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Claude Juin. Écrivain et sociologue français «Les colons étaient des complices et une source de violence»

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Claude Juin. Écrivain et sociologue français «Les colons étaient des complices et une source de violence» Empty Claude Juin. Écrivain et sociologue français «Les colons étaient des complices et une source de violence»

Message  Red@_Senoune Mer 28 Nov - 13:21

Claude Juin. Écrivain et sociologue français
«Les colons étaient des complices et une source de violence»


Claude Juin. Écrivain et sociologue français «Les colons étaient des complices et une source de violence» Cultur10

-La question de la torture durant la période coloniale française en Algérie est-elle toujours entourée de tabous ?

Au niveau de l’Etat français, cette question n’est pas complètement dépassée. Vous avez sûrement entendu parler de l’article 4 de la loi du 23 février 2005. L’Etat demandait aux professeurs d’histoire d’évoquer les bienfaits de la colonisation. Cela prouve qu’à ce stade-là, la question n’est pas dépassée. Idem pour les partis, PS (gauche) ou UMP (droite). L’histoire n’a pas été encore complètement écrite par les historiens. C’est quelque chose qui fait mal à l’histoire de France. Dire que des soldats français, y compris ceux du contingent, pas seulement les parachutistes ou ceux des renseignements, ont pratiqué la torture, ça ne colle pas. On ne peut pas être la nation des droits de l’homme et reconnaître avoir une sale histoire. Quand les historiens ne seront plus sous influence directe ou indirecte de lobbies, on pourra dire que le colonialisme est une source de violence. De cette violence, il y a la torture pratiquée durant la guerre d’Algérie. Encore aujourd’hui, beaucoup d’anciens soldats du contingent reconnaissent que la torture était quelque chose d’utile.

-Pourquoi «utile» ?

Parce qu’ils avaient la conviction qu’il fallait faire avouer le suspect pour déjouer les embuscades, découvrir les mines et sauver la vie des soldats. Ce sentiment sur «l’utilité» de la torture est encore fort dans l’opinion jusqu’à aujourd’hui. Reste que les moins de 50 ans veulent savoir aujourd’hui ce qui s’est passé, sont en quête de vérité pour comprendre. La guerre a été mal enseignée, mal comprise. Aujourd’hui, il faut dépasser ce stade du silence. Ma thèse de doctorat porte le titre : «La mémoire enfouie des soldats du contingent». L’Etat a aussi la mémoire enfouie. L’Etat ne veut pas reconnaître. Si tel était le cas, cela aurait été libératoire des problèmes personnels et psychologiques. Certains anciens soldats vivent encore mal. J’ai rencontré des psychiatres qui m’ont dit qu’ils traitent toujours des malades de la guerre d’Algérie.

Cinquante ans après l’indépendance de l’Algérie, du départ des troupes d’occupation française, n’est-il pas venu le temps de tout dire, tout avouer, même si l’on sent que les choses n’ont pas bougé côté français ? Je suis d’accord que l’on reconnaisse les erreurs et dire que le colonialisme n’est pas celui qui a été écrit. N’allez pas dire aux Français qu’ils sont racistes ! Ils vous diront que non. Les camarades qui pratiquaient la torture, qui donnaient des coups de pied ou qui humiliaient les gens ne sont pas racistes. Ils disaient seulement à propos des Algériens : «Ces gens-là ne sont pas comme nous, ils n’ont pas la capacité de sentir les choses comme nous.»

Cela, c’est du racisme. Il faut commencer aujourd’hui à tourner cette page sans pour autant se culpabiliser. Comme pour le régime de Vichy, il faut tout reconnaître. L’ancien président, François Mitterrand, avait bien dit qu’il ne fallait pas que les uns se battent contre les autres et que nous ayons une histoire dont on ne parlait pas. C’est un peu cela pour la guerre d’Algérie. Avant qu’ils ne disparaissent, les anciens soldats doivent tendre la main aux anciens moudjahidine et dire qu’ils étaient en Algérie pour une mission qui n’était pas humaine, qui n’était pas bonne. Il faut qu’ils laissent aux enfants et aux petits-enfants l’espoir de vivre ensemble, voyager dans les deux sens, faire des échanges... J’attends personnellement des intellectuels de renom de faire le pas. Il n’y a plus Jean Paul Sartre ou Malraux. Il faut qu’ils s’expriment, expliquent…

-Dans votre livre, vous avez évoqué les tortures à la ferme Moll, du nom d’un propriétaire terrien français. Quel a été le rôle des colons justement ? Sont-ils complices des tortures et des comportements dégradants à l’égard des Algériens ?

J’ai connu des colons à l’époque où j’étais ici en Algérie. J’ai consulté beaucoup de documents. En Algérie, les colons étaient non seulement des complices, mais même à la source de la violence. A l’exception de quelques-uns, les colons étaient les premiers à prétendre que les indigènes n’étaient là que pour travailler. Jules Ferry (fondateur de ce qui est appelé «l’identité républicaine» et promoteur de l’école gratuite, ndlr) n’avait-il pas dit que l’intelligence des Algériens s’arrêtait à l’âge de 14 ans ! Pour lui, les Algériens ne devaient pas aller à l’école. Les colons étaient armés et nous disaient qu’il fallait tuer les suspects. Ils nous donnaient même des noms de gens à abattre.

-Comment expliquez-vous le silence de la hiérarchie militaire par rapport à la torture ?

J’ai écrit un livre en hommage à Daniel Mayer (Daniel Mayer : l’homme qui aurait pu tout changer Paris, Romillat, 1998, ndlr), un ami militant des droits de l’homme. Avant d’écrire la biographie, j’ai rencontré l’ancien directeur de cabinet de Robert Lacoste (ministre résidant et gouverneur général de l’Algérie à partir de 1956, favorable à l’usage de la torture par les militaires français, hostile à l’indépendance de l’Algérie, ndlr). Je lui ai dit : «Vous étiez bien au courant de ce qui se passait.» Il m’a répondu qu’il n’était pas au courant. A part les colonels ou les généraux qui ont fait les barricades, la haute hiérarchie militaire ne souhaitait pas la pratique de la torture. D’un autre côté, cette hiérarchie devait rendre compte au pouvoir politique. Rendre compte ?

Dire que les zones d’influence du FLN diminuaient, que les combattants disparaissaient et que la population était «pacifiée». Il n’y avait donc pas de rapports à faire. J’ai lu des notes de colonels qui rapportaient, à l’échelon militaire supérieur, l’existence d’exactions et demandaient à ce qu’elles s’arrêtent. En même temps, plus les exactions étaient commises, plus le FLN brûlait les fermes et tuait les Européens. Faire des exactions, c’est aussi semer le désordre. Dans la région où j’étais affecté, il y a eu tellement de disparitions que nous avons tous été mutés vers L’Ouarsenis.

-Vous avez évoqué dans le livre le cas du soldat Bernard, le tortionnaire. Vous avez passé des années à essayer de comprendre son comportement. Un homme ordinaire devenu un monstre...


Je continue de travailler sur cette question. Peut-être que j’aurai la réponse dans le prochain livre. Il y a des défaillances mentales, qui dans une situation donnée et un terrain favorable font que les hommes ne sont plus guidés par leur intelligence, mais par un instinct. Ils deviennent des monstres, vous avez employé le mot. Parce qu’ils ont peur, ont eu des camarades tués, ne se maîtrisaient plus. Bernard en faisait partie. Il croyait que les indigènes étaient de race inférieure. Bernard, qui était un copain de régiment, était dans un tel état qu’il a basculé dans la violence (…). Ils n’étaient pas nombreux dans son cas, mais certains avait adopté des comportements méchants, comme voler des poules, donner sans raison des gifles à des femmes, frapper les hommes...

-Dans ce que vous avez vécu, quelle est la chose qui vous a le plus traumatisé ?


Je n’ai pas été traumatisé au sens psychique. Mais, il y une scène qui m’a beaucoup choqué. En juin 1957, il faisait chaud, nous étions dans un champ de blé, un accrochage avec les combattants du FLN. L’un d’eux a été tué, l’autre blessé au genou. Il souffrait. L’officier nous a ordonné de l’achever. J’étais sous-officier et j’ai dit non. Le soldat à côté de moi a pris alors son fusil, a tiré et a fait éclater la tête du combattant du FLN. Avant de le tuer, le soldat a fouillé dans les poches du blessé, lui a pris son argent et lui a lancé : «On va boire à ta santé !» Cette scène je la revoie aujourd’hui.

-Quel a été l’écho en France après la sortie du livre Des soldats tortionnaires. Guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable ?


L’accueil de la presse a été correct. L’éditeur est content pour un livre écrit par un auteur pas très connu. Il faut dire que la France est toujours dans l’indifférence par rapport à cette guerre. Donc, pour la vente du livre, c’est assez bon. Ce n’est pas phénoménal ! Il y a eu des réactions. Des journalistes ont écrit que je rapportais des mensonges et que j’ai manipulé des photos. Ces journalistes avaient reçu des e-mails d’anciens soldats d’Algérie m’accusant de cela. Deux ou trois m’ont appelé à la maison pour m’injurier. Sinon, autour de moi, à La Rochelle, les gens sont venus me féliciter. Certains m’ont même dit qu’ils avaient appris beaucoup de choses à travers le livre. «Nous ne savions pas que cela existait», m’ont-ils avoué…

Fayçal Métaoui
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Claude Juin. Écrivain et sociologue français «Les colons étaient des complices et une source de violence» Empty Re: Claude Juin. Écrivain et sociologue français «Les colons étaient des complices et une source de violence»

Message  Red@_Senoune Mer 28 Nov - 13:23

Bio express :

Claude Juin est auteur de Des soldats tortionnaires. Guerre d’Algérie : des jeunes gens ordinaires confrontés à l’intolérable, publié chez Robert Laffont en France et Média Plus en Algérie. Il livre, dans cet ouvrage, un témoignage sur la pratique de la torture par des soldats contre les Algériens. Claude Juin avait été sous-officier en Algérie entre mai 1957 et janvier 1958 au 435e régiment d’artillerie anti-aérienne (RAA) à l’est d’Alger.

Accusé d’exactions et de tortures massives, le RAA a été affecté dans la région de l’Ouarsenis, où il y a poursuivi sa sale besogne. Le RAA avait été soupçonné d’avoir fait «disparaître» au moins 2000 Algériens. Le quotidien français Libération rapporte qu’avant même la sortie du livre, Claude Juin, essayiste, écrivain, docteur en sociologie, est interpellé par le représentant de Niort de la Fédération nationale des anciens combattants en Algérie (Fnaca) en ces termes : «Claude, il y a le feu dans la baraque : il faut que tu changes le titre de ton bouquin !». Le premier livre de Claude Juin, Le gâchis, écrit sous le pseudonyme de Jacques Tissier, avait été censuré à sa sortie en 1960.

http://www.elwatan.com/culture/les-colons-etaient-des-complices-et-une-source-de-violence-28-11-2012-193884_113.php
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