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Dernier entretien avec Malek Ouary

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Message  Zhafit Mar 18 Nov - 17:21

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Dernier entretien avec Malek Ouary

« Chez nous, la culture s’apparente à l’histoire de l’enfant endormi : on dit, en Kabylie, qu’un fœtus peut s’endormir au sein d’une femme, pendant des années, puis se réveiller et repartir. Ainsi va-t-il de notre culture : elle s’est endormie, à une période donnée, mais maintenant qu’elle est réveillée, elle reprend son essor avec toute sa vitalité originelle. » M.Ouary. Grandeur et modestie d’un écrivain émérite.
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Message  Zhafit Mar 18 Nov - 17:25

Dernier entretien avec Malek Ouary*

« Chez nous, la culture s’apparente à l’histoire de l’enfant endormi : on dit, en Kabylie, qu’un fœtus peut s’endormir au sein d’une femme, pendant des années, puis se réveiller et repartir. Ainsi va-t-il de notre culture : elle s’est endormie, à une période donnée, mais maintenant qu’elle est réveillée, elle reprend son essor avec toute sa vitalité originelle. » M.Ouary. Grandeur et modestie d’un écrivain émérite.



A l’instar de vos émissions radiophoniques et de vos écrits journalistiques, peut-on dire que Le grain dans la meule est aussi une œuvre documentaire ?

Malak Ouary : Absolument. Avec ce roman, j’ai entrepris la réalisation de mon objectif qui était de fixer, de façon pérenne, la culture dont je redécouvrais les valeurs profondes, occultées, en moi, par l’école française et mon immersion dans les cultures grecque et latine. D’ailleurs, pour que la critique ne trouve pas à inventer un quelconque « apport » de la civilisation française à l’histoire de ce roman, je l’ai situé intégralement dans la Kabylie pré-coloniale. Toute la trame de Le grain dans la meule repose sur un socle social authentiquement Kabyle.

En effet le roman est très enraciné. Quelle est, dans l’histoire, la part de la réalité et celle de la fiction ?

Je me suis inspiré d’un fait réel, qui s’est déroulé à Thirouel, un village de Bouakache, dans la région des Aït-Abbas. Cependant, dans Le grain dans la meule, l’histoire, je l’ai située ailleurs. Comme cadre spatial principal, j’ai pris mon village d’Ighil Ali, dont je connais parfaitement la structure. Puis, Tougourt, un coin de désert qui ne m’est nullement étranger pour y avoir effectué maints reportages. Bien entendu, sur ce plan, j’ai agi en tant que romancier : j’ai transposé des images, opéré des transfigurations à dessein… Mais tout ce travail de fiction ne sert qu’à canaliser l’événement authentique qui forme la trame du livre.

Quel a été l’impact du roman, à l’époque de sa parution, sur le champ socio-médiatique ?

La critique en a fait des éloges. J’ai été interviewé, ici, en France, à la T.V. La radio, quant à elle, elle a regroupé les meilleurs comédiens de la Comédie française et autres, pour réaliser une pièce en six épisodes, à partir de Le grain dans la meule. Pour ne pas être trahi dans l’adaptation, j’ai fait moi-même le travail. Cela a été un succès.

En Algérie aussi il y a eu une adaptation cinématographique du roman…

Oui…J’en ai été informé par un ami qui m’a montré un compte rendu, qui a été fait par la presse, sur les débats concernant l’adaptation en question…

Est-ce à dire que le réalisateur, en l’occurrence, Mohammed Iftissen, ne vous en n’a pas parlé préalablement ?

C’est exactement ça. Mohammed Iftissen et son équipe se sont comportés envers moi comme des goujats. Ils m’ont trahi. L’adaptation cinématographique de Le grain dans la meule, sous le titre Les rameaux de feu, fut le pire des mépris que j’avais à essuyer dans ma vie d’écrivain. D’ailleurs, je n’ai jamais vu le film. Mais d’après la presse, ils ont réalisé le film comme bon leur a semblé, comme si le livre était leur propriété. Mohammed Iftissen et son équipe sont allés jusqu’à changer carrément la fin de l’histoire authentique, disant qu’ils la trouvaient « inadmissible », car, pour eux, ce type de vengeance « n’existait pas chez les Kabyles ». Ils déclarent, sans vergogne, que « Malek Ouary étant chrétien, il ne peut donner qu’une solution chrétienne à la fin de l’histoire ». Evidemment, l’issue de l’histoire du roman est fondamentalement d’inspiration Kabyle.

Profondément offensé, j’ai écrit personnellement à Iftissen. Il est certain que ne je prétends nullement remettre en cause son travail, en tant que réalisateur. Mais, étant donné que l’œuvre en question m’appartient, il est légitime que je sois informé du projet, et normal que j’en fasse des suggestions en mettant, surtout, des barrières là où il ne faut rien toucher.

Dans Poèmes et chants berbères de Kabylie, vous mettez, manifestement, au jour, certains traits de la vie sociale, révélée dans Le grain dans la meule.

Parfaitement. Par ces deux modes d’expression : poésie et chant, j’ai voulu montrer les qualités littéraires de la langue berbère, et, du même coup, illustrer la mentalité et l’attitude des gens de Kabylie devant les événements majeurs de la vie, tels : la naissance, la mort, l’émigration, la séparation etc.

Paul Emile Gautier disait : « Les Berbères sont les derniers barbares blancs. » Et moi je lui étale une civilisation millénaire, bien vivante, qu’il ignore, ou feint d’ignorer pour ne valoriser que la civilisation française.

Vous même vous êtes pétri de la culture française et donc de cette civilisation que vous vivez naturellement à travers la pensée, l’écrit… Quel est l’impact de la francophonie sur l’écrivain berbère que vous êtes ?

Certes, la culture française est l’une des plus vastes et des plus riches au mondes. Mais ce n’est pas la mienne. Evidemment, l’avoir acquise n’a rien de déshonorant. Au contraire ! Puisque, au-delà de l’instruction que j’ai pu avoir par son truchement, elle m’a permis d’ouvrir les yeux sur mon Histoire, ma culture et ma langue propres. Contrairement à ce que préconisait le colonialisme français qui ne nous imprégnait que de sa langue et de sa culture, nous ne sommes pas déracinés. Personnellement, ma berbérité ne s’est jamais endormie en moi. La preuve, à mon âge, je travaille encore régulièrement à la traduction berbère des Poèmes et chants de Kabylie, qui seront réédités par Bouchène, ici, à Paris. Tous les matins, je suis à ma table de travail de neuf heures jusqu’à midi et demie.

Concernant vos deux autres romans : La montagne aux chacals et la robe kabyle de Baya, ne sont-ils pas quelque peu autobiographiques ?

Ah, j’attendais cette question ! En effet, beaucoup, de ceux qui les ont lus, pensent comme vous. Mais je peux vous assurer, que si ces deux ouvrages sont inspirés des réalités vécues, ils n’ont aucun lien avec ma vie personnelle.

Il y a quelques mois, j’ai reçu une lettre d’un ancien pied noir de Marseille, qui était instituteur en Algérie. Ayant fait la deuxième Guerre mondiale, en tant qu’officier, il a cru reconnaître son itinéraire militaire dans mon livre, et en moi ( il m’a assimilé au narrateur du récit), un des ses compagnon de combat. Ce qui est, évidemment, tout à fait faux. Car si j’étais moi-même aussi mobilisé, je n’ai pas du tout fait l’itinéraire dont il me parlait. C’est dire combien je suis étranger aux trames de mes romans.

Vous qui êtes de la même génération que Féraoun, Mammeri, Dib, les Amrouche, quelles étaient vos relations avec eux, ou certains d’entre eux ?

J’ai toujours eu d’excellents rapports avec eux. Concernant Féraoun, quand j’ai découvert son livre, Le fils du pauvre, à la bibliothèque du Gouverneur général d’Alger, je me suis dit : voilà encore un misérabiliste qui va pleurnicher sur son sort à longueur de pages. Mais le livre en question a eu le Prix de la ville d’Alger. Et sa lecture, loin de me livrer un lamento, elle m’a révélé une œuvre autobiographique, sincère, d’un écrivain talentueux, plein d’humilité et de courage.

Un jour que radio-Alger m’a envoyé à Tizi-Ouzou pour un reportage sur l’artisanat, je n’ai pas hésité à aller le voir à Taourirt Moussa Ouamer, où il était instituteur. On ne se connaissait pas, bien sûr. Il m’a accueilli avec sa générosité légendaire, autour d’un couscous.

Pour ce premier contact, on ne s’est pas dit grand chose. Mais l’ayant revu à Alger, au cours d’une réunion d’instituteurs, j’ai pu l’interviewer en lui consacrant toute une émission à la radio.

Quel regard portez-vous sur la lutte pour la reconnaissance officielle de la langue et culture berbères en Algérie ?

Un canadien disait : « La langue est l’A.D.N. des peuples. » Et moi je dirai : cette lutte est noble et légitime. Je ne vois pas pourquoi on sacrifierait une langue, la langue berbère, qui est l’une des plus ancienne au monde, qui a résisté à toutes les invasions qu’a connu l’Afrique du nord et qui continue à résister, avec la même vigueur, à toute les attaques dont elle est l’objet, en Algérie. Je ne comprends vraiment pas cet acharnement des cercles décideurs à vouloir renier, voire, faire disparaître un patrimoine bien vivant et plus que jamais enraciné. C’est une aberration sans nom. D’autant qu’il ne s’agit aucunement d’opposer cette culture et cette langue à quoi que ce soit. Il s’agit simplement de leur assurer, constitutionnellement, un avenir en tant que culture et langue nationales aux côtés des autres éléments constitutifs de la personnalité algérienne.

Concernant la réhabilitation et la promotion de la langue et culture berbères, comment appréciez-vous le travail des intellectuels berbérisants ?

Je ne peux qu’y souscrire. Ils font un travail d’une importance capitale, dans la mesure où ils doivent élaborer des manuels scolaires, des méthodes et des outils didactiques, concevoir une littérature performante, une documentation multidisciplinaire… enfin, mettre en lumière toute une culture et un savoir qui demandent de vastes et longues recherches. Il est clair que dans ce sens des pas appréciables sont faits, et je ne peux que féliciter l’ensemble des auteurs. Pour ma part, j’essaie d’y contribuer, autant que faire se peut, par des traductions en berbère d’un pan de notre patrimoine que j’ai fixé déjà en français.

Lisez-vous des auteurs algériens actuels ?

Il est évident que quand je n’écris pas, je lis. Mais c’est surtout des ouvrages d’Histoire ou des documents ayant trait au domaine berbère. Cependant, je lis très peu : étant donné mon âge, je consacre quasiment tout mon temps à la mise au point de mes écrits, car j’estime que j’ai beaucoup à laisser.

On vous laisse conclure…

La langue berbère constitue le réceptacle de toute une culture, de toute une tradition, de toute une façon de vivre et de penser. J’y suis très attaché, sans pour autant être contre que l’on s’instruise dans d’autres langues : plus on connaît de langues, plus on s’ouvre sur d’autres cultures, ce qui nous enrichit. Mais de-là à vouloir nier ou détruire la langue berbère, je suis radicalement opposé.

A ce propos, je rejoins Mohammed Dib qui me confia un jour : « Si l’Algérie veut se réconcilier avec elle-même, il faut qu’elle reconnaisse son identité berbère. »


Ahcène Bélarbi et Ali Guenoun


*Entretien réalisé à Paris, au mois d’avril 2001 publié dans le journal IZURAN - RACINES
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Message  Zhafit Mer 19 Nov - 11:35

A l’instar de Mourad Bourboune, ou de Norddine Aba, Malek Ouary est l’un des écrivains kabyles qui a produit une œuvre majeure, mais qui est peu lue de ses compatriotes : ses livres ne sont ni édités, ni réédités en Algérie, et ses écrits sont absents des programmes scolaires.
Frappé d’anathème par le pouvoir algérien, à cause de sa chrétienté, il n’en demeure pas moins qu’il reste un écrivain enraciné, nourrit de sa culture ancestrale qu’il a divulguée aussi bien à travers des ondes radiophoniques, que dans ses différents écrits : journalistiques et littéraires.


Il avait encore beaucoup à apporter et à donner à la littérature algérienne d’expression française, autant qu’à la langue berbère elle-même. A titre d’exemple, ses Poèmes et chants de Kabylie, écrits initialement en français, il les a réécrits, en berbère, quelques années avant sa mort, pour le compte des éditions Bouchène, à Paris.
Oui, il avait beaucoup encore à dire, à écrire, le grand Ouary !

Avait-il le temps de lire ce que produisent les jeunes écrivains algériens ?
Ecoutons-le : «Il est évident que quand je n’écris pas, je lis. Mais c’est surtout des ouvrages d’histoire ou des documents ayant trait au domaine berbère. Etant donné mon âge, je consacre quasiment tout mon temps à la mise au point de mes écrits, car j’estime que j’ai beaucoup à laisser…»
Ces propos, quelque peu, prémonitoires, étaient des éléments de réponse à la question sus-évoquée, lors de l’interview qu’il nous a accordée en avril 2001, pour le compte du journal Izuran.

Propos «prémonitoires», car, sans le savoir, le temps pressait vraiment pour le grand homme. Dans le seul courrier que nous avions échangé, après la publication de son interview, il avait émis le vœu de nous revoir : « Lors de mon prochain passage à Paris, écrit-il, je vous ferai signe en vue d’une rencontre pour mieux faire connaissance.» Hélas, la vie en avait décidé autrement. Il décéda, subitement, quelques mois après, en décembre de la même année. Il était clair que, ayant trouvé quelque part en nous un lien, sinon, « une voix » pour communiquer avec son pays et son peuple, il était heureux de faire connaître son attachement viscérale à sa terre matrice, par le travail acharné qu’il avait consacré, tout au long de sa vie, à sauver de l’oubli bien des pans de la culture de ses père ; d’abord par le biais de la radio, lors des émissions qu’il animait sur « le folklore kabyle », dans les années 40, puis de l’écriture.
Les études secondaires, du grec et du latin ( appelées à l’époque, les humanités), et, plus tard, les études supérieures de littérature et de philosophie, qu’il avait menées avec brio, si elles avaient permis à l’écrivain une profonde connaissance des cultures en rapport, par contre, elles n’ont jamais influé sur son orientation littéraire : son terreau culturel reste exclusivement, du moins, foncièrement l’univers berbère. Son but, nous confiera-t-il, était de « montrer qu’on avait une culture valable, qu’il faut récupérer, conserver et développer.»

Malek Ouary s’en nourrit. Il s’en nourrit et « sème », à son tour, les graines qui contribueront à donner de meilleures récoltes pour les générations à venir. Ainsi, la culture berbère se renouvellera sans cesse, fructifiée et sans dégénérer, avec une vigueur à même de permettre son adaptation aux besoins d’expressions modernes. C’est là, du moins, ce que nous croyons saisir du sens que le grand écrivain donnait au travail d’intériorisation et d’écriture, auquel il s’était profondément attelé, sa vie durant.
Dans ses romans, son besoin de fixer et de sensibiliser le lecteur non berbérophone à la vigueur expressive du berbère, allait jusqu’à émailler ses textes de plusieurs termes de cette langue. Dans Le grain dans la meule, cette « intrusion lexicale » est doublée d’un aspect didactique qui contourne, merveilleusement, les usages de la syntaxe française, au profit d’une tournure originale kabyle, rendue dans la langue de Molière. L’exemple le plus édifiant est révélé dans cette expression : « Ohé, père, te dit l’oncle Brirouche, viens maintenant, maintenant ! » Quant aux titres de ses trois romans : Le grain dans la meule, La montagne aux chacals et La robe kabyle de Baya, la combinaison de leurs éléments linguistiques ne souffre d’aucune équivoque quant à l’univers kabyle auquel ils réfèrent, et qu’ils mettent en relief.

Notre prétention, ici, n’est pas - et c’est une évidence - de prétendre cerner l’écrivain et son œuvre en si peu de mots, mais juste marquer, par une évocation, même sommaire, la grandeur et la modestie de l’écrivain disparu.

Malek Ouary est un monument littéraire. On en parle souvent comme d’une légende, mais rarement de sa plume. Le devoir des spécialistes ne serait-il pas de mettre au grand jour, par des études appropriées, l’homme et son oeuvre, afin de faire connaître, dans son pays, l’une des figures dominantes de nos hommes de lettres, et par là même inciter les gens à sa lecture?


Ahcène Bélarbi

Malek Ouary est né le 27 janvier 1916 à Ighil Ali, en Kabylie, dans le massif des Bibans dans la wilaya de Bgayet. Il s’installa en France en 1958 où il a travaillé en tant que journaliste à l’ORTF. Par la suite, il travaille comme journaliste à Radio-Alger. Malek Ouary est décédé le 21 décembre 2001 à l’âge de 85 ans à Argelès-Gazost.
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