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Je me souviens du philosophe

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Je me souviens du philosophe Empty Je me souviens du philosophe

Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 16:11

Je me souviens du philosophe


Je me souviens de la philosophie! comme dirait Agtit, le fou de notre village, la discipline qui rend doux comme un agneau, beau et intelligent. J’allais sur mes seize ans. Ma première année philosophie. Ma onzième année à l’école. Oh! Nous nous étions prémunis de mille et une défenses. Car, la philosophie était ce que l’on pouvait nommer les hiéroglyphes de la pensée. Une matière complexe, d’origine mécréante et qui, nous disait-on, propulsait inévitablement dans l’incroyance et la négation de Dieu.


Les élèves qui préparaient déjà la terminale, la dernière année du cursus scolaire que l’on sanctionne par la réussite d’un bac ou de son échec, nous parlaient en détails bien alléchants de la découverte mirobolante : un philosophe allemand qui proclamait la mort de dieu, un autre juif qui pensait que le tout est dieu et que la vie ne saurait être celle des monothéismes en général et non seulement de l’islam, un philosophe français existentialiste athée, l’autre effrayé par le silence eternel des espaces infinis, etc. Tant de philosophes, de la Grèce antique à la modernité en passant par la civilisation musulmane, qui avaient réfléchi notre rapport à la nature, à dieu, à l’autre, à soi.

Toutefois, une théorie détrônait toutes les autres sur l’échelle Richter de la peur de l’enfer : la théorie de Darwin. Je me souviens avec précision de cette époque à cause de (ou grâce à) M. Smaïl Omalu : sexagénaire, une calvitie qui finissait de noyer sa tête dans le miroir, ne jeûnait jamais, ne croyait même pas en dieu et, pour couronner le tout, lisait L’origine des espèces. Ce n’était pas le fait de lire le livre qui dérangeait mais qu’un vieux le lût. M. Ismaïl m’était devenu inconsciemment la bûche destinée inexorablement à l’enfer et sur laquelle ondoyait d’ores et déjà une flamme inextinguible. En tant que vieux qui comptait ses derniers jours, il se devait de préparer son jugement dernier! La jeunesse, n’est-ce pas, étant pour l’erreur, la vieillesse pour la repentance. Était-il fou de lire l’infâme à un âge aussi avancé?

Au mieux, lorsque nous rapportions à nos parents la funeste théorie, nous glanions des réponses moqueuses. C’était tout dit, tout réfléchi, fallait pas oser le pas dans certains pâturages. Du reste, bien des années plus tard, je compris que la théorie dérangeait jusqu’en pays dits avancés. La théorie ébranlait partout, secouait nos certitudes, remettait sur table bien des questions que l’on croyait résolues.

Pourtant, j’ai longtemps eu mal à dissocier Darwin du chimpanzé de la célèbre caricature. Une image qui inventait en moi l’émotion préméditée; celle de me hisser sur l’échelle de la création pour aboutir à l’impossibilité de la rencontre. Serais-tu à ce point débile, toi maitre incontestable et incontesté, pour descendre si bas? me disait l’image. Fallait que Darwin s’abstînt nonobstant sa découverte. Fallait qu’il se posât la même question!

Ainsi, mon premier professeur de philosophie débitait-il d’une traite tout son refus pour la pensée et la philosophie qui a pensé l’homme.

- Je ne suis pas d’accord avec cette théorie, disait-il de l’une de ces innombrables phrases chargées d’idéologie, et puis, la science a prouvé que la théorie de Darwin était fausse, dénuée de fondements.

- Et Nietzche! dit un élève.

- Nietzsche est fou…



Spinoza est fou

Descartes aussi

Le doute? Hérésie.

Sartre

S’y éternisera-t-il (les feux de la géhenne).

Darwin

Tout est faux

Fou est Socrate

Platon, Socrate, Averroès

Le livre a dit

A tout dit



C’était un poème de M. Zarabi, notre prof de philo. Nous subissions ses certitudes. Pourvu que nous pussions être moins impressionnés par le terme philosophie lui-même. C’était notre première année; notre souci premier était tout d’abord de décoder ces hiéroglyphes de la pensée. Et puis, nous pensions que c’était ainsi. Il disait vrai. De toute manière, on nous disait toujours la vérité; on ne nous disait que ça! Notre religion était la vraie, les autres fausses; notre guerre était la plus propre des guerres, la langue arabe la langue du paradis… Nous savions que nous avions raison, l’autre tort. Pire, nous étions sûrs.

Cependant, je crois que notre berbérité minorée est pour quelque chose dans rapport complexe à langue arabe que nous nous devions d’outrepasser. Transcender ses schèmes idéologiques. Le malheur de la langue arabe est qu’elle n’a pas vécu ses Lumières. Nous faisions de la langue arabe un butin de guerre, comme disait Kateb Yacine du Français. C’est pour cette raison que nous ne subissions pas tant que ça M. Zarabi. Nous attendions notre deuxième année en philosophie. Nous connaissions déjà l’enseignant. Il lisait comme il respirait, était Kabyle et n’était pas religieux. La philosophie allait enfin nous parvenir dénoyautée de cette surdose subjective qui faisait dire à M. Zarabi qu’il est des lectures qui accélèrent la descende… dans l’enfer.

Septembre. Premier cours chez monsieur Abouden. Un élève pose une question : - Monsieur Abouden, croyez-vous à la théorie de Darwin?

- Oui.

- Mais c’est juste une théorie.

- La gravitation en est une aussi.

- Être du singe!

- D’abord, la théorie ne dit pas ça. Ensuite, à supposer que c’en est le cas, je ne vois pas en quoi j’en serais offusqué. Enfin, je crois sincèrement, que si j’avais à choisir à être ami avec un homme qui prend tout le reste pour de la merde et un autre qui considère que tous méritent le même respect pour sûr que choisirais le dernier.

- Je ne comprends pas…

- Darwin nous a dit que l’oiseau, l’insecte, le serpent ont tous chacun les mêmes droits que nous et les créationnistes ne croient même pas qu’il y ait aucune autre espèce qui puisse lui disputer la terre…

- Les créationnistes!

- Ceux qui pensent que dieu a créé la terre d’un coup comme on la voit.

- Oui, c’est ce que raconte le coran. Croyez-vous en dieu?

- Non.

Il y avait des incroyants parmi les élèves. Mais, ce que nous craignions est que l’islamisme armé rampait déjà. En dehors de la Kabylie, je ne crois pas qu’il aurait pu le dire à ses élèves. Du reste, la Kabylie durant la première élection démocratique au pays est la seule où les islamistes avaient subi un cuisant échec. Tous les autres départements avaient élu majoritairement les islamistes.



Pourquoi?

Ils sont sûrs.

De quoi?

Que l’autre a tort.



Voila donc. Une résultante naturelle de l’enseignement de la certitude. Croire que la planète a tort et que lui a raison. Quand il ne sert à rien de discuter.



Monsieur Abouden était beau. Même de son athéisme, il disait qu’il pourrait croire. Pourvu qu’on lui en donne la preuve. Une preuve quoi, comme disait-il, une preuve intelligente, pas une du genre la terre est trop belle ou que sa brunante est trop divine, parce que, disait-il, la terre est belle d’elle-même, se suffit à l’être ainsi d’ailleurs. Du reste, l’islamisme multiplia par dix son incroyance. Un jour, me raconta-t-il, un élève du côté de l’Algérois lui dit que c’est parce qu’il était Kabyle. M. Abouden lui dit que pareillement, s’il était né au Tibet, il aurait mille et une chances d’être bouddhiste. L’élève n’a pas aimé. Alors, il lui fixa rendez-vous dans l’autre monde. En enfer pour une éternelle recommençable consumation. Peut-être était-ce lui son assassin?

Qu’est-ce qu’une patrie? Conjuguer la différence à en faire une singularité qui épouse un espace. M. Abouden le disait. Il disait que sa patrie était loin d’être grillagée par une frontière. D’ailleurs, il disait que le nationalisme béat est la forme intellectuelle de l’idiotie. Pourquoi je raconte cela? Parce qu’il en était arrivé à un point où la patrie lui était juste un petit paysage égaré dans l’oubli d’une société vigile qui plante des guérites, des miradors et des sentinelles aux quatre coins afin qu’elle épie le moindre cillement. C’est un arpent de terre (un mot qu’il n’aurait pas aimé) qui a survécu à l’abyme : une rivière grondante qui serpente toujours, survivant à la disparition de son côté mortel, qui dévale mille et une Kabylies, charriant des senteurs ancestrales. Dans une bassine, au dessous d’une cascade, l’eau y est cristalline, criarde, dans l’ombre d’un buisson, il y plonge une caisse de bières; l’envoilée, Lmeâajra! comme aimait-il dire… Ici, il égarait du nationalisme des manuels et de leur islamisme, croquait à plein poumons et dents dans une mer qui coïtait, en bas, avec son horizon azuré afin de commettre l’avenir … Il devenait poète, s’élevait dans le zénith. J’en suis sûr qu’il est quelque part en train de siroter ses envoilées.



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Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 16:12

http://www.kabyleuniversel.com/?p=287
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Message  azemour Mar 21 Juin - 16:20

je cite" Une matière complexe, d’origine mécréante et qui, nous disait-on, propulsait inévitablement dans l’incroyance et la négation de Dieu."

voilà la véritable source du mal aokassien ,voilà ce qui doit étre exactement combattu et extirper de notre systéme de pensée .


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