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LA RÉVOLUTION ET L'ENFANT

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LA RÉVOLUTION ET L'ENFANT Empty LA RÉVOLUTION ET L'ENFANT

Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 12:40

LA RÉVOLUTION ET L'ENFANT


La révolution algérienne fut portée par tout un peuple, guerrier et fier, qui ne recula devant aucun sacrifice pour arracher son indépendance et sa liberté. Hommes et femmes, vieux et jeunes, garçons et filles, tous adhérèrent au même idéal : La souveraineté de l’Algérie. Même les enfants, avec leur innocente pureté, comprirent assez tôt qu’il fallait résister à l’occupant. Et tout naturellement, ils suivirent les pas de leurs aînés, ces traces qui conduisirent la nation algérienne hors de la nuit, vers le jour et le soleil.


Bellouze Essaïd, né le 17 février 1944, avait seulement treize ans et huit mois, au seuil de l’adolescence, quand il répondit par un acte de courage à l’appel du patriotisme qui l’attira comme l’aimant attire le fer. Il quitta l’école indigène à la fin de l’année scolaire 1955. Peu de jours après, il trouva un travail de commis de ferme chez Georges Becker, l’un des colons implantés à Cap-Aokas.

Monsieur et madame Becker se comportaient paternellement avec le petit Bellouze qui, de son côté, s’acquittait d’une manière satisfaisante de ses nombreuses activités dans la ferme. Vers la fin de l’année, dans le cadre des mesures de protection des colons, arriva dans l’exploitation agricole un corps de troupes de l’armée française commandé par un vieux capitaine surnommé
Tartuffe.

D’emblée, celui-ci prit en sympathie le petit Bellouze et donna des consignes au chef cuistot pour que le petit garçon emportât chez lui chaque soir un panier rempli de provisions. Cette attention était quelque peu calculée par l’officier, car il nourrissait le projet d’envoyer le commis de ferme sous les drapeaux français à l’école militaire d’El Goléa. Instruit de cette intention, monsieur Becker opposa une fin de non recevoir au capitaine en refusant de se substituer aux parents du petit garçon.

Un jour, l’enfant surprit une conversation animée entre quelques soldats et le chef cuisinier regroupés en cercle dans la cour de la ferme. Les propos particulièrement virulents du cuistot choquèrent le petit Bellouze.

- Les Fellagas sont des égorgeurs et des assassins ! Ils ne méritent aucune indulgence ! Ce sont des vermines qu’il faut éliminer sans vergogne ! » aboya le cuisinier en brandissant son poing.

Soudain, son second, premier jus[1], tenant une louche géante posée sur l’épaule comme un fusil, se précipita vers le petit groupe et s’adressa au gosse en montrant le chef avec la grande cuiller :

- Petit, n’écoute pas ce vieux fou, il radote ! »

Puis, se tournant vers le cuistot, il lui lance :

- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Ces fellagas comme tu les appelles, ce sont des soldats. D’après toi, qui a commencé à emmerder l’autre ? »

Au mois d’août 1956, le corps de troupes est relayé par une compagnie d’infanterie. Dans l’appartement des colons, monsieur Becker lisait son journal pendant que sa femme faisait la vaisselle. A un moment donné, ils firent venir le petit commis pour lui faire ces prudentes recommandations :

- Écoute, Essaïd. Sache que ces soldats sont venus pour s’occuper des fellagas. Si on te pose des questions, tu répondras toujours que tu n’a rien vu et rien entendu »

Un jour de l’été suivant, le petit Bellouze se trouvait dans son douar d’Aliouène, au café maure dénommé Topal, quand un maquisard connu[2], vint s’asseoir sur un banc et appuyer son fusil automatique contre un mur. Sur l’insistance de quelques gamins, le Moudjahid entreprit de leur montrer le maniement de l’arme à feu en faisant glisser la culasse pour mettre la balle au canon.

En suivant avec curiosité cette démonstration, le petit Bellouze songea que son patron avait la même arme et qu’il pourrait peut-être un jour s’en saisir.

A partir de ce moment, ce projet insensé ne quitta plus les pensées de l’enfant de treize ans. L’occasion ne tarda pas à se présenter le jour où les Becker s’absentèrent pour se rendre à une fête annuelle à Bougie laissant le petit Bellouze seul dans la ferme. C’était un mercredi. Comme d’habitude, le grand panier d’osier sous le bras, le petit garçon alla détacher quelques rameaux de mûriers destinés au cochon de la ferme.
Mais au lieu de se rendre à la porcherie, Bellouze Essaïd monta à l’appartement et là, avec mille précautions, entreprit de dissimuler le fusil à cinq coups dans le grand couffin parmi les branches feuillues. Le petit garçon agissait avec un calme confiant, comme s’il venait de s’approprier un objet légitime. Ou comme s’il s’adonnait à un nouveau jeu, innocent et sans danger.

En sortant dans la cour pour se diriger vers la soue, quelques soldats un peu éméchés le hélèrent en agitant des bouteilles de boisson alcoolisée :

- Hé, petit ! Bière, bière ! »

Bellouze Essaïd sourit et pressa le pas tout en agitant son index en signe de refus :

- Non, non. C’est péché ! »

Les soldats partirent d’un éclat de rire et poursuivirent leur libation. Pendant ce temps, le petit garçon arriva au pied d’une clôture à claire-voie par-dessus laquelle il balança son couffin avant d’enjamber à son tour le grillage. Le relâchement de la vigilance des sentinelles, probablement occupées elles aussi à boire à l’occasion de ce jour férié, arrangea les affaires de Bellouze Essaïd qui grimpa un talus et se perdit dans la nature sous un soleil de plomb.

Un peu plus loin, il s’arrêta sous l’ombrage d’une plantation de figuiers, suspendit le fusil à une branche, et s’employa en toute quiétude à cueillir les fruits charnus et sucrés. Oui, Bellouze Essaïd pouvait se glorifier de cet exploit. Mais courir un pareil risque à l’âge de treize ans et demi, ne relevait-il pas de l’inconscience ? Non, assurément non ; car le geste de Bellouze Essaïd fut dicté par un sentiment de patriotisme qui baignait son foyer et tout son douar.
Précocement, son jeune âge avait pris conscience que la Révolution ne pouvait triompher sans l’appui inconditionnel d’un peuple uni. Désormais, le petit commis de ferme sera un combattant de la liberté.

Le soir, le jeune garçon, à peine entré dans l’adolescence, s’en alla remettre l’arme au chef des Moussebline, Khalfaoui Ahmed. Celui-ci le présenta à un homme, gros et grand, portant des lunettes de vue. Le commissaire politique prit dans ses bras le jouvenceau, lui donna quelques tapes sur la tête, et proclama avec un tremblement d’émotion dans la voix :

- Tu es notre Zaïm, mon fils ! »

[1] Soldat de 1re classe.


[2] Kasmi M’Hamed
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Date d'inscription : 03/06/2011

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Message  laic-aokas Mar 21 Juin - 12:41

source:

AOKAS : Histoire et faits d'armes (livre édite par l'association "Aokas mémoires")
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