Pour une Deuxième République réellement démocratique et sociale
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Pour une Deuxième République réellement démocratique et sociale
Pour une Deuxième République réellement démocratique et sociale
Par le Dr Abderrezak Dourari*
Introduction générale sur la démarche en cours
Sauf le respect qui est dû à vos rangs, concitoyens membres de cette commission, j’ai le regret de vous dire en toute sincérité le caractère peu enthousiasmant de la démarche dont vous avez la charge. Je ne souhaite pas à votre rapport final le même sort que celui réservé naguère à celui de la commission Sbih sur la réforme de l’administration, celui de la commission Issad sur la réforme de la justice et son deuxième rapport sur la répression sanglante en Kabylie, et de celui de la commission Benzaghou sur le système éducatif…
En effet, face à une crise multiforme sans précédent, cette démarche, c’est le moins qu’on puisse dire, est fondée sur une sous-estimation de la gravité de la crise de l’Etat et le constat de disjonction avancée qui caractérise la relation entre le pouvoir et les citoyens, d’un côté, et entre le pouvoir et l’opposition, d’un autre côté. Dans l’impasse, le système politique actuel, incapable de se remettre en cause et d’initier lui-même les changements politiques nécessaires, il ruse et met, ce faisant, la nation en danger. Cette démarche dénote en soit l’illégitimité et le discrédit dont sont frappées les institutions élues (?) de l’Etat et démontre que l’exécutif lui-même n’en est pas dupe. La focalisation des efforts des pouvoirs publics sur l’élimination, par divers moyens répressifs, de toute alternative politique organisée, constitue bien un aspect de la gravité de la crise actuelle, car aucun cadre politique n’est plus assez efficient et crédible pour canaliser un éventuel débordement et garantir une transition politique pacifique (moins coûteuse) devenue nécessaire qui préserve les vies et les biens des citoyens, les capacités infrastructurelles, économiques, sécuritaires et humaines de l’Etat ainsi que les forces armées d’un éventuel nécessaire engagement qui raviverait les traumatismes d’octobre 88. La fragilisation des liens sociaux et politiques de la communauté politique algérienne a atteint un niveau trop sérieux pour que ces derniers puissent supporter une érosion supplémentaire. Ce qui décrédibilise davantage cette démarche c’est que son lancement n’a pas mis fin à la fermeture du champ médiatique lourd et du champ des libertés, notamment celle de manifester et cela en total contradiction avec la Constitution en vigueur. Sans oublier que cette dernière a été révisée par l’exécutif et à son seul avantage sans consultation populaire, il y a de cela peu de temps ! A quoi bon, alors, focaliser les «efforts de sortie de crise» sur la réforme de la Constitution si le principe de fonctionnement du pouvoir exécutif consiste à ne jamais la respecter ? Un homme célèbre disait : «Quand je visite un pays, je ne demande jamais s’il a des lois, je demande si elles sont appliquées» !
1 - Posture intellectuelle et pratique politique dans les Etats dits arabes
a- Posture intellectuelle générale
On comprendra bien que le fonctionnement des systèmes politiques arabes actuels relève d’une posture philosophique commune non dite. Partout dans le monde, la pensée a évolué en rupture avec des catégories rendues obsolètes par l’histoire et la pensée philosophique et politique. L’avancée de la pensée s’énonce par le changement des concepts et des grilles de lecture des faits. La pensée islamique et arabe, quant à elle, a pris congé de la raison depuis le XVIe siècle, et en se réveillant pour un court instant au XIXe siècle, dans ce qu’il est convenu d’appeler la Nahda (renaissance), s’est trouvée subjuguée face à la prodigieuse avancée de l’Occident. Mais incapable de rupture, elle s’est engluée dans la tentative de conciliation de pôles antinomiques ! On connaît les fameuses dichotomies conceptuelles de cette pensée sclérosée : hadata, mu’âsara (modernité)/ taqlid, ‘asâla (tradition, authenticité), ‘aql (raison) /naql (imitation des anciens), et aujourd’hui encore des pseudo-penseurs les remettent au goût du jour en les renommant science et tradition !… Au nom d’une spécificité mythique et spécieuse, la pensée dominante, qui étouffe toute autre alternative cognitive, voudrait que l’on puisse avancer tout en restant immobile, et même en régressant vers un passé mythique ! L’échec est patent, et les principaux épigones de la pompeusement dénommée nahdha arabe de l’époque s’étaient eux-mêmes vite recroquevillés dans la tradition. Le mouvement des Frères musulmans en naîtra en Égypte et se propagera, et prendra greffe en Algérie, sous la forme de l’islamisme, plus orienté vers l’autodestruction, qui a creusé davantage la notion de spécificité en tentant d’achever ce qui filtrait comme lumière dans le clair-obscur de la raison dite arabe dominante. Pour eux, les problèmes de cette nation ne pourraient être solutionnés que par ce qui a pu les solutionner au début ! (lâ tasluhu ‘umûru hadhihi al-‘umma ‘illâ bimâ salaha bihi ‘awalluhâ) et, par conséquent, la plongée dans le passé devient la seule voie de recherche de solution pour les problèmes actuels de la nation, d’où la tendance à rechercher l’imitation des costumes et des comportements supposés être des anciens. La fuite de la réalité devient la seule thérapie collective et le dogme de la spécificité arabe est là pour renforcer cette tendance !
b - Hétéronomie du savoir scientifique et effondrement du système universitaire
La pensée dominante revendique désormais la spécificité érigée en épistémologie générale et fera une guerre systématique contre le savoir scientifique et la raison qu’elle finit par contenir dans la marge tout en lâchant la bride à la pensée traditionnaliste religieuse au lieu de la circonscrire à la sphère privée — conception déclarée spécificité occidentale et chrétienne comme si le christianisme n’était pas né dans la même sphère géoculturelle que l’islam (Jésus-Christ est palestinien de Nazareth). En résultera de cette clôture dogmatique l’hétéronomisation du champ du savoir, et le sous-développement culturel, cognitif et social. La mise en marche arrière est institutionnalisée, systématisée et toute pensée rationnelle sera contrainte à lutter à contrecourant. Face à l’avancée de l’Occident — qui avait systématisé la pensée cartésienne, qui posait que ce n’est ni dans la tradition ni dans les autorités existantes que la vérité se fonde, mais dans le sujet universel de la science, et que la lumière naturelle est supérieure à l’exemple et à la coutume —, la raison arabe dominante a opposé la spécificité, le retour aux vieilles certitudes qui ne sont que des croyances et, en fin de parcours, le figement de l’ordre cognitif et social. L’Algérie n’en fait pas exception. La répression est généralisée. Les syndicats d’étudiants et d’enseignants universitaires sont parasités, selon la même méthode appliquée au champ économique. L’université n’est pas perçue comme l’espace propre au savoir, son acquisition, sa production, sa reproduction et sa diffusion… Une nation sans élite est une nation vouée à la disparition. Les gestionnaires des universités ne sont pas évalués compte tenu des productions de savoirs (revues, thèses, essais publiés, expertises, reconnaissance scientifique internationales…) mais selon le degré de maîtrise de l’ordre public et d’allégeance. C’est un espace de domination politique organisant la compétition d’allégeance au pouvoir, et c’est d’ailleurs à partir de cette seule logique que les contestations estudiantines récentes ont été interprétées : comme des tentatives de déstabilisation politique ! Ceci explique l’effondrement du système universitaire et éducatif dominé par l’administration (pouvoir)- les classements internationaux des universités placent les nôtres au bas du tableau.
2 - Mode de gouvernance
Les sociétés arabes partagent la même posture intellectuelle de rejet de la raison et le même mode néo-patrimonial de gouvernement. Toutes sociétés fermées, leurs régimes politiques agissent dans la posture de celui qui possède en toute propriété les biens et les hommes de la nation. Les femmes et les hommes, loin d’être citoyens (ils sont seulement des muwâtin, c-à-d. des co-nationalitaires : l’absence d’un terme arabe équivalent pour citoyen est à elle seule expressive), ne sont acceptés que comme de simples instruments au service du confort du prince. Ils ne peuvent donc pas protester ! Depuis janvier 2011, tous les Etats arabes en sont des exemples. Mais les régimes libyen et syrien en sont certainement les meilleurs. Les régimes arabes partagent les mêmes principes de fonctionnement :
- non-séparation des pouvoirs, hégémonie de l’exécutif et hégémonie du chef de l’Etat dans l’exécutif (réforme constitutionnelle de 2008 en Algérie) ;
- répression brutale et corruption systématisées (la police a été la seule institution qui a pris du poids et a été très active depuis 2000 en Algérie) ;
- impunité totale du pouvoir et de ses agents (les événements de Kabylie à titre d’exemple n’ont connu aucun jugement ni aucune peine prononcée contre un quelconque agent du pouvoir, ni contre ceux qui ont donné l’ordre de tirer ni contre ceux qui n’ont pas donné l’ordre d’arrêter de tirer, en dépit du rapport Issad rendu public) ;
- interdiction totale d’expression à l’opposition (la télévision publique est financée par les citoyens mais demeure le monopole jaloux du pouvoir) ;
-viol systématique des constitutions et des lois (ex. blocage de la loi sur les partis, interdiction de manifester…) ;
- réduction des institutions, systématiquement mal élues, à un rôle décoratif ;
- attaque et tentative de destruction systématique de tout ce qui ne fait pas allégeance au pouvoir (syndicats autonomes, écoles privées, entreprises économiques privées, presse privée, réflexions intellectuelles critiques…).
Ce sont là les traits de ce que Karl Popper appelle la société fermée. La généralisation de la violence islamiste destructrice, et prétendument antioccidentale, née de l’inclination des pouvoirs depuis l’indépendance à mettre les croyances en position supérieure (le système éducatif et les médias lourds campés par ce courant de pensée), offre à l’inamovibilité des dictatures arabes l’alibi de la protection des intérêts de l’Occident, pour que ce dernier leur garantisse son soutien ; et, sans crainte de contradiction, celui de la lutte contre l’Occident croisé ou impie et impérialiste dont ils se prévalent auprès leurs peuples à la moindre tentative de libération de leur tutelle. Cette ruse ne semble plus payer ni aux yeux des peuples ni à ceux de l’Occident qui commence à les abandonner dans leur chute les uns après les autres. L’Occident s’est rendu compte que ces dictatures, tout en prétendant lutter contre l’islamisme, ne prenaient aucune mesure politique, sociale, ou juridique pour contrer l’idéologie islamiste et encore moins pour ancrer et développer la démocratie. Des mesures sont prises, au contraire, pour renforcer la domination islamiste de la société (systèmes éducatifs, code pénal, statut personnel, mass-médias…). Aucune liberté individuelle n’est reconnue. Aucun discours critique à l’égard de l’islamisme n’est toléré autant par les islamistes qui y prescrivent la peine de mort impunément, que par les gouvernants qui prescrivent des peines de prison et des persécutions tout en garantissant l’omniprésence de ce discours (islamiste), rendu presque doctrine d’Etat. En Algérie, depuis les années 2000 à ce jour, la société a été caractérisée par les limitations de libertés : liberté de la presse avec destruction arbitraire et autoritaire d’un grand journal de l’époque, le Matin ; libertés syndicales non reconnues avec répression implacable et automatique contre les syndicats autonomes ; atteinte aux libertés de conscience et religieuses avec l’introduction dans le code pénal de la notion de respect des prescriptions islamiques entraînant des sanctions rendues effectives contre des personnes qui n’observent pas le jeûne, contre les couples et ceux qui se convertissent au christianisme (décret du 28/02/2006)… Le temps des sotériologies collectives est revenu avec son époque : le Moyen-âge mental ! Pourtant, c’est bien un Berbère algérien, saint Augustin, docteur du christianisme, qui a ouvert la voie à la possibilité des libertés individuelles en religion et que Martin Luther King, philosophe et théologien, a formulé plus clairement bien plus tard. Aujourd’hui, grâce à la mondialisation de la communication électronique, non encore intégrée par la pensée dominante et combattue férocement (la police d’Internet précède l’internet !), les sociétés arabes redeviennent les acteurs de leur histoire et s’affirment face à leurs régimes autoritaires qui tentent de les maintenir dans un état de minorité et dans des postures intellectuelles infantiles. En Algérie, après douze années de gouvernance autoritaire et exclusive de toute opposition on a abouti à un Etat complètement désarticulé, défait et plus hybride qu’il ne l’était avant. La mouvance islamiste et terroriste, auteur de dégâts matériels et humains importants depuis plus de deux décennies, a reçu de l’Etat plus d’avantages que ceux qui l’ont défendu. Aucun bilan de la politique de réconciliation n’a été fait et ce non-dit est plus parlant qu’un discours.
3 - Ruser au lieu de réfléchir et d’agir en conséquence
Un calife qui demandait à son juriste une ruse pour se sortir d’une impasse reçut la réponse suivante : utruk al hîlata wa t-takil, fa’inamâ l-hîlatu fî tarki l-hiyal (abandonne toute ruse et agit, la ruse consiste en effet à abandonner toute ruse !) Le plus époustouflant, c’est cette ruse qui consiste à suggérer que ces régimes autoritaires n’auraient pas ruiné leurs pays mais auraient, au contraire, sous leur autorité «éclairée», garanti que les richesses minières profitent au développement de l’économie et aux peuples arabes qui vivraient mieux, seraient plus instruits et plus heureux, avec des systèmes économiques et sociaux performants !! L’analphabétisme dominant, la désespérance sociale, ces vagues humaines d’émigration humiliantes vers l’Europe (harraga), les immolations par le feu, ne seraient pas les conséquences de cette gestion honteuse qui achète le silence complice de l’Occident en contrepartie de fortes largesses et de vils services (l’exemple édifiant de la sous-traitance de la torture en Égypte au profit de la CIA) ! Ces pays riches aux populations pauvres, «grâce» à leurs régimes autoritaires, ne seraient pas vidés de leurs élites, et transformés en enfers que tout le monde tente de fuir ! Au contraire, ils attireraient, si on poussait leur logique jusqu’au bout, même l’émigration des pays occidentaux qui seraient «ruinés » par une gestion démocratique ! Ce serait les leaders occidentaux démocratiques qui abriteraient leurs fortunes dans les banques arabes ! Voilà ce qui arrive quand on combat la pensée critique et qu’on reprend nonchalamment et les poncifs anticoloniaux et anti-impérialistes poussiéreux ! Voilà le raisonnement politique indigent produit d’une éternité de dialogue des régimes autoritaires face à leur miroir où l’opposition est réduite à l’écho de leur propre voix tonitruante et éthérée ! Institutions de l’Etat et opposition factices ! La spécificité est convoquée pour suggérer que s’il est vrai que partout les régimes doivent changer pour que la vie des gens s’améliore — le régime démocratique s’étant avéré le meilleur mode de gouvernance —, dans les sociétés arabes ce seraient l’autoritarisme et le néo-patrimonialisme qui seraient le meilleur garant des intérêts et du bien-être des peuples ! Les prestidigitateurs de la raison s’amusent : à la souveraineté des peuples on substitue celle des régimes ! On confond l’Etat (le dispositif institutionnel) et le pouvoir du moment. Aux peuples tunisien, égyptien, libyen, qui souffraient le martyre sous la répression démesurée de régimes autoritaires chancelants qui les réduisaient en esclavage, il ne faut, semble-t-il, au nom de la lutte anti-impérialiste et de la sacro-sainte souveraineté nationale, demander nulle aide : ni aux organisations internationales (l’ONU) dont ils sont membres pourtant ni aux fantomatiques organisations arabes, même avec leur incapacité d’action constitutive connue ! L’attitude de «la Ligue arabe» à l’égard des soulèvements arabes témoigne, en plus de la sauvegarde des intérêts sordides des dictatures qui la composent, de la persistance de cette posture velléitaire de la pensée arabe dominante, qui n’est toujours pas parvenue à s’émanciper des vieilles dichotomies pétrifiantes de la pensée... Elle revend, incapable d’imagination, à l’Occident et à l’opinion arabe les mêmes vertus antiterroristes non avérées de ces chefs rejetés par leurs peuples et la stabilité du régime face au désordre qui proviendrait d’une démocratisation : laissons les choses en l’Etat, et alqa’ida ne prendra pas le pouvoir… suggèrent-ils ! En quoi la passation des pouvoirs à un gouvernement élu par le peuple (l’opposition) serait-il dans l’intérêt des impérialistes ou d’al-qa’ida ? Pourquoi libérer des terroristes en Libye de Kadhafi, en Égypte de Moubarak et aujourd’hui en Algérie ? Est-ce pour renforcer la démocratie ? L’Algérie a-t-elle besoin d’une hypergrande mosquée plus qu’une université moderne, un grand conservatoire de musique ou d’une grande bibliothèque style bibliothèque Mitterrand ? S’il y a bien une spécificité arabe, outre l’arriération intellectuelle, sociale, économique et politique (le monde dit arabe ne produit ni sa pensée, ni sa grammaire, ni encore moins son pain) c’est bien la pensée velléitaire dominante qui charrie toujours les contradictions du Moyen-Age, sans jamais se préoccuper de changer de grille d’analyse. En dehors de tout cela bien sûr, la Tunisie n’est pas l’Égypte, l’Egypte n’est pas la Libye ; la Libye n’est pas le Yémen, le Maroc n’est pas le Bahreïn et ce dernier n’est pas la Syrie… et bien sûr l’Algérie n’a absolument rien à voir avec tout cela ! On est très spécifique donc on est tranquille jusqu’au prochain débordement ! La mondialisation et la montée en puissance des réseaux sociaux Internet comme Twitter et Facebook fait dessiller les sociétés arabes… Un abîme s’est creusé entre les peuples et les gouvernants dictatoriaux. En Algérie, la dévitalisation et la décrédibilisation des institutions a poussé les Algériens à perdre toute confiance en leurs gouvernants plus considérés comme des indus occupants que comme des leaders… L’opposition, dont la mission consiste à organiser la société et les citoyens, et de toujours préparer une alternative politique, a été réduite à sa plus simple expression empêchant toute possibilité d’alternance pacifique et organisée. C’est la situation d’un Etat en danger d’explosion imminente ! La répression massive et systématique imposée contre les Algériens (Alger, et les autres capitales régionales, est sous un état de siège permanent ; elle mérite le nom d’Alger la bleue) en surcroît de la télésurveillance des caméras et avec un barrage policier par kilomètre qui déshabille les automobilistes de passage, avec un code de la route qui complique l’atmosphère déjà irrespirable (sans aucune possibilité de recours contre les abus de pouvoir ailleurs condamnés depuis le code de Hammourabi 2000 ans avant J.-C.)…, une politique d’emploi et de développement économique et sociale complètement en panne, une politique culturelle désarticulée et éthérée, ce pays est à fuir ! En effet, qu’est-ce qui peut attirer un jeune (et même à un moins jeune) algérien dans un pays qu’il ne sent plus comme le sien ? Ce pays ne lui donne ni formation adéquate, ni métier, ni emploi, ni logement et l’empêche même de se marier ou d’avoir une compagne !!! Pourquoi ne serait-il pas tenté de le casser ?
4 - Le système éducatif
Le système éducatif (du primaire au doctorat) exclut beaucoup plus qu’il n’en inclut et forme au chômage. Lieu de formation par excellence de l’esprit d’une nation, il pérennise la domination de l’idéologie islamiste obscurantiste en formant un esprit plus sensible à l’émotion (à la catégorie affective du surnaturel) qu’à la raison. Même le rationalisme arabe en est exclu (ni Averroès, ni Avicenne ne sont enseignés à l’école ...). Le cours de dissection est interdit en fac de médecine à l’opposé des enseignements d’Avicenne lui-même! Le système universitaire s’est écroulé et ne peut plus prétendre à former un esprit rationnel et scientifique (tous les rapports des commissions spécialisées l’ont déclaré sinistré depuis 2000). Dans les universités algériennes, l’administration (nommée et jamais élue) prime sur la science. On a importé des universités occidentales l’organisation des études (LMD), mais non pas l’élection des présidents d’université ou de bonnes bibliothèques numérisées, ou une formation d’excellents formateurs... Il n’existe d’ailleurs plus de formation à la pédagogie universitaire ! Le système de santé est délabré, la preuve en est que les autorités se soignent à l’étranger… On serait en peine de trouver les traces d’une politique universitaire ou éducative qui soit en rapport avec l’exigence de la construction d’une société de la connaissance, de cadres compétents, d’un Etat de citoyenneté, ou d’une économie productive moderne… Pourtant, un système éducatif qui forme des cadres citoyens compétents servirait toutes les sensibilités politiques et philosophiques !
a) Offre de formation publique et privée
L’offre de formation universitaire et infra-universitaire est extrêmement limitée. Beaucoup de nos concitoyens ne trouvent pas de place pédagogique pour une éventuelle formation complémentaire. Le privé national et international a été condamné à un rôle décoratif. L’homologation des diplômes par une instance scientifique d’évaluation autonome permettra aux ministères de l’Education, de la Formation professionnelle et de l’Enseignement supérieur de prendre de la hauteur à l’égard de l’offre de formation disponible ou à attirer en Algérie et leur assignera un rôle d’arbitre objectif. Aujourd’hui le monopole des établissements de formation publics même très médiocres leur permet d’imposer leur critériologie. Comment des établissements de formation dont les diplômes ont été tant dévalorisés sur la place pourraient-ils être justes à l’égard d’offres de formations privées nationales et étrangères concurrentielles qui pourraient souligner en creux leurs propres carences cognitives et organisationnelles ? L’établissement de cette saine concurrence est le seul moyen restant pour créer une véritable émulation dans les secteurs de la formation afin de tirer cette dernière vers le haut.
b) Instance d’évaluation scientifique autonome
L’Etat devrait faciliter la concurrence et imposer des cahiers de charge précis avec des seuils cognitifs à atteindre par niveau de formation que tous les opérateurs qui offrent de la formation doivent remplir. Une instance autonome scientifique d’évaluation des offres de formation et de diplômes devra être installée. Elle sera composée de scientifiques algériens reconnus pour leurs travaux scientifiques et pour leur intégrité universitaire (du domaine des sciences de l’homme, des sciences du raisonnement et des sciences de la nature) exerçant à l’intérieur et à l’étranger (une quinzaine). Cette instance d’évaluation devra établir un fichier national des offres de formation privées nationales ou étrangères et publiques en même temps qu’une classification annuelle des établissements de formation supérieures et infra-universitaires.
C) Offre de formation en ligne
Le manque flagrant et très grave de formateurs de haut niveau (2 000 professeurs sur un total de 44 000 enseignants au supérieur) doublé d’un absentéisme et d’un manque de motivation sidérants des étudiants et des enseignants, rend les diplômes algériens d’une indigence dangereuse pour l’avenir de la nation. Le moyen le plus rapide, outre la coopération étrangère, c’est le elearning, comme l’a bien expérimenté la Corée du Sud dont le système universitaire est fait essentiellement de campus virtuels avec une connectivité de l’ordre de 99% de la population! Le cours d’un enseignant de haut niveau doit pouvoir être rendu accessible aux étudiants et aux enseignants débutants et homologues à distance et à l‘échelle nationale et internationale et entraîner une amélioration du niveau de tous avec les forums de discussion… L’enseignement en présentiel limite l’accès aux meilleurs professeurs et partant de leur rentabilité…
5 - Les questions identitaires
Les changements à apporter à la constitution, outre la limitation des mandats, le rééquilibrage des pouvoirs et leur séparation, doivent garantir l’alternance au pouvoir par la voie démocratique sans possibilité de remise en cause de celle-ci. Ils incluront l’identité algérienne.
a) Définition constitutionnelle de l’identité algérienne Il n’est pas normal que l’identité, qui est plus un processus d’identification dynamique qu’une substance fixe, soit figée dans une constitution. Cette dernière devrait viser à définir des règles générales assez souples de fonctionnement de la société et de l’Etat avec une certaine constance et au profit des libertés de tous. Définir l’identité algérienne par le triptyque arabité, amazighité, islamité peut sembler généreux, mais cette définition est sous-tendue par la perception fausse que l’identité est fixe et que ces trois paramètres sont des substances intangibles. Il serait plus intéressant que la définition, si celle-ci était nécessaire, soit la plus simple : «l’Algérianité historique», en énonçant de manière ferme la garantie des libertés individuelles et collectives, les libertés de confession et de conscience ainsi que les libertés d’expression et d’opinion. L’inconvénient d’une définition trop précise est que des groupes s’y sentiraient exclus ; l’avantage d’une définition simple et générale est qu’elle permet à tout un chacun de s’y retrouver en y projetant ses propres représentations.
b) Les langues nationales :
Les langues nationales, arabe et tamazight, doivent cependant être servies de manière équitable par l’Etat : la langue arabe, mieux dotée que sa sœur jumelle, est enseignée partout et toutes les matières sont enseignées en elle ; elle dispose d’une académie, d’un conseil supérieur, de plusieurs département universitaires et de centres de recherches pluridisciplinaires relevant soit de la présidence de la République, soit de l’enseignement supérieur… Tamazight, sa sœur nationale, ne possède ni académie, ni conseil supérieur (dont les décrets de création ont été déprogrammés du Conseil des ministres en 2008, ni des centres de recherche relevant du MESRS. Elle n’est servie que par un haut commissariat (HCA) sans haut commissaire, un centre de recherche relevant de l’éducation nationale (CNPLET) où la recherche est statutairement impossible (EPA) et de trois instituts universitaires de tamazight à Tizi-Ouzou, Bouira et Béjaïa ! Pourtant c’est tamazight qui a le plus besoin du soutien de l’Etat par des institutions scientifiques compétentes, légalement et financièrement outillées à cet effet ! Le factice ne trompe personne et les gens en ont conscience. Tamazight n’a en rien profité de son élévation sous pression au rang de langue nationale en 2002 ! La régression de l’enseignement de tamazight est un autre problème induit de la politique d’enseignement non méthodique de cette langue ! Nous sommes bien le seul Etat où une langue non normalisée depuis toujours est précipitamment introduite dans le système éducatif sans aménagement aucun. Les tergiversations quant à la création de centres d’aménagement de cette langue dénotent de la facticité de cette opération. Le Maroc a installé l’Ircam (Institut royal de la culture amazighe) comprenant sept centres universitaires spécialisés dans la prise en charge de cette tâche ! Ces centres regroupent des chercheurs de haut niveau et sont dirigés par des professeurs universitaires de haut rang. Aujourd’hui, tamazight est la deuxième langue officielle du royaume. Quant à l’Algérie, elle n’a créé qu’un seul petit centre, handicapé de naissance, et lui a infligé des missions de géant. Il a été mis sous tutelle de l’éducation nationale pour qu’il ne puisse pas statutairement recruter des chercheurs ! Et ce paradoxe est rendu public depuis la première semaine de l’année 2005 sans que cela déclenche une décision salutaire ! L’apaisement identitaire relatif à cette dimension historique, anthropologique, culturelle, linguistique et sociale de l’algérianité (socle amazighe multimillénaire qui remonte à près de deux millions et demi d’années depuis les protoberbères) ne peut provenir que d’une prise en charge sérieuse, responsable et scientifique de tamazight et des autres langues en usage en Algérie. La communication des institutions de l’Etat, les ministères de la Culture, de l’Intérieur, du Tourisme… doivent garder cet objectif bien en vue et s’y conformer. La politique actuelle a affaibli la loyauté à l’égard de la communauté nationale et politique ; sa persistance mènera à l’éclatement de la nation et de l’Etat. Des citoyens du nord et du sud du pays ne sont pas loin de se laisser happer par ce processus! La nation est une abstraction politique qui rassemble des groupes de gens que seule la présence de forces centripètes tient ensemble. Celles-ci ont subi l’érosion provoquée autant par la non-gestion que par des politiques d’improvisation irresponsables. Encore une fois, la démarche de prise en charge de tamazight par la ruse est vaine et ruineuse. La nécessité d’une politique linguistique en cohérence avec une politique éducative est manifeste et pressante. Elle permet d’avoir une vision globale cohérente de la situation linguistique du pays et des objectifs visés par étape ainsi que l’intégration de la demande linguistique et culturelle dans un système éducatif qui devra être lui-même sous-tendu par la volonté de construire un esprit rationnel et scientifique (savoir et savoir-faire) couplé à une éthique citoyenne moderne (savoir-être). Cette politique linguistique fondée sur le pluralisme linguistique, en harmonie avec le pluralisme politique, articulera les langues du domaine formel avec celles relevant du domaine personnel dans une vision intégratrice comme fonctions sociales différenciées… L’Algérie connaît, résultante de son histoire, deux variétés de langues parentes dans le domaine personnel : les variétés de tamazight et celles de l’arabe algérien. Les variétés de tamazight sont différenciées alors que celles de l’arabe algérien le sont moins et fonctionnent comme des langues véhiculaires dans tout le Maghreb. Ces langues doivent pouvoir être étudiées et développées autant que possible. Elles doivent pouvoir être introduites progressivement dans certaines sphères du domaine formel sans forçage. Les institutions universitaires et scientifiques doivent obligatoirement inscrire et publier des recherches (thèses et mémoires) sur et dans ces langues notamment dans les instituts de langues arabe, tamazight et même des langues étrangères (thèses de science du langage, de sociolinguistique, et de linguistique…). Aujourd’hui, le CEMA (Centre américain des études maghrébines), possède un plan de charge d’études linguistiques et sociolinguistiques du terrain algérien plus riche et plus consistant que toutes les universités algériennes réunies (qui n’en ont aucun et sont extraverties)!
c) Les langues étrangères Les langues étrangères sont d’une nécessité impérieuse pour le développement économique et scientifique du pays. C’est le moyen le plus sûr et le plus rapide pour être en phase avec l’évolution de la pensée scientifique et philosophique dans le monde, car le monde dit arabe ne produit plus ni sa pensée, ni sa science, ni encore moins son pain. Il a quitté le monde du savoir depuis le XVIe siècle, a tenté une reprise au XIXe siècle dans cette fameuse Nahdha, puis est vite retombé dans la léthargie. Le renforcement de l’apprentissage/enseignement des langues étrangères les plus proches de notre espace géostratégique et les plus développées dans le monde (le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien, l’allemand…) permet d’obtenir la documentation scientifique la plus récente en qualité et en quantité sans passer par le filtre déformant et temporisant de la traduction, elle-même quasi inexistante dans le monde dit arabe. La maîtrise des langues étrangères, pour notre nation, est une nécessité vitale pour se maintenir à jour dans le concert des nations. L’enjeu n’est pas national mais bel et bien international. La construction d’une société et d’une économie de savoir devient partout un enjeu vital. Le renforcement de la maîtrise de la langue arabe scolaire (institutionnelle) permet de faciliter la communication entre les scientifiques arabisants et francisants au profit de la nation. Il permet aussi la plus grande socialisation des savoirs scientifiques et de l’esprit rationnel dans la société. La mise en rapport de cette langue avec des contenus pédagogiques rationnels de son histoire et de celle du monde développé contemporain ainsi que la modernisation des méthodes de son enseignement, loin des rigidités idéologiques, lui permet d’être plus attractive pour les apprenants.
6 - La politique éducative
Ainsi donc, en intégrant les éléments de la politique linguistique ci-dessus décrits, une corrélation sera établie entre la politique linguistique et la politique éducative et culturelle de l’Etat. Le rôle de l’école, trop ambigu et trop idéologique dans la loi d’orientation de 2008, devra être recentré sur (1) la formation de l’esprit rationnel et scientifique, comme fonction fondamentale, (2) la formation aux innovations technologiques et à la prodigieuse avancée des TIC, (3) la maîtrise des langues étrangères, (4) l’ouverture d’esprit sur les différences humaines et sur les cultures, (5) la formation à l’algérianité dans sa pluralité, (6) la formation au respect de l’effort et de la différence, (7) la formation à la citoyenneté et aux libertés individuelles…
7 - Propositions générales
Il a été signalé en introduction que la démarche actuelle minimisait la gravité de la crise de confiance des citoyens dans les cadres institutionnels de l’Etat rendus désuets par l’autoritarisme et l’interventionnisme de l’exécutif. La politique de déstabilisation continue de l’opposition politique a fini par la transformer en un cadre squelettique incapable de canaliser d’éventuels débordements populaires. Dans un contexte international de remise en cause radicale des régimes arabes, dont l’entêtement de certains à vouloir perdurer, a causé les pires dégâts aux sociétés et aux Etats, l’exécutif algérien désigne une commission chargée d’entendre ce qui a pu se passer depuis plus d’une douzaine d’années ! Si l’idée consiste à faire ré-adhérer les citoyens aux cadres institutionnels y compris ceux de l’opposition, et à un processus de changement, il est urgent de mettre en place un véritable électrochoc politique :
1) Ouverture immédiate du champ médiatique lourd à l’opposition (à l’exclusion du terrorisme et à son idéologie de référence, l’islamisme violent) ;
2) Dissoudre les institutions alibi mal élues (l’APN) ;
3) Installer un gouvernement de transition nationale constitué de compétences honnêtes et avérées ;
4) Ouverture de procès sérieux sur les grands dossiers de corruption ;
5) Inviter une conférence nationale (une constituante) des principaux courants de l’opposition politique y compris celle se revendiquant du conservatisme et de la laïcité moderne ;
6) Rédaction d’un projet de nouvelle Constitution qui devra être soumis à débat public, puis soumis à référendum.
7) Cette Constitution devra être fondée sur :
A. La mise en place d’un cadre constitutionnel et institutionnel qui permet à tous les Algériens de bien vivre dans leur pays et leur Etat ;
B. La nécessité de la pérennité du caractère républicain, démocratique et social de l’Etat algérien ;
C. La séparation des pouvoirs et leur équilibre ;
D. La mise des forces armées et de sécurité sous la responsabilité des instances élues et politiques ;
E. L’Etat de droit ainsi que la nécessité d’un Etat de citoyenneté, avec égalité de tous devant la loi sans discrimination de sexe, de religion ou de conscience ;
F. Les libertés d’opinion et d’expression, les libertés de conscience et de confession, ainsi que les libertés individuelles et collectives et les droits de l’homme ;
G. La limitation des mandats du président, et du champ de ses compétences ;
H. La reconnaissance aux Algériens de constituer des partis politiques et de briguer légitimement toutes les fonctions de l’Etat ;
I. La reconnaissance du droit des Algériens de constituer librement des associations à caractère civil sans ingérence de l’exécutif ou des services ;
J. La nécessité de proscrire toute violence pour l’accession ou le départ du pouvoir ;
K. La préservation des religions de la manipulation politique en restreignant la compétition politique aux seuls programmes politiques sans référence religieuse (l’exemple du Soudan dont l’intégrité a été remise en cause est à méditer, la défense de la laïcité par un islamiste connu comme Tourabi en dit long) ;
L. Une définition simple de l’identité nationale fondée sur l’algérianité historique ;
Le gouvernement de transition, appuyé par l’ANP (non soumis à elle), supervisera toute l’opération jusqu’à l’organisation d’élections libres et démocratiques dans le cadre de la nouvelle Constitution et sous le contrôle d’instances internationales (reconnues démocratiques) et nationales (les partis politiques et les organisations syndicales représentatives) ;
9) Procéder à des élections présidentielles pluralistes et honnêtes sous supervision internationale et nationale dans les plus brefs délais. Ceci marquera la naissance de la deuxième République algérienne démocratique et sociale où les Algériens vivront en bonne intelligence les uns avec les autres nonobstant leurs différences.
Conclusion
La posture politique des gouvernants, qui a toujours été sous l’empire de l’idéologie velléitaire arabe décrite en introduction, a consisté, depuis l’indépendance, à contrôler et soumettre la société, par la répression et la corruption, au désir du pouvoir élevé au-dessus des lois de la République et jouissant de l’impunité. Cette posture générale a essuyé un échec fracassant. Le néo-patrimonialisme devra être définitivement enterré et la société, avec ses différents ressorts démocratiques et citoyens, devra être reconnue comme le véritable propriétaire du pays et de l’Etat pour le bien de tous. En souhaitant la paix, le développement, la prospérité, et un avenir proche meilleur à la société algérienne soumise en permanence à des traumatismes profonds et multiples le long de toute son histoire, d’abord par des envahisseurs étrangers, ensuite, depuis un certain temps, par la mauvaise gouvernance de ses propres enfants.
A. D.
* Professeur de l’enseignement supérieur, université d’Alger 2. Directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight/MEN Chercheur en socio-sémiotique.
* Cette contribution a été remise à la commission Bensalah
le soir d'Algerie du 26 Juin 2011
Par le Dr Abderrezak Dourari*
Introduction générale sur la démarche en cours
Sauf le respect qui est dû à vos rangs, concitoyens membres de cette commission, j’ai le regret de vous dire en toute sincérité le caractère peu enthousiasmant de la démarche dont vous avez la charge. Je ne souhaite pas à votre rapport final le même sort que celui réservé naguère à celui de la commission Sbih sur la réforme de l’administration, celui de la commission Issad sur la réforme de la justice et son deuxième rapport sur la répression sanglante en Kabylie, et de celui de la commission Benzaghou sur le système éducatif…
En effet, face à une crise multiforme sans précédent, cette démarche, c’est le moins qu’on puisse dire, est fondée sur une sous-estimation de la gravité de la crise de l’Etat et le constat de disjonction avancée qui caractérise la relation entre le pouvoir et les citoyens, d’un côté, et entre le pouvoir et l’opposition, d’un autre côté. Dans l’impasse, le système politique actuel, incapable de se remettre en cause et d’initier lui-même les changements politiques nécessaires, il ruse et met, ce faisant, la nation en danger. Cette démarche dénote en soit l’illégitimité et le discrédit dont sont frappées les institutions élues (?) de l’Etat et démontre que l’exécutif lui-même n’en est pas dupe. La focalisation des efforts des pouvoirs publics sur l’élimination, par divers moyens répressifs, de toute alternative politique organisée, constitue bien un aspect de la gravité de la crise actuelle, car aucun cadre politique n’est plus assez efficient et crédible pour canaliser un éventuel débordement et garantir une transition politique pacifique (moins coûteuse) devenue nécessaire qui préserve les vies et les biens des citoyens, les capacités infrastructurelles, économiques, sécuritaires et humaines de l’Etat ainsi que les forces armées d’un éventuel nécessaire engagement qui raviverait les traumatismes d’octobre 88. La fragilisation des liens sociaux et politiques de la communauté politique algérienne a atteint un niveau trop sérieux pour que ces derniers puissent supporter une érosion supplémentaire. Ce qui décrédibilise davantage cette démarche c’est que son lancement n’a pas mis fin à la fermeture du champ médiatique lourd et du champ des libertés, notamment celle de manifester et cela en total contradiction avec la Constitution en vigueur. Sans oublier que cette dernière a été révisée par l’exécutif et à son seul avantage sans consultation populaire, il y a de cela peu de temps ! A quoi bon, alors, focaliser les «efforts de sortie de crise» sur la réforme de la Constitution si le principe de fonctionnement du pouvoir exécutif consiste à ne jamais la respecter ? Un homme célèbre disait : «Quand je visite un pays, je ne demande jamais s’il a des lois, je demande si elles sont appliquées» !
1 - Posture intellectuelle et pratique politique dans les Etats dits arabes
a- Posture intellectuelle générale
On comprendra bien que le fonctionnement des systèmes politiques arabes actuels relève d’une posture philosophique commune non dite. Partout dans le monde, la pensée a évolué en rupture avec des catégories rendues obsolètes par l’histoire et la pensée philosophique et politique. L’avancée de la pensée s’énonce par le changement des concepts et des grilles de lecture des faits. La pensée islamique et arabe, quant à elle, a pris congé de la raison depuis le XVIe siècle, et en se réveillant pour un court instant au XIXe siècle, dans ce qu’il est convenu d’appeler la Nahda (renaissance), s’est trouvée subjuguée face à la prodigieuse avancée de l’Occident. Mais incapable de rupture, elle s’est engluée dans la tentative de conciliation de pôles antinomiques ! On connaît les fameuses dichotomies conceptuelles de cette pensée sclérosée : hadata, mu’âsara (modernité)/ taqlid, ‘asâla (tradition, authenticité), ‘aql (raison) /naql (imitation des anciens), et aujourd’hui encore des pseudo-penseurs les remettent au goût du jour en les renommant science et tradition !… Au nom d’une spécificité mythique et spécieuse, la pensée dominante, qui étouffe toute autre alternative cognitive, voudrait que l’on puisse avancer tout en restant immobile, et même en régressant vers un passé mythique ! L’échec est patent, et les principaux épigones de la pompeusement dénommée nahdha arabe de l’époque s’étaient eux-mêmes vite recroquevillés dans la tradition. Le mouvement des Frères musulmans en naîtra en Égypte et se propagera, et prendra greffe en Algérie, sous la forme de l’islamisme, plus orienté vers l’autodestruction, qui a creusé davantage la notion de spécificité en tentant d’achever ce qui filtrait comme lumière dans le clair-obscur de la raison dite arabe dominante. Pour eux, les problèmes de cette nation ne pourraient être solutionnés que par ce qui a pu les solutionner au début ! (lâ tasluhu ‘umûru hadhihi al-‘umma ‘illâ bimâ salaha bihi ‘awalluhâ) et, par conséquent, la plongée dans le passé devient la seule voie de recherche de solution pour les problèmes actuels de la nation, d’où la tendance à rechercher l’imitation des costumes et des comportements supposés être des anciens. La fuite de la réalité devient la seule thérapie collective et le dogme de la spécificité arabe est là pour renforcer cette tendance !
b - Hétéronomie du savoir scientifique et effondrement du système universitaire
La pensée dominante revendique désormais la spécificité érigée en épistémologie générale et fera une guerre systématique contre le savoir scientifique et la raison qu’elle finit par contenir dans la marge tout en lâchant la bride à la pensée traditionnaliste religieuse au lieu de la circonscrire à la sphère privée — conception déclarée spécificité occidentale et chrétienne comme si le christianisme n’était pas né dans la même sphère géoculturelle que l’islam (Jésus-Christ est palestinien de Nazareth). En résultera de cette clôture dogmatique l’hétéronomisation du champ du savoir, et le sous-développement culturel, cognitif et social. La mise en marche arrière est institutionnalisée, systématisée et toute pensée rationnelle sera contrainte à lutter à contrecourant. Face à l’avancée de l’Occident — qui avait systématisé la pensée cartésienne, qui posait que ce n’est ni dans la tradition ni dans les autorités existantes que la vérité se fonde, mais dans le sujet universel de la science, et que la lumière naturelle est supérieure à l’exemple et à la coutume —, la raison arabe dominante a opposé la spécificité, le retour aux vieilles certitudes qui ne sont que des croyances et, en fin de parcours, le figement de l’ordre cognitif et social. L’Algérie n’en fait pas exception. La répression est généralisée. Les syndicats d’étudiants et d’enseignants universitaires sont parasités, selon la même méthode appliquée au champ économique. L’université n’est pas perçue comme l’espace propre au savoir, son acquisition, sa production, sa reproduction et sa diffusion… Une nation sans élite est une nation vouée à la disparition. Les gestionnaires des universités ne sont pas évalués compte tenu des productions de savoirs (revues, thèses, essais publiés, expertises, reconnaissance scientifique internationales…) mais selon le degré de maîtrise de l’ordre public et d’allégeance. C’est un espace de domination politique organisant la compétition d’allégeance au pouvoir, et c’est d’ailleurs à partir de cette seule logique que les contestations estudiantines récentes ont été interprétées : comme des tentatives de déstabilisation politique ! Ceci explique l’effondrement du système universitaire et éducatif dominé par l’administration (pouvoir)- les classements internationaux des universités placent les nôtres au bas du tableau.
2 - Mode de gouvernance
Les sociétés arabes partagent la même posture intellectuelle de rejet de la raison et le même mode néo-patrimonial de gouvernement. Toutes sociétés fermées, leurs régimes politiques agissent dans la posture de celui qui possède en toute propriété les biens et les hommes de la nation. Les femmes et les hommes, loin d’être citoyens (ils sont seulement des muwâtin, c-à-d. des co-nationalitaires : l’absence d’un terme arabe équivalent pour citoyen est à elle seule expressive), ne sont acceptés que comme de simples instruments au service du confort du prince. Ils ne peuvent donc pas protester ! Depuis janvier 2011, tous les Etats arabes en sont des exemples. Mais les régimes libyen et syrien en sont certainement les meilleurs. Les régimes arabes partagent les mêmes principes de fonctionnement :
- non-séparation des pouvoirs, hégémonie de l’exécutif et hégémonie du chef de l’Etat dans l’exécutif (réforme constitutionnelle de 2008 en Algérie) ;
- répression brutale et corruption systématisées (la police a été la seule institution qui a pris du poids et a été très active depuis 2000 en Algérie) ;
- impunité totale du pouvoir et de ses agents (les événements de Kabylie à titre d’exemple n’ont connu aucun jugement ni aucune peine prononcée contre un quelconque agent du pouvoir, ni contre ceux qui ont donné l’ordre de tirer ni contre ceux qui n’ont pas donné l’ordre d’arrêter de tirer, en dépit du rapport Issad rendu public) ;
- interdiction totale d’expression à l’opposition (la télévision publique est financée par les citoyens mais demeure le monopole jaloux du pouvoir) ;
-viol systématique des constitutions et des lois (ex. blocage de la loi sur les partis, interdiction de manifester…) ;
- réduction des institutions, systématiquement mal élues, à un rôle décoratif ;
- attaque et tentative de destruction systématique de tout ce qui ne fait pas allégeance au pouvoir (syndicats autonomes, écoles privées, entreprises économiques privées, presse privée, réflexions intellectuelles critiques…).
Ce sont là les traits de ce que Karl Popper appelle la société fermée. La généralisation de la violence islamiste destructrice, et prétendument antioccidentale, née de l’inclination des pouvoirs depuis l’indépendance à mettre les croyances en position supérieure (le système éducatif et les médias lourds campés par ce courant de pensée), offre à l’inamovibilité des dictatures arabes l’alibi de la protection des intérêts de l’Occident, pour que ce dernier leur garantisse son soutien ; et, sans crainte de contradiction, celui de la lutte contre l’Occident croisé ou impie et impérialiste dont ils se prévalent auprès leurs peuples à la moindre tentative de libération de leur tutelle. Cette ruse ne semble plus payer ni aux yeux des peuples ni à ceux de l’Occident qui commence à les abandonner dans leur chute les uns après les autres. L’Occident s’est rendu compte que ces dictatures, tout en prétendant lutter contre l’islamisme, ne prenaient aucune mesure politique, sociale, ou juridique pour contrer l’idéologie islamiste et encore moins pour ancrer et développer la démocratie. Des mesures sont prises, au contraire, pour renforcer la domination islamiste de la société (systèmes éducatifs, code pénal, statut personnel, mass-médias…). Aucune liberté individuelle n’est reconnue. Aucun discours critique à l’égard de l’islamisme n’est toléré autant par les islamistes qui y prescrivent la peine de mort impunément, que par les gouvernants qui prescrivent des peines de prison et des persécutions tout en garantissant l’omniprésence de ce discours (islamiste), rendu presque doctrine d’Etat. En Algérie, depuis les années 2000 à ce jour, la société a été caractérisée par les limitations de libertés : liberté de la presse avec destruction arbitraire et autoritaire d’un grand journal de l’époque, le Matin ; libertés syndicales non reconnues avec répression implacable et automatique contre les syndicats autonomes ; atteinte aux libertés de conscience et religieuses avec l’introduction dans le code pénal de la notion de respect des prescriptions islamiques entraînant des sanctions rendues effectives contre des personnes qui n’observent pas le jeûne, contre les couples et ceux qui se convertissent au christianisme (décret du 28/02/2006)… Le temps des sotériologies collectives est revenu avec son époque : le Moyen-âge mental ! Pourtant, c’est bien un Berbère algérien, saint Augustin, docteur du christianisme, qui a ouvert la voie à la possibilité des libertés individuelles en religion et que Martin Luther King, philosophe et théologien, a formulé plus clairement bien plus tard. Aujourd’hui, grâce à la mondialisation de la communication électronique, non encore intégrée par la pensée dominante et combattue férocement (la police d’Internet précède l’internet !), les sociétés arabes redeviennent les acteurs de leur histoire et s’affirment face à leurs régimes autoritaires qui tentent de les maintenir dans un état de minorité et dans des postures intellectuelles infantiles. En Algérie, après douze années de gouvernance autoritaire et exclusive de toute opposition on a abouti à un Etat complètement désarticulé, défait et plus hybride qu’il ne l’était avant. La mouvance islamiste et terroriste, auteur de dégâts matériels et humains importants depuis plus de deux décennies, a reçu de l’Etat plus d’avantages que ceux qui l’ont défendu. Aucun bilan de la politique de réconciliation n’a été fait et ce non-dit est plus parlant qu’un discours.
3 - Ruser au lieu de réfléchir et d’agir en conséquence
Un calife qui demandait à son juriste une ruse pour se sortir d’une impasse reçut la réponse suivante : utruk al hîlata wa t-takil, fa’inamâ l-hîlatu fî tarki l-hiyal (abandonne toute ruse et agit, la ruse consiste en effet à abandonner toute ruse !) Le plus époustouflant, c’est cette ruse qui consiste à suggérer que ces régimes autoritaires n’auraient pas ruiné leurs pays mais auraient, au contraire, sous leur autorité «éclairée», garanti que les richesses minières profitent au développement de l’économie et aux peuples arabes qui vivraient mieux, seraient plus instruits et plus heureux, avec des systèmes économiques et sociaux performants !! L’analphabétisme dominant, la désespérance sociale, ces vagues humaines d’émigration humiliantes vers l’Europe (harraga), les immolations par le feu, ne seraient pas les conséquences de cette gestion honteuse qui achète le silence complice de l’Occident en contrepartie de fortes largesses et de vils services (l’exemple édifiant de la sous-traitance de la torture en Égypte au profit de la CIA) ! Ces pays riches aux populations pauvres, «grâce» à leurs régimes autoritaires, ne seraient pas vidés de leurs élites, et transformés en enfers que tout le monde tente de fuir ! Au contraire, ils attireraient, si on poussait leur logique jusqu’au bout, même l’émigration des pays occidentaux qui seraient «ruinés » par une gestion démocratique ! Ce serait les leaders occidentaux démocratiques qui abriteraient leurs fortunes dans les banques arabes ! Voilà ce qui arrive quand on combat la pensée critique et qu’on reprend nonchalamment et les poncifs anticoloniaux et anti-impérialistes poussiéreux ! Voilà le raisonnement politique indigent produit d’une éternité de dialogue des régimes autoritaires face à leur miroir où l’opposition est réduite à l’écho de leur propre voix tonitruante et éthérée ! Institutions de l’Etat et opposition factices ! La spécificité est convoquée pour suggérer que s’il est vrai que partout les régimes doivent changer pour que la vie des gens s’améliore — le régime démocratique s’étant avéré le meilleur mode de gouvernance —, dans les sociétés arabes ce seraient l’autoritarisme et le néo-patrimonialisme qui seraient le meilleur garant des intérêts et du bien-être des peuples ! Les prestidigitateurs de la raison s’amusent : à la souveraineté des peuples on substitue celle des régimes ! On confond l’Etat (le dispositif institutionnel) et le pouvoir du moment. Aux peuples tunisien, égyptien, libyen, qui souffraient le martyre sous la répression démesurée de régimes autoritaires chancelants qui les réduisaient en esclavage, il ne faut, semble-t-il, au nom de la lutte anti-impérialiste et de la sacro-sainte souveraineté nationale, demander nulle aide : ni aux organisations internationales (l’ONU) dont ils sont membres pourtant ni aux fantomatiques organisations arabes, même avec leur incapacité d’action constitutive connue ! L’attitude de «la Ligue arabe» à l’égard des soulèvements arabes témoigne, en plus de la sauvegarde des intérêts sordides des dictatures qui la composent, de la persistance de cette posture velléitaire de la pensée arabe dominante, qui n’est toujours pas parvenue à s’émanciper des vieilles dichotomies pétrifiantes de la pensée... Elle revend, incapable d’imagination, à l’Occident et à l’opinion arabe les mêmes vertus antiterroristes non avérées de ces chefs rejetés par leurs peuples et la stabilité du régime face au désordre qui proviendrait d’une démocratisation : laissons les choses en l’Etat, et alqa’ida ne prendra pas le pouvoir… suggèrent-ils ! En quoi la passation des pouvoirs à un gouvernement élu par le peuple (l’opposition) serait-il dans l’intérêt des impérialistes ou d’al-qa’ida ? Pourquoi libérer des terroristes en Libye de Kadhafi, en Égypte de Moubarak et aujourd’hui en Algérie ? Est-ce pour renforcer la démocratie ? L’Algérie a-t-elle besoin d’une hypergrande mosquée plus qu’une université moderne, un grand conservatoire de musique ou d’une grande bibliothèque style bibliothèque Mitterrand ? S’il y a bien une spécificité arabe, outre l’arriération intellectuelle, sociale, économique et politique (le monde dit arabe ne produit ni sa pensée, ni sa grammaire, ni encore moins son pain) c’est bien la pensée velléitaire dominante qui charrie toujours les contradictions du Moyen-Age, sans jamais se préoccuper de changer de grille d’analyse. En dehors de tout cela bien sûr, la Tunisie n’est pas l’Égypte, l’Egypte n’est pas la Libye ; la Libye n’est pas le Yémen, le Maroc n’est pas le Bahreïn et ce dernier n’est pas la Syrie… et bien sûr l’Algérie n’a absolument rien à voir avec tout cela ! On est très spécifique donc on est tranquille jusqu’au prochain débordement ! La mondialisation et la montée en puissance des réseaux sociaux Internet comme Twitter et Facebook fait dessiller les sociétés arabes… Un abîme s’est creusé entre les peuples et les gouvernants dictatoriaux. En Algérie, la dévitalisation et la décrédibilisation des institutions a poussé les Algériens à perdre toute confiance en leurs gouvernants plus considérés comme des indus occupants que comme des leaders… L’opposition, dont la mission consiste à organiser la société et les citoyens, et de toujours préparer une alternative politique, a été réduite à sa plus simple expression empêchant toute possibilité d’alternance pacifique et organisée. C’est la situation d’un Etat en danger d’explosion imminente ! La répression massive et systématique imposée contre les Algériens (Alger, et les autres capitales régionales, est sous un état de siège permanent ; elle mérite le nom d’Alger la bleue) en surcroît de la télésurveillance des caméras et avec un barrage policier par kilomètre qui déshabille les automobilistes de passage, avec un code de la route qui complique l’atmosphère déjà irrespirable (sans aucune possibilité de recours contre les abus de pouvoir ailleurs condamnés depuis le code de Hammourabi 2000 ans avant J.-C.)…, une politique d’emploi et de développement économique et sociale complètement en panne, une politique culturelle désarticulée et éthérée, ce pays est à fuir ! En effet, qu’est-ce qui peut attirer un jeune (et même à un moins jeune) algérien dans un pays qu’il ne sent plus comme le sien ? Ce pays ne lui donne ni formation adéquate, ni métier, ni emploi, ni logement et l’empêche même de se marier ou d’avoir une compagne !!! Pourquoi ne serait-il pas tenté de le casser ?
4 - Le système éducatif
Le système éducatif (du primaire au doctorat) exclut beaucoup plus qu’il n’en inclut et forme au chômage. Lieu de formation par excellence de l’esprit d’une nation, il pérennise la domination de l’idéologie islamiste obscurantiste en formant un esprit plus sensible à l’émotion (à la catégorie affective du surnaturel) qu’à la raison. Même le rationalisme arabe en est exclu (ni Averroès, ni Avicenne ne sont enseignés à l’école ...). Le cours de dissection est interdit en fac de médecine à l’opposé des enseignements d’Avicenne lui-même! Le système universitaire s’est écroulé et ne peut plus prétendre à former un esprit rationnel et scientifique (tous les rapports des commissions spécialisées l’ont déclaré sinistré depuis 2000). Dans les universités algériennes, l’administration (nommée et jamais élue) prime sur la science. On a importé des universités occidentales l’organisation des études (LMD), mais non pas l’élection des présidents d’université ou de bonnes bibliothèques numérisées, ou une formation d’excellents formateurs... Il n’existe d’ailleurs plus de formation à la pédagogie universitaire ! Le système de santé est délabré, la preuve en est que les autorités se soignent à l’étranger… On serait en peine de trouver les traces d’une politique universitaire ou éducative qui soit en rapport avec l’exigence de la construction d’une société de la connaissance, de cadres compétents, d’un Etat de citoyenneté, ou d’une économie productive moderne… Pourtant, un système éducatif qui forme des cadres citoyens compétents servirait toutes les sensibilités politiques et philosophiques !
a) Offre de formation publique et privée
L’offre de formation universitaire et infra-universitaire est extrêmement limitée. Beaucoup de nos concitoyens ne trouvent pas de place pédagogique pour une éventuelle formation complémentaire. Le privé national et international a été condamné à un rôle décoratif. L’homologation des diplômes par une instance scientifique d’évaluation autonome permettra aux ministères de l’Education, de la Formation professionnelle et de l’Enseignement supérieur de prendre de la hauteur à l’égard de l’offre de formation disponible ou à attirer en Algérie et leur assignera un rôle d’arbitre objectif. Aujourd’hui le monopole des établissements de formation publics même très médiocres leur permet d’imposer leur critériologie. Comment des établissements de formation dont les diplômes ont été tant dévalorisés sur la place pourraient-ils être justes à l’égard d’offres de formations privées nationales et étrangères concurrentielles qui pourraient souligner en creux leurs propres carences cognitives et organisationnelles ? L’établissement de cette saine concurrence est le seul moyen restant pour créer une véritable émulation dans les secteurs de la formation afin de tirer cette dernière vers le haut.
b) Instance d’évaluation scientifique autonome
L’Etat devrait faciliter la concurrence et imposer des cahiers de charge précis avec des seuils cognitifs à atteindre par niveau de formation que tous les opérateurs qui offrent de la formation doivent remplir. Une instance autonome scientifique d’évaluation des offres de formation et de diplômes devra être installée. Elle sera composée de scientifiques algériens reconnus pour leurs travaux scientifiques et pour leur intégrité universitaire (du domaine des sciences de l’homme, des sciences du raisonnement et des sciences de la nature) exerçant à l’intérieur et à l’étranger (une quinzaine). Cette instance d’évaluation devra établir un fichier national des offres de formation privées nationales ou étrangères et publiques en même temps qu’une classification annuelle des établissements de formation supérieures et infra-universitaires.
C) Offre de formation en ligne
Le manque flagrant et très grave de formateurs de haut niveau (2 000 professeurs sur un total de 44 000 enseignants au supérieur) doublé d’un absentéisme et d’un manque de motivation sidérants des étudiants et des enseignants, rend les diplômes algériens d’une indigence dangereuse pour l’avenir de la nation. Le moyen le plus rapide, outre la coopération étrangère, c’est le elearning, comme l’a bien expérimenté la Corée du Sud dont le système universitaire est fait essentiellement de campus virtuels avec une connectivité de l’ordre de 99% de la population! Le cours d’un enseignant de haut niveau doit pouvoir être rendu accessible aux étudiants et aux enseignants débutants et homologues à distance et à l‘échelle nationale et internationale et entraîner une amélioration du niveau de tous avec les forums de discussion… L’enseignement en présentiel limite l’accès aux meilleurs professeurs et partant de leur rentabilité…
5 - Les questions identitaires
Les changements à apporter à la constitution, outre la limitation des mandats, le rééquilibrage des pouvoirs et leur séparation, doivent garantir l’alternance au pouvoir par la voie démocratique sans possibilité de remise en cause de celle-ci. Ils incluront l’identité algérienne.
a) Définition constitutionnelle de l’identité algérienne Il n’est pas normal que l’identité, qui est plus un processus d’identification dynamique qu’une substance fixe, soit figée dans une constitution. Cette dernière devrait viser à définir des règles générales assez souples de fonctionnement de la société et de l’Etat avec une certaine constance et au profit des libertés de tous. Définir l’identité algérienne par le triptyque arabité, amazighité, islamité peut sembler généreux, mais cette définition est sous-tendue par la perception fausse que l’identité est fixe et que ces trois paramètres sont des substances intangibles. Il serait plus intéressant que la définition, si celle-ci était nécessaire, soit la plus simple : «l’Algérianité historique», en énonçant de manière ferme la garantie des libertés individuelles et collectives, les libertés de confession et de conscience ainsi que les libertés d’expression et d’opinion. L’inconvénient d’une définition trop précise est que des groupes s’y sentiraient exclus ; l’avantage d’une définition simple et générale est qu’elle permet à tout un chacun de s’y retrouver en y projetant ses propres représentations.
b) Les langues nationales :
Les langues nationales, arabe et tamazight, doivent cependant être servies de manière équitable par l’Etat : la langue arabe, mieux dotée que sa sœur jumelle, est enseignée partout et toutes les matières sont enseignées en elle ; elle dispose d’une académie, d’un conseil supérieur, de plusieurs département universitaires et de centres de recherches pluridisciplinaires relevant soit de la présidence de la République, soit de l’enseignement supérieur… Tamazight, sa sœur nationale, ne possède ni académie, ni conseil supérieur (dont les décrets de création ont été déprogrammés du Conseil des ministres en 2008, ni des centres de recherche relevant du MESRS. Elle n’est servie que par un haut commissariat (HCA) sans haut commissaire, un centre de recherche relevant de l’éducation nationale (CNPLET) où la recherche est statutairement impossible (EPA) et de trois instituts universitaires de tamazight à Tizi-Ouzou, Bouira et Béjaïa ! Pourtant c’est tamazight qui a le plus besoin du soutien de l’Etat par des institutions scientifiques compétentes, légalement et financièrement outillées à cet effet ! Le factice ne trompe personne et les gens en ont conscience. Tamazight n’a en rien profité de son élévation sous pression au rang de langue nationale en 2002 ! La régression de l’enseignement de tamazight est un autre problème induit de la politique d’enseignement non méthodique de cette langue ! Nous sommes bien le seul Etat où une langue non normalisée depuis toujours est précipitamment introduite dans le système éducatif sans aménagement aucun. Les tergiversations quant à la création de centres d’aménagement de cette langue dénotent de la facticité de cette opération. Le Maroc a installé l’Ircam (Institut royal de la culture amazighe) comprenant sept centres universitaires spécialisés dans la prise en charge de cette tâche ! Ces centres regroupent des chercheurs de haut niveau et sont dirigés par des professeurs universitaires de haut rang. Aujourd’hui, tamazight est la deuxième langue officielle du royaume. Quant à l’Algérie, elle n’a créé qu’un seul petit centre, handicapé de naissance, et lui a infligé des missions de géant. Il a été mis sous tutelle de l’éducation nationale pour qu’il ne puisse pas statutairement recruter des chercheurs ! Et ce paradoxe est rendu public depuis la première semaine de l’année 2005 sans que cela déclenche une décision salutaire ! L’apaisement identitaire relatif à cette dimension historique, anthropologique, culturelle, linguistique et sociale de l’algérianité (socle amazighe multimillénaire qui remonte à près de deux millions et demi d’années depuis les protoberbères) ne peut provenir que d’une prise en charge sérieuse, responsable et scientifique de tamazight et des autres langues en usage en Algérie. La communication des institutions de l’Etat, les ministères de la Culture, de l’Intérieur, du Tourisme… doivent garder cet objectif bien en vue et s’y conformer. La politique actuelle a affaibli la loyauté à l’égard de la communauté nationale et politique ; sa persistance mènera à l’éclatement de la nation et de l’Etat. Des citoyens du nord et du sud du pays ne sont pas loin de se laisser happer par ce processus! La nation est une abstraction politique qui rassemble des groupes de gens que seule la présence de forces centripètes tient ensemble. Celles-ci ont subi l’érosion provoquée autant par la non-gestion que par des politiques d’improvisation irresponsables. Encore une fois, la démarche de prise en charge de tamazight par la ruse est vaine et ruineuse. La nécessité d’une politique linguistique en cohérence avec une politique éducative est manifeste et pressante. Elle permet d’avoir une vision globale cohérente de la situation linguistique du pays et des objectifs visés par étape ainsi que l’intégration de la demande linguistique et culturelle dans un système éducatif qui devra être lui-même sous-tendu par la volonté de construire un esprit rationnel et scientifique (savoir et savoir-faire) couplé à une éthique citoyenne moderne (savoir-être). Cette politique linguistique fondée sur le pluralisme linguistique, en harmonie avec le pluralisme politique, articulera les langues du domaine formel avec celles relevant du domaine personnel dans une vision intégratrice comme fonctions sociales différenciées… L’Algérie connaît, résultante de son histoire, deux variétés de langues parentes dans le domaine personnel : les variétés de tamazight et celles de l’arabe algérien. Les variétés de tamazight sont différenciées alors que celles de l’arabe algérien le sont moins et fonctionnent comme des langues véhiculaires dans tout le Maghreb. Ces langues doivent pouvoir être étudiées et développées autant que possible. Elles doivent pouvoir être introduites progressivement dans certaines sphères du domaine formel sans forçage. Les institutions universitaires et scientifiques doivent obligatoirement inscrire et publier des recherches (thèses et mémoires) sur et dans ces langues notamment dans les instituts de langues arabe, tamazight et même des langues étrangères (thèses de science du langage, de sociolinguistique, et de linguistique…). Aujourd’hui, le CEMA (Centre américain des études maghrébines), possède un plan de charge d’études linguistiques et sociolinguistiques du terrain algérien plus riche et plus consistant que toutes les universités algériennes réunies (qui n’en ont aucun et sont extraverties)!
c) Les langues étrangères Les langues étrangères sont d’une nécessité impérieuse pour le développement économique et scientifique du pays. C’est le moyen le plus sûr et le plus rapide pour être en phase avec l’évolution de la pensée scientifique et philosophique dans le monde, car le monde dit arabe ne produit plus ni sa pensée, ni sa science, ni encore moins son pain. Il a quitté le monde du savoir depuis le XVIe siècle, a tenté une reprise au XIXe siècle dans cette fameuse Nahdha, puis est vite retombé dans la léthargie. Le renforcement de l’apprentissage/enseignement des langues étrangères les plus proches de notre espace géostratégique et les plus développées dans le monde (le français, l’anglais, l’espagnol, l’italien, l’allemand…) permet d’obtenir la documentation scientifique la plus récente en qualité et en quantité sans passer par le filtre déformant et temporisant de la traduction, elle-même quasi inexistante dans le monde dit arabe. La maîtrise des langues étrangères, pour notre nation, est une nécessité vitale pour se maintenir à jour dans le concert des nations. L’enjeu n’est pas national mais bel et bien international. La construction d’une société et d’une économie de savoir devient partout un enjeu vital. Le renforcement de la maîtrise de la langue arabe scolaire (institutionnelle) permet de faciliter la communication entre les scientifiques arabisants et francisants au profit de la nation. Il permet aussi la plus grande socialisation des savoirs scientifiques et de l’esprit rationnel dans la société. La mise en rapport de cette langue avec des contenus pédagogiques rationnels de son histoire et de celle du monde développé contemporain ainsi que la modernisation des méthodes de son enseignement, loin des rigidités idéologiques, lui permet d’être plus attractive pour les apprenants.
6 - La politique éducative
Ainsi donc, en intégrant les éléments de la politique linguistique ci-dessus décrits, une corrélation sera établie entre la politique linguistique et la politique éducative et culturelle de l’Etat. Le rôle de l’école, trop ambigu et trop idéologique dans la loi d’orientation de 2008, devra être recentré sur (1) la formation de l’esprit rationnel et scientifique, comme fonction fondamentale, (2) la formation aux innovations technologiques et à la prodigieuse avancée des TIC, (3) la maîtrise des langues étrangères, (4) l’ouverture d’esprit sur les différences humaines et sur les cultures, (5) la formation à l’algérianité dans sa pluralité, (6) la formation au respect de l’effort et de la différence, (7) la formation à la citoyenneté et aux libertés individuelles…
7 - Propositions générales
Il a été signalé en introduction que la démarche actuelle minimisait la gravité de la crise de confiance des citoyens dans les cadres institutionnels de l’Etat rendus désuets par l’autoritarisme et l’interventionnisme de l’exécutif. La politique de déstabilisation continue de l’opposition politique a fini par la transformer en un cadre squelettique incapable de canaliser d’éventuels débordements populaires. Dans un contexte international de remise en cause radicale des régimes arabes, dont l’entêtement de certains à vouloir perdurer, a causé les pires dégâts aux sociétés et aux Etats, l’exécutif algérien désigne une commission chargée d’entendre ce qui a pu se passer depuis plus d’une douzaine d’années ! Si l’idée consiste à faire ré-adhérer les citoyens aux cadres institutionnels y compris ceux de l’opposition, et à un processus de changement, il est urgent de mettre en place un véritable électrochoc politique :
1) Ouverture immédiate du champ médiatique lourd à l’opposition (à l’exclusion du terrorisme et à son idéologie de référence, l’islamisme violent) ;
2) Dissoudre les institutions alibi mal élues (l’APN) ;
3) Installer un gouvernement de transition nationale constitué de compétences honnêtes et avérées ;
4) Ouverture de procès sérieux sur les grands dossiers de corruption ;
5) Inviter une conférence nationale (une constituante) des principaux courants de l’opposition politique y compris celle se revendiquant du conservatisme et de la laïcité moderne ;
6) Rédaction d’un projet de nouvelle Constitution qui devra être soumis à débat public, puis soumis à référendum.
7) Cette Constitution devra être fondée sur :
A. La mise en place d’un cadre constitutionnel et institutionnel qui permet à tous les Algériens de bien vivre dans leur pays et leur Etat ;
B. La nécessité de la pérennité du caractère républicain, démocratique et social de l’Etat algérien ;
C. La séparation des pouvoirs et leur équilibre ;
D. La mise des forces armées et de sécurité sous la responsabilité des instances élues et politiques ;
E. L’Etat de droit ainsi que la nécessité d’un Etat de citoyenneté, avec égalité de tous devant la loi sans discrimination de sexe, de religion ou de conscience ;
F. Les libertés d’opinion et d’expression, les libertés de conscience et de confession, ainsi que les libertés individuelles et collectives et les droits de l’homme ;
G. La limitation des mandats du président, et du champ de ses compétences ;
H. La reconnaissance aux Algériens de constituer des partis politiques et de briguer légitimement toutes les fonctions de l’Etat ;
I. La reconnaissance du droit des Algériens de constituer librement des associations à caractère civil sans ingérence de l’exécutif ou des services ;
J. La nécessité de proscrire toute violence pour l’accession ou le départ du pouvoir ;
K. La préservation des religions de la manipulation politique en restreignant la compétition politique aux seuls programmes politiques sans référence religieuse (l’exemple du Soudan dont l’intégrité a été remise en cause est à méditer, la défense de la laïcité par un islamiste connu comme Tourabi en dit long) ;
L. Une définition simple de l’identité nationale fondée sur l’algérianité historique ;
Le gouvernement de transition, appuyé par l’ANP (non soumis à elle), supervisera toute l’opération jusqu’à l’organisation d’élections libres et démocratiques dans le cadre de la nouvelle Constitution et sous le contrôle d’instances internationales (reconnues démocratiques) et nationales (les partis politiques et les organisations syndicales représentatives) ;
9) Procéder à des élections présidentielles pluralistes et honnêtes sous supervision internationale et nationale dans les plus brefs délais. Ceci marquera la naissance de la deuxième République algérienne démocratique et sociale où les Algériens vivront en bonne intelligence les uns avec les autres nonobstant leurs différences.
Conclusion
La posture politique des gouvernants, qui a toujours été sous l’empire de l’idéologie velléitaire arabe décrite en introduction, a consisté, depuis l’indépendance, à contrôler et soumettre la société, par la répression et la corruption, au désir du pouvoir élevé au-dessus des lois de la République et jouissant de l’impunité. Cette posture générale a essuyé un échec fracassant. Le néo-patrimonialisme devra être définitivement enterré et la société, avec ses différents ressorts démocratiques et citoyens, devra être reconnue comme le véritable propriétaire du pays et de l’Etat pour le bien de tous. En souhaitant la paix, le développement, la prospérité, et un avenir proche meilleur à la société algérienne soumise en permanence à des traumatismes profonds et multiples le long de toute son histoire, d’abord par des envahisseurs étrangers, ensuite, depuis un certain temps, par la mauvaise gouvernance de ses propres enfants.
A. D.
* Professeur de l’enseignement supérieur, université d’Alger 2. Directeur du Centre national pédagogique et linguistique pour l’enseignement de tamazight/MEN Chercheur en socio-sémiotique.
* Cette contribution a été remise à la commission Bensalah
le soir d'Algerie du 26 Juin 2011
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: Pour une Deuxième République réellement démocratique et sociale
mais comment ose-t-on appeler à une deuxiéme république alors qu'il n'y a même pas de premiére ?
n'importe quoi ,c'est ce que j'appele écrire pour écrire .
n'importe quoi ,c'est ce que j'appele écrire pour écrire .
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