INTERVIEW DE RAMDANE ACHAB A AE : avril 80 n'en finit pas de renaître
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INTERVIEW DE RAMDANE ACHAB A AE : avril 80 n'en finit pas de renaître
Ramdane Achab est un militant du combat amazigh au long cours. Assumant son engagement politique sur le terrain, il est un des rares à n'avoir jamais abandonné la publication culturelle.
A la veille de la commémoration du 33éme anniversaire du printemps amazigh et à l’occasion de la publication de deux nouveaux ouvrages*, Algérie-Express a tenu à ce que cet homme résolu, modeste et toujours lucide s'exprime. C’est une parole et un parcours qui résonnent comme autant des messages d'espoir, notamment pour une jeunesse qu'une scolarité au rabais et une censure multiforme ont failli couper d'une histoire qui reste à écrire et à laquelle R. Achab a toujours apporté sa part de vérité.
Entretien avec Ramdane Achab, éditeur algérien, 28 février 2013
1) Vous êtes connu dans le combat pour la culture et l’identité amazigh. Ces dernières années vous avez néanmoins focalisé vos efforts sur l’édition malgré les difficultés que rencontre ce secteur, pourquoi ?
Ramdane Achab : Oui, bien sûr, des difficultés de toutes sortes ! Moyens matériels, faiblesse du réseau de distribution, du réseau de librairies, et j’en passe ! Mais je me suis dit, tout simplement, qu’il y a des choses à faire dans ce domaine, et que le chantier est immense. Si l’on s’attarde trop sur les difficultés et les insuffisances, on baisse les bras et on ne fait plus rien. Les difficultés qu’on rencontre dans tous les domaines ont à mon avis un objectif bien précis : décourager les citoyennes et les citoyens, les dégoûter de tout, y compris de leur propre existence, faire en sorte qu’ils jettent définitivement l’éponge. L’édition est un combat, comme tous les autres combats. Vous entendez partout, à tous les comptoirs, que les gens ne lisent plus, n’écrivent plus, qu’il ne reste plus que la course effrénée à l’argent, etc. Je me méfie énormément de ces propos qui alimentent le découragement et l’abandon. Il ne faut pas attendre qu’il y ait un lectorat pour éditer des livres, au contraire, il faut éditer pour entretenir le lectorat existant, le conforter, l’élargir, lui faire découvrir de nouveaux horizons.
2) Vos ouvrages en amazigh ou traitant de la question se distinguent par une qualité reconnue par tous au moment où, dans ce domaine peut-être plus que d’autres, l’improvisation et l’amateurisme gagnent la production artistique et intellectuelle. Ce choix ne risque-t-il pas de vous pousser à une certaine marginalité ?
R.A : Le mérite de la qualité revient aux auteurs. Il y a des difficultés spécifiques au domaine amazigh : la relative nouveauté de l’écrit, les questions de graphie et d’orthographe, la qualité de la langue, etc. D’autres éditeurs ont déjà fait du bon travail, je pense notamment à M. Bouchène. L’improvisation et l’amateurisme dont vous parlez sont, je crois, appelés à reculer : le public est exigeant, il faut répondre à ses exigences. Les éditeurs actuels en sont conscients. Il ne faut pas chercher forcément le chef-d’œuvre, mais il ne faut pas non plus céder au populisme et à la démagogie. Personnellement, je me refuse de publier de l’amazigh pour la seule raison que c’est de l’amazigh. Mon seul critère est celui de la qualité de l’ouvrage en tant que contenu, quelle que soit la langue utilisée : amazigh, français, arabe. Il appartient aux lecteurs de faire le ménage et le tri, et de marginaliser l’improvisation et l’amateurisme !
3) Etes-vous satisfait des sponsors qui devraient accompagner votre démarche, dans le cas contraire comment expliquez-vous cette frilosité ?
R.A: J’ai bénéficié de quelques actions de sponsoring, cela ne fait pas de mal, loin de là, mais elles restent exceptionnelles, ponctuelles, et en tout cas insuffisantes. Le sponsoring en Algérie est quelque chose de tout à fait nouveau, il dépend presqu’exclusivement des relations personnelles. L’idéal serait la constitution d’un véritable pôle éditorial à l’échelle de toute l’Afrique du Nord. J’ai de très bons contacts dans tous les pays qui sont proches de nous : Maroc, Tunisie, Libye, et même le Niger et le Mali pour le monde touareg. Un pôle éditorial digne de ce nom qui travaillerait en parallèle, en symbiose, et qui encouragerait les échanges entre les différentes variétés de Tamazight. Pôle éditorial et pourquoi pas, si les moyens le permettent une véritable industrie culturelle qui élargirait sa production à l’audio-visuel de qualité. Qualité de la langue, mais aussi qualité technique qui doit être alignée sur les normes internationales. Pour ne citer qu’un seul exemple, imaginez un instant que nos contes soient portés à l’écran, avec la qualité technique des films de Walt Disney ! Ces idées me tiennent à cœur depuis plusieurs décennies, mais je ne suis pas en mesure de m’y engager seul avec mon salaire d’enseignant : je lance donc un appel aux sponsors et aux partenaires éventuels, aux hommes et aux femmes de bonne volonté !
4) Quel est le lectorat que rencontrent vos ouvrages aujourd’hui ?
R.A : En général, je fais des tirages de mille exemplaires. Quelques titres ont bien marché : le Lexique de la linguistique d’Abdelaziz Berkaï, La Ruche de Kabylie de Bahia Amellal, la fête des Kabytchous de Nadia Mohia, Mraw n tmucuha d’Akli Kebaïli, le Roman de Chacal de Brahim Zellal, les deux ouvrages de Rachid Ali Yahia, le Dictionnaire de proverbes de Ramdane At Mansour, Yahia Pas de Chance de Nabile Farès. Un peu plus lentement l’ouvrage de Brahim Salhi sur la citoyenneté et l’identité en Algérie, qui s’adresse à un public d’un certain niveau et qui traite du printemps 1980, des événements de 2001, de l’Islam, du combat des femmes et du monde associatif algérien, etc. Je n’arrive toujours pas à m’expliquer, par contre, que Tirga n tmes (Rêves de feu) de Hadjira Oubachir qui est pour moi notre plus grande poétesse, n’ait pas reçu un meilleur accueil. Je n’arrive pas non plus à comprendre qu’un écrivain de la trempe de mon ami Amar Mezdad, qui fait de l’édition à compte d’auteur, connaisse des difficultés pour écouler ses ouvrages. Mais lorsque j’ai publié en Algérie un Dictionnaire de berbère libyen, je savais très bien ce qui m’attendait en termes de ventes, mais je l’ai fait par principe, et notamment comme un clin d’œil au long et difficile combat des Imazighen de Libye ! Il est très important, je pense, de publier dans chacun des pays amazighophones, des ouvrages appartenant à toutes nos variétés linguistiques. Pour revenir à votre question, je n’ai malheureusement pas de chiffres concernant le lectorat en général. Le lectorat reste en grande partie à construire. L’idéal serait de le construire à l’échelle de l’Afrique du Nord, et dans les pays étrangers. Certaines publications m’ont par exemple été demandées par des universitaires marocains, tunisiens, voire des Iles Canaries, notamment par Antonio Cubillo qui est décédé récemment après un combat de toute une vie.
5) Quel regard Ramdane Achab, un des principaux animateurs d’avril 80, porte-t-il sur cet évènement aujourd’hui ?
R.A : Le principal acteur a été le peuple. Un peuple qui a osé défier et regarder la dictature dans les yeux pour lui dire : je suis là. J’ai retrouvé récemment les mêmes émotions, la même ferveur, le même engagement, les mêmes visages à Tripoli. Le printemps d’avril 1980 n’en finit pas de rebondir, de résonner, de renaître : Maroc, Libye, le monde touareg, pourquoi pas demain la Tunisie. C’est bien la preuve que ce n’était pas un feu de paille, un caprice, un épiphénomène, mais qu’il exprimait au contraire quelque chose de profond, d’essentiel et d’incontournable dans la vie de tous ces pays qui, si nous avions été un tant soit peu mieux gouvernés, n’en feraient qu’un aujourd’hui !
*Derniers ouvrages des éditions Achab :
- Haddadou ( Mohand Akli ): Dictionnaire toponymique et historique de l'Algérie (640 pages)
- Benamara Hassane : contes de Figuig. Tinfas Ifeyyay. Illustrations de Pali (Abdelkader Abbassi ). Contes illustrés bilingues.
A la veille de la commémoration du 33éme anniversaire du printemps amazigh et à l’occasion de la publication de deux nouveaux ouvrages*, Algérie-Express a tenu à ce que cet homme résolu, modeste et toujours lucide s'exprime. C’est une parole et un parcours qui résonnent comme autant des messages d'espoir, notamment pour une jeunesse qu'une scolarité au rabais et une censure multiforme ont failli couper d'une histoire qui reste à écrire et à laquelle R. Achab a toujours apporté sa part de vérité.
Entretien avec Ramdane Achab, éditeur algérien, 28 février 2013
1) Vous êtes connu dans le combat pour la culture et l’identité amazigh. Ces dernières années vous avez néanmoins focalisé vos efforts sur l’édition malgré les difficultés que rencontre ce secteur, pourquoi ?
Ramdane Achab : Oui, bien sûr, des difficultés de toutes sortes ! Moyens matériels, faiblesse du réseau de distribution, du réseau de librairies, et j’en passe ! Mais je me suis dit, tout simplement, qu’il y a des choses à faire dans ce domaine, et que le chantier est immense. Si l’on s’attarde trop sur les difficultés et les insuffisances, on baisse les bras et on ne fait plus rien. Les difficultés qu’on rencontre dans tous les domaines ont à mon avis un objectif bien précis : décourager les citoyennes et les citoyens, les dégoûter de tout, y compris de leur propre existence, faire en sorte qu’ils jettent définitivement l’éponge. L’édition est un combat, comme tous les autres combats. Vous entendez partout, à tous les comptoirs, que les gens ne lisent plus, n’écrivent plus, qu’il ne reste plus que la course effrénée à l’argent, etc. Je me méfie énormément de ces propos qui alimentent le découragement et l’abandon. Il ne faut pas attendre qu’il y ait un lectorat pour éditer des livres, au contraire, il faut éditer pour entretenir le lectorat existant, le conforter, l’élargir, lui faire découvrir de nouveaux horizons.
2) Vos ouvrages en amazigh ou traitant de la question se distinguent par une qualité reconnue par tous au moment où, dans ce domaine peut-être plus que d’autres, l’improvisation et l’amateurisme gagnent la production artistique et intellectuelle. Ce choix ne risque-t-il pas de vous pousser à une certaine marginalité ?
R.A : Le mérite de la qualité revient aux auteurs. Il y a des difficultés spécifiques au domaine amazigh : la relative nouveauté de l’écrit, les questions de graphie et d’orthographe, la qualité de la langue, etc. D’autres éditeurs ont déjà fait du bon travail, je pense notamment à M. Bouchène. L’improvisation et l’amateurisme dont vous parlez sont, je crois, appelés à reculer : le public est exigeant, il faut répondre à ses exigences. Les éditeurs actuels en sont conscients. Il ne faut pas chercher forcément le chef-d’œuvre, mais il ne faut pas non plus céder au populisme et à la démagogie. Personnellement, je me refuse de publier de l’amazigh pour la seule raison que c’est de l’amazigh. Mon seul critère est celui de la qualité de l’ouvrage en tant que contenu, quelle que soit la langue utilisée : amazigh, français, arabe. Il appartient aux lecteurs de faire le ménage et le tri, et de marginaliser l’improvisation et l’amateurisme !
3) Etes-vous satisfait des sponsors qui devraient accompagner votre démarche, dans le cas contraire comment expliquez-vous cette frilosité ?
R.A: J’ai bénéficié de quelques actions de sponsoring, cela ne fait pas de mal, loin de là, mais elles restent exceptionnelles, ponctuelles, et en tout cas insuffisantes. Le sponsoring en Algérie est quelque chose de tout à fait nouveau, il dépend presqu’exclusivement des relations personnelles. L’idéal serait la constitution d’un véritable pôle éditorial à l’échelle de toute l’Afrique du Nord. J’ai de très bons contacts dans tous les pays qui sont proches de nous : Maroc, Tunisie, Libye, et même le Niger et le Mali pour le monde touareg. Un pôle éditorial digne de ce nom qui travaillerait en parallèle, en symbiose, et qui encouragerait les échanges entre les différentes variétés de Tamazight. Pôle éditorial et pourquoi pas, si les moyens le permettent une véritable industrie culturelle qui élargirait sa production à l’audio-visuel de qualité. Qualité de la langue, mais aussi qualité technique qui doit être alignée sur les normes internationales. Pour ne citer qu’un seul exemple, imaginez un instant que nos contes soient portés à l’écran, avec la qualité technique des films de Walt Disney ! Ces idées me tiennent à cœur depuis plusieurs décennies, mais je ne suis pas en mesure de m’y engager seul avec mon salaire d’enseignant : je lance donc un appel aux sponsors et aux partenaires éventuels, aux hommes et aux femmes de bonne volonté !
4) Quel est le lectorat que rencontrent vos ouvrages aujourd’hui ?
R.A : En général, je fais des tirages de mille exemplaires. Quelques titres ont bien marché : le Lexique de la linguistique d’Abdelaziz Berkaï, La Ruche de Kabylie de Bahia Amellal, la fête des Kabytchous de Nadia Mohia, Mraw n tmucuha d’Akli Kebaïli, le Roman de Chacal de Brahim Zellal, les deux ouvrages de Rachid Ali Yahia, le Dictionnaire de proverbes de Ramdane At Mansour, Yahia Pas de Chance de Nabile Farès. Un peu plus lentement l’ouvrage de Brahim Salhi sur la citoyenneté et l’identité en Algérie, qui s’adresse à un public d’un certain niveau et qui traite du printemps 1980, des événements de 2001, de l’Islam, du combat des femmes et du monde associatif algérien, etc. Je n’arrive toujours pas à m’expliquer, par contre, que Tirga n tmes (Rêves de feu) de Hadjira Oubachir qui est pour moi notre plus grande poétesse, n’ait pas reçu un meilleur accueil. Je n’arrive pas non plus à comprendre qu’un écrivain de la trempe de mon ami Amar Mezdad, qui fait de l’édition à compte d’auteur, connaisse des difficultés pour écouler ses ouvrages. Mais lorsque j’ai publié en Algérie un Dictionnaire de berbère libyen, je savais très bien ce qui m’attendait en termes de ventes, mais je l’ai fait par principe, et notamment comme un clin d’œil au long et difficile combat des Imazighen de Libye ! Il est très important, je pense, de publier dans chacun des pays amazighophones, des ouvrages appartenant à toutes nos variétés linguistiques. Pour revenir à votre question, je n’ai malheureusement pas de chiffres concernant le lectorat en général. Le lectorat reste en grande partie à construire. L’idéal serait de le construire à l’échelle de l’Afrique du Nord, et dans les pays étrangers. Certaines publications m’ont par exemple été demandées par des universitaires marocains, tunisiens, voire des Iles Canaries, notamment par Antonio Cubillo qui est décédé récemment après un combat de toute une vie.
5) Quel regard Ramdane Achab, un des principaux animateurs d’avril 80, porte-t-il sur cet évènement aujourd’hui ?
R.A : Le principal acteur a été le peuple. Un peuple qui a osé défier et regarder la dictature dans les yeux pour lui dire : je suis là. J’ai retrouvé récemment les mêmes émotions, la même ferveur, le même engagement, les mêmes visages à Tripoli. Le printemps d’avril 1980 n’en finit pas de rebondir, de résonner, de renaître : Maroc, Libye, le monde touareg, pourquoi pas demain la Tunisie. C’est bien la preuve que ce n’était pas un feu de paille, un caprice, un épiphénomène, mais qu’il exprimait au contraire quelque chose de profond, d’essentiel et d’incontournable dans la vie de tous ces pays qui, si nous avions été un tant soit peu mieux gouvernés, n’en feraient qu’un aujourd’hui !
*Derniers ouvrages des éditions Achab :
- Haddadou ( Mohand Akli ): Dictionnaire toponymique et historique de l'Algérie (640 pages)
- Benamara Hassane : contes de Figuig. Tinfas Ifeyyay. Illustrations de Pali (Abdelkader Abbassi ). Contes illustrés bilingues.
Azul- Nombre de messages : 29959
Date d'inscription : 09/07/2008
Re: INTERVIEW DE RAMDANE ACHAB A AE : avril 80 n'en finit pas de renaître
http://www.algerie-express.com/culture/2183-interview-de-ramdane-achab-a-ae-avril-80-nen-finit-pas-de-renaitre.html
Azul- Nombre de messages : 29959
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