peu d’informations et de témoignages existants, il en ressort que l’endoctrinement de ces jeunes filles s’opère par l’intermédiaire de filières salafistes extrémistes prenant la forme de groupes étudiants, d’associations, de bandes de femmes organisées. Le président de l’association de secours aux Tunisiens de l’étranger, Badis Koubakji, à lui aussi affirmé que ces jeunes filles, « la plupart des quartiers populaires de la périphérie des grandes villes », étaient recrutées par des « associations pseudo-caritatives ou prétendument religieuses de la mouvance islamiste ».
Une victime, interrogée par une chaîne tunisienne, raconte avoir été approchée par un groupe de femmes en niqab à l’université. Pour établir le contact, ces dernières insistent d’abord sur la nécessité de porter le voile intégral, puis dévient sur le combat anti-Bachar. Le conditionnement psychologique se ferait sur plusieurs étapes et jouerait sur des contrastes forts : une Tunisie mécréante VS une Syrie terre de jihad, une vie de déchéance VS une promesse du Paradis. L’endoctrinement extérieur laisse petit à petit naître une profonde conviction personnelle : le sentiment de prendre part à un saint combat, de procéder à un acte de dévotion.
ENFANTS A ADOPTER
Si ces pratiques sont avérées et constituent un phénomène sociétal conséquent, les effets ne pourront qu’être négatifs sur la Tunisie de demain. Quelques personnalités ont publiquement condamné les faits. Au mois d’avril, en réponse à la fatwa initiale, le mufti de Tunisie Othman Battikh a dénoncé ce genre de pratiques qu’il a comparées à de la prostitution et à de l’adultère. Le ministre des Affaires religieuses, Noureddine al-Khadimi, a, quant à lui, affirmé que de telles fatwas ne sauraient s’imposer aux musulmans tunisiens. Le 20 septembre dernier, suite aux déclarations du ministre Lotfi Ben Jeddou, le ministère des Affaires de la femme et de la Famille a décrié ce jihad constituant « une atteinte aux valeurs religieuses et morales de la société tunisienne et une infraction aux conventions internationales ratifiées par l’Etat tunisien et aux lois en vigueur. Les autorités tunisiennes prévoient d’ailleurs le lancement de campagnes de sensibilisation pour lutter contre la multiplication des départs. Une cellule de crise existerait déjà. En effet, la pratique du « jihad al-nikah » pourrait bien avoir de terribles conséquences sur la société tunisienne : le déchirement des familles, l’incompréhension générale, mais aussi la difficile réintégration de ces jeunes filles parfois mères. Quel avenir pour ces enfants, qui naîtront de pères inconnus ? Quel statut social, juridique, religieux ? Seront-ils considérés comme des enfants illégitimes dans la société tunisienne ? Seront-ils vus comme des enfants de héros ou comme des enfants de la désolation ? Si le phénomène est confirmé, il créera sans aucun doute d’insolvables questions identitaires. Un député d’Ennahda, Habib Ellouz, connu pour ses frasques, aurait proposé de faire adopter ces enfants du jihad, et même de prendre en charge les mères « jihadistes », quitte à faire don de son nom. Des propos qui ont été démentis quelques jours après. Au-delà des questions identitaires se posent également les questions d’ordre sanitaire : les relations avec des partenaires multiples dans des contextes de guerre nous amènent à nous interroger sur le risque de propagation de maladies sexuellement transmissibles, en Syrie, en Tunisie et peut-être même ailleurs. Plus encore, ces pratiques révèleraient l’ampleur des réseaux nationaux d’envoi de combattants, par lesquels passeraient les candidates tunisiennes. Les réseaux d’acheminement diversifieraient ainsi les profils, afin de répondre aux besoins des combattants sur le terrain en Syrie. En soi, une logistique bien rodée et efficace, où la femme deviendrait une valeur ajoutée dans le combat. Des sources sécuritaires tunisiennes ont en outre affirmé que le jihad sexuel se pratiquait aussi en Tunisie, dans le Djebel Chaambi à Kasserine, au profit de recrues jihadistes salafistes. La Tunisie ne serait donc pas uniquement un « fournisseur », mais aussi un « exploitant » de cette ressource féminine. Un coup dur pour le féminisme tunisien, qu’il soit issu de partis de gauche ou d’associations de femmes musulmanes, qui a lutté depuis plus de six décennies pour l’émancipation et le respect des droits de la femme. Ici, plus question de femmes indépendantes et égales de l’homme : l’image véhiculée est celle de femmes-objets et de femmes-jetables.
DÉSINFORMATION ?
Il est évident que ce sujet d’actualité déchaîne les foules, d’autant plus que la situation des femmes est déjà catastrophique lorsque l’on évoque le conflit syrien : femmes violées, femmes forcées à la prostitution dans certains camps de réfugiés, femmes exploitées, etc. Le concept de « jihad al-nikah » joue sur une corde déjà sensible. La femme symboliserait alors un butin de guerre, un objet de récompense pour le combattant. Elle est déshumanisée, serviable à merci. Et la question se pose aussi de savoir si les Tunisiennes seraient les seules étrangères impliquées. Certains sites – rares cependant - évoquent l’envoi de femmes tchétchènes, résidant en Grande-Bretagne ou dans d’autres pays européens vers la Syrie. Le lien entre guerre, prostitution (consentie ou forcée) et violences de manière générale à l’égard des femmes a toujours existé et existe toujours. Dans chaque guerre se retrouve la thématique de l’instrumentalisation de la femme, à des fins de vengeance, à des fins personnelles, à des fins stratégiques. Depuis la nuit des temps, la gent féminine est utilisée au service des troupes. En Algérie, par exemple, le viol a aussi été utilisé dans les maquis comme une arme de guerre, et certains jihadistes appelaient à pratiquer le mariage dit de « jouissance ». Les Occidentaux ne sont pas en reste : la prostitution militaire représente une caractéristique contemporaine des conflits, un invariant des guerres modernes. Que ce soit l’armée française coloniale avec ses BMC (« Bordels militaires de campagne ») ou les Etats-Unis qui transforment leurs bases en maisons closes, la misogynie, les atteintes physiques, les rapports de domination ne sont ni propres à la Syrie, ni au monde arabe, ni à l’islam. Ce qui perturbe sans doute les esprits plus que de coutume dans ce cas précis, c’est que ce « jihad sexuel » peut aussi être le fruit d’un schéma migratoire volontaire et d’un don de soi consenti pour une cause spirituelle dont l’issue échappe à beaucoup. Mais concrètement, l’asservissement féminin, bien que condamnable et inacceptable, n’est pas nouveau dans l’histoire des guerres. En outre, cette histoire intrigue par d’autres aspects. Ce qui dérange premièrement, c’est que la transmission à grande échelle de ce phénomène, dont le fondement repose sur une fatwa à la paternité finalement controversée, contribue inexorablement à accentuer et à pérenniser une vision occidentale binaire d’un homme musulman sexuellement frustré et potentiellement violent face à une femme musulmane bêtement soumise, naïve et insuffisamment intelligente pour chercher elle-même l’adéquation de telles fatwas avec ses sources religieuses. Pourtant, il est devenu banal aujourd’hui de lire ou d’entendre sur Internet des avis juridiques plus qu’extravagants, sans pour autant qu’ils soient suivis en masse. Ici, la vitesse et l’ampleur de la communication de l’information semblent avoir largement dépassé l’ampleur du phénomène lui-même. Il est cohérent de penser que certaines femmes puissent s’engager aux côtés des hommes en Syrie pour le jihad en prenant les armes. Et il est prudent de considérer qu’un « jihad al-nikah » puisse exister, tout en relativisant l’importance du phénomène dans l’attente de preuves tangibles autres que de brèves interventions de politiciens. Où sont les rapports des grandes organisations des droits de l’Homme, humanitaires, féministes sur la question ? Nier la possibilité d’existence du phénomène serait malhonnête. Relayer de fausses informations le serait tout autant. Il est nécessaire d’explorer toutes les possibilités.
Deuxièmement, est-il concevable de penser que la propagation de telles informations sur les combattants rebelles (personne ne s’accorde sur leur identification : s’agit-il de combattants de l’Armée syrienne libre ou encore du Jabhat al-Nousra ?) dessert indéniablement leur image auprès de l’opinion internationale publique (car il en faudrait plus pour obliger les grands dirigeants de ce monde a arrêter le commerce de leurs matériels militaires) ? Est-il possible de concevoir que l’impossibilité de tracer concrètement les sources à l’origine de ce concept, et celles le corroborant, est déstabilisante ? Et que la diffusion de l’existence de pratiques déshumanisantes puisse servir de stratégies de désinformation, de propagande ou de communication bénéfiques pour d’autres ? Pourquoi cette émulation médiatique aujourd’hui, quand la fatwa a été émise depuis neuf mois ? Cela répond-il aux impératifs d’un agenda politique quelconque ou est-ce une manière de distiller encore un peu plus d’islamophobie ? Dans tous les cas, espérons qu’il ne s’agisse que d’une traînée de poudre, partie d’une fumée sans feu.
Y. S.
Il ne s’agit ni de prostitution ni de travail du sexe islamique, car aucune rémunération financière n’est retirée de ces pratiques.
La seule rémunération espérée par ces jeunes femmes est immatérielle - et bien plus précieuse - et se résume en un mot : «al-jenna», l’accès au Paradis. Le traitement du sujet était jusqu’à présent extrêmement périlleux. Le manque de garantie quant à la fiabilité de ces révélations – scabreuses ! - incombait au préalable une collecte de données minutieuse, évitant ainsi de tomber dans la spirale infernale d’un mensonge international aux conséquences indélébiles sur un imaginaire collectif déjà largement formaté. Or, depuis la fin septembre, les médias internationaux ne cessent de se focaliser sur cet aspect controversé du conflit syrien, en reprenant inlassablement les mêmes informations. Pourtant, aucun témoignage corroborant les faits n’est venu étayer cette hypothèse dernièrement. Cette émulation médiatique s’explique par la diffusion d’un discours du ministre de l’Intérieur tunisien, Lotfi Ben Jeddou, à la tribune d’une Assemblée nationale constituante le 19 septembre dernier. La vidéo, retransmise sur YouTube, montre un ministre vindicatif et outré, fustigeant cette pratique à l’issue de laquelle ces Tunisiennes «reviennent enceintes» au pays. L’information a été depuis relayée à une vitesse vertigineuse, sans plus d’approfondissements. L’association des termes «sexe», «jihad», «islam», «Syrie», un jackpot gagnant qui fait jubiler de nombreux médias. Le concept est pourtant à manipuler avec précaution. Pourquoi n’existe-t-il quasiment aucun témoignage de ces femmes, des proches de ces femmes, ou encore de témoins des faits, de reporters de guerre ? Est-ce un phénomène encore en gestation, ayant fait peu de «victimes» ? Aucun chiffre ne permet encore de mesurer l’ampleur du désastre. Les questions que l’on se pose, face à ce manque patent d’informations, sont nombreuses : si la véracité des faits était prochainement corroborée par un ensemble de témoignages et de preuves, comment alors juguler ce processus inquiétant sévissant au sein de la société tunisienne ? Quel avenir pour les enfants nés de ces unions éphémères aux conséquences générationnelles ? Quels sont les circuits de recrutement de ces jeunes femmes et sur quelles bases théologiques fondent-elles leurs décisions ? Et, au contraire, si l’info était de l’intox, quels bénéfices retirer de la simulation de cette déshumanisation consentie au nom du jihad ?
«Ouverture de la porte du jihad»
L’argument théologique sur lequel se baseraient ces candidates au « jihad al-nikah » en Syrie reposerait sur une fatwa lancée par le Cheikh Mohammed al-Arifi en janvier 2013. Cette fatwa, made in Internet, intitulée « ouverture de la porte du jihad par le mariage en Syrie », autoriserait les jeunes filles/femmes musulmanes, pieuses, pratiquantes et impérativement voilées, à contracter des unions temporaires avec des combattants jihadistes, célibataires ou géographiquement séparés de leurs épouses. Des « dons de soi » qui augmenteraient alors la détermination et la force du jihadiste. L’emploi du conditionnel est ici nécessaire, car depuis, le cheikh a condamné cette fatwa jugée inique et contraire à la loi islamique, dont il ne serait pas l’auteur.
L’idée de cette fatwa, qui bénéficierait à certains combattants –il est impératif de ne pas généraliser -, est d’affirmer la licéité du mariage temporaire, que certains dénomment aussi mariage de jouissance ou « zawaj al-mout’a ». Les combattants se marient et consomment un mariage qu’ils dissolvent tout de suite après. Or, sur la base des sources islamiques (Coran et Sounna), ces pratiques – au sein desquelles l’intention initiale repose finalement sur la répudiation, une intention qui annule de facto le mariage avant même sa contraction – sont condamnées par les écoles de droit sunnites. Autres obligations ignorées par les adeptes de cette pratique : la prescription de périodes de viduité avant le remariage. En effet, les femmes enchaînent les unions avec les combattants, sans attendre les délais prescrits par le Coran : pour la veuve, quatre mois et dix jours – pour la femme enceinte, la fin de l’accouchement – pour la femme divorcée ou sous le coup d’une annulation de mariage, trois menstrues. L’objectif de cette fatwa, à l’origine indéterminée, est de rendre licites des interdits pour satisfaire une obligation suprême, celle du jihad. Contre d’autres musulmans.
Lorsque l’on tente de recouper le peu d’informations et de témoignages existants, il en ressort que l’endoctrinement de ces jeunes filles s’opère par l’intermédiaire de filières salafistes extrémistes prenant la forme de groupes étudiants, d’associations, de bandes de femmes organisées. Le président de l’association de secours aux Tunisiens de l’étranger, Badis Koubakji, à lui aussi affirmé que ces jeunes filles, « la plupart des quartiers populaires de la périphérie des grandes villes », étaient recrutées par des « associations pseudo-caritatives ou prétendument religieuses de la mouvance islamiste ».
Une victime, interrogée par une chaîne tunisienne, raconte avoir été approchée par un groupe de femmes en niqab à l’université. Pour établir le contact, ces dernières insistent d’abord sur la nécessité de porter le voile intégral, puis dévient sur le combat anti-Bachar. Le conditionnement psychologique se ferait sur plusieurs étapes et jouerait sur des contrastes forts : une Tunisie mécréante VS une Syrie terre de jihad, une vie de déchéance VS une promesse du Paradis. L’endoctrinement extérieur laisse petit à petit naître une profonde conviction personnelle : le sentiment de prendre part à un saint combat, de procéder à un acte de dévotion.
ENFANTS A ADOPTER
Si ces pratiques sont avérées et constituent un phénomène sociétal conséquent, les effets ne pourront qu’être négatifs sur la Tunisie de demain. Quelques personnalités ont publiquement condamné les faits. Au mois d’avril, en réponse à la fatwa initiale, le mufti de Tunisie Othman Battikh a dénoncé ce genre de pratiques qu’il a comparées à de la prostitution et à de l’adultère. Le ministre des Affaires religieuses, Noureddine al-Khadimi, a, quant à lui, affirmé que de telles fatwas ne sauraient s’imposer aux musulmans tunisiens. Le 20 septembre dernier, suite aux déclarations du ministre Lotfi Ben Jeddou, le ministère des Affaires de la femme et de la Famille a décrié ce jihad constituant « une atteinte aux valeurs religieuses et morales de la société tunisienne et une infraction aux conventions internationales ratifiées par l’Etat tunisien et aux lois en vigueur. Les autorités tunisiennes prévoient d’ailleurs le lancement de campagnes de sensibilisation pour lutter contre la multiplication des départs. Une cellule de crise existerait déjà. En effet, la pratique du « jihad al-nikah » pourrait bien avoir de terribles conséquences sur la société tunisienne : le déchirement des familles, l’incompréhension générale, mais aussi la difficile réintégration de ces jeunes filles parfois mères. Quel avenir pour ces enfants, qui naîtront de pères inconnus ? Quel statut social, juridique, religieux ? Seront-ils considérés comme des enfants illégitimes dans la société tunisienne ? Seront-ils vus comme des enfants de héros ou comme des enfants de la désolation ? Si le phénomène est confirmé, il créera sans aucun doute d’insolvables questions identitaires. Un député d’Ennahda, Habib Ellouz, connu pour ses frasques, aurait proposé de faire adopter ces enfants du jihad, et même de prendre en charge les mères « jihadistes », quitte à faire don de son nom. Des propos qui ont été démentis quelques jours après. Au-delà des questions identitaires se posent également les questions d’ordre sanitaire : les relations avec des partenaires multiples dans des contextes de guerre nous amènent à nous interroger sur le risque de propagation de maladies sexuellement transmissibles, en Syrie, en Tunisie et peut-être même ailleurs. Plus encore, ces pratiques révèleraient l’ampleur des réseaux nationaux d’envoi de combattants, par lesquels passeraient les candidates tunisiennes. Les réseaux d’acheminement diversifieraient ainsi les profils, afin de répondre aux besoins des combattants sur le terrain en Syrie. En soi, une logistique bien rodée et efficace, où la femme deviendrait une valeur ajoutée dans le combat. Des sources sécuritaires tunisiennes ont en outre affirmé que le jihad sexuel se pratiquait aussi en Tunisie, dans le Djebel Chaambi à Kasserine, au profit de recrues jihadistes salafistes. La Tunisie ne serait donc pas uniquement un « fournisseur », mais aussi un « exploitant » de cette ressource féminine. Un coup dur pour le féminisme tunisien, qu’il soit issu de partis de gauche ou d’associations de femmes musulmanes, qui a lutté depuis plus de six décennies pour l’émancipation et le respect des droits de la femme. Ici, plus question de femmes indépendantes et égales de l’homme : l’image véhiculée est celle de femmes-objets et de femmes-jetables.
DÉSINFORMATION ?
Il est évident que ce sujet d’actualité déchaîne les foules, d’autant plus que la situation des femmes est déjà catastrophique lorsque l’on évoque le conflit syrien : femmes violées, femmes forcées à la prostitution dans certains camps de réfugiés, femmes exploitées, etc. Le concept de « jihad al-nikah » joue sur une corde déjà sensible. La femme symboliserait alors un butin de guerre, un objet de récompense pour le combattant. Elle est déshumanisée, serviable à merci. Et la question se pose aussi de savoir si les Tunisiennes seraient les seules étrangères impliquées. Certains sites – rares cependant - évoquent l’envoi de femmes tchétchènes, résidant en Grande-Bretagne ou dans d’autres pays européens vers la Syrie. Le lien entre guerre, prostitution (consentie ou forcée) et violences de manière générale à l’égard des femmes a toujours existé et existe toujours. Dans chaque guerre se retrouve la thématique de l’instrumentalisation de la femme, à des fins de vengeance, à des fins personnelles, à des fins stratégiques. Depuis la nuit des temps, la gent féminine est utilisée au service des troupes. En Algérie, par exemple, le viol a aussi été utilisé dans les maquis comme une arme de guerre, et certains jihadistes appelaient à pratiquer le mariage dit de « jouissance ». Les Occidentaux ne sont pas en reste : la prostitution militaire représente une caractéristique contemporaine des conflits, un invariant des guerres modernes. Que ce soit l’armée française coloniale avec ses BMC (« Bordels militaires de campagne ») ou les Etats-Unis qui transforment leurs bases en maisons closes, la misogynie, les atteintes physiques, les rapports de domination ne sont ni propres à la Syrie, ni au monde arabe, ni à l’islam. Ce qui perturbe sans doute les esprits plus que de coutume dans ce cas précis, c’est que ce « jihad sexuel » peut aussi être le fruit d’un schéma migratoire volontaire et d’un don de soi consenti pour une cause spirituelle dont l’issue échappe à beaucoup. Mais concrètement, l’asservissement féminin, bien que condamnable et inacceptable, n’est pas nouveau dans l’histoire des guerres. En outre, cette histoire intrigue par d’autres aspects. Ce qui dérange premièrement, c’est que la transmission à grande échelle de ce phénomène, dont le fondement repose sur une fatwa à la paternité finalement controversée, contribue inexorablement à accentuer et à pérenniser une vision occidentale binaire d’un homme musulman sexuellement frustré et potentiellement violent face à une femme musulmane bêtement soumise, naïve et insuffisamment intelligente pour chercher elle-même l’adéquation de telles fatwas avec ses sources religieuses. Pourtant, il est devenu banal aujourd’hui de lire ou d’entendre sur Internet des avis juridiques plus qu’extravagants, sans pour autant qu’ils soient suivis en masse. Ici, la vitesse et l’ampleur de la communication de l’information semblent avoir largement dépassé l’ampleur du phénomène lui-même. Il est cohérent de penser que certaines femmes puissent s’engager aux côtés des hommes en Syrie pour le jihad en prenant les armes. Et il est prudent de considérer qu’un « jihad al-nikah » puisse exister, tout en relativisant l’importance du phénomène dans l’attente de preuves tangibles autres que de brèves interventions de politiciens. Où sont les rapports des grandes organisations des droits de l’Homme, humanitaires, féministes sur la question ? Nier la possibilité d’existence du phénomène serait malhonnête. Relayer de fausses informations le serait tout autant. Il est nécessaire d’explorer toutes les possibilités.
Deuxièmement, est-il concevable de penser que la propagation de telles informations sur les combattants rebelles (personne ne s’accorde sur leur identification : s’agit-il de combattants de l’Armée syrienne libre ou encore du Jabhat al-Nousra ?) dessert indéniablement leur image auprès de l’opinion internationale publique (car il en faudrait plus pour obliger les grands dirigeants de ce monde a arrêter le commerce de leurs matériels militaires) ? Est-il possible de concevoir que l’impossibilité de tracer concrètement les sources à l’origine de ce concept, et celles le corroborant, est déstabilisante ? Et que la diffusion de l’existence de pratiques déshumanisantes puisse servir de stratégies de désinformation, de propagande ou de communication bénéfiques pour d’autres ? Pourquoi cette émulation médiatique aujourd’hui, quand la fatwa a été émise depuis neuf mois ? Cela répond-il aux impératifs d’un agenda politique quelconque ou est-ce une manière de distiller encore un peu plus d’islamophobie ? Dans tous les cas, espérons qu’il ne s’agisse que d’une traînée de poudre, partie d’une fumée sans feu.
Y. S.
moi- Nombre de messages : 8760
Date d'inscription : 30/01/2009
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