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3 Août à Tizi « Nous voulons réconcilier la Kabylie avec ses habitudes »

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Message  laic-aokas Jeu 1 Aoû - 18:08

3 Août à Tizi « Nous voulons réconcilier la Kabylie avec ses habitudes »

3 Août à Tizi « Nous voulons réconcilier la Kabylie avec ses habitudes » 134

Tizi retient son souffle. Une initiative courageuse, attendue depuis longtemps, s’impose, bat dans le cœur de la ville et envahit ses artères. Et le retour à la vie, à la dignité, à la tradition combattive pour dire non au piétinement, non à la mort, non au fondamentalisme.

Samedi 3 Aout est une date qui rentrera dans l’Histoire. Elle verra se tenir pour la première fois un rassemblement de jeûneurs et non-jeûneurs en protestation contre l’instrumentalisation honteuse de la religion, laquelle plonge la Kabylie chaque ramadan dans la végétation, la persécution, l’oppression et l’hypocrisie. Le point sur l’initiative avec trois de ses initiatrices/eurs pour expliciter l’appel initial au rassemblement.
Les initiatrices/eurs

Ces représentants de la société civile sont les initiatrices/eurs. Ils répondront à nos questions sans divulguer leur identité. Ils insistent sur la nécessité que cette initiative reste vue et conçue comme citoyenne. S’ils donnaient leurs noms, les initiatrices et initiateurs craignent de voir l’action s’associer dans l’esprit du lecteur aux organisations respectives auxquelles ils appartiennent.

Samia Ait Tahar: Depuis une dizaine de jours que l’appel a été lancé, les retours semblent prometteurs, comment le ressentez-vous ?

Oui, nous avons un écho favorable. Cela démontre l’attachement viscéral du peuple kabyle à la liberté de conscience, qui est avant tout une valeur ancestrale avant d’être une notion de modernité.

SAT : Comment expliques-tu apparemment autant d’engouement dans une société historiquement assez démobilisée sur d’autres questions qui la touchent ?

Depuis tafsut taberkant il y a effectivement une grande démobilisation dans la société kabyle. Mais le dictat salafiste, appuyé par l’état algérien a réveillé les consciences kabyles sur le danger mortel qui guette la Kabylie. Face à leurs provocations, le silence est synonyme de mort. Les Kabyles se sont rendus compte qu’ils sont devant une alternative : ou ils défendent leur dignité et leur liberté, ou ils se ‘kaboulisent’. Le citoyen a constaté un recul foudroyant en matière de liberté par rapport même à la décennie noire pourtant marquée par la barbarie. Il y a une nécessité vitale de se réapproprier les espaces perdus, d’où cette mobilisation qui s’organise un peu partout dans la région. Il y un engouement parce que cette initiative répond à un réel ras-le-bol des citoyens devant l’inquisition sous-traitée par l’état algérien aux salafistes.

SAT : Pourriez-vous décrire l’action en quelques mots?

L’action n’est ni un rassemblement de non-jeûneurs, ni une initiative d’une quelconque organisation politique. Le rendez-vous du 3 Aout est une initiative citoyenne qui va incarner la fraternité, la tolérance, la laïcité et la liberté. Elle se place au-dessus des sigles pour rassembler toutes les forces kabyles pour défendre la laïcité sans laquelle la région sombrera dans la régression.

SAT : Qui sont les initiateurs de l’action? Quel est son objectif (que cherche-t-on à obtenir?

Les initiateurs sont un groupe de citoyens kabyle laïcs. L’action est née de leur concertation sur le meilleur moyen de défendre la liberté de conscience bafouée par le pouvoir algérien et ses relais salafistes. Son objectif est de briser des tabous, secouer les consciences, créer le débat et faire reculer la peur. Elle aura lieu dans le respect de la diversité confessionnelle et politique (des initiateurs et des participants) pour réaffirmer la neutralité religieuse de la Kabylie.

SAT : Le lieu peut paraître peu judicieux pour un rassemblement. Il est exposé au soleil et les nombreuses personnes qui pourraient venir ne pourront pas trouver de place. Pourquoi avez-vous choisi la place Matoub ?

Nous ne le voyons pas ainsi. Le choix de la place Matoub présente au contraire plusieurs avantages. D’abord il est facile à trouver, un avantage pour les villageois qui viendront. Tous les bus s’arrêtent à côté, l’endroit est donc facile d’accès. Sur la place, nous ne dérangerons pas non plus la circulation, ce qui évitera une excuse toute trouvée pour les autorités pour protester. Légèrement en retrait de la ville, nous minimisons les éventuels risques de confrontation avec des bandes de citoyens qui ne seraient pas d’accord. Toujours à cause de son emplacement, l’endroit du rassemblement permet d’éviter la casse de magasins ou bureaux, s’il y a confrontation. Concernant l’ensoleillement, il y a bel et bien un coin d’ombre de l’autre côté de la rue, mais il faut savoir que nous ne passerons pas beaucoup de temps sur place : le tout est de marquer notre présence. Nous ne sommes pas a pour provoquer mais pour accomplir une action républicaine. Tout est mis en place par les initiateurs pour une bonne action qui évite le dérapage.

SAT : Dans quelles conditions considéreriez-vous l’action réussie ?

Pour nous le seul critère de réussite est que l’action ait lieu. Si nous arrivons à montrer une Kabylie unie dans la diversité confessionnelle et la tolérance, cette action sera une réussite. La rivalité entre kabyles modérés et fondamentalistes, l’antagonisme entre musulmans et chrétiens, l’incompatibilité des athées et des croyants est un cheval de bataille pour les salafistes et le pouvoir en Kabylie. Par le simple fait de se tenir, notre action montrera que ces plans ont échoué et en fera une réussite.

SAT : Et pourquoi est-il important qu’elle réussisse ?

Disons que si elle ne réussit pas, cela veut dire que la Kabylie a abdiqué. Cela voudra aussi dire que le salafisme soutenu par le pouvoir va gagner d’avantage de terrain, ce qui est en soi une progression du processus de dékabylisation de la Kabylie. Une Kabylie dépouillée de ses valeurs n’est plus la Kabylie. C’est des valeurs qu’elle incarne que le pouvoir a peur, c’est de sa résistance à son totalitarisme et son obscurantisme. Il est important que l’action réussisse parce qu’elle s’inscrit dans la promotion et la défense de ces valeurs.

SAT : Quels sont les risques encourus par les participant-e-s ?

Aucun. Les initiateurs ont pris leurs dispositions pour assurer la réussite de l’évènement. Les participant-e-s ne courent aucun risque.


SAT : Comment croyez-vous que la société civile en Kabylie prendra l’action ? L’action de manger dehors n’est-elle pas contraire à la morale sociale kabyle ? N’y-a-t-il pas un risque de voir la société civile se braquer ?

L’action de manger n’est pas contraire à la morale sociale kabyle. Il y’a peu de temps encore, les non-jeûneurs mangeaient normalement pendant la journée durant le ramadan. La répression est venue dans les années 2 000. Bien au contraire, notre action s’inscrit dans la réconciliation de la Kabylie avec ses habitudes, avec sa nature.

Ceci dit, nous le savons : le salafisme et l’inquisition de l’état prospèrent dans la passivité de la société kabyle. Et du coup cette société a besoin d’être secouée –d’où notre action. Comment notre action pourrait-elle braquer la Kabylie ? nous sommes sur le terrain et nous savons qu’il y a une réelle attente d’une telle initiative, et comme partout, il faut des avant-gardistes qui défrichent le terrain.

SAT : Des camarades militants trouvent que cette action aurait gagné à être plus réfléchie en termes de « trajectoire » ou de « stratégie ». On peut se demander ainsi dans quelle stratégie l'action s’inscrit. Cette stratégie existe-t-elle ? Ou s’agit-il d’une action qui à ce stade attend son déroulement pour réfléchir sur comment elle doit être poursuivie ?

Toute action a des répercussions sur l’avenir. La nôtre est bien réfléchie, elle répond à une attente citoyenne en Kabylie, à une nécessité de desserrer l’étau et de vaincre l’inquisition et la peur qui s’emparent de la société. Il y a urgence. Nous privilégions le terrain et nous agissons en fonction de cette urgence. Nous n’avons pas de temps à perdre et la Kabylie ne peut plus attendre. La différence entre nous et ceux qui préconisent des réflexions infinies avant d’agir, c’est que pour nous, la Kabylie est en train de brûler. Il est grand temps d’agir –nous nous demandons même de temps en temps si ce n’est pas déjà un peu tard. Il faut vraiment savoir que tout ce qui ne sera pas fait cette année sera plus difficile à faire l’an prochain. Le salafisation de la Kabylie avance sans répit.

SAT : Au vu de la démobilisation citoyenne, l’islamo-fanatisation de la Kabylie, mener une action pareille à Tizi est ambitieux. L’action aurait-elle gagné à commencer en territoire plus facile, comme dans une ville plus petite, traditionnellement plus combattive que Tizi, plus « kabyle », pour ensuite aller vers Tizi?

Quand bien même ce serait difficile, il s’agit en fait de libérer un territoire occupé, il faut se battre avec les salafistes et le pouvoir sur le terrain ! Et tu sais, politiquement parlant, c’est au contraire Tizi qui reste la plus indiquée –ou Vgayet. Tizi ne manque pas de caractère combattif : elle porte encore le cachet de 80, portée par dans la révolte par son université. Tizi est en plus le chef-lieu de la wilaya, tous les villageois de partout y seront les bienvenus. Au contraire, ce ne serait pas le cas si on s’installé en Kabylie maritime par exemple, certains kabyles ne se sentieraient pas à l’aise pour converger et mener une action sensible pareille. De plus, il faut savoir que nous autres initiateurs, nous sommes de la région de haute-Kabylie, et c’est pour ca qu’on l’organise ici : c’est ce terrain que nous connaissons.

SAT : Irons-nous vers l’instauration d’une tradition annuelle de rassemblement contre l’interdiction de manger pendant le ramadan? Ne serait-ce pas un cheval de bataille important pour construire une Kabylie prospère et une Algérie tolérante ?

Nous ne nous arrêterons pas aux rassemblements. Mais à défaut de permettre à Tizi et d’autres villes de retrouver leurs habitudes d’antan, une tradition de rassemblement pour défendre la liberté de conscience sera effectivement instaurée jusqu’à satisfaction de notre objectif : faire de la laïcité une valeur effective et non négociable, conformément à notre culture multimillénaire.


Ils/Elles ironts

« Pendant le ramadan, je mange dans la rue et je reçois des remarques. ‘cache-toi ! on est en plein ramadan’, me dit-on. J’ironise : ‘que je me cache ? mais je suis caché, regardez, je porte des vêtements ! que dois-je cacher de plus enfin !’. Quelques fois, on me fait signe de manger en cachette pour ne pas manquer de respect aux jeûneurs, je réponds alors que les jeûneurs non plus ne me respectent pas, mon droit de manger, et de continuer à vivre sans être affecté par ce ramadan qui ne me concerne pas. L’action du 3 est peut-être une provocation –mais le kabyle ne voit aucun inconvénient à provoquer lorsqu’il est provoqué » (Rachid, 40 ans, Ait Ouabane , non-jeûneur).

« Je suis de Tigzirt, et dans mon village personne ne jeûne –ni les hommes ni les femmes. C’est dans mon village que les gendarmes ont débarqué pour intimider les clients et le gérant d’un café ouvert, pourtant discrètement. Ils ont confisqué le registre du commerce du gérant, et ne l’ont rendu que sous la menace de représailles populaires. L’organisation, c’est notre seule arme. L’islamisation, fait du pouvoir et des islamistes, a déjà trop progressé et il faut réagir pour ne pas que ça continue à avancer –mais aussi pour reconquérir des libertés fondamentales qui paraissent déjà lointaines. Pour qui les islamistes se prennent-ils pour imposer aux gens de jeûner ou de ne pas jeûner, pour les surveiller ? De quel droit s’immiscent-ils dans la vie privée des individus, qui seront jugés seuls, un à un, devant Rebbi ? Pourquoi font-ils de la pratique individuelle de la religion une affaire sur laquelle la collectivité doit veiller ? ». (Louisa, 35 ans, Tifra, non-jeûneuse).
« Il y en a marre de vivre cette situation. Je ne fais pas ramadan et chaque année, je revis cette situation ridicule de ne pouvoir manger nulle part [ni café ni restaurant, NDLR] et de devoir me cacher quand je mange. Je ne comprends pas qu’on nous fasse passer le fait de manger 3inani [traduire ‘ouvertement’, NDLR] pour un manque de respect. Comment manger devant un jeûneur est une marque de non-respect ? En même temps, nous n’avons pas le choix : les restaux et cafés étant fermés, nous devons manger dans des lieux publics. Mais ils [les gouvernants] savent que si ces lieux ouvrent comme en temps normal, la tradition du ramadan tombera parce qu’il s’avèrera que tout le monde ira manger dans ces lieux. Le pire c’est que ces gouvernants ne sont que des oppresseurs qui ni ne croient, ni n’appliquent la religion ». (Aksil, 25 ans, Michelet, non-jeûneur).

« La dernière fois, dans une discussion où j’expliquais que je ne jeûnais pas, le commerçant du coin à Mdouha, où j’habite, m’a taxée de mal-élevée et de ‘partisane de l’Europe’. ‘Non, je répondais, je suis bougiotte et je ne suis que ça’. Le type s’exclame : ‘une bougiotte jeûne’, me lance-t-il sûr de lui, ‘j’en connais beaucoup et c’est ainsi qu’elles sont’. ‘Taos Amrouche n’est donc pas une bougiotte’, répliquais-je. Il n’a rien répondu. Je n’ai plus mis le pied chez lui.
‘C’est un pays musulman’ me répète-t-on ‘il faut changer ses habitudes pendant le ramadan parce qu’il faut respecter les traditions et les croyances de ce pays’. Nous assistons à une instrumentalisation de la religion, de son utilisation politique à des fins d’oppression, et ce n’est pas le propre d’un pays musulman –mais d’un pays islamiste. Et la différence est de taille. Le combat est là : entre la construction d’une Kabylie républicaine, ou l’islam est l’une des composantes, et l’avènement d’une Kabylie islamiste. Ils faut se mobiliser sérieusement contre ça ». (Samia, 36 ans, Tizi-Ouzou, non-jeûneuse).

« Je suis un jeûneur et je ne vois absolument aucun inconvénient à ce que les gens mangent devant moi. J’ai accompagné des amis à Tamda Ougemmoun [restaurant ouvert à une vingtaine de kms de Tigzirt, NDLR] et on s’est attablé ensemble –ils mangeaient et moi non. Cela se fait de façon naturelle. Je réclame aussi l’ouverture des restaux et cafés comme le reste du temps dans l’année. Tu sais en plus que les impôts sont payés par ces commerces pendant le ramadan –conformément à la loi il n’y a aucune raison qu’ils ferment pendant ce mois. Bien sûr que je prendrai part au rassemblement du 3 Aout. Ça sera avant tout pour réaffirmer mon attachement à la tolérance et au respect d’autrui et pour dire non à l’imposition de la dictature que le jeûneur que je suis ne cautionne d’aucune façon » (Rabah, 40 ans, Iflisen, jeûneur).

Pour Kabyle.com, par Ait Tahar Samia.
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Message  laic-aokas Jeu 1 Aoû - 18:09

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