«La vie sexuelle d’un islamiste à Paris» de Leila Marouane
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«La vie sexuelle d’un islamiste à Paris» de Leila Marouane
«La vie sexuelle d’un islamiste à Paris» de Leila Marouane
Le jeune homme maghrébin et sa mère
En dépit de son titre, le dernier roman de Leila Marouane n’est pas une de ces dénonciations rituelles de l’islamisme, souvent assimilé dans l’imaginaire «républicain» algérien à une aberration mentale due à une frustration sexuelle collective. Mohamed, le héros, n’a rien d’un « militant islamiste ». Il n’est pas barbu, ne connaît pas Oussama Ben Laden et ne nourrit pas le projet mortifère de faire exploser le métro parisien.
Mohamed est un simple bigot, qui, dans un éclair de lucidité sur l’absurdité de sa vie vouée au culte de Dieu et à la bonne œuvre utile, décide d’échapper au rigorisme du logis familial qu’il a lui-même contribué à façonner avec une assiduité sans faille. En quittant la maison familiale de Saint-Ouen, dans la banlieue parisienne, il n’entend pas seulement se soustraire à l’ombre écrasante de sa mère. Il entend aussi mettre fin à ce honteux pucelage qu’il traîne, à quarante ans, comme une infamie, et découvrir l’«univers des femmes» dont, hormis quelques clichés, il n’a qu’une idée sommaire et puérile. Ses revenus de cadre lui permettent toutes les extravagances matérielles. Il s’installe dans le 6e arrondissement de Paris, dans un appartement qu’il loue en se faisant passer pour un «Français de souche», dénommé Basile Tocquard à défaut de s’appeler plus prosaïquement M. Dupont. Dans ses nouveaux quartiers cossus, il espère commencer une vie nouvelle, faite de plaisirs débridés que seules les Européennes, «libres de corps et d’esprit», seraient à même de lui procurer.
Mais le nouveau Mohamed, Basile Tocquard, ne tardera pas à déchanter. Quelque chose en lui, comme un aimant «ethnique» invisible, l’aiguillonnera toujours vers des femmes maghrébines, qui, toutes, se refuseront à ses étreintes sous différents prétextes fallacieux. L’une veut rester vierge malgré sa vie en apparence dissolue, l’autre est lesbienne et la troisième vit dans une abstinence momentanée car attendant un enfant ... La seule femme intéressée à le conquérir est sa mère, qui n’admet pas que la «prunelle de ses yeux», l’aîné de ses enfants, puisse lui échapper en se jetant dans la gueule du loup «occidental». Elle entreprend de le ramener au bercail, de le remettre sur le droit chemin de l’islam.
Parmi toutes ces contrariétés, Mohamed est déchiré entre deux mondes. Au terme de multiples fiascos cocasses, la vie hédoniste à l’«occidentale» demeure pour lui un simple fantasme : aucune femme blanche n’a accepté les honneurs de son lit, pas même cette employée de l’agence immobilière devant qui il a étalé son nom français et tous les signes de son aisance matérielle. Son monde originel, symbolisé par sa mère, ne cesse de lui faire miroiter, quant à lui, les sirènes des vieilles valeurs, rassurantes et solides. Il est plongé dans un désarroi complet. Assailli par le doute sur la pertinence de sa fuite de son univers familier de Saint-Ouen, où tout est ordonné et sûr, il se demande si son bonheur sexuel ne se trouverait pas dans les bras de cette «fille du bled», qu’il ne connaît pas et à laquelle sa mère voulait le fiancer. Et il entre, et le lecteur avec lui, dans un tourbillon hallucinatoire, dont la confusion est aggravée par sa décision d’écrire le récit de son existence passée et de sa tentative d’émancipation avortée. Sous son hidjab, sa sœur a-t-elle ou non une autre vie, plus épicurienne ? Et sa mère, qui ne cesse de lui rappeler le bon exemple de son frère resté irréprochablement pieux et puceau, s’est-elle réellement résolue à s’épanouir après un si ingrat veuvage ou est-ce une idée saugrenue née de son imagination? Et lui, a-t-il vraiment pris la décision d’épouser cette «fille du bled» pour remplir le vide de sa vie sexuelle ou bien n’est-ce qu’un de ses rêves alcooliques? Le lecteur ne le saura pas. La réalité vacille et se confond avec le délire de Mohamed, livré à lui-même et à ses fantasmes tournant au cauchemar, dans cet appartement confortable et désespérément inutile.
Les derniers chapitres du roman de Leila Marouane sont ainsi autant de dénouements possibles du récit. Celui-ci devient encore plus déroutant lorsque l’auteure elle-même, à la manière de Bret Easton Ellis dans «Lunar Park», s’y met en scène sous les traits d’un personnage dénommé Loubna Minbar. Loubna Minbar pourrait se cacher sous les traits de cette concierge portugaise, que Mohamed suspecte de lui avoir dérobé le manuscrit dans lequel il raconte son ancienne vie terne et ses récents déboires. Mais, comme dans les romans de Bret Easton Ellis, la réalité se dérobe et se confond avec le rêve éveillé ou l’hallucination. Le lecteur n’est sûr de rien: cette Loubna Minbar, qui «vole» aux gens leurs vies pour en vivre, le double supposé de la concierge portugaise, pourrait n’être que le produit du délire paranoïaque de Mohamed.
L’intrusion de l’auteure dans l’univers de ses personnages n’est pas la seule technique que Leila Marouane emprunte au grand romancier américain. On peut en relever d’autres, de l’usage desquelles elle fait preuve d’une grande maîtrise. Ainsi, par exemple, les titres de ses précédentes œuvres (2), refont-ils surface dans «La vie sexuelle d’un islamiste», légèrement transformés pour suggérer la cohérence de son monde romanesque et son indubitable continuité. Le récit devient alors une réflexion sur le rapport entre la fiction et le réel, l’exposé d’une doctrine d’écriture personnelle : toujours partir d’histoires véridiques, les siennes ou celles d’autrui, pour écrire «des» histoires. Leila Marouane a d’ailleurs rappelé dans une récente interview (1) que Mohamed a bel et bien existé, qu’elle l’a rencontré il y a dix au Café de Flore et que les remerciements qu’elle lui adresse dans la première page de son livre ne sont pas une technique supplémentaire de brouillage.
La dernière œuvre de Leila Marouane n’est ainsi pas, comme pouvait le suggérer son titre, le portrait truffé de lieux communs psychologisants d’un islamiste vivant en terre ennemie, «occidentale». Elle n’est pas une de ces «œuvres à thèse» sur l’islamisme auxquelles la «décennie noire» algérienne nous a trop habitués. Elle est le portrait d’un homme que la «France républicaine» a cavalièrement renvoyé à sa communauté et qui reste, en dépit de son âge et de son «rang», soumis au diktat affectueux de sa mère. Le titre du récit de Leila Marouane n’en est que plus problématique. Pourquoi un intitulé si peu fidèle à l’histoire de Mohamed, aussi banalement religieux que des milliers de musulmans de par le monde ? Seul Albin Michel pourrait répondre à cette question. Mais on peut déjà légitimement le soupçonner d’exploiter les tristes polémiques sur l’islam en Europe pour «bien vendre» un roman qui n’en avait pas forcément besoin pour intéresser les lecteurs.
Yassin Temlali
(08/10/2007)
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«La vie sexuelle d’un islamiste à Paris», Albin Michel, 2007. Prix : 19,50 euros.
Notes :
(1) interview publiée sur www.rentree-litteraire.com.
(2) «La Fille de la Casbah» (Jullirad, 1996), «Le Châtiment des hypocrites» (Le Seuil, 2001, prix de la Société des gens de lettres, prix du roman français à New York), «La Jeune Fille et la mère» (2005, prix de l’Association des écrivains de langue française et prix Jean-Claude-Izzo)
Le jeune homme maghrébin et sa mère
En dépit de son titre, le dernier roman de Leila Marouane n’est pas une de ces dénonciations rituelles de l’islamisme, souvent assimilé dans l’imaginaire «républicain» algérien à une aberration mentale due à une frustration sexuelle collective. Mohamed, le héros, n’a rien d’un « militant islamiste ». Il n’est pas barbu, ne connaît pas Oussama Ben Laden et ne nourrit pas le projet mortifère de faire exploser le métro parisien.
Mohamed est un simple bigot, qui, dans un éclair de lucidité sur l’absurdité de sa vie vouée au culte de Dieu et à la bonne œuvre utile, décide d’échapper au rigorisme du logis familial qu’il a lui-même contribué à façonner avec une assiduité sans faille. En quittant la maison familiale de Saint-Ouen, dans la banlieue parisienne, il n’entend pas seulement se soustraire à l’ombre écrasante de sa mère. Il entend aussi mettre fin à ce honteux pucelage qu’il traîne, à quarante ans, comme une infamie, et découvrir l’«univers des femmes» dont, hormis quelques clichés, il n’a qu’une idée sommaire et puérile. Ses revenus de cadre lui permettent toutes les extravagances matérielles. Il s’installe dans le 6e arrondissement de Paris, dans un appartement qu’il loue en se faisant passer pour un «Français de souche», dénommé Basile Tocquard à défaut de s’appeler plus prosaïquement M. Dupont. Dans ses nouveaux quartiers cossus, il espère commencer une vie nouvelle, faite de plaisirs débridés que seules les Européennes, «libres de corps et d’esprit», seraient à même de lui procurer.
Mais le nouveau Mohamed, Basile Tocquard, ne tardera pas à déchanter. Quelque chose en lui, comme un aimant «ethnique» invisible, l’aiguillonnera toujours vers des femmes maghrébines, qui, toutes, se refuseront à ses étreintes sous différents prétextes fallacieux. L’une veut rester vierge malgré sa vie en apparence dissolue, l’autre est lesbienne et la troisième vit dans une abstinence momentanée car attendant un enfant ... La seule femme intéressée à le conquérir est sa mère, qui n’admet pas que la «prunelle de ses yeux», l’aîné de ses enfants, puisse lui échapper en se jetant dans la gueule du loup «occidental». Elle entreprend de le ramener au bercail, de le remettre sur le droit chemin de l’islam.
Parmi toutes ces contrariétés, Mohamed est déchiré entre deux mondes. Au terme de multiples fiascos cocasses, la vie hédoniste à l’«occidentale» demeure pour lui un simple fantasme : aucune femme blanche n’a accepté les honneurs de son lit, pas même cette employée de l’agence immobilière devant qui il a étalé son nom français et tous les signes de son aisance matérielle. Son monde originel, symbolisé par sa mère, ne cesse de lui faire miroiter, quant à lui, les sirènes des vieilles valeurs, rassurantes et solides. Il est plongé dans un désarroi complet. Assailli par le doute sur la pertinence de sa fuite de son univers familier de Saint-Ouen, où tout est ordonné et sûr, il se demande si son bonheur sexuel ne se trouverait pas dans les bras de cette «fille du bled», qu’il ne connaît pas et à laquelle sa mère voulait le fiancer. Et il entre, et le lecteur avec lui, dans un tourbillon hallucinatoire, dont la confusion est aggravée par sa décision d’écrire le récit de son existence passée et de sa tentative d’émancipation avortée. Sous son hidjab, sa sœur a-t-elle ou non une autre vie, plus épicurienne ? Et sa mère, qui ne cesse de lui rappeler le bon exemple de son frère resté irréprochablement pieux et puceau, s’est-elle réellement résolue à s’épanouir après un si ingrat veuvage ou est-ce une idée saugrenue née de son imagination? Et lui, a-t-il vraiment pris la décision d’épouser cette «fille du bled» pour remplir le vide de sa vie sexuelle ou bien n’est-ce qu’un de ses rêves alcooliques? Le lecteur ne le saura pas. La réalité vacille et se confond avec le délire de Mohamed, livré à lui-même et à ses fantasmes tournant au cauchemar, dans cet appartement confortable et désespérément inutile.
Les derniers chapitres du roman de Leila Marouane sont ainsi autant de dénouements possibles du récit. Celui-ci devient encore plus déroutant lorsque l’auteure elle-même, à la manière de Bret Easton Ellis dans «Lunar Park», s’y met en scène sous les traits d’un personnage dénommé Loubna Minbar. Loubna Minbar pourrait se cacher sous les traits de cette concierge portugaise, que Mohamed suspecte de lui avoir dérobé le manuscrit dans lequel il raconte son ancienne vie terne et ses récents déboires. Mais, comme dans les romans de Bret Easton Ellis, la réalité se dérobe et se confond avec le rêve éveillé ou l’hallucination. Le lecteur n’est sûr de rien: cette Loubna Minbar, qui «vole» aux gens leurs vies pour en vivre, le double supposé de la concierge portugaise, pourrait n’être que le produit du délire paranoïaque de Mohamed.
L’intrusion de l’auteure dans l’univers de ses personnages n’est pas la seule technique que Leila Marouane emprunte au grand romancier américain. On peut en relever d’autres, de l’usage desquelles elle fait preuve d’une grande maîtrise. Ainsi, par exemple, les titres de ses précédentes œuvres (2), refont-ils surface dans «La vie sexuelle d’un islamiste», légèrement transformés pour suggérer la cohérence de son monde romanesque et son indubitable continuité. Le récit devient alors une réflexion sur le rapport entre la fiction et le réel, l’exposé d’une doctrine d’écriture personnelle : toujours partir d’histoires véridiques, les siennes ou celles d’autrui, pour écrire «des» histoires. Leila Marouane a d’ailleurs rappelé dans une récente interview (1) que Mohamed a bel et bien existé, qu’elle l’a rencontré il y a dix au Café de Flore et que les remerciements qu’elle lui adresse dans la première page de son livre ne sont pas une technique supplémentaire de brouillage.
La dernière œuvre de Leila Marouane n’est ainsi pas, comme pouvait le suggérer son titre, le portrait truffé de lieux communs psychologisants d’un islamiste vivant en terre ennemie, «occidentale». Elle n’est pas une de ces «œuvres à thèse» sur l’islamisme auxquelles la «décennie noire» algérienne nous a trop habitués. Elle est le portrait d’un homme que la «France républicaine» a cavalièrement renvoyé à sa communauté et qui reste, en dépit de son âge et de son «rang», soumis au diktat affectueux de sa mère. Le titre du récit de Leila Marouane n’en est que plus problématique. Pourquoi un intitulé si peu fidèle à l’histoire de Mohamed, aussi banalement religieux que des milliers de musulmans de par le monde ? Seul Albin Michel pourrait répondre à cette question. Mais on peut déjà légitimement le soupçonner d’exploiter les tristes polémiques sur l’islam en Europe pour «bien vendre» un roman qui n’en avait pas forcément besoin pour intéresser les lecteurs.
Yassin Temlali
(08/10/2007)
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«La vie sexuelle d’un islamiste à Paris», Albin Michel, 2007. Prix : 19,50 euros.
Notes :
(1) interview publiée sur www.rentree-litteraire.com.
(2) «La Fille de la Casbah» (Jullirad, 1996), «Le Châtiment des hypocrites» (Le Seuil, 2001, prix de la Société des gens de lettres, prix du roman français à New York), «La Jeune Fille et la mère» (2005, prix de l’Association des écrivains de langue française et prix Jean-Claude-Izzo)
laic-aokas- Nombre de messages : 14062
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: «La vie sexuelle d’un islamiste à Paris» de Leila Marouane
source:
http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/%EF%BF%BDla_vie.php?c=2639&m=34&l=fr
http://www.babelmed.net/Pais/M%C3%A9diterran%C3%A9e/%EF%BF%BDla_vie.php?c=2639&m=34&l=fr
laic-aokas- Nombre de messages : 14062
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: «La vie sexuelle d’un islamiste à Paris» de Leila Marouane
En dépit de son titre, le dernier roman de Leila Marouane n’est pas une de ces dénonciations rituelles de l’islamisme, souvent assimilé dans l’imaginaire «républicain» algérien à une aberration mentale due à une frustration sexuelle collective. Mohamed, le héros, n’a rien d’un «militant islamiste». Il n’est pas barbu, ne connaît pas Oussama Ben Laden et ne nourrit pas le projet mortifère de faire exploser le métro parisien.
laic-aokas- Nombre de messages : 14062
Date d'inscription : 03/06/2011
folle- Nombre de messages : 3377
Date d'inscription : 25/01/2009

» Leïla Marouane
» L'offensive islamiste salafiste de ces derniers jours à Bejaïa ne doit pas nous laisser indifférents et doit interpeller toute la société civile sur les proportions que cette idéologie islamiste moyenâgeuse
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