Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent depuis 1962
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Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent depuis 1962
Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent depuis 1962
Par Nordine Ait Hamouda
Militant du RCD
En ce cinquantième anniversaire de la libération de l’Algérie du joug colonial français, je voudrais d’abord rendre hommage aux martyrs avant d’essayer de raviver le serment qu’ils ont honoré à travers l’épopée qui a mené à l’indépendance de notre pays.
Ils étaient une poignée de patriotes et de justes inconnus sur la scène publique officielle. Ils ont pris la décision de déclencher les hostilités contre la 5e puissance militaire mondiale pour, comme ils l’ont proclamé dans la déclaration du 1er Novembre 1954, libérer le pays de la longue nuit coloniale et redonner la dignité à leur peuple. Aboutissement d’un long processus de luttes portées par des générations de militants, cette décision sonne, du même coup, le glas de l’ère coloniale sur tout le continent africain. Ma pensée va aussi à tous ceux qui ont enduré privations, souffrances et mutilations. C’est grâce à leur conviction, leur courage, leur moralité et l’exemple du sacrifice suprême, c’est-à-dire le don de soi pour la liberté et la dignité, que l’écrasante majorité du peuple algérien a accompagné la lutte armée dès les premières années. Cette adhésion a scellé la détermination des premiers dirigeants de la révolution. Ni les menées messalistes qui ont dérivé vers la trahison ni les tiédeurs multiples des biens-pensants de tout bord n’ont pu imposer la moindre inflexion au noyau originel rejoint par tous les patriotes que comptait le pays. Ces maquisards ont infligé à l’ordre colonial la pire des humiliations, poussant l’Etat français à renoncer à nombre de ses colonies avant de sombrer lui-même dans une crise politique qui emporta la IVe République. Pour redorer le blason de l’Etat colonialiste, de Gaulle, en sauveur suprême, mobilise tout ce que compte la République de forces répressives y compris l’usage du napalm, dont plusieurs localités portent encore aujourd’hui les stigmates. Pendant que la résistance algérienne mobilise à l’intérieur tout son potentiel pour faire face à cette armada dirigée par les Massu, Challe et compagnie, à l’extérieur de l’Algérie une excroissance du mouvement national, renforcée progressivement par les entrants de la 25e heure, s’affairait à affaiblir les maquis par la rétention de l’armement et à déconstruire le processus d’un Etat algérien démocratique et social incarné, sur le sol national, par les Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Krim Belkacem, Mustapha Ben Boulaïd, Benyoucef Ben Khedda, Amar Ouamrane, Amirouche, Lotfi… pour lui substituer une dictature militaire. Rompus aux manœuvres et à l’écoute de Paris et du Caire, ces responsables de l’extérieur font bloc dans le congrès de Tripoli pour contrer les instances légitimes de la révolution algérienne et ouvrir la voie au pouvoir des armes. Les travaux de ce conclave du lendemain de l’indépendance n’ont pas été clôturés à ce jour à cause de l’attitude du clan de Oujda emmené par Ben Bella et Boumediène dont l’ivresse du pouvoir ne s’encombre d’aucun scrupule. Tapis dans l’ombre, ils n’ont qu’un seul objectif : la prise d’Alger. Les hésitations et les réactions tardives du GPRA pour dégrader le colonel Boumediène et ses acolytes de l’état-major, le 30 juin 19621(1), ne font que renforcer la folie des conjurés. Ils se ligueront contre l’instance légitime de la révolution algérienne et les maquisards de l’intérieur pour marcher sur Alger au prix de centaines de cadavres, tout au long de leur route. C’est Khaled Nezzar, servant alors sous les ordres du colonel Boumediène dans cette guerre contre les wilayas de l’intérieur, qui écrit dans ses mémoires : «L’intensité des combats qui s’en étaient suivis, jamais je n’en avais vu d’égal personnellement, pas même durant la guerre de libération.»(2) Le GPRA, seule instance légitime de la révolution, est foulé aux pieds par ces assoiffés de pouvoir, aidés par les reliquats de la France coloniale. Le malheur de l’Algérie venait de commencer. Sous les apparences d’un tiers-mondisme exubérant, cette équipe s’installera au pouvoir avec la caution du Caire et de Paris. Elle demeure en place à nos jours. Ceux qui ont pris le pouvoir se sont acharnés à combattre leurs frères et surtout les élites. Ben Bella, qui a fait de l’activisme gauchiste une religion pendant son règne, déclare dans son discours d’ouverture au Congrès du FLN tenu à Alger du 16 au 21 avril 1964 : «Il faut combattre sans répit la tendance de ceux qui affirment que la construction d’un Etat est un préalable de la révolution. Une telle voie est fausse. Elle aboutirait, si on la prenait, à remettre le pouvoir entre les mains de ceux qui actuellement possèdent la culture. Primaire et folklorique, le personnage ne servait en fait que de potiche à Boumediène. Commencent alors, les liquidations physiques d’opposants actifs ou potentiels, de déportations vers le Sud de dirigeants de la révolution et d’emprisonnements sur fond de confiscation de toutes les libertés. Le 19 juin 1965, c’est au tour de Ben Bella, lui-même, de subir la foudre du clan. Le colonel Boumediène et ses acolytes, adeptes des caves et de l’ombre, sont prêts à affronter la lumière. Pour cela, le programme de Boumediène est simple : mettre fin aux quelques failles de la stratégie répressive de l’ancien président, play-boy à ses heures, pour anéantir toute liberté ; c’est le rôle dévolue à la sinistre sécurité militaire qui cherchera à éliminer tous les opposants, y compris par le meurtre, comme c’est le cas de Mohamed Khider et Krim Belkacem pour enfin créer l’homme nouveau, zombie sans mémoire ni conscience. Dans ce domaine, le stratagème se décline en :
• La falsification de l’histoire, voire son amputation ; le livre de Said Sadi(3) qui relate l’acharnement de Boumediène sur les restes des ossements des colonels Amirouche et Haouès illustre l’immoralité qui habite le clan et l’OPA méthodiquement menée sur la révolution algérienne et ses symboles. Absents du champ de bataille aux heures des périls, les nouveaux maîtres du pays proclament : un seul héros le peuple, pendant que le colonel putschiste terrorisant et mystifiant son monde se pare du statut du père de la nation.
• La mutilation de l’identité algérienne pour la réduire à des dimensions folkloriques tout juste bonnes à être exhibées dans des manifestations de villages. Le progrès et la modernité officiels se conjuguent uniquement dans le nationalisme arabe adossé à la légitimité religieuse. Dans sa folie sanglante, le baâth, qui assumait la laïcité, avait au moins le mérite de la cohérence. Liess Boukra(4) note très justement la convergence de l’action de Boumediène avec les tenants des courants religieux rétrogrades «Le premier voulait immuniser la société contre les germes de la modernité, porteuse de l’exigence citoyenne (démocratique, pluraliste), que son autoritarisme et sa mégalomanie ne pouvaient tolérer ni souffrir». Les seconds ne voulaient pas de «l’éclosion d’une conscience sociale libérée de son enveloppe religieuse». La SM veille sur tout : la découverte d’une lettre en tifinagh conduit inéluctablement l’auteur imprévoyant en prison qui se voit désigné ennemi du socialisme et de la nation avant d’être tiré de l’anonymat sous l’étiquette d’agent de l’impérialisme en général et d’élément dormant du SDECE (Services de renseignement français) pour ceux qui ont moins de chance.
• Au plan économique, l’inoculation des germes de l’attitude rentière insufflée, jusque dans le moindre recoin de l’Algérie profonde, au détriment de l’effort et du travail qui ont constitué nos valeurs ancestrales les plus sûres, sera la constante du pouvoir de Boumediène. Sous l’ère bénie de la gestion socialiste des entreprises (GSE), les travailleurs partageaient les bénéfices alors que leur entreprise était déficitaire, la production agricole est confiée à la télévision pour promouvoir une révolution agraire qui a déstructuré nos campagnes en dévalorisant le travail de la terre et annoncé la clochardisation de nos villes sous le poids de l’exode rural. Bénéficiant d’une conjoncture où les prix du baril s’envolaient après le premier choc pétrolier de 1973 et de prêts sans retenue du système financier international, l’Algérie se présente à l’orée des années 1980 avec des recettes tirées à 97% des hydrocarbures avec une dette extérieure estimée déjà à 15 milliards de dollars. A sa disparition, notre champion de la lutte anti impérialiste laisse un pays plus dépendant que jamais et qui doit honorer un service de la dette qui le laisse mains et pieds liés face aux Etats occidentaux. Déjà dans les années 1970 et pour s’assurer le contrôle de la société, le pouvoir a encouragé l’islamisme pour affaiblir le courant démocratique. Mais c’est sous l’ère de Chadli, qui affichait pourtant une certaine volonté à rompre avec le boumediénisme, que les institutions vont subir le plus la pression de l’islamisme. Au nom de la récupération des thèmes favoris des islamistes, le pouvoir a ainsi généralisé l'enseignement religieux à tous les niveaux. Créations de sections islamiques dans les lycées avec un baccalauréat religieux qui ouvre les portes à toutes les filières. Le contrôle strict des programmes culturels pour leur conformité à la morale islamique (télévision, radio…) devient une norme. Cette politique atteint son apogée par l’adoption du code de la famille en 1984 ainsi que la création de conseils des oulémas chargés de donner une caution religieuse aux orientations politiques du pouvoir. Il faut cependant rappeler que le règne de Chadli, s’il fut plus marqué par diverses concessions, n’augurait pas cette inclinaison à brader les valeurs républicaines. C’est sous Boumediène que le week-end universel fut abandonné à cause de tensions internes au régime et pour lancer déjà un signal aux secteurs les plus conservateurs, alors extérieurs au système en place. Dans le milieu des années 1980 se révèle brutalement la faillite du système algérien :
1. Au plan économique, seule la vente des hydrocarbures permettait un semblant de fonctionnement de la machine étatique. La chute des prix entraîne un effondrement brutal des recettes passant de 51 milliards de dinars en 1981 à 37 en 1983, alors que le pays doit faire face, déjà, à cette dette extérieure croissante. Ce tassement des recettes est accentué par une baisse durable des taux de change du dollar. Pour le reste, les meilleures usines tournent au mieux à 50% de leur capacité de production avec des arrêts plus ou moins longs à cause de leur dépendance en matière de maintenance et de l’indisponibilité de devises. L’agriculture n’est pas en reste, 2 protéines sur 3 consommées sont importées.
2. Au plan social, la dégradation générale du niveau de vie s’accompagne par un développement du chômage. De plus, l’indisponibilité du logement et l’exode rural s’aggravent pendant que l’immense majorité des adolescents est rejetée par le système éducatif
3. Dans le domaine politique, l’impasse est totale. Le débat demeure un monologue du parti unique qui monopolise tous les moyens d’information. Les Algériens sont écartés de toute décision qui les concerne pourtant au premier chef. Pour la majorité, l’action du gouvernement réglée par les luttes de clan relève de l’arbitraire. A la fin de la décennie 1980 arrive ce qu’on peut déjà appeler une «génération perdue». En raison du chômage important qui frappe la jeunesse, un segment entier de la population est marginalisé. La grande majorité n’a pratiquement aucune chance de trouver un emploi dans un secteur structuré et perd tout lien avec l’Etat. Après les émeutes d’octobre 1988, réprimées dans le sang, c’est tout naturellement que le pouvoir choisit de privilégier la tendance islamiste qu’il croyait contrôler par peur de se voir disputer la légitimité par les courants politiques démocratiques qui, eux, ne s’invitaient pas à la rente mais menaçaient le système dans ses fondements. Mais avant cela et, sans aucun doute, l’événement qui a ébranlé le système du parti unique est la grève générale d’avril 1980 en Kabylie. Affaibli déjà par la lutte des clans pour la succession de Houari Boumediène, le pouvoir doit faire face à une contestation de type nouveau. Habitué à traquer les opposants dans l’ombre par une police politique omniprésente, il doit affronter un mouvement qui refuse la clandestinité et mobilise la population. Non seulement la grève générale — la première de l’Algérie indépendante — est un succès, mais des dizaines de milliers de jeunes font face aux forces de répression pour protéger les animateurs du mouvement. Incontestablement, cette date marque les premières lézardes de l’édifice du régime algérien et dévoile sa nature autoritaire devant l’opinion internationale. Avril 1980 est l’acte de naissance d’une opposition en rupture avec la culture des intrigues héritée du mouvement national. A leur sortie de prison, les camarades de Saïd Sadi réinvestissent publiquement le champ de l’opposition démocratique au régime du parti unique. Une nouvelle page commence à s’inscrire dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Si à la suite de cette contestation pacifique le système avait entrepris de se reformer un tant soit peu pour restituer des espaces publiques à la société, l’Algérie aurait fait l’économie de bien des drames. En fait, la réponse opposée aux revendications d’avril 1980 était un message qui se vérifiera à maintes reprises par la suite : le système algérien n’est pas réformable. Contrairement aux islamistes qui bénéficiaient de la tolérance et de la proximité des institutions, le mouvement issu d’avril 1980 mettait au centre de son combat la liberté d’organisation, les libertés individuelles, l’égalité en droits entre les hommes et les femmes, les droits de l’homme, la souveraineté populaire : tout ce que le parti unique ne peut tolérer sans remettre en cause sa propre survie. Mais il était écrit, quelque part dans la stratégie mise au point par le clan de Oujda pour s’emparer de l’Algérie indépendante, que le pays allait s'abîmer dans l’apocalypse des années 1990. Et, sans l’irruption de forces patriotiques, stigmatisées par le pouvoir, l’Algérie aurait sombré et ceux qui avaient offert leurs services à l’Iran auraient pu régner sur un émirat issu du dépeçage annoncé du pays. Bouteflika, qui se plaît à répéter qu’il n’était pas là dans les années de feu, aurait sans doute poursuivi sa traversée mondaine et paisible, loin de nos tourmentes. Des dizaines de milliers de morts, des milliers de disparus de tout bord, des destructions massives d’infrastructures et des fractures sociales profondes concluent cinq décennies du règne de l’arbitraire, de la manipulation et des détournements. Et on nous dit qu’il faut continuer avec les mêmes méthodes, dans le même cadre et sous la férule du même clan. Tous les sacrifices ont été trahis, toutes les résistances ont été reniées, toutes les opportunités ont été gâchées. Le pays, qui a vaincu militairement l’islamisme, se voit confisquer, encore une fois, sa victoire au profit de la survie d’un système pour lequel le pays se confond avec la rente. Bouteflika, représentant de survivance biologique du clan de Oujda, s’attellera à détruire tous les acquis sociaux et démocratiques arrachés par la génération post-indépendance. Pour ce faire, il livrera le pays à la corruption morale et matérielle dans une exceptionnelle conjoncture financière qui lui permet d’acheter les clientèles et les soutiens étrangers. Pourtant, en ce cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays, il reste des voix audibles au milieu de millions d’anonymes pour crier haut et fort que l’Algérie de Novembre et de la Soummam reprendra le chemin de l’honneur, de la dignité, du travail et du progrès. Les moyens consentis par le système pour mobiliser autour de 18% d’Algériens dans une élection comparée par les officiels et leurs alliés habituels ou de conjoncture au 1er novembre 1954 sont à la mesure du désarroi des tenanciers de la loge et de la désaffection de la jeunesse défiant une gérontocratie nihiliste. Si les martyrs n’en finissent pas de se retourner dans leur tombe à cause des tortures que leur infligent les usurpateurs du combat et des espérances du peuple algérien même après leur mort, ils doivent attendre avec impatience la fin des supplices et le repos éternel. Pour eux, aussi, le jour se lèvera pour remettre en marche l’horloge de l’histoire, du progrès, de la justice et de la liberté qu’une bande de conspirateurs a bloquée sur minuit pendant un demi-siècle.
N. A.-H.
1- Benyoucef Ben Khedda, La crise de 1962, page 23.
2- Mémoires du général Khaled Nezzar, page 70.
3- Saïd Sadi, Amirouche, une vie, deux morts, un testament.
4- Liess Boukra, Algérie, la terreur sacrée, page 66
Le Soir d'Algérie du 02/07/2012
Par Nordine Ait Hamouda
Militant du RCD
En ce cinquantième anniversaire de la libération de l’Algérie du joug colonial français, je voudrais d’abord rendre hommage aux martyrs avant d’essayer de raviver le serment qu’ils ont honoré à travers l’épopée qui a mené à l’indépendance de notre pays.
Ils étaient une poignée de patriotes et de justes inconnus sur la scène publique officielle. Ils ont pris la décision de déclencher les hostilités contre la 5e puissance militaire mondiale pour, comme ils l’ont proclamé dans la déclaration du 1er Novembre 1954, libérer le pays de la longue nuit coloniale et redonner la dignité à leur peuple. Aboutissement d’un long processus de luttes portées par des générations de militants, cette décision sonne, du même coup, le glas de l’ère coloniale sur tout le continent africain. Ma pensée va aussi à tous ceux qui ont enduré privations, souffrances et mutilations. C’est grâce à leur conviction, leur courage, leur moralité et l’exemple du sacrifice suprême, c’est-à-dire le don de soi pour la liberté et la dignité, que l’écrasante majorité du peuple algérien a accompagné la lutte armée dès les premières années. Cette adhésion a scellé la détermination des premiers dirigeants de la révolution. Ni les menées messalistes qui ont dérivé vers la trahison ni les tiédeurs multiples des biens-pensants de tout bord n’ont pu imposer la moindre inflexion au noyau originel rejoint par tous les patriotes que comptait le pays. Ces maquisards ont infligé à l’ordre colonial la pire des humiliations, poussant l’Etat français à renoncer à nombre de ses colonies avant de sombrer lui-même dans une crise politique qui emporta la IVe République. Pour redorer le blason de l’Etat colonialiste, de Gaulle, en sauveur suprême, mobilise tout ce que compte la République de forces répressives y compris l’usage du napalm, dont plusieurs localités portent encore aujourd’hui les stigmates. Pendant que la résistance algérienne mobilise à l’intérieur tout son potentiel pour faire face à cette armada dirigée par les Massu, Challe et compagnie, à l’extérieur de l’Algérie une excroissance du mouvement national, renforcée progressivement par les entrants de la 25e heure, s’affairait à affaiblir les maquis par la rétention de l’armement et à déconstruire le processus d’un Etat algérien démocratique et social incarné, sur le sol national, par les Abane Ramdane, Larbi Ben M’hidi, Krim Belkacem, Mustapha Ben Boulaïd, Benyoucef Ben Khedda, Amar Ouamrane, Amirouche, Lotfi… pour lui substituer une dictature militaire. Rompus aux manœuvres et à l’écoute de Paris et du Caire, ces responsables de l’extérieur font bloc dans le congrès de Tripoli pour contrer les instances légitimes de la révolution algérienne et ouvrir la voie au pouvoir des armes. Les travaux de ce conclave du lendemain de l’indépendance n’ont pas été clôturés à ce jour à cause de l’attitude du clan de Oujda emmené par Ben Bella et Boumediène dont l’ivresse du pouvoir ne s’encombre d’aucun scrupule. Tapis dans l’ombre, ils n’ont qu’un seul objectif : la prise d’Alger. Les hésitations et les réactions tardives du GPRA pour dégrader le colonel Boumediène et ses acolytes de l’état-major, le 30 juin 19621(1), ne font que renforcer la folie des conjurés. Ils se ligueront contre l’instance légitime de la révolution algérienne et les maquisards de l’intérieur pour marcher sur Alger au prix de centaines de cadavres, tout au long de leur route. C’est Khaled Nezzar, servant alors sous les ordres du colonel Boumediène dans cette guerre contre les wilayas de l’intérieur, qui écrit dans ses mémoires : «L’intensité des combats qui s’en étaient suivis, jamais je n’en avais vu d’égal personnellement, pas même durant la guerre de libération.»(2) Le GPRA, seule instance légitime de la révolution, est foulé aux pieds par ces assoiffés de pouvoir, aidés par les reliquats de la France coloniale. Le malheur de l’Algérie venait de commencer. Sous les apparences d’un tiers-mondisme exubérant, cette équipe s’installera au pouvoir avec la caution du Caire et de Paris. Elle demeure en place à nos jours. Ceux qui ont pris le pouvoir se sont acharnés à combattre leurs frères et surtout les élites. Ben Bella, qui a fait de l’activisme gauchiste une religion pendant son règne, déclare dans son discours d’ouverture au Congrès du FLN tenu à Alger du 16 au 21 avril 1964 : «Il faut combattre sans répit la tendance de ceux qui affirment que la construction d’un Etat est un préalable de la révolution. Une telle voie est fausse. Elle aboutirait, si on la prenait, à remettre le pouvoir entre les mains de ceux qui actuellement possèdent la culture. Primaire et folklorique, le personnage ne servait en fait que de potiche à Boumediène. Commencent alors, les liquidations physiques d’opposants actifs ou potentiels, de déportations vers le Sud de dirigeants de la révolution et d’emprisonnements sur fond de confiscation de toutes les libertés. Le 19 juin 1965, c’est au tour de Ben Bella, lui-même, de subir la foudre du clan. Le colonel Boumediène et ses acolytes, adeptes des caves et de l’ombre, sont prêts à affronter la lumière. Pour cela, le programme de Boumediène est simple : mettre fin aux quelques failles de la stratégie répressive de l’ancien président, play-boy à ses heures, pour anéantir toute liberté ; c’est le rôle dévolue à la sinistre sécurité militaire qui cherchera à éliminer tous les opposants, y compris par le meurtre, comme c’est le cas de Mohamed Khider et Krim Belkacem pour enfin créer l’homme nouveau, zombie sans mémoire ni conscience. Dans ce domaine, le stratagème se décline en :
• La falsification de l’histoire, voire son amputation ; le livre de Said Sadi(3) qui relate l’acharnement de Boumediène sur les restes des ossements des colonels Amirouche et Haouès illustre l’immoralité qui habite le clan et l’OPA méthodiquement menée sur la révolution algérienne et ses symboles. Absents du champ de bataille aux heures des périls, les nouveaux maîtres du pays proclament : un seul héros le peuple, pendant que le colonel putschiste terrorisant et mystifiant son monde se pare du statut du père de la nation.
• La mutilation de l’identité algérienne pour la réduire à des dimensions folkloriques tout juste bonnes à être exhibées dans des manifestations de villages. Le progrès et la modernité officiels se conjuguent uniquement dans le nationalisme arabe adossé à la légitimité religieuse. Dans sa folie sanglante, le baâth, qui assumait la laïcité, avait au moins le mérite de la cohérence. Liess Boukra(4) note très justement la convergence de l’action de Boumediène avec les tenants des courants religieux rétrogrades «Le premier voulait immuniser la société contre les germes de la modernité, porteuse de l’exigence citoyenne (démocratique, pluraliste), que son autoritarisme et sa mégalomanie ne pouvaient tolérer ni souffrir». Les seconds ne voulaient pas de «l’éclosion d’une conscience sociale libérée de son enveloppe religieuse». La SM veille sur tout : la découverte d’une lettre en tifinagh conduit inéluctablement l’auteur imprévoyant en prison qui se voit désigné ennemi du socialisme et de la nation avant d’être tiré de l’anonymat sous l’étiquette d’agent de l’impérialisme en général et d’élément dormant du SDECE (Services de renseignement français) pour ceux qui ont moins de chance.
• Au plan économique, l’inoculation des germes de l’attitude rentière insufflée, jusque dans le moindre recoin de l’Algérie profonde, au détriment de l’effort et du travail qui ont constitué nos valeurs ancestrales les plus sûres, sera la constante du pouvoir de Boumediène. Sous l’ère bénie de la gestion socialiste des entreprises (GSE), les travailleurs partageaient les bénéfices alors que leur entreprise était déficitaire, la production agricole est confiée à la télévision pour promouvoir une révolution agraire qui a déstructuré nos campagnes en dévalorisant le travail de la terre et annoncé la clochardisation de nos villes sous le poids de l’exode rural. Bénéficiant d’une conjoncture où les prix du baril s’envolaient après le premier choc pétrolier de 1973 et de prêts sans retenue du système financier international, l’Algérie se présente à l’orée des années 1980 avec des recettes tirées à 97% des hydrocarbures avec une dette extérieure estimée déjà à 15 milliards de dollars. A sa disparition, notre champion de la lutte anti impérialiste laisse un pays plus dépendant que jamais et qui doit honorer un service de la dette qui le laisse mains et pieds liés face aux Etats occidentaux. Déjà dans les années 1970 et pour s’assurer le contrôle de la société, le pouvoir a encouragé l’islamisme pour affaiblir le courant démocratique. Mais c’est sous l’ère de Chadli, qui affichait pourtant une certaine volonté à rompre avec le boumediénisme, que les institutions vont subir le plus la pression de l’islamisme. Au nom de la récupération des thèmes favoris des islamistes, le pouvoir a ainsi généralisé l'enseignement religieux à tous les niveaux. Créations de sections islamiques dans les lycées avec un baccalauréat religieux qui ouvre les portes à toutes les filières. Le contrôle strict des programmes culturels pour leur conformité à la morale islamique (télévision, radio…) devient une norme. Cette politique atteint son apogée par l’adoption du code de la famille en 1984 ainsi que la création de conseils des oulémas chargés de donner une caution religieuse aux orientations politiques du pouvoir. Il faut cependant rappeler que le règne de Chadli, s’il fut plus marqué par diverses concessions, n’augurait pas cette inclinaison à brader les valeurs républicaines. C’est sous Boumediène que le week-end universel fut abandonné à cause de tensions internes au régime et pour lancer déjà un signal aux secteurs les plus conservateurs, alors extérieurs au système en place. Dans le milieu des années 1980 se révèle brutalement la faillite du système algérien :
1. Au plan économique, seule la vente des hydrocarbures permettait un semblant de fonctionnement de la machine étatique. La chute des prix entraîne un effondrement brutal des recettes passant de 51 milliards de dinars en 1981 à 37 en 1983, alors que le pays doit faire face, déjà, à cette dette extérieure croissante. Ce tassement des recettes est accentué par une baisse durable des taux de change du dollar. Pour le reste, les meilleures usines tournent au mieux à 50% de leur capacité de production avec des arrêts plus ou moins longs à cause de leur dépendance en matière de maintenance et de l’indisponibilité de devises. L’agriculture n’est pas en reste, 2 protéines sur 3 consommées sont importées.
2. Au plan social, la dégradation générale du niveau de vie s’accompagne par un développement du chômage. De plus, l’indisponibilité du logement et l’exode rural s’aggravent pendant que l’immense majorité des adolescents est rejetée par le système éducatif
3. Dans le domaine politique, l’impasse est totale. Le débat demeure un monologue du parti unique qui monopolise tous les moyens d’information. Les Algériens sont écartés de toute décision qui les concerne pourtant au premier chef. Pour la majorité, l’action du gouvernement réglée par les luttes de clan relève de l’arbitraire. A la fin de la décennie 1980 arrive ce qu’on peut déjà appeler une «génération perdue». En raison du chômage important qui frappe la jeunesse, un segment entier de la population est marginalisé. La grande majorité n’a pratiquement aucune chance de trouver un emploi dans un secteur structuré et perd tout lien avec l’Etat. Après les émeutes d’octobre 1988, réprimées dans le sang, c’est tout naturellement que le pouvoir choisit de privilégier la tendance islamiste qu’il croyait contrôler par peur de se voir disputer la légitimité par les courants politiques démocratiques qui, eux, ne s’invitaient pas à la rente mais menaçaient le système dans ses fondements. Mais avant cela et, sans aucun doute, l’événement qui a ébranlé le système du parti unique est la grève générale d’avril 1980 en Kabylie. Affaibli déjà par la lutte des clans pour la succession de Houari Boumediène, le pouvoir doit faire face à une contestation de type nouveau. Habitué à traquer les opposants dans l’ombre par une police politique omniprésente, il doit affronter un mouvement qui refuse la clandestinité et mobilise la population. Non seulement la grève générale — la première de l’Algérie indépendante — est un succès, mais des dizaines de milliers de jeunes font face aux forces de répression pour protéger les animateurs du mouvement. Incontestablement, cette date marque les premières lézardes de l’édifice du régime algérien et dévoile sa nature autoritaire devant l’opinion internationale. Avril 1980 est l’acte de naissance d’une opposition en rupture avec la culture des intrigues héritée du mouvement national. A leur sortie de prison, les camarades de Saïd Sadi réinvestissent publiquement le champ de l’opposition démocratique au régime du parti unique. Une nouvelle page commence à s’inscrire dans l’histoire de l’Algérie indépendante. Si à la suite de cette contestation pacifique le système avait entrepris de se reformer un tant soit peu pour restituer des espaces publiques à la société, l’Algérie aurait fait l’économie de bien des drames. En fait, la réponse opposée aux revendications d’avril 1980 était un message qui se vérifiera à maintes reprises par la suite : le système algérien n’est pas réformable. Contrairement aux islamistes qui bénéficiaient de la tolérance et de la proximité des institutions, le mouvement issu d’avril 1980 mettait au centre de son combat la liberté d’organisation, les libertés individuelles, l’égalité en droits entre les hommes et les femmes, les droits de l’homme, la souveraineté populaire : tout ce que le parti unique ne peut tolérer sans remettre en cause sa propre survie. Mais il était écrit, quelque part dans la stratégie mise au point par le clan de Oujda pour s’emparer de l’Algérie indépendante, que le pays allait s'abîmer dans l’apocalypse des années 1990. Et, sans l’irruption de forces patriotiques, stigmatisées par le pouvoir, l’Algérie aurait sombré et ceux qui avaient offert leurs services à l’Iran auraient pu régner sur un émirat issu du dépeçage annoncé du pays. Bouteflika, qui se plaît à répéter qu’il n’était pas là dans les années de feu, aurait sans doute poursuivi sa traversée mondaine et paisible, loin de nos tourmentes. Des dizaines de milliers de morts, des milliers de disparus de tout bord, des destructions massives d’infrastructures et des fractures sociales profondes concluent cinq décennies du règne de l’arbitraire, de la manipulation et des détournements. Et on nous dit qu’il faut continuer avec les mêmes méthodes, dans le même cadre et sous la férule du même clan. Tous les sacrifices ont été trahis, toutes les résistances ont été reniées, toutes les opportunités ont été gâchées. Le pays, qui a vaincu militairement l’islamisme, se voit confisquer, encore une fois, sa victoire au profit de la survie d’un système pour lequel le pays se confond avec la rente. Bouteflika, représentant de survivance biologique du clan de Oujda, s’attellera à détruire tous les acquis sociaux et démocratiques arrachés par la génération post-indépendance. Pour ce faire, il livrera le pays à la corruption morale et matérielle dans une exceptionnelle conjoncture financière qui lui permet d’acheter les clientèles et les soutiens étrangers. Pourtant, en ce cinquantième anniversaire de l’indépendance du pays, il reste des voix audibles au milieu de millions d’anonymes pour crier haut et fort que l’Algérie de Novembre et de la Soummam reprendra le chemin de l’honneur, de la dignité, du travail et du progrès. Les moyens consentis par le système pour mobiliser autour de 18% d’Algériens dans une élection comparée par les officiels et leurs alliés habituels ou de conjoncture au 1er novembre 1954 sont à la mesure du désarroi des tenanciers de la loge et de la désaffection de la jeunesse défiant une gérontocratie nihiliste. Si les martyrs n’en finissent pas de se retourner dans leur tombe à cause des tortures que leur infligent les usurpateurs du combat et des espérances du peuple algérien même après leur mort, ils doivent attendre avec impatience la fin des supplices et le repos éternel. Pour eux, aussi, le jour se lèvera pour remettre en marche l’horloge de l’histoire, du progrès, de la justice et de la liberté qu’une bande de conspirateurs a bloquée sur minuit pendant un demi-siècle.
N. A.-H.
1- Benyoucef Ben Khedda, La crise de 1962, page 23.
2- Mémoires du général Khaled Nezzar, page 70.
3- Saïd Sadi, Amirouche, une vie, deux morts, un testament.
4- Liess Boukra, Algérie, la terreur sacrée, page 66
Le Soir d'Algérie du 02/07/2012
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Re: Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent depuis 1962
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