La fantastique «trahison» de Ahmed Ouyahia ,apprenez la réal politique
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La fantastique «trahison» de Ahmed Ouyahia ,apprenez la réal politique
Par El-Kadi Ihsane , Le Quotidien d'Oran, 16 octobre 2003
Il était l’énigme politique de l’été. Il ne le restera pas jusqu’à la fin de l’année. Ahmed Ouyahia a bel et bien changé de tutelle politique. Enquête de personnalité sur une «trahison» fantastique qui prend à rebrousse-poil les thèses sur la rigidité du régime algérien.
Il était l’homme politique préféré et protégé des chefs de l’armée algérienne. Il est désormais un serviteur loyal du camp présidentiel. Le commentaire laconique du général en retraite Khaled Nezzar à son sujet - interview au Soir d’Algérie - révélait bien l’étendue du dépit «qui vivra verra !». Il n’y a plus de doute, Ahmed Ouyahia a trahi son clan historique: la brochette de généraux qui ont poussé le président Chadli à la porte pour en découdre avec le FIS à huis clos. Dans le but de nous sauver d’un destin iranien. Sa «trahison» lumineuse est la grande nouvelle «tactique» de l’année. Les généraux Nezzar, Lamari, Toufik, Touati et les autres peuvent être, en 2003, révoqués par un poulain de leur élevage. Car, que l’on ne s’y trompe pas, Ahmed Ouyahia a été pris au berceau. Dès l’Ecole nationale d’administration (ENA) à laquelle il doit son début de carrière dans la diplomatie. Il n’a jamais fait de mystère de son compagnonnage avec la sécurité militaire et son héritier le DRS. Serviteur zélé de l’Etat. A «l’habilitation» des services il doit une carrière fulgurante qui le mène des affaires étrangères au cabinet de la présidence puis à la tête du gouvernement en moins de cinq ans. Il la doit aussi sans doute à une capacité de travail reconnue largement au-dessus de la moyenne standard de la haute administration algérienne. Lorsque la famille de ses parrains s’est déchirée en 1997-1998 autour du contrôle du RND et du pays, il ne s’est pas trompé de côté de rue. Il a choisi Lamari et Toufik contre Zeroual et Betchine. Ahmed Ouyahia est intelligent. Il sait, mieux que la météo, faire des prévisions politiques supérieures à la semaine. Cette fois le choix était infiniment plus complexe. Bouteflika - Belkheir contre le reste de l’armée. Peu évident. La matrice du parrainage politique de Ahmed Ouyahia est toujours du même côté: ministère de la Défense nationale. Mais que dit le temps politique? Manifestement, il n’est pas brillant pour l’avenir des décideurs de 1992-1999. C’est sans doute la lecture qu’en a fait Ahmed Ouyahia avant de décider de se ranger du côté de Abdelaziz Bouteflika.
C’est, au fond, le bon sens même. Ahmed Ouyahia y a sûrement réfléchi. Pourquoi doit-il lier le sort de sa carrière politique à des généraux vieillissants, en retraite pour les uns, à quelques encablures de l’être pour d’autres, et qui ne sont pas certains de pouvoir librement voyager dans le monde dans les années qui viennent car certains de leurs actes «de gestion des vies humaines» les poursuivront ? Ahmed Ouyahia, s’il veut devenir «le Poutine algérien» que l’on nous a promis, devait s’émanciper de son «Boris Eltsine» ou de son KGB, un jour ou l’autre. C’est arrivé cette année. Plus vite que prévu. Mais qu’est-ce qui a bien pu se passer dans la tête du chef du gouvernement pour qu’il décide ainsi d’aider le président - adversaire de sa maison mère au risque de s’exposer à la pire des vendettas comme d’ailleurs le lui rappellent les propos sibyllins de Khaled Nezzar ? Rien.
Ahmed Ouyahia a tout simplement observé l’évolution des rapports de force entre le nouveau président civil, Bouteflika, et les anciens généraux qui tiennent le pays depuis 1992. Il a vu que ses protecteurs n’ont pas pu lui éviter en 2002 l’effondrement de son parti, le RND, passé en un jour de 155 à 48 députés à l’Assemblée nationale. Personne n’a rien pu pour lui. Zerhouni, le ministre de l’Intérieur, a laissé jouer les urnes et la façade RND a explosé. C’est sans doute déjà en ces journées pénibles de début juin 2002 où, sous les quolibets de la déconfiture électorale, il a dû quitter l’hôtel du Mouflon d’Or laissant le congrès du RND sans tête, qu’il a pris sa résolution: si les généraux ne peuvent pas plus que cela pour moi, alors mon avenir est ailleurs. Et puis, c’est l’air du temps qui le veut. Bouteflika surfe sur la vague impériale américaine, il a des amis au Texas, à Paris et dans le Golfe arabe. Là où ça compte... finalement plus qu’aux Tagarins et à Dely Brahim. En choisissant Bouteflika, Ouyahia l’a joué «branché». Car, devine-t-il, il devient ringard d’avoir des parrains nationaux, militaires a fortiori. Alors si en plus ils n’apportent plus aucune garantie de succès électoral...
Le passage de Ahmed Ouyahia - un homme politique qui compte - de «sous une tutelle militaire» à «sous une tutelle civile» est un événement important. Il pourrait signifier que le pouvoir réel glisse lentement du côté du pouvoir formel. Les politiques civils - en l’occurrence le camp présidentiel aujourd’hui - auraient les moyens de se protéger de l’influence jusqu’ici décisive de l’armée.
La trahison de Ahmed Ouyahia, le Poutine algérien, outre le fait qu’elle le fait plus ressembler désormais à Nicolas Sarkozy lâchant son «père» Chirac pour Balladur en 1995, serait donc - à l’échelle du sérail - un acte fondateur d’une modernité politique. Pas tout à fait, hélas. Car le style, lui, ne s’est pas émancipé. Il est toujours totalement vissé sur le seul objectif de durer et d’obtenir de l’avancement. Un peu comme à la caserne. Il faut donc se faire tout petit. La preuve ? Ahmed Ouyahia apprend comme tout le monde les noms des ministres du gouvernement qu’il dirige à la télévision. Ou presque. La Constitution dit pourtant que c’est lui qui propose les ministres au chef de l’Etat qui les nomme. Avec Ahmed Ouyahia bis, la fonction de chef du gouvernement, martyrisée depuis 10 ans, plonge un peu plus vers le service d’étage. Tous les moyens ne sont pas bons pour arriver. Même en politique.
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