L’Amour fou
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L’Amour fou
L’Amour fou
Il n’est pas de sophisme plus redoutable que celui qui
consiste à présenter l’accomplissement de l’acte
sexuel comme s’accompagnant nécessairement d’une chute
de potentiel amoureux entre deux êtres, chute dont le
retour les entraînerait progressivement à ne plus se
suffire. Ainsi l’amour s’exposerait à se ruiner dans
la mesure où il poursuit sa réalisation même. Une
ombre descendrait plus dense sur la vie par blocs
proportionnés à chaque nouvelle explosion de lumière.
L’être, ici, serait appelé à perdre peu à peu son
caractère électif pour un autre, il serait ramené
contre son gré à l’essence. Il s’éteindrait un jour,
victime de son seul rayonnement. Le grand vol nuptial
provoquerait la combustion plus ou moins lente d’un
être aux yeux de l’autre, combustion au terme de
laquelle, d’autres créatures pour chacun d’eux se
parant de mystère et de charme, revenus à terre ils
seraient libres d’un nouveau choix. Rien de plus
insensible, de plus désolant que cette conception. Je
n’en sais pas de plus répandue et, par là même, de
plus capable de donner idée de la grande pitié du
monde actuel. Ainsi Juliette continuant à vivre ne
serait pas toujours plus Juliette pour Roméo ! Il est
aisé de démêler les deux erreurs fondamentales qui
président à une telle manière de voir : l’une de cause
sociale, l’autre de cause morale. L’erreur sociale, à
laquelle il ne peut être remédié que par la
destruction des bases économiques mêmes de la société
actuelle, tient au fait que le choix initial en amour
n’est pas réellement permis, que, dans la mesure même
où il tend exceptionnellement à s’imposer, il se
produit dans une atmosphère de non-choix des plus
hostiles à son triomphe. Les sordides considérations
qu'on lui oppose, la guerre sournoise qu’on lui fait,
plus encore les représentations violemment
antagonistes toujours prêtes à l’assaillir qui
abondent autour de lui sont, il faut bien l’avouer,
trop souvent de nature à le confondre. Mais cet amour,
porteur des plus grandes espérances qui se soient
traduites dans l’art depuis des siècles, je vois mal
ce qui l’empêcherait de vaincre dans des conditions de
vie renouvelées. L’erreur morale qui, concurremment à
la précédente, conduit à se représenter l’amour, dans
la durée, comme un phénomène déclinant réside dans
l’incapacité où sont le plus grand nombre des hommes
de se libérer dans l’amour de toute préoccupation
étrangère à l’amour, de toute crainte comme de tout
doute, de s’exposer sans défense au regard foudroyant
du dieu. L’expérience artistique aussi bien que
scientifique est encore ici d’un grand secours, elle
qui montre que tout ce qui s’édifie et demeure a
d’abord exigé pour être cet abandon. On ne peut
s’appliquer à rien de mieux qu’à faire perdre à
l’amour cet arrière-goût amer, que n’a pas la poésie,
par exemple. Une telle entreprise ne pourra être menée
entièrement à bien tant qu’à l’échelle universelle on
n’aura pas fait justice de l’infâme idée chrétienne du
péché. Il n’y a jamais eu de fruit défendu. La
tentation seule est divine. Éprouver le besoin de
varier l’objet de cette tentation, de le remplacer par
d’autres, c’est témoigner qu’on est prêt à démériter,
qu’on a sans doute déjà démérité de l’innocence. De
l’innocence au sens de non-culpabilité absolue. Si
vraiment le choix a été libre, ce ne peut être à qui
l’a fait, sous aucun prétexte, de le contester. La
culpabilité part de là et non d’ailleurs. Je repousse
ici l’excuse d’accoutumance, de lassitude. L’amour
réciproque, tel que je l’envisage, est un dispositif
de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que
peut prendre pour moi l’inconnu, l’image fidèle de
celle que j’aime, toujours plus surprenante de
divination de mon propre désir et plus dorée de vie.
Dédié à toutes les « LAMIA » d’AOKAS qui n’ont jamais
vu le lever du soleil, un matin de juillet…..et qui
n’ont jamais eu l’audace de se laisser aimer.
Aussi pour tous ceux qui œuvrent…tout simplement.
Ainsi , à ceux qui croient que l’amour n’est qu’un
leurre.Source : Breton (André), l’Amour fou,
Gallimard, « Métamorphoses », 1937.
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AOKAS A BESOIN DE NOUS
mus-mus
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Posté le: Lun 31 Oct 2005 - 20:23
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mus-mus a écrit:
L’Amour fou
Il n’est pas de sophisme plus re
Il n’est pas de sophisme plus redoutable que celui qui
consiste à présenter l’accomplissement de l’acte
sexuel comme s’accompagnant nécessairement d’une chute
de potentiel amoureux entre deux êtres, chute dont le
retour les entraînerait progressivement à ne plus se
suffire. Ainsi l’amour s’exposerait à se ruiner dans
la mesure où il poursuit sa réalisation même. Une
ombre descendrait plus dense sur la vie par blocs
proportionnés à chaque nouvelle explosion de lumière.
L’être, ici, serait appelé à perdre peu à peu son
caractère électif pour un autre, il serait ramené
contre son gré à l’essence. Il s’éteindrait un jour,
victime de son seul rayonnement. Le grand vol nuptial
provoquerait la combustion plus ou moins lente d’un
être aux yeux de l’autre, combustion au terme de
laquelle, d’autres créatures pour chacun d’eux se
parant de mystère et de charme, revenus à terre ils
seraient libres d’un nouveau choix. Rien de plus
insensible, de plus désolant que cette conception. Je
n’en sais pas de plus répandue et, par là même, de
plus capable de donner idée de la grande pitié du
monde actuel. Ainsi Juliette continuant à vivre ne
serait pas toujours plus Juliette pour Roméo ! Il est
aisé de démêler les deux erreurs fondamentales qui
président à une telle manière de voir : l’une de cause
sociale, l’autre de cause morale. L’erreur sociale, à
laquelle il ne peut être remédié que par la
destruction des bases économiques mêmes de la société
actuelle, tient au fait que le choix initial en amour
n’est pas réellement permis, que, dans la mesure même
où il tend exceptionnellement à s’imposer, il se
produit dans une atmosphère de non-choix des plus
hostiles à son triomphe. Les sordides considérations
qu'on lui oppose, la guerre sournoise qu’on lui fait,
plus encore les représentations violemment
antagonistes toujours prêtes à l’assaillir qui
abondent autour de lui sont, il faut bien l’avouer,
trop souvent de nature à le confondre. Mais cet amour,
porteur des plus grandes espérances qui se soient
traduites dans l’art depuis des siècles, je vois mal
ce qui l’empêcherait de vaincre dans des conditions de
vie renouvelées. L’erreur morale qui, concurremment à
la précédente, conduit à se représenter l’amour, dans
la durée, comme un phénomène déclinant réside dans
l’incapacité où sont le plus grand nombre des hommes
de se libérer dans l’amour de toute préoccupation
étrangère à l’amour, de toute crainte comme de tout
doute, de s’exposer sans défense au regard foudroyant
du dieu. L’expérience artistique aussi bien que
scientifique est encore ici d’un grand secours, elle
qui montre que tout ce qui s’édifie et demeure a
d’abord exigé pour être cet abandon. On ne peut
s’appliquer à rien de mieux qu’à faire perdre à
l’amour cet arrière-goût amer, que n’a pas la poésie,
par exemple. Une telle entreprise ne pourra être menée
entièrement à bien tant qu’à l’échelle universelle on
n’aura pas fait justice de l’infâme idée chrétienne du
péché. Il n’y a jamais eu de fruit défendu. La
tentation seule est divine. Éprouver le besoin de
varier l’objet de cette tentation, de le remplacer par
d’autres, c’est témoigner qu’on est prêt à démériter,
qu’on a sans doute déjà démérité de l’innocence. De
l’innocence au sens de non-culpabilité absolue. Si
vraiment le choix a été libre, ce ne peut être à qui
l’a fait, sous aucun prétexte, de le contester. La
culpabilité part de là et non d’ailleurs. Je repousse
ici l’excuse d’accoutumance, de lassitude. L’amour
réciproque, tel que je l’envisage, est un dispositif
de miroirs qui me renvoient, sous les mille angles que
peut prendre pour moi l’inconnu, l’image fidèle de
celle que j’aime, toujours plus surprenante de
divination de mon propre désir et plus dorée de vie.
Dédié à toutes les « LAMIA » d’AOKAS qui n’ont jamais
vu le lever du soleil, un matin de juillet…..et qui
n’ont jamais eu l’audace de se laisser aimer.
Aussi pour tous ceux qui œuvrent…tout simplement.
Ainsi , à ceux qui croient que l’amour n’est qu’un
leurre.Source : Breton (André), l’Amour fou,
Gallimard, « Métamorphoses », 1937.
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mus-mus
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Posté le: Lun 31 Oct 2005 - 20:23
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mus-mus a écrit:
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