Michel Collon :L’Algérie peut être la prochaine cible, si elle ne se plie pas devant la cupidité des multinationales

L’intervention de l’Otan en Libye, les révoltes dans le monde arabe, la crise économique et la propagande médiatique sont autant de sujets sur lesquels s’exprime l’intellectuel belge, Michel Collon. Il décortique les enjeux de la conjoncture actuelle et analyse les conflits de l’Occident et de «son bras armé, l’OTAN», et des mensonges médiatiques qui les accompagnent systématiquement. Selon le journaliste et écrivain Belge, le monde est dans une situation chaotique.

LCE : Vous avez porté un intérêt particulier à ce qui se passe en Libye.
Pourquoi vous vous êtes intéressé à ce pays ?

Michel Collon : La Libye, à l’instar d’autres pays qui ont subit les affres de l’Otan et des multinationales est un cas d’école. J’ai déjà étudié pas mal de pays ou les puissances étrangères sont intervenues militairement ou par d’autres moyens de pression, les mêmes pratiques utilisées par les nouveaux colons en Yougoslavie, en Irak et en Côte ivoire…, sont identiques. Les multinationales ne ratent aucune occasion pour s’accaparer les richesses des pays du tiers-monde, même au prix de vies humaines et de sales guerres. Après la fin de la guerre en Bosnie M. Solana qui était secrétaire général de l’Otan a déclaré que ce que nous avons appris en Bosnie va nous servir de leçon pour les prochaines guerres. Dans mon livre Liar’s Pokers j’ai prédit que l’Otan va continuer à coloniser d’autres pays et j’avais mentionné qu’elle va s’attaquer en priorité à l’Europe de l’Est puis au proche Orient et également à la méditerranée. Avec ce qui se passe en Libye, nous sommes dans les plans de l’Otan et non dans un plan d’aide humanitaire déployé par les démocraties comme veulent nous le faire croire les partisans de la pensée unique.

Pour vous, la guerre contre la Libye n’a rien avoir avec l’aide aux civils libyens. Quels sont donc les objectifs visés par l’Otan à travers cette guerre.

C’était le cas également pour l’Irak où ils ont fait croire à l’existence d’ «armes de destruction massive». Il n’y a qu’a se demander pourquoi l’Otan attaque des pays et protège d’autres dictatures, comme c’était le cas du Bahreïn. Il faut savoir que la stratégie de guerre des États impérialistes repose sur des principes que j’ai formalisé dans les cinq grands principes de la propagande de guerre. Le premier est qu’on essaye par tous les moyens de diaboliser l’adversaire, dans le cas de la Libye, on a met le paquet sur des prétendus massacres de 6000 civils par Kadhafi. Mais on ne dit jamais que les bombardements de l’Otan ont semé la mort et la peur. Selon un bilan médical, 1856 personnes, dont des enfants ont péri sous les bombes de l’Otan, des femmes emportées comme butin de guerre, la destruction de toutes les infrastructures du pays… Et le deuxième est d’occulter les intérêts économiques. Dans le cas de la Libye, les puissances étrangères veulent bloquer l’unité de l’Afrique et son alliance avec la Chine, contrôler des positions géostratégique, développer l’Africom, l’instrument militaire des multinationales et installer l’Otan comme Gendarme de l’Afrique. Tout ça pour piller les richesses de ces pays que les multinationales considèrent comme leurs propriétés.

Pensez-vous qu’une fois la guerre terminée en Libye, le pays va-t-il sombrer dans une situation chaotique ?

Les informations que nous déversent les médias, notamment la chaine Al Jazeera, ne sont que de purs mensonges. L’Etat Libyen n’a pas chuté après quelques bombardements et je crois que ce ne sont pas les quelques bombes supplémentaires qui vont le faire tomber. La Libye a résisté aux grandes armées du monde depuis plusieurs mois, car elle bénéficie toujours du soutien de la population. Ce n’est pas une guerre contre Kadhafi, comme le pérorent les médias mensonge mais c’est une guerre pour des intérêts économiques. Quand AL Jazeera a annoncé la prise de tripoli par le CNT les bourses ont repris leur souffle. Mais en réalité, la Libye résiste encore. Si le régime de Kadhafi tombe sous les bombes de l’occident ça sera le chaos, la somalisation de ce pays et l’impact de la main mise sur Tripoli sera ressenti par les pays limitrophes. Aujourd’hui c’est la Libye, mais d’autres pays sont dans le collimateur et dans un proche avenir ça peut être l’Algérie.

L’Algérie n’est, donc, pas à l’abri d’une attaque de l’Otan ?

Nul n’est à l’abri. Les multinationales ne vont jamais pardonner les tentatives d’indépendances économique et politiques et les guerres d’indépendances menées par certains pays, comme le votre. Pour elles, les richesses et l’argent doivent servir leurs intérêts et elles ne veulent plus de politiques sociales, des soins, de l’éducation et de la satisfaction des besoins du peuple. Comme vous le savez l’Algérie est l’un des pays modèles de la résistance anticolonialiste dans le monde, c’est un pays qui a cherché la voie des non-alignés et tenté l’unification des pays du tiers-mondes. Pour ma part, je considère l’Algérie comme un pays puni, parce qu’elle ne laisse pas ses richesses à la portée des multinationales. Traditionnellement les puissances impérialistes, essayent de s’accaparer les richesses des pays du tiers monde par de simples pressions visant à porter au pouvoir des présidents serviteurs. Toutefois, elles ne lésinent sur aucun moyen quand leurs intérêts ne sont pas bien servis ; faire du chantage, commanditer des assassinats, provoquer des guerres civiles ou carrément attaquer militairement les pays non dociles. On a vu ça avec le Venezuela, l’Afghanistan, la Bolivie et tous les pays qui ne veulent pas se mettre à genoux. De part sa position, l’Algérie est un pays stratégique. Il est clair que les Etats-Unis ne vont pas en faire une exception. Je pense que pour le moment ils vont continuer à jouer la carotte et le bâton, mais aucun scénario n’est à écarter. L’Algérie peut être la prochaine cible si elle ne se plie pas devant la cupidité des multinationales.

Beaucoup d’observateurs jugent que la présence du terrorisme au Sahel, sera la porte ouverte pour l’installation de l’Africom. Qu’en pensezvous ?

Il suffit de connaitre la carte pétrolière et les positions stratégiques qu’occupent les pays pour savoir, où les Etats-Unis et l’Europe veulent installer leurs bases militaires. Il ne s’agit pas de lutter contre le terrorisme, cela fait partie de la stratégie américaine. Le terrorisme ne dérange nullement les Etats-Unis. Des terroristes recherchés pour des attentats contre les civiles, se trouvent à présent à Miami, sous la protection des Américains. Rappelons que les Etats-Unis ont armé Ben Laden et les terroristes pour renverser un Etat progressiste en Afghanistan, le soutien accordé à Israël qui massacre tout un peuple… et les exemples sont abondants. Le Sahel ne doit pas être pris à part, il faut l’insérer dans un monde global pour mieux comprendre les visées des puissances multinationales. C’est l’installation des bases militaires américaines et la main mise sur les richesses de la région qui est l’objectif principal. Les Etats-Unis ne veulent pas éliminer le terrorisme mais servir leurs intérêts. Car pour en finir avec le terrorisme il faut en finir avec la pauvreté, la famine, les injustices et l’exploitation...

Êtes-vous optimistes quant au développement des révoltes dans le monde arabes et particulièrement en Libye ?

Oui. Je pense qu’à long terme les peuples trouveront le chemin de leur libération. Car il n’existe pas de solution avec les Etats-Unis et les pays Européens. Ces derniers sont le problème du tiers monde et ils ne peuvent en aucun cas être la solution.

Les islamistes sont à nouveaux pris pour des alliés dans certains pays par les Etats-Unis, alors qu’avant le début des révoltes dans le monde arabes, ils étaient leurs ennemis jurés. Comment expliquez-vous ce changement d’attitude ?

Il ne faut pas, à mon avis, mettre tous les islamistes dans le même panier. On a à faire à des courants qui ont adopté des positions différentes par rapport à ce qui se passe dans le monde arabe. Je pense qu’aujourd’hui, on a besoin d’un grand front anticolonialiste pour défendre les pays contre ces invasions néocoloniales. Pour ma part je ne suis pas religieux, je suis laïc et profondément de gauche. Il Y a des courants islamistes qui résistent à l’impérialisme, il faut composer avec eux pour la défense des intérêts communs.

Vous dites que d’autres guerres peuvent bien être menées par l’Otan. Pourquoi cette logique de guerre ?

Les maitres du monde essayent de nous faire croire que la crise qui sape actuellement l’économie mondiale, est provoquée par la cupidité de certains gens. Or c’est tout le système économique mondial qui a pour moteur la cupidité. Il est naïf de penser que l’économie traverse une simple crise, d’autres bulles risquent d’éclater à court terme aux Etats-Unis et en Europe et on a vu que chaque solution apportée pour résoudre cette crise l'aggrave d'avantage. Les solutions que préconisent les puissances étrangères sont fâcheuses. Rappelons que le capitalisme à traversé trois grandes crises qui sont réglé par la destruction. La première en 1873, suite à quoi il y a eu la colonisation et la première guerre mondiale. La seconde, c’est en 1929 elle a été suivie de la deuxième guerre mondiale et la troisième du genre c’est celle que nous traversons maintenant. Les Etats impérialistes, qui ont vécu sur le dos des colonies, n’ont que l’option guerrière pour sauver leurs systèmes, comme ils l’ont fait dans le passé. Il reste la voie de l’unité des pays du tiers monde pour résister aux affres des multinationales.

Un dernier mot pour conclure…

Je dirais que nous avons aujourd’hui une responsabilité historique. Devant ce qui ce passe un peu partout dans le monde chacun de nous est interpellé pour participer à dénoncer cette barbarie des puissances mondiales et des multinationale. Car aucune voie de développement et de paix n’est possible dans ce monde où les multinationales règnent. Nous devons et nous avons le devoir de penser au monde que nous voulons léguer à nos enfants, Un monde fait de famine et de guerre qui permet à une poignée de gens de s’enrichir tandis que la majorité vit dans la misère? Où voulons-nous un monde sans tabou, sans injustice où l’économie sera au service de tout le monde?