REPORTAGE: Elles ont fait la révolution en Libye, celles par qui tout a commencé
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REPORTAGE: Elles ont fait la révolution en Libye, celles par qui tout a commencé
REPORTAGE: Elles ont fait la révolution en Libye, celles par qui tout a commencé
Elles sont les premières à descendre dans la rue pour réclamer le départ de Kadhafi. Quand les hommes partent au front, elles passent à l’arrière, transfèrent des fonds, cachent des armes… Puis, c’est la libération. Et pas une femme sur la photo. Mais c’est sans compter sur leur -détermination à diriger la nouvelle Libye.
ELLES LÈVENT LA TÊTE.
Elles haussent le ton. Elles n’ont plus peur. Elles connaissent leur force. Le tyran disparu, elles ne risquent plus rien, du moins veulent-elles le croire. Et elles se sentent des ailes, prêtes à toutes les audaces. On ne les arrêtera plus. Malheur à qui les humiliera. Elles ne l’accepteront pas. Elles ont gagné leur titre de combattantes. Pas un homme qui ne sait ce que la Libye leur doit.
Ils paradent, bien sûr. Et dans les défilés spectaculaires de véhicules revenus du front, il n’y en a que pour eux, qui saluent, se congratulent, exhibent leurs armes, et tirent vers le ciel de dangereuses rafales de kalachnikovs. Discrètes sur les bas-côtés, souvent enfouies sous des voiles noirs, elles applaudissent, elles remercient, brandissant les photos des hommes de leur famille tués par les balles de Kadhafi. Mais quand on les interroge, elles ont toutes la même réflexion, le même regard intense et parfois douloureux : jamais la révolution libyenne n’aurait été possible sans le formidable engagement des femmes. Corps et âme.
Alors quelle déception, le 23 octobre, jour de proclamation officielle de la libération du pays ! La Libye tout entière avait les yeux braqués sur Benghazi, première ville à s’être libérée du joug de Kadhafi. Et l’on attendait du président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, un discours historique pour balayer l’ère Kadhafi, rassembler tous les Libyens et fonder les bases de la nouvelle démocratie. Des dizaines de milliers de personnes avaient fait le déplacement pour assister à la cérémonie. Et des milliers d’écrans rassemblaient dans tout le pays des familles bouleversées par l’importance de l’événement. Le coeur de la Libye battait à Benghazi, chacun retenait son souffle. Et les femmes, sans le dire, attendaient un signe, un geste, peut-être même un hommage. Or ce fut un fiasco.
Pas un mot sur leur apport à la révolution. Pas une allusion au rôle qu’elles devraient jouer dans la nouvelle Libye. Ah, si ! Une mention aux mères, soeurs ou filles des combattants magnifiques à qui la patrie devait tant. Et puis l’annonce que, pour respecter la loi de la charia, désormais référence suprême en matière de droit, la polygamie ne serait plus entravée par l’obligation faite aux hommes – instaurée par Kadhafi – de demander à leur première femme l’autorisation d’en épouser une seconde. Une gifle pour les femmes attentives qui, depuis le début de la cérémonie, tentaient en vain de distinguer une silhouette féminine dans les tribunes officielles où se pavanait une foule d’hommes en costume–cravate, si fiers d’incarner la relève. Etait-ce donc cela, la nouvelle Libye ?
« J’étais choquée, furieuse, révoltée, déclare Naima Gebril, juge à la cour d’appel de Benghazi. Quel discours catastrophique ! Je vous assure : j’en ai pleuré. » Tout ça pour ça ? demande-t-elle avec tant d’autres. « Cette lutte de nos mères et de nos grands-mères pour obtenir le droit à l’éducation, au travail, au respect. Cette énergie mise dans nos études pour triompher des discriminations et exercer librement nos métiers. Et puis cet engagement total dans la révolution, depuis le tout premier jour alors même que la plupart des hommes avaient peur de sortir. Tout ça pour se voir nier le jour de la libération ? Quelle honte ! »
Quelle honte, oui. Ainsi l’ont-elles toutes ressentie. « Vous vous souvenez du déluge d’images montrant les délégations du CNT en tournée dans les capitales occidentales ?, demande celle qui fut la première femme juge nommée à Benghazi en 1975. Pas une femme à l’horizon ! » Et la visite de Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne, à Benghazi en mai ? » Pas une femme pour l’accueillir. » Et celle d’Hillary Clinton à Tripoli, la veille de la capture de Kadhafi ? « Pas une Libyenne au rendez-vous. » La secrétaire d’Etat américaine s’en est d’ailleurs publiquement offusquée, insistant sur la nécessaire égalité des droits entre hommes et femmes. « Comme c’était humiliant !, regrette l’universitaire Amel Jerary. Quelle terrible image nous donnions de ce pays où les femmes sont pourtant fortes, instruites et combatives ! Mais voilà : aucun homme, jamais, ne nous fera entrer dans la photo ni ne se poussera pour nous faire une place sur la moindre estrade. Il va falloir s’imposer de force et rappeler ce que la révolution nous doit. » A l’évidence, beaucoup.
Et d’abord son début. Elles s’en souviennent avec fierté. Le premier jour, le 15 février, à Benghazi, la rue était aux femmes. Elles n’étaient pas nombreuses, certes, femmes, mères, soeurs, de prisonniers politiques assassinés en 1996 à la prison d’Abou Salim, protestant contre l’incarcération soudaine de leur avocat. Mais elles étaient les seules. Et si d’aventure l’épisode était nié un jour, l’avocate Tahany Moubarak Alsharif pourra aider les historiens. Car, dans son ordinateur portable qui ne la quitte pas, elle conserve des dizaines de petits films vidéo sur la révolution et notamment ces premiers jours fiévreux où tout a basculé.
« Voyez ? Nous voici le 17 février, « jour de colère » pour tous les opposants, et je suis dans la rue avec mes collègues avocates, en toge noire, et mes amies médecins en blouse blanche, sans armes évidemment. Nous nous dirigeons vers le tribunal. Et les hommes de Kadhafi vont tirer. » Là, c’est le 19 février, on recense déjà des dizaines de morts à Benghazi, et la vidéo montre la jeune femme, drapée dans un voile noir et hissée sur le toit d’une voiture, en train de haranguer la foule : « Levez-vous ! Ce gouvernement indigne doit être renversé ! » Les manifestants, au départ, sont encore silencieux. Mais Tahany les dope, les adjure de hurler avec elle. Et soudain, tous reprennent, en brandissant le poing : « A bas le gouvernement ! Kadhafi doit partir ! » Deux clics, une nouvelle vidéo, et nous voici le 23 février. Les rebelles ont pris le contrôle de la ville, mais Kadhafi menace de terribles représailles. Et les femmes, à nouveau, défilent par milliers. Un océan de voiles, une marche déterminée, des cris à l’unisson. « Mes nièces, mes soeurs, mes amies, mes cousines. Elles étaient toutes là. Et nous étions prêtes à mourir ensemble. »
VOILÀ POUR L’ORIGINE. ENSUITE CE FUT LA GUERRE.
Les hommes ont pris les armes et les femmes, exclues d’emblée du combat – « Je bouillais de ne pouvoir aller me battre au front », nous ont déclaré plusieurs d’entre elles avec fougue -, se sont trouvé d’autres missions. Il fallait bien nourrir, habiller, soigner les rebelles. Il fallait surtout les encourager à partir. « Un homme ne peut aller à la guerre, selon la religion, que s’il a l’autorisation de sa mère, nous explique une femme de Gharyan. Croyez bien qu’ils l’ont eue ! C’est moi-même qui ai grand ouvert la porte à mes deux fils en leur disant : qu’attendez-vous ? Allez vous battre ! C’est un ordre et un devoir ! » Partout, elles ont cuisiné comme des folles, organisant des sortes de brigades capables de livrer près du front des tonnes de nourriture. Elles ont collecté de l’argent, des vêtements et des médicaments. Les femmes de Misrata, réputées fort aisées, insistent pour dire qu’elles ont vendu leur or, des kilos d’or (notamment leurs grandes parures de mariage) et même leurs alliances pour équiper les rebelles. « Elles étaient enragées, prêtes à prendre les risques les plus fous, commente Fatma Ghandour, chargée de cours à l’université de Tripoli et animatrice d’une émission de radio, « Paroles de liberté », sur la station publique. Comme le tyran, pervers et sadique, avait visé les femmes, elles le visaient à leur tour. » Et à Tripoli, maintenue jusqu’au 20 août sous la férule des forces de Kadhafi, elles ont rivalisé d’initiatives et d’imagination.
Liala El Mousrati, par exemple, mère de quatre enfants, a très tôt décidé de détourner les 500 dinars distribués, en février, par Kadhafi aux familles tripolitaines. » C’était de l’argent sale, destiné à nous faire taire, dit-elle. J’ai proposé de l’utiliser pour acheter des armes. Ainsi Kadhafi financerait les kalachnikovs qui, plus tard, serviraient à l’abattre ! « Il fallait être discret et ne pas faire d’erreur sur les personnes à qui demander l’argent. Le moindre faux pas valait dénonciation et pouvait être fatal. La plupart des armes étaient achetées au Sahara et transportées à dos de dromadaires. Les plus petites étaient cachées dans les roues des camions ou dans les portes des voitures que l’on bourrait de coton. Pour communiquer avec ses fournisseurs, Liala utilisait un nom de code – Om’Allah – et un portable, dont elle changeait fréquemment la carte SIM, toujours rachetée à des Africains fuyant la Libye.
BAUTAINA GHINNEWA, QUI TRAVAILLAIT DANS UNE COMPAGNIE ALLEMANDE, a fait passer des armes d’un quartier à l’autre. « Les voitures des hommes étaient systématiquement arrêtées, pas celles conduites par des femmes. En tout cas, pas au début. Personne ne nous imaginait capables d’un tel trafic ! » Dans sa chambre, elle rassemblait les films enregistrés par les téléphones portables de rebelles sur les pires exactions commises par les sbires de Kadhafi et elle gravait des DVD, des milliers de DVD, qui étaient distribués en ville et dans le reste du pays pour inciter les pro-Kadhafi à basculer dans l’opposition. « C’était des films horribles, à vous empêcher de dormir. » Un réseau de femmes se les répartissait, avec drapeaux, affiches, CD de chants révolutionnaires, en s’inventant au téléphone – forcément sur écoute – des prétextes pour se retrouver : un anniversaire, une fête d’enfants…
Née dans une famille d’opposants de longue date, d’emblée sur le pied de guerre pour préparer l’insurrection de Tripoli, Nelufer Elbadri a elle aussi créé un groupe secret appelé « Renaissance ». Des femmes s’y retrouvaient, qui apportaient chacune des compétences mais restaient discrètes sur les autres réseaux auxquels elles appartenaient. Mieux valait en savoir le minimum si l’on était arrêtée et torturée. Nelufer, donc, faisait surtout de l’espionnage. Elle tentait de savoir où étaient incarcérés les prisonniers politiques, qui était pro-Kadhafi, qui était « retournable », qui stockait des armes. « Des dizaines de soldats nous ont signalé vouloir faire défection et on les a persuadés de rester dans l’armée. On aurait besoin d’eux le jour du grand sursaut du Tripoli. »
Dès le début de la révolution, des tas de blessés gravement touchés, venant des villes en guerre, ont été acheminés à l’hôpital Tadjoura, où travaillait Soukaina Alhadi Alhars, une infirmière en chirurgie de 36 ans. Les équipes médicales faisaient ce qu’elles pouvaient pour les opérer au plus vite, mais les hommes de Kadhafi déboulaient en trombe devant la porte de l’hôpital, tiraient des rafales de coups de feu en l’air et s’engouffraient dans les couloirs pour rafler les blessés. « C’était terrifiant », avoue la jeune femme. Un jour, son amie Maryam s’est débrouillée pour affubler un jeune rebelle auquel on venait d’extraire une balle à la jambe d’un costume bleu de chirurgien afin de le sortir très vite de l’hôpital. Mais alors qu’ils s’acheminaient, lentement, vers la sortie, des mercenaires se sont précipités sur lui, l’ont arraché et jeté dans une voiture. Soukaina et quelques autres se sont donc organisés pour emmener directement les blessés chez eux. Elle volait le plus possible de médicaments à l’hôpital, la plupart étant acheminés dans les régions en guerre. Elle écrivait aussi des tracts anti-Kadhafi qu’elle imprimait la nuit et faisait distribuer en ville. C’est l’un d’eux, resté au fond de son sac, qui lui valut d’être dénoncée par une collègue, arrêtée à l’hôpital par des hommes de Kadhafi et emmenée, les yeux bandés, dans une voiture banalisée. Alors a démarré son long cauchemar.
Injuriée, giflée, tabassée, mise à nu, « agressée sexuellement », torturée avec des chocs électriques pratiqués sur sa poitrine, elle refusait toujours de donner le nom de ses complices de résistance. « Tu ne me donnes pas d’autre choix que de te violer avec quinze autres mecs. » Ils ne l’ont pas fait, assure-t-elle. Mais la menace planait constamment, comme le rapportent toutes les femmes un jour incarcérées. Finalement emprisonnée, libérée au bout de trente-deux jours, elle a été à nouveau arrêtée, en pleine nuit, par une foule de policiers ayant encerclé la maison familiale. Transférée dans plusieurs prisons dont la sinistre Abou Salim, elle n’en est sortie que le 24 août, libérée par les forces rebelles qu’elle est immédiatement allée aider, aux lisières de Tripoli. Son principal tortionnaire, un capitaine de l’armée kadhafiste, a rejoint, mi-août, les révolutionnaires et parade aujourd’hui en leur compagnie. « Si tu racontes ce qu’il t’a fait, l’a-t-on prévenue par téléphone, on te tue. »
C’est à la prison d’Abou Salim qu’elle a connu Inas Fathy Eldukaly, une ingénieure en informatique de 26 ans, alors à l’isolement. Un sacré personnage. Malicieuse, pétillante, intrépide, grande utilisatrice d’Internet et de Facebook (avant leur fermeture) pour relayer les messages anti-Kadhafi. Après le 20 février et l’énorme manifestation à Tripoli qui a fait 300 morts, la jeune femme n’a plus vécu que pour la révolution. Elle collectait de l’argent, des bijoux, des vêtements dans le cadre de la mosquée où sa mère enseigne le Coran. Le jour, elle sillonnait la ville à la recherche du moindre indice pouvant aider l’OTAN et l’état-major des forces rebelles ; la nuit, elle montait sur le toit de sa maison située dans un quartier proche du quartier général de Kadhafi et, à la jumelle, notait tous les déplacements suspects de véhicules. Elle disposait ainsi de tout un réseau de renseignement, y compris dans le camp Kadhafi, et elle les transmettait par téléphone à une correspondante en Tunisie suivant un code précis : « sandwich » pour « cache d’armes » ; « jus de fruits « pour » centre de contrôle et d’écoutes téléphoniques » ; « chips » pour « informations sur des proches de Kadhafi ». Et quand des espions à elle parvenaient à faire sortir des films pris dans les prisons, elle annonçait en rigolant avoir des nouveaux « sous-vêtements ». Un jour, elle a été trahie. Quarante hommes ont entouré la maison de ses parents, douze s’y sont engouffrés, l’ont fouillée, emportant argent, téléphones, ordinateurs. Elle avait eu le temps de s’enfuir en sautant par le mur. Mais elle est revenue sur ses pas, angoissée à l’idée qu’on torture sa famille. Le reste est un récit d’horreurs, de tortures, d’agressions sexuelles et d’humiliations.
LES HISTOIRES S’ENCHAÎNENT, MULTIPLES, INOUÏES.
Une coiffeuse faisait des livraisons de balles dans sa boîte à rouleaux. Une psychologue renseignait l’OTAN, via un cousin au QG des rebelles, pour affiner ses frappes aériennes. Une ingénieure surveillait les batteries aériennes installées à l’extérieur de la ville de Zaouïa et communiquait par code avec son oncle, membre du CNT. Des infirmières et des médecins ont fait sortir des hôpitaux – y compris celui dirigé par la fille adoptive de Kadhafi – des tonnes de médicaments utiles aux combattants. Aïcha, une petite femme de ménage, passait ses nuits à gratter le soufre de millions d’allumettes pour fabriquer des explosifs. Dans des camps de réfugiés massés de l’autre côté de la frontière tunisienne, notamment par crainte des viols, quelques femmes magnifiques, comme l’épistémologiste Souad Wheidi, dispensaient soins, nourriture et secours. Quant à Mariem, médecin à Tripoli, elle a voulu participer elle-même à la bataille pour la libération de Bani Walid, sa ville natale. Elle n’en pouvait plus de rester en arrière-plan. Enceinte de sept mois, elle est allée au front, avec sa ceinture de médicaments de premiers secours, un pistolet et une kalachnikov. Son bébé s’appellera Misrata, du nom de la ville martyre.
Alors maintenant ? Plus rien ne peut être comme avant. C’est impossible. La participation des femmes à la révolution a été si massive qu’elles ont contribué à lui donner légitimité et fondement et qu’elles entendent bien, aujourd’hui, en recueillir les fruits en termes de liberté, d’expression, de représentation. « Ce moment est crucial, confirme Alaa Mourabit, étudiante en médecine de 22 ans, élevée au Canada par des parents dissidents mais revenue en Libye il y a six ans. C’est comme après les guerres mondiales. Les femmes ont affronté la peur, les risques, les responsabilités. En l’absence des hommes, elles ont dû sortir des maisons dans lesquelles elles sont souvent confinées et elles ont pris goût à devenir des membres actifs de la société. Alors fini d’être traitées comme citoyens de seconde classe ! On a des droits. Et on va se faire entendre ! » La jeune fille, qui a vécu la révolution dans la petite ville meurtrie de Zaouïa, occupée pendant quatre mois par les forces de Kadhafi, a créé avec son amie Safia El Harezi l’organisation The Voice of Libyan Women avec un programme d’une ambition énorme pour lequel elle souhaite l’aide de l’ONU et des ONG internationales. D’abord secourir les femmes en état de faiblesse (des milliers ont été violées par les forces de Kadhafi sans qu’elles puissent en parler à quiconque), leur offrir une hotline téléphonique, des abris où consulter médecins et psychologues, des brochures d’information sur la santé, le divorce. Les encourager et les former aux affaires, grâce à des stages et parrainages. Les éduquer sur leurs droits et responsabilités dans une démocratie. « Voter est un privilège, va-t-on leur expliquer. Saisissez-le ! C’est à vous de jouer maintenant ! »
La politique. Les femmes savent bien que leur émancipation passera par là. Il suffit de faire un petit tour sur Facebook pour constater l’abondance de groupes féminins, la vivacité de leurs discussions sur l’avenir des Libyennes, leur volonté de se coordonner au plus vite. Oui, elles sont pleines d’espoir. Et non, elles ne sont pas sereines car elles savent que le temps presse. Elles se regroupent en réseaux, professionnels, amicaux, régionaux. Les petites cellules clandestines formées pendant la révolution se transforment en ONG au service des femmes, des enfants, des blessés, de la réconciliation. Elles suppléent quantité de services défaillants et un cruel manque d’initiatives du CNT. Et cette présence sur le terrain pourrait bien se transformer en lobby politique. Au grand dam de l’état-major en place, exclusivement masculin !
Et cela l’inquiète, Naima Gebril, la juge de Benghazi. Une fois de plus, dit-elle, les hommes se pressent pour avoir les plus hauts postes, assurés que, dans l’ombre, des femmes compétentes feront tourner leur ministère ou leur administration. « Eh bien, nous disons non ! Les femmes doivent être en position de gouverner pour construire la nouvelle Libye. » Un comité de 350 personnalités « éclairées » s’est créé, en juin, pour soutenir la promotion des femmes et a rédigé une déclaration solennelle exigeant 30 % au moins de femmes dans l’instance qui rédigera la Constitution, 30 % dans le gouvernement, le Parlement et toutes les assemblées élues. « Nous voulons des femmes ministres, ambassadrices, directrices de banque, d’entreprise publique et d’administration. Elles apportent un autre regard et, au moins, elles n’auront pas trempé dans le système Kadhafi ! »
CHERCHEZ LES FEMMES…
C’est devenu un mot d’ordre pour les organisations féminines, qui s’efforcent de recenser, dans tout le pays et même la diaspora, les femmes en position d’exercer des responsabilités. Farida Allaghi, qui rentre d’un exil de quarante ans, établit même une banque de données « afin que le prochain gouvernement ne prenne pas le prétexte du vide pour ne pas nommer de femmes ». Savez-vous, dit-elle, que la Libye a le plus grand pourcentage de femmes juristes dans le monde arabe ? Comment pourrait-on se priver de l’expertise d’une avocate comme Azza Maghour pour rédiger la Constitution ? Comment oserait-on parler de démocratie en éclipsant plus de la moitié de la population ? « La charia ? Allons ! Ce n’est pas le texte qui pose problème, mais l’interprétation machiste qui en est toujours faite. C’est pour ça qu’il faut des femmes au pouvoir. Et nous en avons suffisamment d’exceptionnelles pour ne pas laisser ce pays entre les mains des hommes ! » Une pause. Et un sourire navré. « On a vu les dégâts… »
Source: Lemonde.fr
Elles sont les premières à descendre dans la rue pour réclamer le départ de Kadhafi. Quand les hommes partent au front, elles passent à l’arrière, transfèrent des fonds, cachent des armes… Puis, c’est la libération. Et pas une femme sur la photo. Mais c’est sans compter sur leur -détermination à diriger la nouvelle Libye.
ELLES LÈVENT LA TÊTE.
Elles haussent le ton. Elles n’ont plus peur. Elles connaissent leur force. Le tyran disparu, elles ne risquent plus rien, du moins veulent-elles le croire. Et elles se sentent des ailes, prêtes à toutes les audaces. On ne les arrêtera plus. Malheur à qui les humiliera. Elles ne l’accepteront pas. Elles ont gagné leur titre de combattantes. Pas un homme qui ne sait ce que la Libye leur doit.
Ils paradent, bien sûr. Et dans les défilés spectaculaires de véhicules revenus du front, il n’y en a que pour eux, qui saluent, se congratulent, exhibent leurs armes, et tirent vers le ciel de dangereuses rafales de kalachnikovs. Discrètes sur les bas-côtés, souvent enfouies sous des voiles noirs, elles applaudissent, elles remercient, brandissant les photos des hommes de leur famille tués par les balles de Kadhafi. Mais quand on les interroge, elles ont toutes la même réflexion, le même regard intense et parfois douloureux : jamais la révolution libyenne n’aurait été possible sans le formidable engagement des femmes. Corps et âme.
Alors quelle déception, le 23 octobre, jour de proclamation officielle de la libération du pays ! La Libye tout entière avait les yeux braqués sur Benghazi, première ville à s’être libérée du joug de Kadhafi. Et l’on attendait du président du Conseil national de transition (CNT), Moustapha Abdeljalil, un discours historique pour balayer l’ère Kadhafi, rassembler tous les Libyens et fonder les bases de la nouvelle démocratie. Des dizaines de milliers de personnes avaient fait le déplacement pour assister à la cérémonie. Et des milliers d’écrans rassemblaient dans tout le pays des familles bouleversées par l’importance de l’événement. Le coeur de la Libye battait à Benghazi, chacun retenait son souffle. Et les femmes, sans le dire, attendaient un signe, un geste, peut-être même un hommage. Or ce fut un fiasco.
Pas un mot sur leur apport à la révolution. Pas une allusion au rôle qu’elles devraient jouer dans la nouvelle Libye. Ah, si ! Une mention aux mères, soeurs ou filles des combattants magnifiques à qui la patrie devait tant. Et puis l’annonce que, pour respecter la loi de la charia, désormais référence suprême en matière de droit, la polygamie ne serait plus entravée par l’obligation faite aux hommes – instaurée par Kadhafi – de demander à leur première femme l’autorisation d’en épouser une seconde. Une gifle pour les femmes attentives qui, depuis le début de la cérémonie, tentaient en vain de distinguer une silhouette féminine dans les tribunes officielles où se pavanait une foule d’hommes en costume–cravate, si fiers d’incarner la relève. Etait-ce donc cela, la nouvelle Libye ?
« J’étais choquée, furieuse, révoltée, déclare Naima Gebril, juge à la cour d’appel de Benghazi. Quel discours catastrophique ! Je vous assure : j’en ai pleuré. » Tout ça pour ça ? demande-t-elle avec tant d’autres. « Cette lutte de nos mères et de nos grands-mères pour obtenir le droit à l’éducation, au travail, au respect. Cette énergie mise dans nos études pour triompher des discriminations et exercer librement nos métiers. Et puis cet engagement total dans la révolution, depuis le tout premier jour alors même que la plupart des hommes avaient peur de sortir. Tout ça pour se voir nier le jour de la libération ? Quelle honte ! »
Quelle honte, oui. Ainsi l’ont-elles toutes ressentie. « Vous vous souvenez du déluge d’images montrant les délégations du CNT en tournée dans les capitales occidentales ?, demande celle qui fut la première femme juge nommée à Benghazi en 1975. Pas une femme à l’horizon ! » Et la visite de Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne, à Benghazi en mai ? » Pas une femme pour l’accueillir. » Et celle d’Hillary Clinton à Tripoli, la veille de la capture de Kadhafi ? « Pas une Libyenne au rendez-vous. » La secrétaire d’Etat américaine s’en est d’ailleurs publiquement offusquée, insistant sur la nécessaire égalité des droits entre hommes et femmes. « Comme c’était humiliant !, regrette l’universitaire Amel Jerary. Quelle terrible image nous donnions de ce pays où les femmes sont pourtant fortes, instruites et combatives ! Mais voilà : aucun homme, jamais, ne nous fera entrer dans la photo ni ne se poussera pour nous faire une place sur la moindre estrade. Il va falloir s’imposer de force et rappeler ce que la révolution nous doit. » A l’évidence, beaucoup.
Et d’abord son début. Elles s’en souviennent avec fierté. Le premier jour, le 15 février, à Benghazi, la rue était aux femmes. Elles n’étaient pas nombreuses, certes, femmes, mères, soeurs, de prisonniers politiques assassinés en 1996 à la prison d’Abou Salim, protestant contre l’incarcération soudaine de leur avocat. Mais elles étaient les seules. Et si d’aventure l’épisode était nié un jour, l’avocate Tahany Moubarak Alsharif pourra aider les historiens. Car, dans son ordinateur portable qui ne la quitte pas, elle conserve des dizaines de petits films vidéo sur la révolution et notamment ces premiers jours fiévreux où tout a basculé.
« Voyez ? Nous voici le 17 février, « jour de colère » pour tous les opposants, et je suis dans la rue avec mes collègues avocates, en toge noire, et mes amies médecins en blouse blanche, sans armes évidemment. Nous nous dirigeons vers le tribunal. Et les hommes de Kadhafi vont tirer. » Là, c’est le 19 février, on recense déjà des dizaines de morts à Benghazi, et la vidéo montre la jeune femme, drapée dans un voile noir et hissée sur le toit d’une voiture, en train de haranguer la foule : « Levez-vous ! Ce gouvernement indigne doit être renversé ! » Les manifestants, au départ, sont encore silencieux. Mais Tahany les dope, les adjure de hurler avec elle. Et soudain, tous reprennent, en brandissant le poing : « A bas le gouvernement ! Kadhafi doit partir ! » Deux clics, une nouvelle vidéo, et nous voici le 23 février. Les rebelles ont pris le contrôle de la ville, mais Kadhafi menace de terribles représailles. Et les femmes, à nouveau, défilent par milliers. Un océan de voiles, une marche déterminée, des cris à l’unisson. « Mes nièces, mes soeurs, mes amies, mes cousines. Elles étaient toutes là. Et nous étions prêtes à mourir ensemble. »
VOILÀ POUR L’ORIGINE. ENSUITE CE FUT LA GUERRE.
Les hommes ont pris les armes et les femmes, exclues d’emblée du combat – « Je bouillais de ne pouvoir aller me battre au front », nous ont déclaré plusieurs d’entre elles avec fougue -, se sont trouvé d’autres missions. Il fallait bien nourrir, habiller, soigner les rebelles. Il fallait surtout les encourager à partir. « Un homme ne peut aller à la guerre, selon la religion, que s’il a l’autorisation de sa mère, nous explique une femme de Gharyan. Croyez bien qu’ils l’ont eue ! C’est moi-même qui ai grand ouvert la porte à mes deux fils en leur disant : qu’attendez-vous ? Allez vous battre ! C’est un ordre et un devoir ! » Partout, elles ont cuisiné comme des folles, organisant des sortes de brigades capables de livrer près du front des tonnes de nourriture. Elles ont collecté de l’argent, des vêtements et des médicaments. Les femmes de Misrata, réputées fort aisées, insistent pour dire qu’elles ont vendu leur or, des kilos d’or (notamment leurs grandes parures de mariage) et même leurs alliances pour équiper les rebelles. « Elles étaient enragées, prêtes à prendre les risques les plus fous, commente Fatma Ghandour, chargée de cours à l’université de Tripoli et animatrice d’une émission de radio, « Paroles de liberté », sur la station publique. Comme le tyran, pervers et sadique, avait visé les femmes, elles le visaient à leur tour. » Et à Tripoli, maintenue jusqu’au 20 août sous la férule des forces de Kadhafi, elles ont rivalisé d’initiatives et d’imagination.
Liala El Mousrati, par exemple, mère de quatre enfants, a très tôt décidé de détourner les 500 dinars distribués, en février, par Kadhafi aux familles tripolitaines. » C’était de l’argent sale, destiné à nous faire taire, dit-elle. J’ai proposé de l’utiliser pour acheter des armes. Ainsi Kadhafi financerait les kalachnikovs qui, plus tard, serviraient à l’abattre ! « Il fallait être discret et ne pas faire d’erreur sur les personnes à qui demander l’argent. Le moindre faux pas valait dénonciation et pouvait être fatal. La plupart des armes étaient achetées au Sahara et transportées à dos de dromadaires. Les plus petites étaient cachées dans les roues des camions ou dans les portes des voitures que l’on bourrait de coton. Pour communiquer avec ses fournisseurs, Liala utilisait un nom de code – Om’Allah – et un portable, dont elle changeait fréquemment la carte SIM, toujours rachetée à des Africains fuyant la Libye.
BAUTAINA GHINNEWA, QUI TRAVAILLAIT DANS UNE COMPAGNIE ALLEMANDE, a fait passer des armes d’un quartier à l’autre. « Les voitures des hommes étaient systématiquement arrêtées, pas celles conduites par des femmes. En tout cas, pas au début. Personne ne nous imaginait capables d’un tel trafic ! » Dans sa chambre, elle rassemblait les films enregistrés par les téléphones portables de rebelles sur les pires exactions commises par les sbires de Kadhafi et elle gravait des DVD, des milliers de DVD, qui étaient distribués en ville et dans le reste du pays pour inciter les pro-Kadhafi à basculer dans l’opposition. « C’était des films horribles, à vous empêcher de dormir. » Un réseau de femmes se les répartissait, avec drapeaux, affiches, CD de chants révolutionnaires, en s’inventant au téléphone – forcément sur écoute – des prétextes pour se retrouver : un anniversaire, une fête d’enfants…
Née dans une famille d’opposants de longue date, d’emblée sur le pied de guerre pour préparer l’insurrection de Tripoli, Nelufer Elbadri a elle aussi créé un groupe secret appelé « Renaissance ». Des femmes s’y retrouvaient, qui apportaient chacune des compétences mais restaient discrètes sur les autres réseaux auxquels elles appartenaient. Mieux valait en savoir le minimum si l’on était arrêtée et torturée. Nelufer, donc, faisait surtout de l’espionnage. Elle tentait de savoir où étaient incarcérés les prisonniers politiques, qui était pro-Kadhafi, qui était « retournable », qui stockait des armes. « Des dizaines de soldats nous ont signalé vouloir faire défection et on les a persuadés de rester dans l’armée. On aurait besoin d’eux le jour du grand sursaut du Tripoli. »
Dès le début de la révolution, des tas de blessés gravement touchés, venant des villes en guerre, ont été acheminés à l’hôpital Tadjoura, où travaillait Soukaina Alhadi Alhars, une infirmière en chirurgie de 36 ans. Les équipes médicales faisaient ce qu’elles pouvaient pour les opérer au plus vite, mais les hommes de Kadhafi déboulaient en trombe devant la porte de l’hôpital, tiraient des rafales de coups de feu en l’air et s’engouffraient dans les couloirs pour rafler les blessés. « C’était terrifiant », avoue la jeune femme. Un jour, son amie Maryam s’est débrouillée pour affubler un jeune rebelle auquel on venait d’extraire une balle à la jambe d’un costume bleu de chirurgien afin de le sortir très vite de l’hôpital. Mais alors qu’ils s’acheminaient, lentement, vers la sortie, des mercenaires se sont précipités sur lui, l’ont arraché et jeté dans une voiture. Soukaina et quelques autres se sont donc organisés pour emmener directement les blessés chez eux. Elle volait le plus possible de médicaments à l’hôpital, la plupart étant acheminés dans les régions en guerre. Elle écrivait aussi des tracts anti-Kadhafi qu’elle imprimait la nuit et faisait distribuer en ville. C’est l’un d’eux, resté au fond de son sac, qui lui valut d’être dénoncée par une collègue, arrêtée à l’hôpital par des hommes de Kadhafi et emmenée, les yeux bandés, dans une voiture banalisée. Alors a démarré son long cauchemar.
Injuriée, giflée, tabassée, mise à nu, « agressée sexuellement », torturée avec des chocs électriques pratiqués sur sa poitrine, elle refusait toujours de donner le nom de ses complices de résistance. « Tu ne me donnes pas d’autre choix que de te violer avec quinze autres mecs. » Ils ne l’ont pas fait, assure-t-elle. Mais la menace planait constamment, comme le rapportent toutes les femmes un jour incarcérées. Finalement emprisonnée, libérée au bout de trente-deux jours, elle a été à nouveau arrêtée, en pleine nuit, par une foule de policiers ayant encerclé la maison familiale. Transférée dans plusieurs prisons dont la sinistre Abou Salim, elle n’en est sortie que le 24 août, libérée par les forces rebelles qu’elle est immédiatement allée aider, aux lisières de Tripoli. Son principal tortionnaire, un capitaine de l’armée kadhafiste, a rejoint, mi-août, les révolutionnaires et parade aujourd’hui en leur compagnie. « Si tu racontes ce qu’il t’a fait, l’a-t-on prévenue par téléphone, on te tue. »
C’est à la prison d’Abou Salim qu’elle a connu Inas Fathy Eldukaly, une ingénieure en informatique de 26 ans, alors à l’isolement. Un sacré personnage. Malicieuse, pétillante, intrépide, grande utilisatrice d’Internet et de Facebook (avant leur fermeture) pour relayer les messages anti-Kadhafi. Après le 20 février et l’énorme manifestation à Tripoli qui a fait 300 morts, la jeune femme n’a plus vécu que pour la révolution. Elle collectait de l’argent, des bijoux, des vêtements dans le cadre de la mosquée où sa mère enseigne le Coran. Le jour, elle sillonnait la ville à la recherche du moindre indice pouvant aider l’OTAN et l’état-major des forces rebelles ; la nuit, elle montait sur le toit de sa maison située dans un quartier proche du quartier général de Kadhafi et, à la jumelle, notait tous les déplacements suspects de véhicules. Elle disposait ainsi de tout un réseau de renseignement, y compris dans le camp Kadhafi, et elle les transmettait par téléphone à une correspondante en Tunisie suivant un code précis : « sandwich » pour « cache d’armes » ; « jus de fruits « pour » centre de contrôle et d’écoutes téléphoniques » ; « chips » pour « informations sur des proches de Kadhafi ». Et quand des espions à elle parvenaient à faire sortir des films pris dans les prisons, elle annonçait en rigolant avoir des nouveaux « sous-vêtements ». Un jour, elle a été trahie. Quarante hommes ont entouré la maison de ses parents, douze s’y sont engouffrés, l’ont fouillée, emportant argent, téléphones, ordinateurs. Elle avait eu le temps de s’enfuir en sautant par le mur. Mais elle est revenue sur ses pas, angoissée à l’idée qu’on torture sa famille. Le reste est un récit d’horreurs, de tortures, d’agressions sexuelles et d’humiliations.
LES HISTOIRES S’ENCHAÎNENT, MULTIPLES, INOUÏES.
Une coiffeuse faisait des livraisons de balles dans sa boîte à rouleaux. Une psychologue renseignait l’OTAN, via un cousin au QG des rebelles, pour affiner ses frappes aériennes. Une ingénieure surveillait les batteries aériennes installées à l’extérieur de la ville de Zaouïa et communiquait par code avec son oncle, membre du CNT. Des infirmières et des médecins ont fait sortir des hôpitaux – y compris celui dirigé par la fille adoptive de Kadhafi – des tonnes de médicaments utiles aux combattants. Aïcha, une petite femme de ménage, passait ses nuits à gratter le soufre de millions d’allumettes pour fabriquer des explosifs. Dans des camps de réfugiés massés de l’autre côté de la frontière tunisienne, notamment par crainte des viols, quelques femmes magnifiques, comme l’épistémologiste Souad Wheidi, dispensaient soins, nourriture et secours. Quant à Mariem, médecin à Tripoli, elle a voulu participer elle-même à la bataille pour la libération de Bani Walid, sa ville natale. Elle n’en pouvait plus de rester en arrière-plan. Enceinte de sept mois, elle est allée au front, avec sa ceinture de médicaments de premiers secours, un pistolet et une kalachnikov. Son bébé s’appellera Misrata, du nom de la ville martyre.
Alors maintenant ? Plus rien ne peut être comme avant. C’est impossible. La participation des femmes à la révolution a été si massive qu’elles ont contribué à lui donner légitimité et fondement et qu’elles entendent bien, aujourd’hui, en recueillir les fruits en termes de liberté, d’expression, de représentation. « Ce moment est crucial, confirme Alaa Mourabit, étudiante en médecine de 22 ans, élevée au Canada par des parents dissidents mais revenue en Libye il y a six ans. C’est comme après les guerres mondiales. Les femmes ont affronté la peur, les risques, les responsabilités. En l’absence des hommes, elles ont dû sortir des maisons dans lesquelles elles sont souvent confinées et elles ont pris goût à devenir des membres actifs de la société. Alors fini d’être traitées comme citoyens de seconde classe ! On a des droits. Et on va se faire entendre ! » La jeune fille, qui a vécu la révolution dans la petite ville meurtrie de Zaouïa, occupée pendant quatre mois par les forces de Kadhafi, a créé avec son amie Safia El Harezi l’organisation The Voice of Libyan Women avec un programme d’une ambition énorme pour lequel elle souhaite l’aide de l’ONU et des ONG internationales. D’abord secourir les femmes en état de faiblesse (des milliers ont été violées par les forces de Kadhafi sans qu’elles puissent en parler à quiconque), leur offrir une hotline téléphonique, des abris où consulter médecins et psychologues, des brochures d’information sur la santé, le divorce. Les encourager et les former aux affaires, grâce à des stages et parrainages. Les éduquer sur leurs droits et responsabilités dans une démocratie. « Voter est un privilège, va-t-on leur expliquer. Saisissez-le ! C’est à vous de jouer maintenant ! »
La politique. Les femmes savent bien que leur émancipation passera par là. Il suffit de faire un petit tour sur Facebook pour constater l’abondance de groupes féminins, la vivacité de leurs discussions sur l’avenir des Libyennes, leur volonté de se coordonner au plus vite. Oui, elles sont pleines d’espoir. Et non, elles ne sont pas sereines car elles savent que le temps presse. Elles se regroupent en réseaux, professionnels, amicaux, régionaux. Les petites cellules clandestines formées pendant la révolution se transforment en ONG au service des femmes, des enfants, des blessés, de la réconciliation. Elles suppléent quantité de services défaillants et un cruel manque d’initiatives du CNT. Et cette présence sur le terrain pourrait bien se transformer en lobby politique. Au grand dam de l’état-major en place, exclusivement masculin !
Et cela l’inquiète, Naima Gebril, la juge de Benghazi. Une fois de plus, dit-elle, les hommes se pressent pour avoir les plus hauts postes, assurés que, dans l’ombre, des femmes compétentes feront tourner leur ministère ou leur administration. « Eh bien, nous disons non ! Les femmes doivent être en position de gouverner pour construire la nouvelle Libye. » Un comité de 350 personnalités « éclairées » s’est créé, en juin, pour soutenir la promotion des femmes et a rédigé une déclaration solennelle exigeant 30 % au moins de femmes dans l’instance qui rédigera la Constitution, 30 % dans le gouvernement, le Parlement et toutes les assemblées élues. « Nous voulons des femmes ministres, ambassadrices, directrices de banque, d’entreprise publique et d’administration. Elles apportent un autre regard et, au moins, elles n’auront pas trempé dans le système Kadhafi ! »
CHERCHEZ LES FEMMES…
C’est devenu un mot d’ordre pour les organisations féminines, qui s’efforcent de recenser, dans tout le pays et même la diaspora, les femmes en position d’exercer des responsabilités. Farida Allaghi, qui rentre d’un exil de quarante ans, établit même une banque de données « afin que le prochain gouvernement ne prenne pas le prétexte du vide pour ne pas nommer de femmes ». Savez-vous, dit-elle, que la Libye a le plus grand pourcentage de femmes juristes dans le monde arabe ? Comment pourrait-on se priver de l’expertise d’une avocate comme Azza Maghour pour rédiger la Constitution ? Comment oserait-on parler de démocratie en éclipsant plus de la moitié de la population ? « La charia ? Allons ! Ce n’est pas le texte qui pose problème, mais l’interprétation machiste qui en est toujours faite. C’est pour ça qu’il faut des femmes au pouvoir. Et nous en avons suffisamment d’exceptionnelles pour ne pas laisser ce pays entre les mains des hommes ! » Une pause. Et un sourire navré. « On a vu les dégâts… »
Source: Lemonde.fr
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Date d'inscription : 22/02/2009
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