LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
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LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
June 9, 2011
By Rachid C
La Route Du Cap (Cap Aokas)
Elle était suffisamment étroite pour dissuader les automobilistes et, suffisamment élevée, belle et rustique pour attirer les rêveurs et les romantiques sans matière, isolés dans leur masculinité errante par l’infranchissable mur de la pudeur. Elle s’est imposée sans décret comme une rue presque piétonnière, creusée loin de la protection syndicale, à l’époque coloniale de l’industrie de la pelle et de la main-d’œuvre « homo faux », en pleine montagne, selon une topographie idéale qui lui confère une pente très douce qui rend la promenade agréable et sans vertige, ce qui donne au promeneur qui s’élève sans se rendre compte, cette faculté de tout avoir à la portée de son regard. A gauche, c’est la verticalité boisée de la montagne sacrée, peuplée de singes, et, à droite, une mer toute bleue qui nous dispose gratuitement sa nécessaire ventilation sous le soleil des étés qui durent la moitié de l’année, et dont le flux et le reflux des vagues nous apportent, respectivement, espoir et désolation. En avançant à partir du village vers le double-tunnel, les ondes radio FM qui nous arrivent d’outre-mer, sans distorsion, comme pour aiguiser nos rêves dans un exotisme surréaliste, nous donnent l’impression que l’autre monde, celui auquel on aspire, est à un jet de pierre de là. Des voix de commentatrices des différentes stations, très professionnellement choisies, se dégagent émancipation, beauté et authenticité, dans un trempe-l’ouïe radiophonique qui nous faisait croire que tout le monde, là-bas, est fait comme elles. Par rapport à nos montres dont les aiguilles n’avancent pas, on est certain que de l’autre coté de l’horizon, il doit se passer, au quotidien quelque chose de vachement vivace. Ici, la relativité du temps n’a pas besoin de formules pour s’exprimer. Une heure en Algérie n’est qu’une fraction d’heure à l’étranger, effectivement ce que racontaient nos artistes, était juste : le temps à El Ghorba passe très vite. Un phénomène qu’on attribuait, un peu faussement, à la belle vie. Dans nos têtes c’était comme ça ; mettez un doigt sur une plaque chauffée à 100 degrés Celsius, pendant une seconde, ça vous paraitra une heure ; passez une heure avec une beauté que votre cœur avait choisie ça vous paraîtra une minute. C’était, au fait, de la sorte qu’Einstein avait tenté de scientifiquement vulgariser dans sa théorie relativiste, auprès de l’humanité profane, le phénomène de la relativité du temps qu’il avait formulé de façon intuitive à coups d’incompréhensibles postulats. Une aubaine pour l’esprit religieux de donner un sens à la légende chrétienne des Sept Dormants d’Ephese , racontée aussi par le Coran dans la sourate Al Kahf ( la cave) .Les 7 chrétiens fuyant la persécution romaine vers le second siècle de l’ère chrétienne, s’étaient endormis pendant 3 siècles dans une cave, croyant, à leur réveil , n’avoir dormi qu’une seule nuit. Et le Coran d’ajouter que pendant tout ce temps là, à l’entrée de la cave, leur chien veillait sur eux.
Au milieu de la route, quelques chèvres, probablement maltaises, qui n’ont rien à cirer avec les chevaliers de Malte, se croisent le plus normalement du monde avec les amateurs des mots croisés. Etre ici, c’est à la rigueur, gratuitement plus beau qu’être ailleurs. Pour compenser l’absence de la beauté féminine, on fait appel à d’autres éléments de beauté, ce n’est, peut-être, pas par l’art de le faire, mais, sans doute, par nécessité de rendre la vie plus supportable ou, d’une certaine façon, colorer l’ennui.
Au commencement de la route, une petite boulangerie qui sort du relief comme dans une scène de Disney Land, et, plus haut, sur le terrain qui surplombe paisiblement la route, une villa du style colonial qui, murmurait-on, appartenait à l’ancien premier ministre SNP Abdelghani, malaimé en Kabylie, pour avoir donné l’ordre d’emprisonner et de torturer dans les années 68 à 75, dans la sinistre prison Santa Cruz d’Oran, l’humble et brave révolutionnaire Slimane Amirat. L’information a été révélée, en direct, au public, via la télévision algérienne, par Amirat himself. Quelques mètres plus loin, mais cette fois-ci, à droite, se dresse le dernier édifice à signaler sur cette route : le fameux Hôtel du Cap. Plus loin, plus rien n’appartient plus à l’homme hormis le bitume et le mur de protection qui accompagnent le promeneur sans interruption, sur toute la longueur de la route. L’absence quasi absolue de toute activité humaine sur cette route qui s’étend est-ouest sur environ 5 kilomètres, a fait que la nature l’ait adoptée comme une partie d’elle. Comme quoi, ce que les hommes oublient, la nature a tendance à se le réapproprier. Il arrive, malheureusement, que le deal entre la nature et l’homme se fait à un certain prix. Dans les années 70, vers l’autre bout de la rue, une carrière placée, Dieu seul sait sous quelle insécurité, avait subi une explosion à la dynamite provoquant un éboulement qui a ravi, dans ses décombres, la vie à, au moins, 5 ouvriers. Ils étaient, si ma source est bonne, tous mariés et pères de familles. De la poussière, ils étaient enlevés, vers la poussière, ils y sont retournés. Dés lors on ferma la carrière, et à ce prix, la nature a repris, à partir de l’hôtel, possession complète de la route du cap. Durant le mois sacré du Ramadhan, cette route devenait un vrai havre pour la liberté du culte, où se rencontraient jeûneurs et non- jeûneurs dans un climat de mutuelle «acceptance » qui mettait en évidence le caractère privé du culte et de la pratique religieuse et qui montrait à quel point, à un certain degré de conscience, la vie est facilement vivable dans la différence. Mais à cause des fanatismes des hommes cela s’avérerait n’être que le prototype d’une société futuriste imaginée par les gens paisibles, qui connaitra le jour de la défaite de Satan, une forme de religion toute spirituelle débarrassée de ses dogmes.
Hotel Du Cap (Cap Aokas)
L’hôtel du cap est le vestige apparent de la prospérité coloniale qui rappelle à bien des égards les luxurieuses villas de l’Amérique Antebellum. La colonisation en Algérie était, selon Fréderic Engels, une véritable forme d’apartheid. Son ami Karl Marx qui a passé un séjour en Algérie, en témoin oculaire de notre misère, savait bien de quoi il parlait. Construit par les indigènes pour être interdit aux indigènes, l’indépendance l’avait rendu en bonne et due forme aux enfants de la patrie.
Au temps des colons, c’était l’époque de la tenue exigée, ou « dress to impress » comme aiment à rimer les anglo-saxons. Sur la terrasse de l’hôtel surplombant la vallée d’Aokas, le chanteur Enrico Macias envoyait, au moyen de sa voix et de sa guitare, des paquets d’ondes musicaux qui faisaient danser, en bas, dans le stade, sous un ciel africain, des françaises toutes heureuses, les cheveux aux 4 vents comme … des vol-au-vent.
La première décennie de l’indépendance était, disait-on, marquée par la présence d’Alki Yahyatene. Notre ami Diboune Slimane , en minimaliste marginalisé par une époque de conformisme absolu confortablement installé sur un matelas de 30 milliards de dollars de dette et arrosé par un pétrole au plus haut de sa valeur, petit vendeur ambulant de cacahuètes raréfiées par une révolution qui avait tourné agraire, ivre de vin et de rêves brisés , tombait en disgrâce et en larmes sous les chansons émouvantes, auprès de son idole kabyle aux cris désolés d’A Ya DDa Kli thaghitiyi (Akli, mon grand-frère, tu m’as achevé)
Les années 80, c’était la décennie des buveurs. C’était aussi l’époque de Malika la fausse blonde. L’autoritarisme de Boumediene avait laissé place à un président commode qui a décrété, à sa façon, la « politique d’ouverture ». Le rêve algérien s’exprimait en 3 mots : Honda, Villa wa Blonda. Ce qui pouvait expliquer l’épidémie de fausses blondes et la corruption en tout genre due à une demande largement supérieure à l’offre. Au marché noir, on achetait deux frigidaires au prix d’une Honda ou d’une Mazda au prix d’état.
Dans le monde des buveurs, le livre d’Omar Khayyâm intitulé les Roubaiyyates, a fait son apparition dans les étalages. Dans une ville de l’ouest, à l’annonce de la nouvelle, en lycéens assoiffés des lectures libérées, on s’est tous rués vers la librairie qui l’a mis en vente ; le dernier exemplaire qui en restait, par chance, était revenu à moi.
En France le livre d’Abu Nouas était traduit pour la première fois au français sous le titre la vie, le vin et le vent. A l’université, le slogan des buveurs était plutôt philosophique : Quoiqu’en disent Aristote et sa docte banale, le vin est divin il n’est rien qui l’égale. A l’ouest c’est plutôt raï wa travail, l’unité en bière. Le Joule, lui, l’unité physique du travail, était trop casse-tête pour faire partie des ambiances électriques. C’était aussi une drôle de façon de rendre plus fluide la constipation des sciences exactes qui attiraient, disons-le, les éléments les plus doués du pays. Confinés par la societé sous le titre d’éléments sérieux déstinés à l’élite, ils n’avaient, donc, pas le droit à la drague, considérée par la société comme une pratique subvérsive, succeptible de déclasser les éléments de bonne famille au rang de fils du péché (ouled lahram). Ce titre honorifique de fils de bonne famille qui les met hors d’état de draguer ou de tenter de se désalterer en dehors du mariage leur fait valoir de la part des initiés l’expression stéréotypique trés à la mode : “Il est aussi frustré qu’un étudiant des sciences exactes“. Contrairement aux fréres musulmans qui expliquaient leur chasteté par l’aspiration à un monde étérnél largement plus rémunéré, nos étudiants de la logique formelle, trés souvent, agnostiques ou athées sont victimes d’un titre social qui leur fait rater et ce monde et l’autre. Bref, une fois diplômés, ils seront ridiculisés par un pouvoir inculte qui les recrutera après un service national obligatoire, comme enseignants pour un salaire sans avenir ne dépassant pas le prix de quelques sacs de semoules par moi. Etait-il donné un peu d’audace au professeur du lycée pour recommander à ses élèves de travailler dur pour réussir comme il l’ a fait, lui, pour qui la réussite dans les études n’est pas loin d’ etre synonyme de naufrage dans la vie ? Bref, pour les buveurs des tendances marginales issues de la révolte contre l’ordre moral établi, c’était plutôt « rouge wala la3rab el 3oudj » (plutôt le rouge que ces arabes contre nature). Et les raimen qui avaient un penchant pour l’humour chantaient « el birra 3arbia, el whisky qbaili ».
L’ambiance du bar était sombre comme au bar. D’une table à une autre, Malika trimballait sa silhouette féminine prompte, enfin, à nous rappeler qu’on n’était pas des hermaphrodites, et qu’il y ‘avait des créatures complementaires aux hommes, qui nous avaient mis au monde, un monde qui avait tendance à s’apparenter à une société d’amazones, version masculine. Dans ce bar obscur, Malika était l’ultime représentante biologique d’un monde fermé à ces créatures qui nous ont mis au monde.
Vue de la ville d'Aokas, prise des hauteurs de la Route du Cap
Observant Malika dans sa façon professionnelle de mettre les hommes hors d’état de penser à autre chose, un vieux jeune homme que la crise de logement avait placé au rang des célibataires malgré eux, lança spontanément, en se tournant vers Malika, dans l’obscurité du bar, dans une musique appropriée aux airs du temps : et si tu n’existais pas dis-moi comment veux-tu que je baiserais ? Que Joe Dassin me pardonne qu’elle est mon seul et unique secours dans cet état de feu qui me dévore. Que Dieu lui réserve une place de choix dans son vaste paradis. Amen ! Répondît l’assistance aussi bien concernée que lui. Sans, probablement, ne jamais avoir entendu parler de Mark Twain, ce jeune homme le rejoignait dans sa pensée que la morale peut être un obstacle au bonheur de l’homme. Quelle que soit la façon dont la société voyait Malika, pour lui c’était Madame de la Délivrance. Une société dont les éléments attendaient jusqu’à 40 ans pour se marier et jouir des plaisirs charnels sur lesquels reposent toutes les bases de la création vivante est une société qui n’existe ni dans la bible ni dans le coran, elle échappe même à l’imagination du seigneur. Pour lui, à partir d’un certain âge disons, l’âge de la puberté, la libido est à satisfaire au même titre que la soif et la faim. Les nouvelles données socioéconomiques qui ont façonné une nouvelle définition du statut de la réussite sociale exigent de nous de faire la distinction entre le sexe, l’amour et le mariage. L’acte sexuel consenti ne doit pas être considéré comme une souillure à la femme mais un plaisir moralement admis et naturellement partagé. Il y va de l’équilibre de l’homme et de la femme et par là, l’équilibre de toute une société. Pour lui les jouissances sexuelles sont des jouissances comme toutes les autres, elles répondent à un besoin vital pour l’épanouissement de l’esprit et du corps et les organes sexuels ne sont que des organes par lesquels s’effectuent nos échanges d’énergie. De ces échanges particuliers découlent, comme dans la langue d’Esope, à la fois la pire et la meilleure des choses. En effet y’a pas pire qu’un viol ou un acte sexuel forcé, y’a pas meilleur qu’un plaisir sexuel partagé. Juridiquement, le premier vous vaudra jusqu’à 20 ans de prison comme en Europe et aux Etats-Unis, le second des félicitations, voire, même, des envieux. D’un point de vue anatomique le clitoris ne serait rien d’autre qu’un petit organe en forme d’interrupteur qui allume la femme, et le phallus, célébré dans certaines cultures comme organe de la fertilité, ne serait , avant tout, qu’une espèce de fusée destinée à envoyer la femme au 7eme ciel. Comme quoi l’électricité et le cosmos étaient bel et bien présents en nous, bien avant les théories. Et ainsi s’exprimait notre saltimbanque de la sociologie de l’extrême devant une assistance qui ne cadrait pas avec les normes sociales en vigueur. Ici, on s’éclatait et demain il fera jour.
La décennie 90, c’est la décennie noire, celle de la désolation. Les marchands de la mort avaient retiré de nos étalages les livres de Khayyâm et de Nouas pour les remplacer par ceux qui promettaient le supplice tombal aux mécréants qui refusaient d’acheter leurs arguments. Au nom de nouveaux vices et de vieilles vertus, on a cassé de la vigne, brulé des vignobles et tué des vignerons, il n’est resté que des vautours sur les cimes et des victimes dans l’abîme. Entre les 2 c’est le vide.
June 9, 2011
By Rachid C
La Route Du Cap (Cap Aokas)
Elle était suffisamment étroite pour dissuader les automobilistes et, suffisamment élevée, belle et rustique pour attirer les rêveurs et les romantiques sans matière, isolés dans leur masculinité errante par l’infranchissable mur de la pudeur. Elle s’est imposée sans décret comme une rue presque piétonnière, creusée loin de la protection syndicale, à l’époque coloniale de l’industrie de la pelle et de la main-d’œuvre « homo faux », en pleine montagne, selon une topographie idéale qui lui confère une pente très douce qui rend la promenade agréable et sans vertige, ce qui donne au promeneur qui s’élève sans se rendre compte, cette faculté de tout avoir à la portée de son regard. A gauche, c’est la verticalité boisée de la montagne sacrée, peuplée de singes, et, à droite, une mer toute bleue qui nous dispose gratuitement sa nécessaire ventilation sous le soleil des étés qui durent la moitié de l’année, et dont le flux et le reflux des vagues nous apportent, respectivement, espoir et désolation. En avançant à partir du village vers le double-tunnel, les ondes radio FM qui nous arrivent d’outre-mer, sans distorsion, comme pour aiguiser nos rêves dans un exotisme surréaliste, nous donnent l’impression que l’autre monde, celui auquel on aspire, est à un jet de pierre de là. Des voix de commentatrices des différentes stations, très professionnellement choisies, se dégagent émancipation, beauté et authenticité, dans un trempe-l’ouïe radiophonique qui nous faisait croire que tout le monde, là-bas, est fait comme elles. Par rapport à nos montres dont les aiguilles n’avancent pas, on est certain que de l’autre coté de l’horizon, il doit se passer, au quotidien quelque chose de vachement vivace. Ici, la relativité du temps n’a pas besoin de formules pour s’exprimer. Une heure en Algérie n’est qu’une fraction d’heure à l’étranger, effectivement ce que racontaient nos artistes, était juste : le temps à El Ghorba passe très vite. Un phénomène qu’on attribuait, un peu faussement, à la belle vie. Dans nos têtes c’était comme ça ; mettez un doigt sur une plaque chauffée à 100 degrés Celsius, pendant une seconde, ça vous paraitra une heure ; passez une heure avec une beauté que votre cœur avait choisie ça vous paraîtra une minute. C’était, au fait, de la sorte qu’Einstein avait tenté de scientifiquement vulgariser dans sa théorie relativiste, auprès de l’humanité profane, le phénomène de la relativité du temps qu’il avait formulé de façon intuitive à coups d’incompréhensibles postulats. Une aubaine pour l’esprit religieux de donner un sens à la légende chrétienne des Sept Dormants d’Ephese , racontée aussi par le Coran dans la sourate Al Kahf ( la cave) .Les 7 chrétiens fuyant la persécution romaine vers le second siècle de l’ère chrétienne, s’étaient endormis pendant 3 siècles dans une cave, croyant, à leur réveil , n’avoir dormi qu’une seule nuit. Et le Coran d’ajouter que pendant tout ce temps là, à l’entrée de la cave, leur chien veillait sur eux.
Au milieu de la route, quelques chèvres, probablement maltaises, qui n’ont rien à cirer avec les chevaliers de Malte, se croisent le plus normalement du monde avec les amateurs des mots croisés. Etre ici, c’est à la rigueur, gratuitement plus beau qu’être ailleurs. Pour compenser l’absence de la beauté féminine, on fait appel à d’autres éléments de beauté, ce n’est, peut-être, pas par l’art de le faire, mais, sans doute, par nécessité de rendre la vie plus supportable ou, d’une certaine façon, colorer l’ennui.
Au commencement de la route, une petite boulangerie qui sort du relief comme dans une scène de Disney Land, et, plus haut, sur le terrain qui surplombe paisiblement la route, une villa du style colonial qui, murmurait-on, appartenait à l’ancien premier ministre SNP Abdelghani, malaimé en Kabylie, pour avoir donné l’ordre d’emprisonner et de torturer dans les années 68 à 75, dans la sinistre prison Santa Cruz d’Oran, l’humble et brave révolutionnaire Slimane Amirat. L’information a été révélée, en direct, au public, via la télévision algérienne, par Amirat himself. Quelques mètres plus loin, mais cette fois-ci, à droite, se dresse le dernier édifice à signaler sur cette route : le fameux Hôtel du Cap. Plus loin, plus rien n’appartient plus à l’homme hormis le bitume et le mur de protection qui accompagnent le promeneur sans interruption, sur toute la longueur de la route. L’absence quasi absolue de toute activité humaine sur cette route qui s’étend est-ouest sur environ 5 kilomètres, a fait que la nature l’ait adoptée comme une partie d’elle. Comme quoi, ce que les hommes oublient, la nature a tendance à se le réapproprier. Il arrive, malheureusement, que le deal entre la nature et l’homme se fait à un certain prix. Dans les années 70, vers l’autre bout de la rue, une carrière placée, Dieu seul sait sous quelle insécurité, avait subi une explosion à la dynamite provoquant un éboulement qui a ravi, dans ses décombres, la vie à, au moins, 5 ouvriers. Ils étaient, si ma source est bonne, tous mariés et pères de familles. De la poussière, ils étaient enlevés, vers la poussière, ils y sont retournés. Dés lors on ferma la carrière, et à ce prix, la nature a repris, à partir de l’hôtel, possession complète de la route du cap. Durant le mois sacré du Ramadhan, cette route devenait un vrai havre pour la liberté du culte, où se rencontraient jeûneurs et non- jeûneurs dans un climat de mutuelle «acceptance » qui mettait en évidence le caractère privé du culte et de la pratique religieuse et qui montrait à quel point, à un certain degré de conscience, la vie est facilement vivable dans la différence. Mais à cause des fanatismes des hommes cela s’avérerait n’être que le prototype d’une société futuriste imaginée par les gens paisibles, qui connaitra le jour de la défaite de Satan, une forme de religion toute spirituelle débarrassée de ses dogmes.
Hotel Du Cap (Cap Aokas)
L’hôtel du cap est le vestige apparent de la prospérité coloniale qui rappelle à bien des égards les luxurieuses villas de l’Amérique Antebellum. La colonisation en Algérie était, selon Fréderic Engels, une véritable forme d’apartheid. Son ami Karl Marx qui a passé un séjour en Algérie, en témoin oculaire de notre misère, savait bien de quoi il parlait. Construit par les indigènes pour être interdit aux indigènes, l’indépendance l’avait rendu en bonne et due forme aux enfants de la patrie.
Au temps des colons, c’était l’époque de la tenue exigée, ou « dress to impress » comme aiment à rimer les anglo-saxons. Sur la terrasse de l’hôtel surplombant la vallée d’Aokas, le chanteur Enrico Macias envoyait, au moyen de sa voix et de sa guitare, des paquets d’ondes musicaux qui faisaient danser, en bas, dans le stade, sous un ciel africain, des françaises toutes heureuses, les cheveux aux 4 vents comme … des vol-au-vent.
La première décennie de l’indépendance était, disait-on, marquée par la présence d’Alki Yahyatene. Notre ami Diboune Slimane , en minimaliste marginalisé par une époque de conformisme absolu confortablement installé sur un matelas de 30 milliards de dollars de dette et arrosé par un pétrole au plus haut de sa valeur, petit vendeur ambulant de cacahuètes raréfiées par une révolution qui avait tourné agraire, ivre de vin et de rêves brisés , tombait en disgrâce et en larmes sous les chansons émouvantes, auprès de son idole kabyle aux cris désolés d’A Ya DDa Kli thaghitiyi (Akli, mon grand-frère, tu m’as achevé)
Les années 80, c’était la décennie des buveurs. C’était aussi l’époque de Malika la fausse blonde. L’autoritarisme de Boumediene avait laissé place à un président commode qui a décrété, à sa façon, la « politique d’ouverture ». Le rêve algérien s’exprimait en 3 mots : Honda, Villa wa Blonda. Ce qui pouvait expliquer l’épidémie de fausses blondes et la corruption en tout genre due à une demande largement supérieure à l’offre. Au marché noir, on achetait deux frigidaires au prix d’une Honda ou d’une Mazda au prix d’état.
Dans le monde des buveurs, le livre d’Omar Khayyâm intitulé les Roubaiyyates, a fait son apparition dans les étalages. Dans une ville de l’ouest, à l’annonce de la nouvelle, en lycéens assoiffés des lectures libérées, on s’est tous rués vers la librairie qui l’a mis en vente ; le dernier exemplaire qui en restait, par chance, était revenu à moi.
En France le livre d’Abu Nouas était traduit pour la première fois au français sous le titre la vie, le vin et le vent. A l’université, le slogan des buveurs était plutôt philosophique : Quoiqu’en disent Aristote et sa docte banale, le vin est divin il n’est rien qui l’égale. A l’ouest c’est plutôt raï wa travail, l’unité en bière. Le Joule, lui, l’unité physique du travail, était trop casse-tête pour faire partie des ambiances électriques. C’était aussi une drôle de façon de rendre plus fluide la constipation des sciences exactes qui attiraient, disons-le, les éléments les plus doués du pays. Confinés par la societé sous le titre d’éléments sérieux déstinés à l’élite, ils n’avaient, donc, pas le droit à la drague, considérée par la société comme une pratique subvérsive, succeptible de déclasser les éléments de bonne famille au rang de fils du péché (ouled lahram). Ce titre honorifique de fils de bonne famille qui les met hors d’état de draguer ou de tenter de se désalterer en dehors du mariage leur fait valoir de la part des initiés l’expression stéréotypique trés à la mode : “Il est aussi frustré qu’un étudiant des sciences exactes“. Contrairement aux fréres musulmans qui expliquaient leur chasteté par l’aspiration à un monde étérnél largement plus rémunéré, nos étudiants de la logique formelle, trés souvent, agnostiques ou athées sont victimes d’un titre social qui leur fait rater et ce monde et l’autre. Bref, une fois diplômés, ils seront ridiculisés par un pouvoir inculte qui les recrutera après un service national obligatoire, comme enseignants pour un salaire sans avenir ne dépassant pas le prix de quelques sacs de semoules par moi. Etait-il donné un peu d’audace au professeur du lycée pour recommander à ses élèves de travailler dur pour réussir comme il l’ a fait, lui, pour qui la réussite dans les études n’est pas loin d’ etre synonyme de naufrage dans la vie ? Bref, pour les buveurs des tendances marginales issues de la révolte contre l’ordre moral établi, c’était plutôt « rouge wala la3rab el 3oudj » (plutôt le rouge que ces arabes contre nature). Et les raimen qui avaient un penchant pour l’humour chantaient « el birra 3arbia, el whisky qbaili ».
L’ambiance du bar était sombre comme au bar. D’une table à une autre, Malika trimballait sa silhouette féminine prompte, enfin, à nous rappeler qu’on n’était pas des hermaphrodites, et qu’il y ‘avait des créatures complementaires aux hommes, qui nous avaient mis au monde, un monde qui avait tendance à s’apparenter à une société d’amazones, version masculine. Dans ce bar obscur, Malika était l’ultime représentante biologique d’un monde fermé à ces créatures qui nous ont mis au monde.
Vue de la ville d'Aokas, prise des hauteurs de la Route du Cap
Observant Malika dans sa façon professionnelle de mettre les hommes hors d’état de penser à autre chose, un vieux jeune homme que la crise de logement avait placé au rang des célibataires malgré eux, lança spontanément, en se tournant vers Malika, dans l’obscurité du bar, dans une musique appropriée aux airs du temps : et si tu n’existais pas dis-moi comment veux-tu que je baiserais ? Que Joe Dassin me pardonne qu’elle est mon seul et unique secours dans cet état de feu qui me dévore. Que Dieu lui réserve une place de choix dans son vaste paradis. Amen ! Répondît l’assistance aussi bien concernée que lui. Sans, probablement, ne jamais avoir entendu parler de Mark Twain, ce jeune homme le rejoignait dans sa pensée que la morale peut être un obstacle au bonheur de l’homme. Quelle que soit la façon dont la société voyait Malika, pour lui c’était Madame de la Délivrance. Une société dont les éléments attendaient jusqu’à 40 ans pour se marier et jouir des plaisirs charnels sur lesquels reposent toutes les bases de la création vivante est une société qui n’existe ni dans la bible ni dans le coran, elle échappe même à l’imagination du seigneur. Pour lui, à partir d’un certain âge disons, l’âge de la puberté, la libido est à satisfaire au même titre que la soif et la faim. Les nouvelles données socioéconomiques qui ont façonné une nouvelle définition du statut de la réussite sociale exigent de nous de faire la distinction entre le sexe, l’amour et le mariage. L’acte sexuel consenti ne doit pas être considéré comme une souillure à la femme mais un plaisir moralement admis et naturellement partagé. Il y va de l’équilibre de l’homme et de la femme et par là, l’équilibre de toute une société. Pour lui les jouissances sexuelles sont des jouissances comme toutes les autres, elles répondent à un besoin vital pour l’épanouissement de l’esprit et du corps et les organes sexuels ne sont que des organes par lesquels s’effectuent nos échanges d’énergie. De ces échanges particuliers découlent, comme dans la langue d’Esope, à la fois la pire et la meilleure des choses. En effet y’a pas pire qu’un viol ou un acte sexuel forcé, y’a pas meilleur qu’un plaisir sexuel partagé. Juridiquement, le premier vous vaudra jusqu’à 20 ans de prison comme en Europe et aux Etats-Unis, le second des félicitations, voire, même, des envieux. D’un point de vue anatomique le clitoris ne serait rien d’autre qu’un petit organe en forme d’interrupteur qui allume la femme, et le phallus, célébré dans certaines cultures comme organe de la fertilité, ne serait , avant tout, qu’une espèce de fusée destinée à envoyer la femme au 7eme ciel. Comme quoi l’électricité et le cosmos étaient bel et bien présents en nous, bien avant les théories. Et ainsi s’exprimait notre saltimbanque de la sociologie de l’extrême devant une assistance qui ne cadrait pas avec les normes sociales en vigueur. Ici, on s’éclatait et demain il fera jour.
La décennie 90, c’est la décennie noire, celle de la désolation. Les marchands de la mort avaient retiré de nos étalages les livres de Khayyâm et de Nouas pour les remplacer par ceux qui promettaient le supplice tombal aux mécréants qui refusaient d’acheter leurs arguments. Au nom de nouveaux vices et de vieilles vertus, on a cassé de la vigne, brulé des vignobles et tué des vignerons, il n’est resté que des vautours sur les cimes et des victimes dans l’abîme. Entre les 2 c’est le vide.
aokas-aitsmail- Nombre de messages : 1819
Date d'inscription : 01/03/2010
Re: LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
source:
http://www.kabyleuniversel.com/?p=1585
http://www.kabyleuniversel.com/?p=1585
aokas-aitsmail- Nombre de messages : 1819
Date d'inscription : 01/03/2010
Re: LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
"La décennie 90, c’est la décennie noire, celle de la désolation. Les marchands de la mort avaient retiré de nos étalages les livres de Khayyâm et de Nouas pour les remplacer par ceux qui promettaient le supplice tombal aux mécréants qui refusaient d’acheter leurs arguments. Au nom de nouveaux vices et de vieilles vertus, on a cassé de la vigne, brulé des vignobles et tué des vignerons, il n’est resté que des vautours sur les cimes et des victimes dans l’abîme. Entre les 2 c’est le vide."
donc nous étions dans une décennie rouge avant l'avénement de la décennie noire ,puisque l'auteur du texte apparemment regrete beaucoup les vignes ,les vins et même les vignerons .
et oui ,c'est ça le kabyle ,il passe toute sa vie à boire et puis ,un jour hop ,il s'aperçoit commepar enchantement que sa langue maternelle n'est plusd'actualité ,et le comble de l'hypocrésie est qu'il met ça sur le dos de bouteflika entre autres .
donc nous étions dans une décennie rouge avant l'avénement de la décennie noire ,puisque l'auteur du texte apparemment regrete beaucoup les vignes ,les vins et même les vignerons .
et oui ,c'est ça le kabyle ,il passe toute sa vie à boire et puis ,un jour hop ,il s'aperçoit commepar enchantement que sa langue maternelle n'est plusd'actualité ,et le comble de l'hypocrésie est qu'il met ça sur le dos de bouteflika entre autres .
Re: LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
Lotfi Bouslah
from america to aokas ...mdrrrrrrr ....
Larbix Caen
Tanemirt pr le partage.
Hacene Zidani
Très joli article et le plus joli c'est de reconstruire cette merveilleuse route aussi riche en nature qu'en histoire !
from america to aokas ...mdrrrrrrr ....
Larbix Caen
Tanemirt pr le partage.
Hacene Zidani
Très joli article et le plus joli c'est de reconstruire cette merveilleuse route aussi riche en nature qu'en histoire !
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
Larbix Caen
iwac l'APC ne veut pas mettre tivttiyin tiqdimin ( pas les futs de bière... lol) sur le long de cette rue pour récupérer les bouteilles vides et les cannettes?
Malek Amari
l' APC d'Aokas ne voi pas quelle sont les bonne chauses à faire , meme de netoyer les trotoire
iwac l'APC ne veut pas mettre tivttiyin tiqdimin ( pas les futs de bière... lol) sur le long de cette rue pour récupérer les bouteilles vides et les cannettes?
Malek Amari
l' APC d'Aokas ne voi pas quelle sont les bonne chauses à faire , meme de netoyer les trotoire
laic-aokas- Nombre de messages : 14024
Date d'inscription : 03/06/2011
Re: LA ROUTE DU CAP, LE BOULEVARD DES REVES BRISES (The Boulevard of Broken Dreams)
la langue du bois
fatima- Nombre de messages : 1074
Date d'inscription : 28/02/2009
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