Tamazgha, autonomies régionales et faux problèmes
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Tamazgha, autonomies régionales et faux problèmes
Dans cette région du sud de la méditerranée qu’on appelle improprement le « Maghreb arabe », la Kabylie a joué un rôle de précurseur dans la lutte contre les dictatures arabo-islamiques qui sont au pouvoir depuis que ces pays ont accédé à leurs indépendances politiques, dans les années 1950/60, jusqu’aujourd’hui d’aujourd’hui, notamment dans le combat pour la reconnaissance les libertés fondamentales et les droits des citoyens.
04/05/2011 - 12:00 mis a jour le 04/05/2011 - 21:52 par K. Bouamara
Les prémisses des deux « printemps kabyles » des années 1980
Les deux « Printemps kabyles », dont nous parlerons plus loin, ne sont pas nés ex-nihilo. Comme prémisses qui ont contribué à la naissance de ces évènements kabyles de 1980/81, nous ne manquerons pas de citer les oppositions et révoltes contre le régime central et centralisé d’Alger, comme la révolte du Front des Forces Socialistes en 1963 dont le foyer était en Kabylie, l’« affaire des poseurs de bombes » en 1975, l’impact et le travail de sensibilisation fait par l’Agraw Imaziɣen,l’ « Académie berbère », à partir de Paris, tout au long de la décennie 1970.
Le « Printemps amazigh » est né, en effet, en Kabylie, plus précisément à l’Université de Tizi Ouzou, en mars/avril 1980. En réalité, il a vu le jour suite à une série d’actions et de remises en cause politiques menées d’abord, par les étudiants puis, par l’ensemble de la communauté universitaire, contre le système politique algérien bâti sur le dogme de l’unicité sur tous les plans – un seul parti, le FLN ; une seule langue, l’arabe dit classique/littéraire ; un seul discours ou style, la langue de bois ; une seule religion, l’islam arabiste et médiéval, etc. Au cours de l’année académique 1979/80 ; le dit dogme sévissait alors dans le pays, à toutes les échelles de la société, dont les cités et les campus universitaires. La goutte qui avait fait déborder le vase était l’interdiction par les autorités locales (sans doute sur ordre d’Alger) de la conférence que Mouloud Mammeri allait y donner sur les Poèmes kabyles anciens, un livre qu’il venait de faire paraître en France. Suite à l’interdiction de cette manifestation, pourtant à caractère littéraire et culturel, une répression féroce s’était abattue d’abord sur la communauté universitaire en ébullition, puis sur le reste de la population kabyle de toute la région . Comme effets immédiats, on citera :
1. Le viol massif par les CNS des étudiantes dans la cité universitaire dont on ne parle que rarement de nos jours ;
2. Blessure et torture physique et morale des étudiants ;
3. Incarcération de membres de la communauté universitaire pendant des mois, dont l’affaire des célèbres 24 détenus.
Une année après, à la même date, le même scénario s’était répété à Bgayet et sa région suite, dit-on, au détournement sur Jijel du projet de construction d’un centre universitaire à Bgayet. Plusieurs manifestants ont été blessés, torturés et incarcérés ; des dizaines de lycéens ont en effet passé leur bac en prison et l’ont obtenu, dont certains avec mention ! Ces derniers évènements, dont les manifestations ont été aussi réprimées dans le sang que ceux d’avril 1980, sont, à ce jour, malheureusement peu connus du public, voire méconnus.
Pan-berbérisme vs arabo-islamisme
Il est fort probable que certaines idées constituant le pan-berbérisme remontent à l’ère du mouvement national, plus précisément à l’époque du PPA-MTLD, voire même à l’époque de l’Etoile Nord-Africaine (ENA), puisque l’arabo-islamisme datait de cette époque. Mais en tant que discours « idéologique », le berbérisme a été lancé par l’Agraw Imazighen à partir Paris, dès la fin des années 1960. Il a été lancé contre et par opposition à l’arabo-islamisme, idéologie niant et interdisant tout ce qui a trait à l’amazigh et aux Imazighen au « Maghreb », idéologie imposée par les lois et par les armes dans ces pays du « Maghreb » dès leur accès à l’indépendance. Le procédé de contrer ce dogme idéologique était simple : à chaque élément du puzzle dudit dogme, il fallait lui en opposer un autre de nature amazigh. Ainsi, nous avons : 1. « Maghreb »= une partie de la « nation arabe » vs « Nation amazighe = tamazgha » dont le vaste territoire va de l’Oasis de Siwa, à l’est jusqu’à l’Atlantique, à l’ouest et de la mer méditerranée au nord, jusqu’au nord du Mali/Niger, au sud ; 2. langue arabe (=langue nationale et officielle) vs langue amazigh (tamazight) = langue nationale et officielle ; 3. Langue arabe s’écrivant de droite à gauche + alphabet arabe vs langue amazigh s’écrivant de gauche à droite + alphabet amazigh (tifinagh) ; 4. Début de l’histoire arabo-islamique = avènement de l’islam vs l’histoire des Berbères = prise du pouvoir en Egypte par Chachnaq (950 av. J.C), un général libyen ; 5. calendrier hégirien vs calendrier (agraire) berbère ;
Les faiblesses du pan-berbérisme
Voyons maintenant si ces deux idéologies concurrentes à la surface le sont également en profondeur.
Elaborée par des intellectuels arabes (mais pas nécessairement musulmans) dans la langue arabe elle-même, durant l’époque coloniale – période propice pour attirer les non Arabes, dont les Berbères et pour les mobiliser contre le colonialisme occidental qui était déjà stigmatisé –, puis portée au pouvoir par la force une fois les indépendances acquises, l’idéologie arabo-islamique a été d’abord réfléchie puis consignée dans des supports livresques et enfin relayée par des cohortes de personnes formées, pendant de longues années, dans des écoles se trouvant alors en Iraq, en Syrie, etc...
Tout au long de la période du mouvement national, les Arabo-islamiques (en Algérie) tous azimuts ont adopté des attitudes complètement contraires à l’éthique révolutionnaire, à la bravoure et au devoir envers la patrie. L’association dite des Oulémas n’avait à aucun moment remis en cause la présence française en Algérie, sa seule revendication consistait en la reconnaissance par la France coloniale de la dimension arabo-musulmane du « peuple algérien ». Pendant que les algériens combattait le colonialisme et lui faisait la guerre, le chef de cette association enseignait les « sciences » arabes et islamiques (comme l’orthographe et la grammaire arabes, la récitation des versets du Coran et son interprétation…) et composait des poèmes comme : « Le peuple algérien est musulman /et est allié à l’arabité … ».
Plus tard, durant la guerre, pendant que d’authentiques Algériens faisaient la guerre, au propre et au figuré, contre la France coloniale composée de son armée, de ses services et de ses politiciens et diplomates, ces usurpateurs de dignité échafaudaient des plans pour voler le pouvoir une fois l’indépendance acquise. D’un côté, ils se sont construit des camps de formation et d’entrainement des troupes situés loin des champs de bataille, camps situés alors dans les pays voisins de l’Algérie ; de l’autre, ils envoyaient les leurs à l’étranger pour étudier et les former aux fonctions de futurs ministres de la RADP, d’officiers de l’armée et comme autres cadres de la nation. L’objectif visé par cette stratégie, indigne et macabre, était simple : laisser mourir à petit feu les maquisards et autres combattants de l’intérieur, pour les affaiblir au maximum jusqu’à ce que viendra le moment opportun, c’est-à-dire l’heure de l’indépendance.
Les faiblesses du pan-berbérisme
L’une des faiblesses du pan-berbérisme réside dans cette langue même que l’on dénomme, depuis peu de temps seulement, tamazight. Beaucoup de gens croient qu’il suffit de re-doter cette langue d’un alphabet, comme les tifinagh, par exemple, pour que les choses roulent comme sur des roulettes. Ces choses sont en réalité plus complexes qu’on ne le pense. A cette complexité, s’ajoute un manque drastique de discernement, comme la confusion de certaines « choses » importantes, comme : 1. le (moment) présent avec un moment du passé ou de l’histoire ; cette confusion a amené certains à prendre leurs rêves/espoirs du moment pour des réalités ; 2. Ne pas toujours voir/analyser les autres à travers le prisme de soi-même. On nous parle, par exemple, de l’existence d’une nation, tamazgha, dont le territoire s’étendrait de l’Atlantique jusqu’à l’Oasis de Siwa et … On nous parle également d’une seule et même langue, tamazight, qui serait parlée par les habitants de cette nation …Tout cela est beau et quand bien même il serait attesté et confirmé par des études historiques et scientifiques, il ne sera pas plus que du passé. Le présent est, qu’on le veuille ou non, fait de toutes autres « choses » et le futur également on n’en sait rien.
De quoi est fait notre présent ?
De quoi est fait notre présent ? D’abord, cette Tamazgha, que les Arabo-musulmans dénomment « Maghreb islamique », voire « Maghreb arabe », que les Français appelaient « Afrique du Nord », est habitée de nos jours par au moins deux types de groupes sociaux : des « Berbères arabisés par l’islam » qui clament à haute voix leur appartenance à l’arabité et des Berbérophones, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils vivent en petits groupes chacun de leur côté et en totale autarcie ; le manque, voire l’absence de communication qu’il y a entre ces groupes berbérophones ne s’explique pas seulement par les longues distances géographies qui les tiennent séparés et éloignés les uns des autres. En effet, l’absence d’une conscience identitaire commune y était/est pour beaucoup et constitue sans doute un facteur important. Il s’en infère que ces groupes berbérophones sont soumis et dominées linguistiquement, culturellement et idéologiquement par les premiers.
Envisager aujourd’hui de reconstruire cette « nation amazighe » historique relèverait de l’utopie. On ne peut pas revivre le passé en y pensant, on se le rappelant ou en le rappelant sans cesse aux nôtres.
Ensuite, contrairement à la langue arabe qui dispose d’une « norme de référence » qu’on appelle diversement langue coranique, classique, littéraire, langue que ces pouvoirs arabo-islamiques ont porté au pouvoir et à laquelle ils ont conféré le statut de langue « nationale et officielle », le tamazight n’en a disposé d’aucune jusqu’à ce jour. Pourquoi ? Parce que l’histoire de ces deux langues est complètement différente. Le travail de la première et son élaboration étaient intimement liés à l’avènement du Coran et à l’histoire de l’islam, en général. Cette langue « sacrée » a été travaillée, promue, sacralisée et défendue par tous les peuples musulmans, arabes et non arabes, dont les Berbères. Ainsi, jusqu’à l’avènement de la colonisation française au « Maghreb » et l’appropriation de la langue et de la culture françaises par les autochtones, ces derniers étaient comme envoutées, voire obnubilés par la culture arabo-islamique et sa langue véhiculaire, l’arabe. On peut illustrer nos propos par cet exemple tristement célèbre. Aux temps des royaumes et dynasties musulmans berbères du Moyen-âge, par exemple, il y avait bien des Berbères qui fabriquaient eux-mêmes (ou se faisaient fabriquer en faisant appel aux spécialistes en généalogie) de fausses généalogies arabes (qui les lieraient à la lignée du Prophète Mohamed), ainsi pour légitimer leur pouvoir.
En revanche, le tamazight n’a, à aucun moment, bénéficié de tels privilèges ; il n’a pas été, par exemple, une langue de pouvoir ou du pouvoir quelque part dans ce vaste territoire de tamazgha, ou à un moment donné de son histoire ; il n’a pas connu non plus de tradition écrite sérieuse qui aurait donné, à la longue, une « norme de référence », c’est-à-dire une « langue commune » à tous les Berbérophones ; cette « norme », si elle avait existé, aurait non seulement transcendé les énormes distances géographiques dont nous parlions plus haut, mais elle aurait également (r)établi ou renforcé l’intercommunication entre ces groupes et joué un rôle de ciment unificateur dans la (re)construction identitaire berbère.
Comme perspectives, les autonomies régionales
Les premiers partisans de l’autonomie (encore une fois, c’est en Kabylie que la perspective est annoncée publiquement !) se sont rendus compte très tôt que le pan-berbérisme est arrivé à péremption.
En l’état actuel des choses, il est impossible d’aménager et de standardiser les différents dialectes amazighs pour en faire une « norme commune ». Les difficultés de cet aménagement se situent sur au moins trois plans différents.
Le plan géopolitique : de nos jours, le tamazight, composé de diverses variétés, est supranational, en ce sens qu’elles sont localisées dans plusieurs entités pays (Algérie, Maroc, Lybie, …), dont les régimes politiques sont par ailleurs de natures diverses. Si ces régimes ne sont jamais arrivés à construire ensemble une quelconque structure commune, ni à s’entendre sur des choses basiques, telles que la libre circulation des biens et des personnes dans ce « Maghreb », on ne voit pas comment ils arriveraient à s’entendre sur la question amazighe.
Le plan de la standardisation : les divers dialectes algériens (pour ne nous en tenir qu’à l’Algérie), qui partagent certes des différences et des similitudes sur les différents plans linguistiques, sont en réalité assez éloignés les uns des autres ; il s’ensuit que leur standardisation à court ou à moyen terme est non seulement peu envisageable, mais en outre difficile à réaliser. Ce qui est recommandé en revanche, est la standardisation de chacune de ces grandes variétés, laquelle est déjà en cours.
Le plan de l’aménagement du statut : comme la réalité algérienne nous le confirme, si le tamazight a connu le statut constitutionnel de « langue de tous les Algériens » en 1994, puis de « langue nationale également », en 2002, c’est grâce au combat mené par un seul groupe berbérophone d’Algérie, les Kabyles. Ce combat incessant de la Kabylie pour la reconnaissance de ses droits linguistiques, culturels et identitaires et le manque, voire l’absence d’engagement d’autres groupes dans ce même combat montrent on ne peut plus clair la différence d’attitude et de représentations que ces différents groupes berbérophones affichent à l’égard de leur langue.
Il y a des raisons objectives qui ont poussé certains Kabyles à lancer publiquement l’idée puis le projet de l’autonomie de la Kabylie. La première réside dans le fait que le pan-berbérisme (dont nous avions parlé plus haut) a amené les Imazighen à une voie sans issue, à une voie de garage. Pourrions-nous vraiment reconstituer cette prétendue ancienne et historique « nation amazighe » ? Je ne vois pas comment. Pourrions-nous aménager, dans des délais raisonnables, toutes les variétés amazighes existant de nos jours, pour en faire un jour une et une seule langue amazighe, qui deviendrait la langue véhiculaire et officielle de cette « nation » ? Je n’y crois pas.
La seconde, comme tout le monde l’a remarqué en Algérie, se situe sur le plan de la morale et de l’éthique. Celle-ci nous commande d’abord d’être éternellement reconnaissant envers celui qui nous a ouvert les yeux sur quelques chose, qui nous a montré la voie de la dignité et de la liberté, qui nous a prodigué du bien. A ce sujet, un proverbe kabyle dit : Win ur nezmir i lxir, yerr areṭṭal, « Si nous ne pouvons pas faire du bien, remboursons au moins nos dettes ». La Kabylie a été trahie deux fois de suite par le reste des Algériens, Arabophones et Berbérophones, et sur deux plans différents. D’abord, après l’indépendance de l’Algérie en 1962 : nous connaissons l’engagement de la Kabylie dans la lutte contre la France coloniale et nous savons également comment elle a été « récompensée » une fois l’indépendance arrachée. Le premier Président de la RADP a si bien exprimé cette trahison à travers cette phrase assassine : « Nous remercions nos « frères kabyles », disait-il, qui nous ont aidé à recouvrer notre indépendance », c’est-à-dire l’indépendance des « Arabes » algériens. Ensuite, dans le long et lent combat que mène la Kabylie pour la reconnaissance de ses droits linguistiques et identitaires amazighs. Pour l’heure, nos frères berbérophones n’ont su montrer qu’une chose : partager, à part égale, les fruits du combat qu’ont mené les Kabyles seuls.
Il va sans dire que la « fin » du pan-berbérisme ne signifie, ni n’équivaut à la fin du combat pour la reconnaissance de la condition amazighe et pour sa promotion ; cela ne signifie pas non plus qu’il faille baisser les bras et cesser d’y réfléchir. Que veut-on signifier ? Il s’agit d’entrevoir d’autres solutions, de relancer la lutte et la réflexion en adoptant d’autres stratégies, en empruntant d’autres voies, en se donnant d’autres moyens de lutte. En somme, il s’agit, pour chaque groupe berbérophone, de lutter pour son autonomisation, s’il le souhaite.
@ Kamal BOUAMARA 1 mai 2011
04/05/2011 - 12:00 mis a jour le 04/05/2011 - 21:52 par K. Bouamara
Les prémisses des deux « printemps kabyles » des années 1980
Les deux « Printemps kabyles », dont nous parlerons plus loin, ne sont pas nés ex-nihilo. Comme prémisses qui ont contribué à la naissance de ces évènements kabyles de 1980/81, nous ne manquerons pas de citer les oppositions et révoltes contre le régime central et centralisé d’Alger, comme la révolte du Front des Forces Socialistes en 1963 dont le foyer était en Kabylie, l’« affaire des poseurs de bombes » en 1975, l’impact et le travail de sensibilisation fait par l’Agraw Imaziɣen,l’ « Académie berbère », à partir de Paris, tout au long de la décennie 1970.
Le « Printemps amazigh » est né, en effet, en Kabylie, plus précisément à l’Université de Tizi Ouzou, en mars/avril 1980. En réalité, il a vu le jour suite à une série d’actions et de remises en cause politiques menées d’abord, par les étudiants puis, par l’ensemble de la communauté universitaire, contre le système politique algérien bâti sur le dogme de l’unicité sur tous les plans – un seul parti, le FLN ; une seule langue, l’arabe dit classique/littéraire ; un seul discours ou style, la langue de bois ; une seule religion, l’islam arabiste et médiéval, etc. Au cours de l’année académique 1979/80 ; le dit dogme sévissait alors dans le pays, à toutes les échelles de la société, dont les cités et les campus universitaires. La goutte qui avait fait déborder le vase était l’interdiction par les autorités locales (sans doute sur ordre d’Alger) de la conférence que Mouloud Mammeri allait y donner sur les Poèmes kabyles anciens, un livre qu’il venait de faire paraître en France. Suite à l’interdiction de cette manifestation, pourtant à caractère littéraire et culturel, une répression féroce s’était abattue d’abord sur la communauté universitaire en ébullition, puis sur le reste de la population kabyle de toute la région . Comme effets immédiats, on citera :
1. Le viol massif par les CNS des étudiantes dans la cité universitaire dont on ne parle que rarement de nos jours ;
2. Blessure et torture physique et morale des étudiants ;
3. Incarcération de membres de la communauté universitaire pendant des mois, dont l’affaire des célèbres 24 détenus.
Une année après, à la même date, le même scénario s’était répété à Bgayet et sa région suite, dit-on, au détournement sur Jijel du projet de construction d’un centre universitaire à Bgayet. Plusieurs manifestants ont été blessés, torturés et incarcérés ; des dizaines de lycéens ont en effet passé leur bac en prison et l’ont obtenu, dont certains avec mention ! Ces derniers évènements, dont les manifestations ont été aussi réprimées dans le sang que ceux d’avril 1980, sont, à ce jour, malheureusement peu connus du public, voire méconnus.
Pan-berbérisme vs arabo-islamisme
Il est fort probable que certaines idées constituant le pan-berbérisme remontent à l’ère du mouvement national, plus précisément à l’époque du PPA-MTLD, voire même à l’époque de l’Etoile Nord-Africaine (ENA), puisque l’arabo-islamisme datait de cette époque. Mais en tant que discours « idéologique », le berbérisme a été lancé par l’Agraw Imazighen à partir Paris, dès la fin des années 1960. Il a été lancé contre et par opposition à l’arabo-islamisme, idéologie niant et interdisant tout ce qui a trait à l’amazigh et aux Imazighen au « Maghreb », idéologie imposée par les lois et par les armes dans ces pays du « Maghreb » dès leur accès à l’indépendance. Le procédé de contrer ce dogme idéologique était simple : à chaque élément du puzzle dudit dogme, il fallait lui en opposer un autre de nature amazigh. Ainsi, nous avons : 1. « Maghreb »= une partie de la « nation arabe » vs « Nation amazighe = tamazgha » dont le vaste territoire va de l’Oasis de Siwa, à l’est jusqu’à l’Atlantique, à l’ouest et de la mer méditerranée au nord, jusqu’au nord du Mali/Niger, au sud ; 2. langue arabe (=langue nationale et officielle) vs langue amazigh (tamazight) = langue nationale et officielle ; 3. Langue arabe s’écrivant de droite à gauche + alphabet arabe vs langue amazigh s’écrivant de gauche à droite + alphabet amazigh (tifinagh) ; 4. Début de l’histoire arabo-islamique = avènement de l’islam vs l’histoire des Berbères = prise du pouvoir en Egypte par Chachnaq (950 av. J.C), un général libyen ; 5. calendrier hégirien vs calendrier (agraire) berbère ;
Les faiblesses du pan-berbérisme
Voyons maintenant si ces deux idéologies concurrentes à la surface le sont également en profondeur.
Elaborée par des intellectuels arabes (mais pas nécessairement musulmans) dans la langue arabe elle-même, durant l’époque coloniale – période propice pour attirer les non Arabes, dont les Berbères et pour les mobiliser contre le colonialisme occidental qui était déjà stigmatisé –, puis portée au pouvoir par la force une fois les indépendances acquises, l’idéologie arabo-islamique a été d’abord réfléchie puis consignée dans des supports livresques et enfin relayée par des cohortes de personnes formées, pendant de longues années, dans des écoles se trouvant alors en Iraq, en Syrie, etc...
Tout au long de la période du mouvement national, les Arabo-islamiques (en Algérie) tous azimuts ont adopté des attitudes complètement contraires à l’éthique révolutionnaire, à la bravoure et au devoir envers la patrie. L’association dite des Oulémas n’avait à aucun moment remis en cause la présence française en Algérie, sa seule revendication consistait en la reconnaissance par la France coloniale de la dimension arabo-musulmane du « peuple algérien ». Pendant que les algériens combattait le colonialisme et lui faisait la guerre, le chef de cette association enseignait les « sciences » arabes et islamiques (comme l’orthographe et la grammaire arabes, la récitation des versets du Coran et son interprétation…) et composait des poèmes comme : « Le peuple algérien est musulman /et est allié à l’arabité … ».
Plus tard, durant la guerre, pendant que d’authentiques Algériens faisaient la guerre, au propre et au figuré, contre la France coloniale composée de son armée, de ses services et de ses politiciens et diplomates, ces usurpateurs de dignité échafaudaient des plans pour voler le pouvoir une fois l’indépendance acquise. D’un côté, ils se sont construit des camps de formation et d’entrainement des troupes situés loin des champs de bataille, camps situés alors dans les pays voisins de l’Algérie ; de l’autre, ils envoyaient les leurs à l’étranger pour étudier et les former aux fonctions de futurs ministres de la RADP, d’officiers de l’armée et comme autres cadres de la nation. L’objectif visé par cette stratégie, indigne et macabre, était simple : laisser mourir à petit feu les maquisards et autres combattants de l’intérieur, pour les affaiblir au maximum jusqu’à ce que viendra le moment opportun, c’est-à-dire l’heure de l’indépendance.
Les faiblesses du pan-berbérisme
L’une des faiblesses du pan-berbérisme réside dans cette langue même que l’on dénomme, depuis peu de temps seulement, tamazight. Beaucoup de gens croient qu’il suffit de re-doter cette langue d’un alphabet, comme les tifinagh, par exemple, pour que les choses roulent comme sur des roulettes. Ces choses sont en réalité plus complexes qu’on ne le pense. A cette complexité, s’ajoute un manque drastique de discernement, comme la confusion de certaines « choses » importantes, comme : 1. le (moment) présent avec un moment du passé ou de l’histoire ; cette confusion a amené certains à prendre leurs rêves/espoirs du moment pour des réalités ; 2. Ne pas toujours voir/analyser les autres à travers le prisme de soi-même. On nous parle, par exemple, de l’existence d’une nation, tamazgha, dont le territoire s’étendrait de l’Atlantique jusqu’à l’Oasis de Siwa et … On nous parle également d’une seule et même langue, tamazight, qui serait parlée par les habitants de cette nation …Tout cela est beau et quand bien même il serait attesté et confirmé par des études historiques et scientifiques, il ne sera pas plus que du passé. Le présent est, qu’on le veuille ou non, fait de toutes autres « choses » et le futur également on n’en sait rien.
De quoi est fait notre présent ?
De quoi est fait notre présent ? D’abord, cette Tamazgha, que les Arabo-musulmans dénomment « Maghreb islamique », voire « Maghreb arabe », que les Français appelaient « Afrique du Nord », est habitée de nos jours par au moins deux types de groupes sociaux : des « Berbères arabisés par l’islam » qui clament à haute voix leur appartenance à l’arabité et des Berbérophones, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils vivent en petits groupes chacun de leur côté et en totale autarcie ; le manque, voire l’absence de communication qu’il y a entre ces groupes berbérophones ne s’explique pas seulement par les longues distances géographies qui les tiennent séparés et éloignés les uns des autres. En effet, l’absence d’une conscience identitaire commune y était/est pour beaucoup et constitue sans doute un facteur important. Il s’en infère que ces groupes berbérophones sont soumis et dominées linguistiquement, culturellement et idéologiquement par les premiers.
Envisager aujourd’hui de reconstruire cette « nation amazighe » historique relèverait de l’utopie. On ne peut pas revivre le passé en y pensant, on se le rappelant ou en le rappelant sans cesse aux nôtres.
Ensuite, contrairement à la langue arabe qui dispose d’une « norme de référence » qu’on appelle diversement langue coranique, classique, littéraire, langue que ces pouvoirs arabo-islamiques ont porté au pouvoir et à laquelle ils ont conféré le statut de langue « nationale et officielle », le tamazight n’en a disposé d’aucune jusqu’à ce jour. Pourquoi ? Parce que l’histoire de ces deux langues est complètement différente. Le travail de la première et son élaboration étaient intimement liés à l’avènement du Coran et à l’histoire de l’islam, en général. Cette langue « sacrée » a été travaillée, promue, sacralisée et défendue par tous les peuples musulmans, arabes et non arabes, dont les Berbères. Ainsi, jusqu’à l’avènement de la colonisation française au « Maghreb » et l’appropriation de la langue et de la culture françaises par les autochtones, ces derniers étaient comme envoutées, voire obnubilés par la culture arabo-islamique et sa langue véhiculaire, l’arabe. On peut illustrer nos propos par cet exemple tristement célèbre. Aux temps des royaumes et dynasties musulmans berbères du Moyen-âge, par exemple, il y avait bien des Berbères qui fabriquaient eux-mêmes (ou se faisaient fabriquer en faisant appel aux spécialistes en généalogie) de fausses généalogies arabes (qui les lieraient à la lignée du Prophète Mohamed), ainsi pour légitimer leur pouvoir.
En revanche, le tamazight n’a, à aucun moment, bénéficié de tels privilèges ; il n’a pas été, par exemple, une langue de pouvoir ou du pouvoir quelque part dans ce vaste territoire de tamazgha, ou à un moment donné de son histoire ; il n’a pas connu non plus de tradition écrite sérieuse qui aurait donné, à la longue, une « norme de référence », c’est-à-dire une « langue commune » à tous les Berbérophones ; cette « norme », si elle avait existé, aurait non seulement transcendé les énormes distances géographiques dont nous parlions plus haut, mais elle aurait également (r)établi ou renforcé l’intercommunication entre ces groupes et joué un rôle de ciment unificateur dans la (re)construction identitaire berbère.
Comme perspectives, les autonomies régionales
Les premiers partisans de l’autonomie (encore une fois, c’est en Kabylie que la perspective est annoncée publiquement !) se sont rendus compte très tôt que le pan-berbérisme est arrivé à péremption.
En l’état actuel des choses, il est impossible d’aménager et de standardiser les différents dialectes amazighs pour en faire une « norme commune ». Les difficultés de cet aménagement se situent sur au moins trois plans différents.
Le plan géopolitique : de nos jours, le tamazight, composé de diverses variétés, est supranational, en ce sens qu’elles sont localisées dans plusieurs entités pays (Algérie, Maroc, Lybie, …), dont les régimes politiques sont par ailleurs de natures diverses. Si ces régimes ne sont jamais arrivés à construire ensemble une quelconque structure commune, ni à s’entendre sur des choses basiques, telles que la libre circulation des biens et des personnes dans ce « Maghreb », on ne voit pas comment ils arriveraient à s’entendre sur la question amazighe.
Le plan de la standardisation : les divers dialectes algériens (pour ne nous en tenir qu’à l’Algérie), qui partagent certes des différences et des similitudes sur les différents plans linguistiques, sont en réalité assez éloignés les uns des autres ; il s’ensuit que leur standardisation à court ou à moyen terme est non seulement peu envisageable, mais en outre difficile à réaliser. Ce qui est recommandé en revanche, est la standardisation de chacune de ces grandes variétés, laquelle est déjà en cours.
Le plan de l’aménagement du statut : comme la réalité algérienne nous le confirme, si le tamazight a connu le statut constitutionnel de « langue de tous les Algériens » en 1994, puis de « langue nationale également », en 2002, c’est grâce au combat mené par un seul groupe berbérophone d’Algérie, les Kabyles. Ce combat incessant de la Kabylie pour la reconnaissance de ses droits linguistiques, culturels et identitaires et le manque, voire l’absence d’engagement d’autres groupes dans ce même combat montrent on ne peut plus clair la différence d’attitude et de représentations que ces différents groupes berbérophones affichent à l’égard de leur langue.
Il y a des raisons objectives qui ont poussé certains Kabyles à lancer publiquement l’idée puis le projet de l’autonomie de la Kabylie. La première réside dans le fait que le pan-berbérisme (dont nous avions parlé plus haut) a amené les Imazighen à une voie sans issue, à une voie de garage. Pourrions-nous vraiment reconstituer cette prétendue ancienne et historique « nation amazighe » ? Je ne vois pas comment. Pourrions-nous aménager, dans des délais raisonnables, toutes les variétés amazighes existant de nos jours, pour en faire un jour une et une seule langue amazighe, qui deviendrait la langue véhiculaire et officielle de cette « nation » ? Je n’y crois pas.
La seconde, comme tout le monde l’a remarqué en Algérie, se situe sur le plan de la morale et de l’éthique. Celle-ci nous commande d’abord d’être éternellement reconnaissant envers celui qui nous a ouvert les yeux sur quelques chose, qui nous a montré la voie de la dignité et de la liberté, qui nous a prodigué du bien. A ce sujet, un proverbe kabyle dit : Win ur nezmir i lxir, yerr areṭṭal, « Si nous ne pouvons pas faire du bien, remboursons au moins nos dettes ». La Kabylie a été trahie deux fois de suite par le reste des Algériens, Arabophones et Berbérophones, et sur deux plans différents. D’abord, après l’indépendance de l’Algérie en 1962 : nous connaissons l’engagement de la Kabylie dans la lutte contre la France coloniale et nous savons également comment elle a été « récompensée » une fois l’indépendance arrachée. Le premier Président de la RADP a si bien exprimé cette trahison à travers cette phrase assassine : « Nous remercions nos « frères kabyles », disait-il, qui nous ont aidé à recouvrer notre indépendance », c’est-à-dire l’indépendance des « Arabes » algériens. Ensuite, dans le long et lent combat que mène la Kabylie pour la reconnaissance de ses droits linguistiques et identitaires amazighs. Pour l’heure, nos frères berbérophones n’ont su montrer qu’une chose : partager, à part égale, les fruits du combat qu’ont mené les Kabyles seuls.
Il va sans dire que la « fin » du pan-berbérisme ne signifie, ni n’équivaut à la fin du combat pour la reconnaissance de la condition amazighe et pour sa promotion ; cela ne signifie pas non plus qu’il faille baisser les bras et cesser d’y réfléchir. Que veut-on signifier ? Il s’agit d’entrevoir d’autres solutions, de relancer la lutte et la réflexion en adoptant d’autres stratégies, en empruntant d’autres voies, en se donnant d’autres moyens de lutte. En somme, il s’agit, pour chaque groupe berbérophone, de lutter pour son autonomisation, s’il le souhaite.
@ Kamal BOUAMARA 1 mai 2011
Azul- Nombre de messages : 29959
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aokas-aitsmail- Nombre de messages : 1819
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