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Arabiser, c’est déberbériser la Kabylie ». Pour l’anthropologue Tassadit Yacine, le pouvoir veut diviser les Algériens.

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Message  Azul Mer 6 Juin - 19:34

Arabiser, c’est déberbériser la Kabylie ». Pour l’anthropologue Tassadit Yacine, le pouvoir veut diviser les Algériens.


Par GARÇON JOSÉ



Anthropologue, Tassadit Yacine enseigne à la Maison des Sciences de l’Homme à Paris. Elle est directrice de la revue d’études berbères Awal, fondée en 1985.

30/05/2012 - 19:59 mis a jour le 30/05/2012 - 19:58 par Par GARÇON JOSÉ</FONT>


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Déchirée entre plusieurs identités, plusieurs langues, la société algérienne est-elle schizophréne ?

Cette schizophrénie s’explique en tout cas par l’histoire de l’Algérie et du pluralisme linguistique dont elle a hérité : la berbérité, qui la relie à son histoire ancienne préislamique et africaine, a modelé son histoire pendant plusieurs millénaires et jusqu’à l’arrivée des musulmans au VIIe siècle ; l’arabité, qui la relie à la religion mais aussi à son histoire avec l’Orient ; et enfin la francophonie, qui lui fut imposée par la colonisation. Le berbère et l’arabe, langues maternelles, et le français sont, à des degrés divers, constitutives de l’identité algérienne. Ce qui est en revanche problématique, c’est la gestion de ce pluralisme par les autorités depuis l’indépendance en 1962. Au lieu de pousser dans le sens d’une harmonie, d’un compromis entre ces trois dimensions, elles ont toujours posé le problème en termes d’affrontement et tenté d’exploiter, surtout dans les périodes de crise, ces différences pour dresser les Algériens les uns contre les autres et se poser ainsi en arbitre entre les différents groupes au nom de la sauvegarde de l’unité nationale.

Comment expliquer la crispation des autorités sur la question de la langue ?

Ceux qui connaissent l’histoire de l’Algérie et de la revendication pourtamazigh (la langue berbère, ndlr) ne peuvent s’étonner de la réaction du pouvoir qui est constante. Les propos tenus aujourd’hui sont ceux entendus en 1963, quand on a sciemment dénaturé la revendication démocratique qu’exprimaient les maquisards menés par Aït-Ahmed en Kabylie en la faisant passer pour un séparatisme. Les mêmes aussi qu’en 1980, quand on a transformé en contestation politique la revendication avant tout culturaliste des lycéens et étudiants qui, lors du « Printemps berbère », ne réclamaient que la reconnaissance de leur langue. Le fait que le pouvoir réponde par le mépris, voire la répression, ne peut que conduire à une politisation et à une radicalisation. Car quoi de plus légitime que de revendiquer sa langue et sa culture, parties intégrantes de l’histoire et de l’identité de la nation ?

Cette radicalisation en Kabylie ne risque-t-elle pas de se retourner contre une région souvent présentée comme moins « algérienne » que le reste du pays ?

Dans la situation actuelle, tout est possible compte tenu de la volonté des autorités de diviser les Algériens en factions, comme on a déjà pu le voir s’agissant d’autres mouvements. En cela, le sort réservé aux Berbères n’est guère différent de celui fait aux mouvements de femmes que le pouvoir a utilisé et mis en avant pour se donner une façade de modernité, sans rien changer, par exemple, au code de la famille. Jusqu’à la mort de Matoub, la population kabyle a fait preuve d’une patience et d’une maturité politique étonnantes : elle n’a cessé de dénoncer le terrorisme sans basculer dans la violence. Si elle en est arrivée à manifester sa colère contre l’Etat et ses représentants, c’est parce qu’elle s’est toujours sentie humiliée et bafouée, aucune promesse sur la reconnaissance du tamazigh n’ayant été tenue. Dès lors, comment des couches importantes de la population, dont on refuse de reconnaître l’identité, pourraient-elles ne pas se sentir exclues de l’édification nationale ?

Existe-t-il en Kabylie un risque d’affrontements plus larges, et donc de dérives incontrôlables ?

En Kabylie comme partout en Algérie, il y a deux générations de culture très différente : la première qui a connu la guerre d’indépendance est sans doute plus encline à réaliser la synthèse culturelle qu’impose la diversité du pays ; la seconde est beaucoup plus radicale d’autant qu’on a toujours refusé de prendre en compte sa différence au nom de l’unité de la nation. Cela dit, il n’est pas étonnant que, dans la situation actuelle, des manipulations de toutes sortes viennent jeter de l’huile sur le feu et aggraver la confusion pour désigner cette population comme antiarabe ou antimusulmane, ce qu’elle n’est pas. Si des jeunes refusent d’être totalement arabisés, c’est parce que l’arabisation telle qu’elle est faite exclut toutes les langues sauf celle parlée et imposée par un pouvoir inique et antidémocratique. Cette volonté d’arabiser est en fait une volonté de déberbériser et de soumettre une région traditionnellement contestataire, mais qu’on préfère accuser à tort d’irrédentisme. Imposer l’arabe officiel comme seule langue à un peuple qui parle l’arabe algérien, le tamazigh ou le français est un déni de la réalité qui montre une fois de plus la coupure entre autorités et population. La fragmentation de la société sur laquelle les autorités jouent ne reflète que leur absence de légitimité. Leur vulnérabilité provient du fait qu’elles se sont imposées par la force et se trouvent du coup dans l’incapacité réelle d’établir un consensus au sein duquel les différents groupes se reconnaîtraient et reconnaîtraient par là même leurs dirigeants. Cela dit, on met trop en avant les tendances les plus extrémistes du mouvement berbère au détriment des politiques et des intellectuels kabyles prônant l’unité du pays dans le respect de sa diversité. La manipulation d’une colère légitime entraînerait une dérive et une cassure dramatiques dans le pays .

Par GARÇON JOSÉ
Azul
Azul

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