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« Le Qatar rêve de déstabiliser l’Algérie »

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Message  laic-aokas Dim 18 Aoû - 21:12

Interview de Jacques-Marie Bourget*, co-auteur, avec Nicolas Beau de « Le vilain petit Qatar, cet ami qui nous veut du mal »

« Le Qatar rêve de déstabiliser l’Algérie »

Mohamed-Chérif Lachichi

Dans cet entretien, le journaliste écrivain français Jacques-Marie Bourget, coauteur d’un ouvrage paru récemment aux éditions Fayard, Le Vilain Petit Qatar — Cet ami qui nous veut du mal, évoque pour nos lecteurs les velléités belliqueuses de l’émirat du Qatar à l’endroit de l’Algérie. Et pas seulement.



Liberté : À peine sorti, votre livre est déjà un succès de librairie. En moins d’un mois, il a été réimprimé par trois fois. Par quoi expliquez-vous ce succès ? 



Jacques-Marie Bourget : Il est vrai que cet ouvrage contient de nombreuses révélations, d’où son succès par ces temps difficiles pour l’édition en France. Je pense que cette réussite provient aussi de notre travail et de notre indépendance. Pendant près d’un an, nous avons enquêté, Nicolas Beau et moi, dans des conditions difficiles mais sans jamais nous laisser abattre. Cette attitude nous a conduits à passer au crible toute la politique du Qatar, donc à faire des révélations. Si notre livre apparaît, pour certains, comme une “bombe” éditoriale, nous devons cet effet à toutes ces années où, en France, tout ce qui a été écrit sur le Qatar était plus ou moins guidé par les sponsors de Doha où tous les journalistes, universitaires et écrivains qui publient sur le Qatar ont été régulièrement invités. Bien sûr que tous ces hommes et femmes qui se rendent à Doha n’y vont pas pour la qualité de l’air puisque ce pays est le plus pollué du monde. Il est bien évident que le Niger ou le Mali, des États d’une extrême pauvreté, ne présentent aucun attrait pour tous ces journalistes, ces chercheurs et ces élus. Au mieux, on y va au Qatar pour faire la quête pour une cause quelconque comme sa ville ou son département et au pire, pour sa propre poche…



Plusieurs livres sont parus récemment sur le Qatar, mais n’ont pas connu un tel succès. Qu’avez-vous apporté de plus ?



Nous observons dans ce livre la main basse du Qatar sur l’islam des banlieues de France, sur le Sahel et l’Afrique de l’Ouest, le pillage des terres des pays pauvres, l’exploitation de plus d’un million de travailleurs immigrés traités en esclaves au Qatar. Nous décortiquons l’évolution de la chaîne qatarie Al-Jazeera qui est passée d’un média soucieux de la vérité à une télévision de propagande, faisant la promotion notamment des Frères musulmans. Enfin, nous réalisons une radioscopie des “printemps arabes” qui permet de voir le rôle du Qatar pour changer le régime de la Tunisie, puis de l’Égypte et, enfin, de la Syrie, à coups de millions de dollars et de propagande. Pour la Libye, c’est différent, l’opération anti-Kadhafi était d’abord une sorte de hold-up destiné à prendre le contrôle des 165 milliards de dollars du “Guide”. Le tout avec l’aide de la France de Sarkozy. Nous rappelons également les liens indéfectibles qui existent entre Doha et Israël depuis 1995...

Le succès de votre livre a trait surtout à vos révélations sur les relations entre le personnel politique français et l’émirat au Qatar. À quand remonte, selon vous, cette idylle ? 
À la mort de son grand ami Rafic Hariri, Jacques Chirac, alors président de la République, a, le premier, tissé un lien fort avec Doha. La “love story” a atteint son sommet avec Sarkozy où, cette fois, c’est l’émir du Qatar qui dictait la “politique arabe” de la France. 



Avec des achats de plus en plus emblématiques et même une intrusion dans les banlieues françaises, certaines voix commencent à critiquer en France l’influence économique et politique grandissante du Qatar. Qu’en pensez-vous ?



Acheter le PSG et des joueurs à prix d’or, c’est faire rallier les banlieues à la cause du Qatar. En France, la communauté musulmane est la plus forte d’Europe. Conquérir ces musulmans-là, c’est prendre une partie du pouvoir sur la France. Par le biais de ses imams, le Qatar avait déjà fait approuver la guerre de Bush contre l’Irak. Nous constatons en France, ces derniers temps, une prise de conscience du danger que représente cette conquête silencieuse. Jean-Marc Ayrault, le Premier ministre, a déjà dit : “Moi, le Qatar, je réfléchirais avant d’y aller.” Nous savons que François Hollande, après un premier élan vers Doha, a  ouvert les yeux sur les rapports des services secrets, et qu’il est maintenant sur le recul. Le problème n’est pas que Doha achète les Champs Élysées, mais qu’il sème le chaos là où il passe…



La diplomatie qatarie se pose souvent en donneuse de leçons en matière de droits de l’Homme, de bonne gouvernance et de démocratie. Sa chaîne de télévision Al-Jazeera n’est pas en reste. Doit-on considérer cet émirat comme un modèle ? 
Absolument pas ! Le Qatar est une dictature classée 136e au rang mondial des démocraties. Il y règne, là-bas, une foi sans loi qui a permis de condamner le poète Mohamed Al-Ajami à 15 ans de prison ! Sur le plan financier, il n’y a aucune différence entre les caisses de l’émir et celles de l’État : tout l’argent du gaz va dans la poche du tyran et de sa famille. Quant aux ouvriers, ils sont traités comme des esclaves. C’est l’argent et rien d’autre qui explique “l’explosion” du Qatar, micro-pays que ses amis en France maquillent en “pays démocratique”. Le vrai scandale, c’est que depuis plus de dix ans, les médias occidentaux nous présentent cette dictature comme un État “éclairé”, “un modèle pour les autres pays arabes”, etc.



Quelle est, aujourd’hui, l’emprise réelle du Qatar sur la vie politique interne de pays ayant connu ce que certains s’autorisent à appeler “Printemps arabe” (Libye, Tunisie, Égypte, Syrie)  ?


En Tunisie, le Qatar, même devenu impopulaire, est chez lui. Mieux encore, Doha achète toutes les richesses du pays. En Égypte, le Qatar est contraint d’assurer le “service après-vente”, c’est-à-dire de financer une économie déjà très fragile mais détruite par le “printemps”, comme le tourisme en l’occurrence. Ainsi, les “Frères” ne font que distribuer l’argent de Doha. La Libye ? Cet ancien État n’est plus un pays mais une série de zones d’influence tribales et mafieuses où le Qatar, sauf à Benghazi, a un peu perdu la main. En Syrie, Doha a investi plus de 3 milliards de dollars dans le jihad. Son but est d’imposer un “arc sunnite”, avec la Turquie en support, contre le chiisme d’Iran, celui des alaouites et du Hezbollah, tous très hostiles à Israël…  



Et au Sahel ? Le Qatar a-t-il, d’après vous, des liens avec les jihadistes ?



Dans notre livre, nous établissons clairement les liens entre certains jihadistes au Mali et le Qatar. Le Croissant-Rouge qatari est allé faire le supplétif charitable du Mujao à Gao. Des avions qataris se sont même posés sur l’aéroport de cette ville. Au Niger, la distribution financière aux radicaux se fait par le biais d’appels d’offres bidon. Par le biais de “Qatar Charity”, le wahhabisme a déjà conquis  l’Afrique de l’Ouest jusqu’à Saint-Louis du Sénégal. Puisque le Qatar est entré dans la francophonie par effraction, il va bientôt, en Afrique, lancer l’apprentissage du français par le Coran. Le “jihadisme” est un moyen moins coûteux que de mener une guerre classique pour dominer un pays et, pourquoi pas, un continent. Grâce au Qatar, les courants jihadistes vont bientôt menacer toute l’Afrique. Ces troupes radicales obéissent à leurs maîtres qui, eux, obéissent à l’argent et aux États-Unis.  



Parle-t-on de l’Algérie dans votre livre ?



Nous y décrivons une tentative de déstabilisation de l’Algérie, au début du “printemps”, lorsqu’ Al-Jazeera, pressée de montrer une insurrection dans votre pays, avait enregistré des images de fausses émeutes tournées au Maroc. La chaîne qatarie voulait, ainsi, faire croire aux téléspectateurs que ces scènes se déroulaient en Algérie. Cette tentative de manipulation avait été précédée par la remise de 500 portables offerts à de jeunes Algériens pour enregistrer, le cas échéant, de vraies émeutes. Déstabiliser l’Algérie est le grand rêve du Qatar et de ses amis. Votre pays a du gaz, du pétrole, des richesses qui excitent leurs rêves de conquête. Mais je pense qu’avec les années de tragédie vécues par le peuple algérien, le retour du colonialisme ou encore des islamistes dans les wagons du Qatar n’est pas pour demain…



Vous savez, l’émir du Qatar vient régulièrement en visite d’amitié à Alger. Est-ce de la “realpolitik” ? 



Non, je ne crois pas que ce soit le cas ! Le double jeu est l’élément majeur de la politique étrangère du Qatar. L’émir peut venir visiter l’Algérie avec des promesses de coopération et même des déclarations d’amitié mais, en parallèle, il entretient aussi Abassi Madani et il finance une chaîne de télévision hostile à l’Algérie et diffusant à partir de Londres. Ce double discours est la caractéristique de la “diplomatie” de l’émir du Qatar. Il rend visite au Hamas mais il ouvre également ses portes à Tzipi Livny et à tous les responsables israéliens. Il ouvre un bureau pour les talibans à Doha à quelques pas seulement des pistes de décollage d’où les avions américains s’en vont bombarder l’Afghanistan. Les exemples de son “hypocrisie” sont nombreux.



Comment lui est venue cette idée saugrenue de vouloir prendre, à tout prix, de l’ascendant et exercer de l’influence sur l’ensemble du monde arabe, voire au-delà ? D’où vient ce désir de puissance et de leadership ? 



En tout cas, sa volonté de puissance est inversement proportionnelle à la petitesse du pays. Le Qatar doit être sûrement frappé de complexe par l’étendue de l’Algérie, le plus grand pays d’Afrique et du monde arabe. Il ne faut pas oublier aussi le messianisme de l’émir, wahhabite convaincu qu’il est à la fois le Lyautey et le cardinal Lavigerie des conquêtes coloniales françaises. En réalité, le désir de puissance du Qatar n’existe que parce qu’il est dicté par les États-Unis qui sont le seul maître. La tentative des néoconservateurs US de “redessiner” par la force le monde musulman de Kaboul à Rabat ayant échoué en Irak, leurs penseurs ont mis en œuvre à partir de Washington une stratégie beaucoup plus subtile. On pousse à la révolte des peuples qui ont de multiples raisons, justifiées, d’être en colère. Puis, les jeunes révoltés quittent les écrans de télé pour descendre dans la rue et occuper les places. Et si l’armée en vient à laisser faire, le Qatar lance alors sa force de frappe, les islamistes. Gagner les élections sera, pour eux, ensuite un jeu d’enfant. Et voilà le monde arabe “redessiné” en douceur, avec un faible coût en dollars et en vies humaines. 



Pourquoi le choix porté sur les islamistes ?



Parce qu’ils sont la seule force politique organisée, soutenue depuis toujours par l’Amérique. Par ailleurs, Washington ne veut toujours pas analyser les conséquences de son flirt avec Ben Laden. Dans cette région du monde, les Américains préfèrent toujours traiter avec un gouvernement religieux qu’un autre, laïc. Le dollar n’est-il pas frappé d’une maxime : “In God, we trust” (en Dieu, nous croyons). D’une manière générale, un Américain comprendra toujours mieux un religieux. Historiquement, les États-Unis ont toujours tout mis en œuvre, de Mossadegh à Saddam Hussein en passant par Nasser, pour avoir la peau des leaders laïcs du Moyen-Orient.



M C L

* Bio express
Né le 5 juillet 1943 en Maine-et-Loire, en France, Jacques-Marie Bourget est un spécialiste du Moyen-Orient. Il a travaillé comme grand reporter pour les titres les plus connus de la presse française. En 1986, il a obtenu le prix “Scoop” pour avoir révélé “l’affaire Greenpeace”. Correspondant de guerre, il a couvert de nombreuses zones de conflits. Le 21 octobre 2000, à Ramallah, en Cisjordanie, il est grièvement blessé par une balle tirée dans le poumon par un sniper de l’armée israélienne. Son évacuation vers la France, empêchée par Tsahal, a nécessité alors l’intervention directe du président français, Jacques Chirac, auprès du Premier ministre israélien, Ehud Barak. L’épouse de Jacques-Marie Bourget, d’origine algérienne, est la fille d’un chahid exécuté par l’armée française en 1956.

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