C'est quoi le Salafisme ?

L'homme de 24 ans, qui serait à l'origine des tueries de Toulouse et de Montauban, aurait déclaré à la police, qui l'encercle toujours, qu'il se revendiquait d'Al-Qaida et du salafisme djihadiste. Mais, qu'est-ce, exactement, que le salafisme ? Nous avons interrogé Samir Amghar, docteur en sociologie et auteur du livre "Le salafisme d'aujourd'hui" (éd. Michalon, sept 2011) pour nous éclairer sur ces questions.

Pouvez-vous nous définir, en quelques phrases, le salafisme ?
Le salafisme est une tendance ultra-orthodoxe de l’Islam, qui prône une lecture littérale des versets coraniques et des préceptes issus de la tradition prophétique. Le Salafisme considère qu’il est nécessaire de revenir aux fondements de l’Islam, en imitant les "salaf", les personnes qui ont fréquenté de façon directe ou indirecte le prophète [N.D.L.R. : les salafistes imitent notamment l’habillement des "salaf" et portent, comme eux, une longue barbe, avec la moustache rasée. Les femmes portent un niqab qui couvre intégralement leur corps et leur visage, ne laissant apparaître que les yeux.]

Quelles sont les différentes tendances au sein du salafisme ?
Le salafisme prend trois formes : le salafisme piétiste, le salafisme politique et le salafisme révolutionnaire. Une grande majorité des salafistes sont des salafistes piétistes, qui pensent qu’il est nécessaire de revenir aux fondamentaux de l’islam. Ils se désintéressent de la question politique. Ce salafisme est proche des autorités religieuses saoudiennes.

Les salafistes politiques, eux, pensent qu’il faut défendre l’identité musulmane en France et en Europe par des moyens légaux.

Enfin, les salafistes de type révolutionnaire sont des adeptes des moyens violents, et considèrent le djihad [N.D.L.R. : guerre sainte] comme une obligation religieuse.

D’où vient le salafisme et qui sont les salafistes ?
La salafisme est très ancien. Il date, quasiment, du début de l’Islam. À l’époque, il y avait deux tendances au sein des personnes qui fréquentaient le prophète. Les personnes qui considéraient qu’il fallait toujours contextualiser les prescriptions coraniques à la tradition prophétique. Et d’autres, qui s’inscrivaient dans une logique plus littéraliste et qui estimaient qu’il fallait appliquer les versets coraniques et les prescriptions issues de la tradition prophétique quel que soit l’espace et le temps dans lequel on se trouve.

Cette idée de littéralisme a traversé l’histoire de l’Islam et a été contextualisée par de nombreux théologiens, comme Ahmad Ibn Hanbal (au IXe siècle) et Mohammed ben Abdelwahhab (au XIIIe siècle), qui ont, quelque part, théorisé l’idée de Salafisme.

Quel est le berceau du salafisme et dans quels pays est-il principalement implanté ?
C’est une tendance qui est implantée, un peu partout dans le monde musulman. On va retrouver des musulmans, qui se réclament du salafisme : au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Arabie Saoudite, au Pakistan, en Indonésie, en Malaisie, etc. C’est une tendance transnationale, mais qui est minoritaire dans le paysage islamique mondial.

On aurait tendance à situer le berceau du Salafisme au Proche Orient et au Moyen Orient (Arabie Saoudite, Syrie). Dans la mesure où Ahmad Ibn Hanbal et Mohammed ben Abdelwahhab sont originaires de ces régions.

Dans votre livre « Le salafisme d’aujourd’hui. Mouvements sectaires en Occident », vous expliquez que le Salafisme devient une norme pour l’islamisme à travers le monde. Comment expliquer cette montée puissance ?
Les pôles du salafisme mondial sont l’Arabie Saoudite et le Moyen Orient, notamment, les pétromonarchies du monde Arabe (Qatar et Emirats Arabes Unis). Dans ces pays-là, le Salafisme est l’Islam de référence. Et ils vont utiliser leurs importants moyens financiers pour développer leur lecture de l’Islam. Via des chaînes satellitaires (très nombreuses et qui prônent un Islam salafiste), par une production « livresque » et un effort de traduction d’ouvrages : d’arabe en français, d’arabe en anglais, d’arabe en turc… Des ouvrages qui sont disponibles dans n’importe quelle librairie en France. Quand vous rentrez dans une librairie islamique, dans la région parisienne, lyonnaise ou marseillaise, vous avez toutes les chances de tomber sur des ouvrages de tradition salafiste.

D’autre part, il y a beaucoup de personnes qui se revendiquent du Salafisme qui, dans l’esprit de beaucoup de Musulmans, est identifié au bon Musulman ou au meilleur Musulman. Dans la mesure où cet Islam vient d’Arabie Saoudite, pays considéré comme le berceau de l’Islam. Donc par un effet domino, on considère que le salafiste est un bon Musulman, car il se réfère à un Islam qui vient d’Arabie Saoudite.

Vous nous expliquez qu’une grande majorité des salafistes sont pacifistes. Pourtant le salafisme est très souvent associé au terrorisme. Pourquoi ?
Parce qu’on est dans une logique essentialiste. Dans le sens où on essaie d’expliquer les comportements politiques des musulmans militants, par les références religieuses auxquelles ils se réfèrent. Donc, si on considère qu’une personne veut faire le Djihad ce n’est pas pour des raisons sociales, politiques ou économiques, mais uniquement pour des raisons religieuses. Or, je pense qu’on se trompe et qu’il faudrait mêler les différentes explications : politiques, sociales, idéologiques et religieuses.

Il faut distinguer les salafistes qui ne sont pas du tout terroristes et qui s’inscrivent dans une logique légaliste, ou apolitique, et d’autres qui sont terroristes [N.D.L.R. : Al-Qaida et ses affiliés, notamment], et qui s’inscrivent dans une logique révolutionnaire. Mais les pacifistes et les légalistes sont ultra-majoritaires.

Combien compte-t-on de personnes qui se réclament du salafisme en France aujourd’hui ?
On estime le nombre de salafistes, en France, à, entre 12 000 et 15 000 personnes. Ce chiffre provient d’une enquête, menée en 2010 par le Ministère de l’Intérieur. Il est en augmentation depuis quelques années. Au moment de la précédente enquête, menée par les renseignements généraux, en 2004, on estimait leur nombre à 5 000. Donc, en l’espace de six ans, le nombre de personnes qui se réclament du salafisme a quasiment triplé.

Pourquoi ce chiffre est-il autant en augmentation ? Et comment un jeune toulousain a-t-il pu devenir un salafiste djihadiste ?
Dans les années 80 et 90, il y avait un certain nombre de personnes, issues de l’immigration musulmanes (principalement d’Afrique du Nord), qui ont été étudier en Arabie Saoudite ou dans des universités d’obédience salafistes. À l’issue de leurs études, ces personnes sont rentrées en France et ont professé un Islam salafiste dans les quartiers populaires.

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