Apropos du livre de Said Sadi sur le colonel Amirouche
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Apropos du livre de Said Sadi sur le colonel Amirouche
Le texte ci-après est une contribution que j'ai envoyée au Quotidien d'Oran le 16 juin 2010, suite à la lettre du Pr Farouk Mohamed Brahim au Dr Said Sadi, parue le 5 juin dans les colonnes de ce même journal. Plus d'un mois après, ma contribution n'est toujours pas publiée. J'ai demandé aux responsables de la rédaction du Quotidien d'Oran de m'informer du sort qu'ils réservaient à ma contribution. Ils m'ont répondu que seul Said Sadi est en droit de répondre au Pr Farouk car la lettre de ce dernier s'adressait exclusivement à Said Sadi ! Sans commentaire.
C'est pourquoi j'ai décidé de recourir à Facebook. Voici donc la contribution que le Quotidien d'Oran a censurée .
A PROPOS DU LIVRE DE SAID SADI SUR AMIROUCHE
LETTRE AU PROFESSEUR MOHAMMED-BRAHIM FAROUK
Par Said Chekri*
Il y a quelque chose de profondément malsain dans la polémique provoquée par le livre de Said Sadi sur le colonel Amirouche. Après les réactions violentes d’anciens membres du MALG et assimilés ou de l’armée des frontières qu’un tel ouvrage ne pouvait agréer et dont l’illustration la plus accomplie reste la littérature injurieuse et ouvertement antikabyle de Mourad Benachenhou, il y eut celle d’un certain Mebroukine, inconsolable partisan de Boumediène, puis celle de Kafi qui n’aimait ni Amirouche ni Abane et qui, de par son parcours et ses positions politiques, ne peut rien partager avec Sadi. Il y eut enfin celle de Daho Ould Kablia, qui s’exprimait ès qualité, en tant que président de l’Association des anciens cadres du MALG, quelques jours avant sa promotion au poste de ministre de l’intérieur. A tout ce beau monde, et à d’autres encore, Sadi a répondu, allant parfois jusqu’à reproduire dans la presse des documents déjà publiés dans le livre. Des officiers de l’ALN ayant activé dans la wilaya III et dont certains ont côtoyé Amirouche se sont quelquefois invités dans l’arène. Ces derniers ont tous salué le livre et ont, pour le moins, confirmé le rôle majeur du colonel Amirouche durant la guerre de libération nationale et les conséquences néfastes de l’action du MALG sur les maquis de l'intérieur, donnant leur plein sens aux circonstances douteuses de la mort du colonel de la wilaya III. Dès les premières critiques adressées à Sadi, se profilait déjà une certaine propension à ignorer le contenu du livre pour ne s’en tenir qu’à ce qu’on « savait déjà » sur Amirouche tel qu’il fut décrit par la propagande de l’armée coloniale puis par celle du régime en place depuis 1962 : un sanguinaire sans foi ni loi, un islamiste avant l’heure, voire même « un criminel de guerre », selon l’ancien ministre Mourad Benachenhou qui, en 2010, se découvre une sensibilité pour la question des droits de l’Homme. Comme quoi, il ne faut désespérer de rien. Les réactions de Said Sadi n’ont pas eu droit à plus d’attention, les témoignages d’officiers de l’ALN, dont celui du colonel Youcef Khatib, ancien chef de la wilaya IV, non plus.
L’autisme calculé du clan
L’auteur du livre a beau prouver, document à l’appui, que Kafi ment et que Ould Kablia est de mauvaise foi quand il dit regretter les « tentatives de singulariser la Kabylie », rien n’y fit : on fait comme si Sadi n’avait pas écrit de livre sur Amirouche. Pour éviter d’entendre les vérités qui l’éclaboussent, le clan se réfugie dans un autisme calculé. Comme d’habitude. Du coup, on ne répondra pas au contenu de l’ouvrage, on ne produira aucun document en mesure de démentir ce qui y est rapporté. En revanche, Sadi a droit à tous les reproches et même à des accusations. Ce faisant, ces va-t-en-guerre en temps de paix se sont plus souvent contredits entre eux qu’ils n’auront épinglé Sadi, les uns mettant à nu les affirmations farfelues et les falsifications des autres. La polémique ne pouvait donc en rester là, d’autant que les « nouvelles du front » faisaient déjà état du lancement de la deuxième édition de l’ouvrage, signe que son succès n’a pas été altéré par ses détracteurs. Vint alors cette réaction d’un genre nouveau car n’émanant ni d’un acteur de la guerre de libération, ni d’un historien, ni d’un personnage affichant une quelconque couleur politique. Le texte, intitulé sobrement « lettre au Dr Sadi », publié dans Le Quotidien d’Oran du 5 juin 2010 et signé par un certain Mohammed-Brahim Farouk, professeur de chirurgie et de cancérologie au CHU d’Oran s’inscrit malheureusement dans la logique du procès fait à Said Sadi. Je ne connais pas le Pr Farouk. Je n’ai donc aucune raison particulière d’en vouloir à sa personne. Mais ses remarques sur le livre, largement tendancieuses, me paraissent dangereuses quoi qu’amusantes par endroits. Ces remarques sont, à mes yeux, l’illustration d’un parti pris flagrant qui, loin d’être propre au chirurgien du CHU d’Oran, est assez répandu chez nos intellectuels trop souvent silencieux mais capables quelquefois d’un sectarisme qui n’a rien à envier à celui des Benachenhou, Kafi et consorts. Il se trouve qu’en la matière, le Professeur se montre largement en mesure de rivaliser avec eux et c’est le plus inquiétant car, contrairement à eux, il n’est pas tenu, du moins en apparence, de se conformer à une quelconque solidarité clanique. D’emblée, le professeur avertit qu’il a lu le livre deux fois au lieu d’une. A la bonne heure, pourrait-on se réjouir car en voilà un qui, apparemment, aime lire. Mais on comprendra vite qu’une telle entrée en matière est faite pour signifier que le Pr Farouk a pris tout le temps nécessaire pour relever toutes les incohérences ou autres contrevérités auxquelles Sadi se serait laissé aller. Et, du coup, l’on s’interroge: ces incohérences et/ou contrevérités seraient-elles si nombreuses qu’une seule lecture n’aurait pas suffi pour toutes les repérer ? Ou, au contraire, sont-elles si rares qu’il a fallu relire pour en débusquer quelques unes que Sadi aurait malicieusement camouflées au détour d’une phrase, coincées entre deux paragraphes, cachées au « creux d’un chapitre » ou distillées entre les lignes? Là aussi, on ne s’interrogera pas longtemps : une seule lecture de la lettre du Professeur suffit pour comprendre pourquoi il a du lire deux fois le livre. L’on devine même que ce furent plutôt des lectures fastidieuses que le cancérologue avait du s’infliger, un crayon à la main, pour débusquer des « tumeurs» dans le corps du texte. Des « tumeurs » qu’il a fini par trouver, comme de bien entendu. Parce qu’il fallait en trouver à tout prix, quitte à les inventer si la double auscultation ne les révélait pas. C’est le but même de la double-lecture. C’est l’objet même de quelque lettre de mission, diraient les plus méfiants. Il commence par des critiques de forme. S’adressant à Sadi, il fait part de sa « déception de voir l’homme politique prendre le dessus sur l’historien qu’il aurait voulu être» et de sa « colère de voir que la biographie d’un héros national sert de trame à une analyse politique partisane ». On ne sait pas si le Professeur s’en rend compte ou non, mais la raison de sa déception et l’objet de sa colère ne font qu’un, la colère comme la déception étant motivées, ici, par le fait que l’homme politique ait osé se mêler de l’Histoire. La Pr Farouk n’est pas le premier à vouloir mettre en exergue cette contradiction factice entre l’engagement politique d’un homme et l’intérêt qu’il peut (qu’il doit) porter à l’Histoire de son pays et qui peut l’amener, le cas échéant, à écrire sur telle ou telle autre période de cette Histoire. D’autres avant lui, comme Ali Kafi et M. Benachenhou, ont relevé cette prétendue incongruité sans jamais nous dire au nom de quoi il conviendrait d’interdire aux hommes politiques de s’intéresser à l’Histoire. Je remarque, au passage, que ce reproche est spécialement réservé à Said Sadi. Car Daho Ould Kablia, lui aussi, a écrit sur des sujets d’Histoire et continue de le faire, comme tant d’autres, sans susciter nulle part ni colère ni déception. Il est vrai qu’il ne partage pas grand-chose avec le Dr Sadi : ni une vision de l’Histoire, ni un projet politique…ni d’ailleurs la même qualité d’écriture, soulignons-le. Rassurez-vous donc, Professeur, ce n’est pas l’écriture de l’Histoire qui pollue et corrompt le monde politique. Cette pollution et cette corruption qui ont pour conséquence et pour but le brouillage des repères sont plutôt dues à la mise sous scellés de l’Histoire et à sa soumission constante à la falsification et à la censure. Réfrénez donc votre colère, Professeur ! Ou, plutôt, essayez, si possible, de la diriger ailleurs ! Car enfin, ne voyez-vous pas que ce sont d’autres que Said Sadi qui manipulent et triturent l’Histoire, ceux-là mêmes qui faussent les règles du jeu politique en recourant, entre autres, aux mêmes malversations que celles usitées durant la guerre de libération nationale et avant ? En tout état de cause, ce reproche que vous faites à Sadi d’avoir une analyse politique qui repose sur des faits d’Histoire est insensé. En revanche, c’est le reproche inverse qui devrait émaner de l’universitaire que vous êtes et que vous auriez du adresser à d’autres que Said Sadi, et notamment à ceux là qui ont bâti des stratégies de prise du pouvoir et/ou de maintien au pouvoir et qui les « légitiment» au forceps, par la violence et par le trucage (celui des urnes y compris), en leur inventant des racines et des soubassements historiques. Aussi, me vois-je contraint à faire preuve d’une petite insolence pour vous le dire, car il vous faut bien l’entendre: il est navrant que l’universitaire que vous êtes n’ait pas pris le dessus sur l’antikabyle ordinaire qui s’est révélé en vous tout au long de votre « lettre à Said Sadi » Dans ma profession, en Algérie et ailleurs, l’on s’accorde à dire qu’il n’est pas conseillé à un journaliste d’aborder des sujets politiques quand il n’a pas un minimum de connaissances en histoire. Et même de géographie lorsqu’on veut s’attaquer à des thèmes de politique internationale. C’est que la politique et l’histoire (et, quelquefois, la géographie) sont indissociables, Professeur. Voyez comment, en France, la gauche et la droite trouvent en la controverse factuelle portant sur la réforme des retraites, une occasion de se déchirer et de se disputer tantôt l’héritage de Mitterrand, tantôt celui de Gaulle, voire même celui de Jean Jaurès. L’on dit aussi que la politique, c’est l’histoire conjuguée au présent. Les nations du monde entier sont constamment travaillées par leur histoire. Inévitablement. Parmi elles, il y a celles qui avancent car elles ont su écouter et assumer leur histoire, avec tout ce qu’elle leur dit, tout ce qu’elle leur dicte, et celles, comme la nôtre, qui baignent dans le sous développement et les crises à répétition, avec leurs lots de drames et de malheurs, pour avoir tourné le dos à la leur en lui en substituant une autre, souvent soft, clean et lisse, mais factice et aux conséquences dévastatrices.
Lecture par charcutage
Le cancérologue ayant diagnostiqué le mal, il ne reste plus qu’à opérer. Au billard, donc. Et, à l’exercice du charcutage, le chirurgien qu’il est se révèle encore plus doué ! Je parle ici de charcutage au sens propre, Professeur, tant vous vous êtes systématiquement employé d’abord à cibler des morceaux de texte, voire des portions de phrases, que vous avez ensuite pris le soin d’extraire du contexte général dans lequel l’auteur les a placés, pour enfin les greffer à vos propres élucubrations. De la vraie chirurgie, rien à dire. Ainsi, de toute la description que Said Sadi fait du personnage du colonel Mohamedi Said dont il n’a pas manqué de souligner l’engagement désintéressé, vous ne retenez que son embonpoint et ses 130 kg que l’auteur a évoqués. Si quelque cinéaste venait demain à porter le livre de Said Sadi à l’écran, devrai-t-il choisir un acteur svelte, beau, jeune et fort pour camper le rôle de Mohamedi Said ? A ce jeu là, Brad Pitt serait tout indiqué. Et pourquoi pas Di Caprio en lunettes pour donner un visage plus avenant à Boussouf et Tom Cruise pour un Krim Belkacem au crâne moins dégarni? J’ose ces plaisanteries d’abord parce que je suis réellement amusé de lire vos critiques, ensuite parce que je veux vous rappeler que la description d’un personnage, d’un paysage ou d’un champ de bataille dans un livre est un exercice difficile tant elle doit être la plus fidèle possible pour rendre visible et palpable le contexte réel des faits et méfaits des uns et des autres. Car les faits et méfaits sont plus justement appréciés lorsqu’ils sont rapportés dans leur contexte. Comme les mots, Professeur. Mais on le voit bien, c’est un « protocole littéraire » auquel vous n’aimez pas vous soumettre. C’est votre droit et cela vous permet d’avoir le scalp facile. Sauf qu’au bout, comme vous le constatez, le résultat risque de vous décevoir encore plus que le livre de Said Sadi. Après avoir délivré Mohamedi Said des griffes du méchant Sadi, le Pr Farouk vole au secours d’un autre colonel, Ali Kafi. Celui-ci est certainement moins défendable, surtout en sa qualité d’ancien chef d’Etat pris en flagrant délit de mensonge, mais Said Sadi, lui, doit être accablé. Systématiquement, c’est la règle. Cela étant, le Professeur reconnaît au Dr Sadi le droit de ne pas partager les opinions de Kafi. Comme Ould Kablia « l’autorisait » quelques jours auparavant à ne pas adhérer aux options de Boumediène. J’observe que, dans cette polémique, cette façon de « lire ses droits » à un homme politique est réservée exclusivement à Said Sadi. On l’aura compris : ces droits, qui restent prescriptibles pour Said Sadi, sont imprescriptibles car naturels pour ses adversaires. Jamais l’inverse. Mais c’est lorsque notre praticien se fait l’avocat du colonel Lotfi qui n’est accusé de rien que l’on mesure réellement son acharnement à contredire Sadi, coûte que coûte. Tout en reconnaissant que l’auteur du livre a attribué des « qualificatifs élogieux » au colonel Lotfi, le cancérologue trouve quand même à redire : un Kabyle disant du bien d’un non Kabyle, c’est toujours sujet à caution quant ce n’est pas tout simplement suspect. Sadi décrit Mohammedi Said tel qu’il était ? C’est pour le « ridiculiser.» Sadi dénonce Kafi ? Il n’a pas le droit d’agir ainsi, ni envers l’homme, ni envers l’un des premiers maquisards qu’il fut. Sadi encense Lotfi ? Il s’octroie le rôle de juge et ses intentions sont douteuses. On le vérifiera constamment, le Pr fait montre de fabuleux dons en matière de télépathie chaque fois qu’il lui faut deviner quelque dessein inavouable nourri par l’auteur du livre.
Lecture par télépathie
Pour autant, il n’est pas dit que le Professeur Farouk fait toujours preuve de la même disponibilité et de la même rage à défendre les colonels. Il y en a un, en tout cas, qu’il n’hésite pas à écrabouiller, s’arrogeant ainsi tous les droits, à commencer par ceux qu’il dénie à Sadi. Le colonel que le professeur n’aime pas ? Amirouche, bien entendu. Reprenant à son compte les injures de M. Benachenhou, il traite le chef de la wilaya III de «criminel de guerre.» Dans la tête de notre cancérologue, c’est sans doute moins grave que de décrire la corpulence de Mohamedi Said ! Ne mesurant pas le degré de son enlisement, le professeur ira jusqu’à s’offusquer de ce que l’auteur du livre ait évoqué l’âge du personnage dont il a écrit la biographie ! C’est ainsi qu’il achève d’enlever toute crédibilité à sa « colère » et à sa « déception». Accusant Said Sadi de jouer au juge lorsqu’il louait les qualités de Lotfi, il ne se gène pas d’invoquer un jugement très personnel, celui de Ferhat Abbas, pour diminuer des capacités de commandement qui étaient celles du colonel Amirouche. Encore que le premier président du GPRA ne s’exprimait pas dans la même logique et n’avait pas les mêmes intentions que le Pr Farouk. En fait, ce dernier a soumis le livre de Ferhat Abbas à la même chirurgie qu’il a fait subir à celui de Said Sadi. Cela s’appelle une manipulation de témoignage, Professeur, et cela est prévu dans le code pénal. Le professeur Farouk reproche ensuite à Sadi Sadi d’avoir mis en exergue la « tolérance d’Amirouche » parce que cette tolérance là était partagée par tous les Algériens qui, écrit le Professeur, « vivaient leur religion dans le cadre de la laïcité, avant que notre pays ne soit le théâtre de bigoterie sous entendue par l’islamisme ». L’on ne comprend pas en quoi cela pourrait contredire Said Sadi, Professeur, ni en quoi cela pourrait remettre en cause les qualités d’ouverture et de respect du à autrui qui étaient celles d’Amirouche. En revanche, vous épousez parfaitement le discours de Said Sadi et les positions qu’il avait été, pendant longtemps, bien seul à défendre, souvent face aux islamistes et envers et contre le conservatisme du régime. L’on se pose juste une question : où étiez-vous lorsqu’il était mortel d’évoquer la laïcité ? Apparemment, la laïcité est à vous ce que les droits de l’Homme sont à M. Benachenhou : vous n’en parlez que lorsque tout danger est écarté et, surtout, lorsque vous croyez pouvoir vous en saisir pour accabler celui qui, sur ces deux dossiers et sur d’autres, vous procure certainement bien des complexes, voire des cauchemars. « Quand on s’engage dans la révolution, on est des hommes en sursis ». Ce sont là des propos de Abane Ramdane que le Pr Farouk a tenu à rappeler, comme pour nous signifier que Abane a « accepté » sa mort et que nous n’avons, à présent, qu’à digérer celle d’Amirouche. Ce faisant, il dresse un parallèle troublant entre la liquidation de Abane et la fin d’Amirouche. Il faut l’en remercier sincèrement même si l’aveu est involontaire. Bien sûr, le Pr Farouk va s’essayer à remettre en cause la thèse du complot qui a coûté la vie à Amirouche. Quitte à lui « lire ses droits » à mon tour, j’estime qu’il est libre de croire et même de faire mine de croire les « témoignages » d’Ould Kablia, de Kafi ou de M. Benachenhou. Mais il rechute encore lorsqu’il considère « pleine de sous entendus » la mise en exergue de la mort d’Amirouche « en dehors de la Kabylie ». Oui, Professeur, tuer ou faire tuer Amirouche dans son antre qu’était la Kabylie était extrêmement difficile, voire impossible. Vous comprendriez bien que l’armée coloniale n’aurait pas attendu mars 1959, ni un quelconque coup de pouce de Boussouf, si elle pouvait le faire auparavant.
Au secours de l’ignominie
A vous lire, on en vient aisément à comprendre que l’évocation de la Kabylie vous indispose immanquablement. C’est ainsi que vous allez jusqu’à en vouloir à Said Sadi d’avoir reproduit des citations en Kabyle ! Qui croyez-vous tromper en faisant mine de ne pas avoir remarqué qu’il a aussi reproduit des citations en arabe et en anglais ? La langue usitée par les personnages d’un livre fait partie du décor, cher professeur. Et donc du contexte. Faut-il encore vous refaire la leçon ? Tenez, c’est en faisant l’impasse sur le contexte qu’Ould Kablia a commis une bourde monumentale. Voulant imputer l’extermination de la compagnie Hidouche qui rentrait de Tunisie aux seuls aléas de la guerre et de la météo, et surtout pour laver l’armée des frontières et le MALG de toute responsabilité, il a évoqué une crue d’oued qui aurait empêché ladite compagnie de rejoindre la wilaya III, alors que les faits ont eu lieu en…juin 1959. Il se trouve que Sadi, rompu aux techniques d’écriture, ne partage pas avec Ould Kablia l’amour de ce sport qui consiste à dissocier les faits du cadre général de leur déroulement. C’est pourquoi il a constamment le souci du détail. Plus zélé que Kafi, Benachenhou, Ould Kablia et Mebroukine réunis, ce que vous écrivez sur la séquestration des ossements d’Amirouche et de Si El Haouès est d’une monstruosité inédite. Avant vous, Professeur, personne, pas même Mebroukine qui avait jusque là la palme du défenseur le plus acharné de Boumediène, n’était allé jusqu’à supposer que celui-ci avait des « raisons » de déterrer les restes de deux martyrs de la guerre de libération et de les mettre dans le sous sol d’une caserne. Kafi lui-même a durement condamné cet acte, même si par ailleurs, il a appelé au meurtre de Said Sadi et de Noureddine Ait Hamouda, le fils d’Amirouche. Comment un universitaire en arrive-t-il, en 2010, à justifier une telle ignominie commise en 1963 par un ministre de la défense (puis chef d’Etat) disparu en 1978 ? C’est là un exercice qui, jusqu’ici, n’a tenté que le seul Pr Farouk. On voit bien où peut mener l’aveuglement antikabyle. Cet aveuglement apparaît aussi dans toute sa hideur lorsque le professeur croit avoir deviné des arrières pensées dangereuses chez l’auteur dès lors que celui-ci a usé de l’expression « chef kabyle » pour désigner Amirouche. Ceux qui ont lu le livre et qui savent donc que Said Sadi a également écrit chef « chaoui », « aurésien » ou encore « nord-constantinois » comprendront bien que le disque dur du Professeur ne peut lire le mot kabyle que comme un péril et non une origine algérienne comme une autre. « Amirouche, au même titre que Zabana ou le colonel Lotfi, est un illustre héros national pour les Oranais », écrit le Pr Farouk. Voilà un bien joli démenti qui n’écorchera certainement pas les oreilles de Said Sadi mais à coup sûr celles de M. Benachenhou qui réduit le colonel de la wilaya III à la dimension de « héros local ». Tout au long de son livre, le Dr Sadi n’a cessé de souligner, pour sa part, cette envergure d’Amirouche qui transcendait, dans ses réflexions, dans son action et dans sa vision d’avenir, les limites de la région qu’il commandait. Sa mission aux Aurès où il a laissé la coquette somme de 70 millions de centimes, ses voyages à Tunis, y compris celui avorté, et son « testament » étaient tous voués à l’Algérie entière et solidaire et, les lecteurs l’auront relevé, cela constitue l’un des messages forts du livre de Said Sadi. Cela n’empêche pas le Pr Farouk de prêter à l’auteur de l’ouvrage une intention qu’il aura été le seul à déceler. Il est vrai qu’en la matière, il semble avoir des aptitudes inégalables. Said Sadi a décrit l’impeccable organisation de la wilaya III et la répartition judicieuses des tâches et missions, allant jusqu’à comparer le staff activant au PC d’Amirouche à un gouvernement dont chaque membre est en charge d’un secteur donné (Finances, Santé, Education,…). Mal lui en prit car, aux yeux du Pr Farouk qui lit autant dans le livre que dans la tête de l’auteur, Amirouche serait ainsi montré comme « le précurseur des idées défendues par le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, lui qui est mort pour une Algérie indépendante et unie ». Dit autrement et plus simplement, Said Sadi serait du MAK ! Lui qui, le premier, avait rejeté l’idée même d’autonomie de la Kabylie, lui préférant le projet de régionalisation cher à son parti et à tous ceux qui ont pu mesurer les dégâts du centralisme du pouvoir! Ce même Said Sadi qui a toujours martelé qu’«il ne faut pas structurer le désespoir », et qui vient de le redire en réaction à la création d’un Gouvernement provisoire de Kabylie ! Je l’écrivais tout au début de cette contribution, la polémique suscitée par le livre de Said Sadi avait quelque chose de malsain par endroits. Avec l’intrusion du Pr Farouk dans les échanges par presse interposée, elle tourne au vaudeville, quelquefois au burlesque. Dire que c’est un universitaire qui vient sonner le glas du maigre espoir qui nous restait de voir s’amorcer le vrai débat contradictoire que le livre pouvait pourtant enclencher. Après tout cela, le Pr conseille au Dr Sadi de rester « l’homme politique, défenseur d’une Algérie républicaine, démocratique, moderne, ouverte sur l’universalité (…) ». Remarquons ce miracle : après avoir été accusé de tous les maux et même soupçonné de rouler pour l’autonomie de la Kabylie, Sadi s’en sort sans une égratignure. Il est toujours le défenseur de l’Algérie républicaine, démocratique, moderne, ouverte sur l’universalité et c'est le Pr Farouk qui l'écrit! Un miracle, vous dis-je ! Conseillons donc au chirurgien de laisser de côté son scalp à lacérer les livres d’Histoire et de lui préférer le bistouri, et au cancérologue qu’il est de ne pas mettre autant de hargne et d’acharnement à trouver des tumeurs cancéreuses là où il n’y en a pas : il pourrait envoyer ses patients droit au cimetière.
S.C
*Journaliste, Alger
C'est pourquoi j'ai décidé de recourir à Facebook. Voici donc la contribution que le Quotidien d'Oran a censurée .
A PROPOS DU LIVRE DE SAID SADI SUR AMIROUCHE
LETTRE AU PROFESSEUR MOHAMMED-BRAHIM FAROUK
Par Said Chekri*
Il y a quelque chose de profondément malsain dans la polémique provoquée par le livre de Said Sadi sur le colonel Amirouche. Après les réactions violentes d’anciens membres du MALG et assimilés ou de l’armée des frontières qu’un tel ouvrage ne pouvait agréer et dont l’illustration la plus accomplie reste la littérature injurieuse et ouvertement antikabyle de Mourad Benachenhou, il y eut celle d’un certain Mebroukine, inconsolable partisan de Boumediène, puis celle de Kafi qui n’aimait ni Amirouche ni Abane et qui, de par son parcours et ses positions politiques, ne peut rien partager avec Sadi. Il y eut enfin celle de Daho Ould Kablia, qui s’exprimait ès qualité, en tant que président de l’Association des anciens cadres du MALG, quelques jours avant sa promotion au poste de ministre de l’intérieur. A tout ce beau monde, et à d’autres encore, Sadi a répondu, allant parfois jusqu’à reproduire dans la presse des documents déjà publiés dans le livre. Des officiers de l’ALN ayant activé dans la wilaya III et dont certains ont côtoyé Amirouche se sont quelquefois invités dans l’arène. Ces derniers ont tous salué le livre et ont, pour le moins, confirmé le rôle majeur du colonel Amirouche durant la guerre de libération nationale et les conséquences néfastes de l’action du MALG sur les maquis de l'intérieur, donnant leur plein sens aux circonstances douteuses de la mort du colonel de la wilaya III. Dès les premières critiques adressées à Sadi, se profilait déjà une certaine propension à ignorer le contenu du livre pour ne s’en tenir qu’à ce qu’on « savait déjà » sur Amirouche tel qu’il fut décrit par la propagande de l’armée coloniale puis par celle du régime en place depuis 1962 : un sanguinaire sans foi ni loi, un islamiste avant l’heure, voire même « un criminel de guerre », selon l’ancien ministre Mourad Benachenhou qui, en 2010, se découvre une sensibilité pour la question des droits de l’Homme. Comme quoi, il ne faut désespérer de rien. Les réactions de Said Sadi n’ont pas eu droit à plus d’attention, les témoignages d’officiers de l’ALN, dont celui du colonel Youcef Khatib, ancien chef de la wilaya IV, non plus.
L’autisme calculé du clan
L’auteur du livre a beau prouver, document à l’appui, que Kafi ment et que Ould Kablia est de mauvaise foi quand il dit regretter les « tentatives de singulariser la Kabylie », rien n’y fit : on fait comme si Sadi n’avait pas écrit de livre sur Amirouche. Pour éviter d’entendre les vérités qui l’éclaboussent, le clan se réfugie dans un autisme calculé. Comme d’habitude. Du coup, on ne répondra pas au contenu de l’ouvrage, on ne produira aucun document en mesure de démentir ce qui y est rapporté. En revanche, Sadi a droit à tous les reproches et même à des accusations. Ce faisant, ces va-t-en-guerre en temps de paix se sont plus souvent contredits entre eux qu’ils n’auront épinglé Sadi, les uns mettant à nu les affirmations farfelues et les falsifications des autres. La polémique ne pouvait donc en rester là, d’autant que les « nouvelles du front » faisaient déjà état du lancement de la deuxième édition de l’ouvrage, signe que son succès n’a pas été altéré par ses détracteurs. Vint alors cette réaction d’un genre nouveau car n’émanant ni d’un acteur de la guerre de libération, ni d’un historien, ni d’un personnage affichant une quelconque couleur politique. Le texte, intitulé sobrement « lettre au Dr Sadi », publié dans Le Quotidien d’Oran du 5 juin 2010 et signé par un certain Mohammed-Brahim Farouk, professeur de chirurgie et de cancérologie au CHU d’Oran s’inscrit malheureusement dans la logique du procès fait à Said Sadi. Je ne connais pas le Pr Farouk. Je n’ai donc aucune raison particulière d’en vouloir à sa personne. Mais ses remarques sur le livre, largement tendancieuses, me paraissent dangereuses quoi qu’amusantes par endroits. Ces remarques sont, à mes yeux, l’illustration d’un parti pris flagrant qui, loin d’être propre au chirurgien du CHU d’Oran, est assez répandu chez nos intellectuels trop souvent silencieux mais capables quelquefois d’un sectarisme qui n’a rien à envier à celui des Benachenhou, Kafi et consorts. Il se trouve qu’en la matière, le Professeur se montre largement en mesure de rivaliser avec eux et c’est le plus inquiétant car, contrairement à eux, il n’est pas tenu, du moins en apparence, de se conformer à une quelconque solidarité clanique. D’emblée, le professeur avertit qu’il a lu le livre deux fois au lieu d’une. A la bonne heure, pourrait-on se réjouir car en voilà un qui, apparemment, aime lire. Mais on comprendra vite qu’une telle entrée en matière est faite pour signifier que le Pr Farouk a pris tout le temps nécessaire pour relever toutes les incohérences ou autres contrevérités auxquelles Sadi se serait laissé aller. Et, du coup, l’on s’interroge: ces incohérences et/ou contrevérités seraient-elles si nombreuses qu’une seule lecture n’aurait pas suffi pour toutes les repérer ? Ou, au contraire, sont-elles si rares qu’il a fallu relire pour en débusquer quelques unes que Sadi aurait malicieusement camouflées au détour d’une phrase, coincées entre deux paragraphes, cachées au « creux d’un chapitre » ou distillées entre les lignes? Là aussi, on ne s’interrogera pas longtemps : une seule lecture de la lettre du Professeur suffit pour comprendre pourquoi il a du lire deux fois le livre. L’on devine même que ce furent plutôt des lectures fastidieuses que le cancérologue avait du s’infliger, un crayon à la main, pour débusquer des « tumeurs» dans le corps du texte. Des « tumeurs » qu’il a fini par trouver, comme de bien entendu. Parce qu’il fallait en trouver à tout prix, quitte à les inventer si la double auscultation ne les révélait pas. C’est le but même de la double-lecture. C’est l’objet même de quelque lettre de mission, diraient les plus méfiants. Il commence par des critiques de forme. S’adressant à Sadi, il fait part de sa « déception de voir l’homme politique prendre le dessus sur l’historien qu’il aurait voulu être» et de sa « colère de voir que la biographie d’un héros national sert de trame à une analyse politique partisane ». On ne sait pas si le Professeur s’en rend compte ou non, mais la raison de sa déception et l’objet de sa colère ne font qu’un, la colère comme la déception étant motivées, ici, par le fait que l’homme politique ait osé se mêler de l’Histoire. La Pr Farouk n’est pas le premier à vouloir mettre en exergue cette contradiction factice entre l’engagement politique d’un homme et l’intérêt qu’il peut (qu’il doit) porter à l’Histoire de son pays et qui peut l’amener, le cas échéant, à écrire sur telle ou telle autre période de cette Histoire. D’autres avant lui, comme Ali Kafi et M. Benachenhou, ont relevé cette prétendue incongruité sans jamais nous dire au nom de quoi il conviendrait d’interdire aux hommes politiques de s’intéresser à l’Histoire. Je remarque, au passage, que ce reproche est spécialement réservé à Said Sadi. Car Daho Ould Kablia, lui aussi, a écrit sur des sujets d’Histoire et continue de le faire, comme tant d’autres, sans susciter nulle part ni colère ni déception. Il est vrai qu’il ne partage pas grand-chose avec le Dr Sadi : ni une vision de l’Histoire, ni un projet politique…ni d’ailleurs la même qualité d’écriture, soulignons-le. Rassurez-vous donc, Professeur, ce n’est pas l’écriture de l’Histoire qui pollue et corrompt le monde politique. Cette pollution et cette corruption qui ont pour conséquence et pour but le brouillage des repères sont plutôt dues à la mise sous scellés de l’Histoire et à sa soumission constante à la falsification et à la censure. Réfrénez donc votre colère, Professeur ! Ou, plutôt, essayez, si possible, de la diriger ailleurs ! Car enfin, ne voyez-vous pas que ce sont d’autres que Said Sadi qui manipulent et triturent l’Histoire, ceux-là mêmes qui faussent les règles du jeu politique en recourant, entre autres, aux mêmes malversations que celles usitées durant la guerre de libération nationale et avant ? En tout état de cause, ce reproche que vous faites à Sadi d’avoir une analyse politique qui repose sur des faits d’Histoire est insensé. En revanche, c’est le reproche inverse qui devrait émaner de l’universitaire que vous êtes et que vous auriez du adresser à d’autres que Said Sadi, et notamment à ceux là qui ont bâti des stratégies de prise du pouvoir et/ou de maintien au pouvoir et qui les « légitiment» au forceps, par la violence et par le trucage (celui des urnes y compris), en leur inventant des racines et des soubassements historiques. Aussi, me vois-je contraint à faire preuve d’une petite insolence pour vous le dire, car il vous faut bien l’entendre: il est navrant que l’universitaire que vous êtes n’ait pas pris le dessus sur l’antikabyle ordinaire qui s’est révélé en vous tout au long de votre « lettre à Said Sadi » Dans ma profession, en Algérie et ailleurs, l’on s’accorde à dire qu’il n’est pas conseillé à un journaliste d’aborder des sujets politiques quand il n’a pas un minimum de connaissances en histoire. Et même de géographie lorsqu’on veut s’attaquer à des thèmes de politique internationale. C’est que la politique et l’histoire (et, quelquefois, la géographie) sont indissociables, Professeur. Voyez comment, en France, la gauche et la droite trouvent en la controverse factuelle portant sur la réforme des retraites, une occasion de se déchirer et de se disputer tantôt l’héritage de Mitterrand, tantôt celui de Gaulle, voire même celui de Jean Jaurès. L’on dit aussi que la politique, c’est l’histoire conjuguée au présent. Les nations du monde entier sont constamment travaillées par leur histoire. Inévitablement. Parmi elles, il y a celles qui avancent car elles ont su écouter et assumer leur histoire, avec tout ce qu’elle leur dit, tout ce qu’elle leur dicte, et celles, comme la nôtre, qui baignent dans le sous développement et les crises à répétition, avec leurs lots de drames et de malheurs, pour avoir tourné le dos à la leur en lui en substituant une autre, souvent soft, clean et lisse, mais factice et aux conséquences dévastatrices.
Lecture par charcutage
Le cancérologue ayant diagnostiqué le mal, il ne reste plus qu’à opérer. Au billard, donc. Et, à l’exercice du charcutage, le chirurgien qu’il est se révèle encore plus doué ! Je parle ici de charcutage au sens propre, Professeur, tant vous vous êtes systématiquement employé d’abord à cibler des morceaux de texte, voire des portions de phrases, que vous avez ensuite pris le soin d’extraire du contexte général dans lequel l’auteur les a placés, pour enfin les greffer à vos propres élucubrations. De la vraie chirurgie, rien à dire. Ainsi, de toute la description que Said Sadi fait du personnage du colonel Mohamedi Said dont il n’a pas manqué de souligner l’engagement désintéressé, vous ne retenez que son embonpoint et ses 130 kg que l’auteur a évoqués. Si quelque cinéaste venait demain à porter le livre de Said Sadi à l’écran, devrai-t-il choisir un acteur svelte, beau, jeune et fort pour camper le rôle de Mohamedi Said ? A ce jeu là, Brad Pitt serait tout indiqué. Et pourquoi pas Di Caprio en lunettes pour donner un visage plus avenant à Boussouf et Tom Cruise pour un Krim Belkacem au crâne moins dégarni? J’ose ces plaisanteries d’abord parce que je suis réellement amusé de lire vos critiques, ensuite parce que je veux vous rappeler que la description d’un personnage, d’un paysage ou d’un champ de bataille dans un livre est un exercice difficile tant elle doit être la plus fidèle possible pour rendre visible et palpable le contexte réel des faits et méfaits des uns et des autres. Car les faits et méfaits sont plus justement appréciés lorsqu’ils sont rapportés dans leur contexte. Comme les mots, Professeur. Mais on le voit bien, c’est un « protocole littéraire » auquel vous n’aimez pas vous soumettre. C’est votre droit et cela vous permet d’avoir le scalp facile. Sauf qu’au bout, comme vous le constatez, le résultat risque de vous décevoir encore plus que le livre de Said Sadi. Après avoir délivré Mohamedi Said des griffes du méchant Sadi, le Pr Farouk vole au secours d’un autre colonel, Ali Kafi. Celui-ci est certainement moins défendable, surtout en sa qualité d’ancien chef d’Etat pris en flagrant délit de mensonge, mais Said Sadi, lui, doit être accablé. Systématiquement, c’est la règle. Cela étant, le Professeur reconnaît au Dr Sadi le droit de ne pas partager les opinions de Kafi. Comme Ould Kablia « l’autorisait » quelques jours auparavant à ne pas adhérer aux options de Boumediène. J’observe que, dans cette polémique, cette façon de « lire ses droits » à un homme politique est réservée exclusivement à Said Sadi. On l’aura compris : ces droits, qui restent prescriptibles pour Said Sadi, sont imprescriptibles car naturels pour ses adversaires. Jamais l’inverse. Mais c’est lorsque notre praticien se fait l’avocat du colonel Lotfi qui n’est accusé de rien que l’on mesure réellement son acharnement à contredire Sadi, coûte que coûte. Tout en reconnaissant que l’auteur du livre a attribué des « qualificatifs élogieux » au colonel Lotfi, le cancérologue trouve quand même à redire : un Kabyle disant du bien d’un non Kabyle, c’est toujours sujet à caution quant ce n’est pas tout simplement suspect. Sadi décrit Mohammedi Said tel qu’il était ? C’est pour le « ridiculiser.» Sadi dénonce Kafi ? Il n’a pas le droit d’agir ainsi, ni envers l’homme, ni envers l’un des premiers maquisards qu’il fut. Sadi encense Lotfi ? Il s’octroie le rôle de juge et ses intentions sont douteuses. On le vérifiera constamment, le Pr fait montre de fabuleux dons en matière de télépathie chaque fois qu’il lui faut deviner quelque dessein inavouable nourri par l’auteur du livre.
Lecture par télépathie
Pour autant, il n’est pas dit que le Professeur Farouk fait toujours preuve de la même disponibilité et de la même rage à défendre les colonels. Il y en a un, en tout cas, qu’il n’hésite pas à écrabouiller, s’arrogeant ainsi tous les droits, à commencer par ceux qu’il dénie à Sadi. Le colonel que le professeur n’aime pas ? Amirouche, bien entendu. Reprenant à son compte les injures de M. Benachenhou, il traite le chef de la wilaya III de «criminel de guerre.» Dans la tête de notre cancérologue, c’est sans doute moins grave que de décrire la corpulence de Mohamedi Said ! Ne mesurant pas le degré de son enlisement, le professeur ira jusqu’à s’offusquer de ce que l’auteur du livre ait évoqué l’âge du personnage dont il a écrit la biographie ! C’est ainsi qu’il achève d’enlever toute crédibilité à sa « colère » et à sa « déception». Accusant Said Sadi de jouer au juge lorsqu’il louait les qualités de Lotfi, il ne se gène pas d’invoquer un jugement très personnel, celui de Ferhat Abbas, pour diminuer des capacités de commandement qui étaient celles du colonel Amirouche. Encore que le premier président du GPRA ne s’exprimait pas dans la même logique et n’avait pas les mêmes intentions que le Pr Farouk. En fait, ce dernier a soumis le livre de Ferhat Abbas à la même chirurgie qu’il a fait subir à celui de Said Sadi. Cela s’appelle une manipulation de témoignage, Professeur, et cela est prévu dans le code pénal. Le professeur Farouk reproche ensuite à Sadi Sadi d’avoir mis en exergue la « tolérance d’Amirouche » parce que cette tolérance là était partagée par tous les Algériens qui, écrit le Professeur, « vivaient leur religion dans le cadre de la laïcité, avant que notre pays ne soit le théâtre de bigoterie sous entendue par l’islamisme ». L’on ne comprend pas en quoi cela pourrait contredire Said Sadi, Professeur, ni en quoi cela pourrait remettre en cause les qualités d’ouverture et de respect du à autrui qui étaient celles d’Amirouche. En revanche, vous épousez parfaitement le discours de Said Sadi et les positions qu’il avait été, pendant longtemps, bien seul à défendre, souvent face aux islamistes et envers et contre le conservatisme du régime. L’on se pose juste une question : où étiez-vous lorsqu’il était mortel d’évoquer la laïcité ? Apparemment, la laïcité est à vous ce que les droits de l’Homme sont à M. Benachenhou : vous n’en parlez que lorsque tout danger est écarté et, surtout, lorsque vous croyez pouvoir vous en saisir pour accabler celui qui, sur ces deux dossiers et sur d’autres, vous procure certainement bien des complexes, voire des cauchemars. « Quand on s’engage dans la révolution, on est des hommes en sursis ». Ce sont là des propos de Abane Ramdane que le Pr Farouk a tenu à rappeler, comme pour nous signifier que Abane a « accepté » sa mort et que nous n’avons, à présent, qu’à digérer celle d’Amirouche. Ce faisant, il dresse un parallèle troublant entre la liquidation de Abane et la fin d’Amirouche. Il faut l’en remercier sincèrement même si l’aveu est involontaire. Bien sûr, le Pr Farouk va s’essayer à remettre en cause la thèse du complot qui a coûté la vie à Amirouche. Quitte à lui « lire ses droits » à mon tour, j’estime qu’il est libre de croire et même de faire mine de croire les « témoignages » d’Ould Kablia, de Kafi ou de M. Benachenhou. Mais il rechute encore lorsqu’il considère « pleine de sous entendus » la mise en exergue de la mort d’Amirouche « en dehors de la Kabylie ». Oui, Professeur, tuer ou faire tuer Amirouche dans son antre qu’était la Kabylie était extrêmement difficile, voire impossible. Vous comprendriez bien que l’armée coloniale n’aurait pas attendu mars 1959, ni un quelconque coup de pouce de Boussouf, si elle pouvait le faire auparavant.
Au secours de l’ignominie
A vous lire, on en vient aisément à comprendre que l’évocation de la Kabylie vous indispose immanquablement. C’est ainsi que vous allez jusqu’à en vouloir à Said Sadi d’avoir reproduit des citations en Kabyle ! Qui croyez-vous tromper en faisant mine de ne pas avoir remarqué qu’il a aussi reproduit des citations en arabe et en anglais ? La langue usitée par les personnages d’un livre fait partie du décor, cher professeur. Et donc du contexte. Faut-il encore vous refaire la leçon ? Tenez, c’est en faisant l’impasse sur le contexte qu’Ould Kablia a commis une bourde monumentale. Voulant imputer l’extermination de la compagnie Hidouche qui rentrait de Tunisie aux seuls aléas de la guerre et de la météo, et surtout pour laver l’armée des frontières et le MALG de toute responsabilité, il a évoqué une crue d’oued qui aurait empêché ladite compagnie de rejoindre la wilaya III, alors que les faits ont eu lieu en…juin 1959. Il se trouve que Sadi, rompu aux techniques d’écriture, ne partage pas avec Ould Kablia l’amour de ce sport qui consiste à dissocier les faits du cadre général de leur déroulement. C’est pourquoi il a constamment le souci du détail. Plus zélé que Kafi, Benachenhou, Ould Kablia et Mebroukine réunis, ce que vous écrivez sur la séquestration des ossements d’Amirouche et de Si El Haouès est d’une monstruosité inédite. Avant vous, Professeur, personne, pas même Mebroukine qui avait jusque là la palme du défenseur le plus acharné de Boumediène, n’était allé jusqu’à supposer que celui-ci avait des « raisons » de déterrer les restes de deux martyrs de la guerre de libération et de les mettre dans le sous sol d’une caserne. Kafi lui-même a durement condamné cet acte, même si par ailleurs, il a appelé au meurtre de Said Sadi et de Noureddine Ait Hamouda, le fils d’Amirouche. Comment un universitaire en arrive-t-il, en 2010, à justifier une telle ignominie commise en 1963 par un ministre de la défense (puis chef d’Etat) disparu en 1978 ? C’est là un exercice qui, jusqu’ici, n’a tenté que le seul Pr Farouk. On voit bien où peut mener l’aveuglement antikabyle. Cet aveuglement apparaît aussi dans toute sa hideur lorsque le professeur croit avoir deviné des arrières pensées dangereuses chez l’auteur dès lors que celui-ci a usé de l’expression « chef kabyle » pour désigner Amirouche. Ceux qui ont lu le livre et qui savent donc que Said Sadi a également écrit chef « chaoui », « aurésien » ou encore « nord-constantinois » comprendront bien que le disque dur du Professeur ne peut lire le mot kabyle que comme un péril et non une origine algérienne comme une autre. « Amirouche, au même titre que Zabana ou le colonel Lotfi, est un illustre héros national pour les Oranais », écrit le Pr Farouk. Voilà un bien joli démenti qui n’écorchera certainement pas les oreilles de Said Sadi mais à coup sûr celles de M. Benachenhou qui réduit le colonel de la wilaya III à la dimension de « héros local ». Tout au long de son livre, le Dr Sadi n’a cessé de souligner, pour sa part, cette envergure d’Amirouche qui transcendait, dans ses réflexions, dans son action et dans sa vision d’avenir, les limites de la région qu’il commandait. Sa mission aux Aurès où il a laissé la coquette somme de 70 millions de centimes, ses voyages à Tunis, y compris celui avorté, et son « testament » étaient tous voués à l’Algérie entière et solidaire et, les lecteurs l’auront relevé, cela constitue l’un des messages forts du livre de Said Sadi. Cela n’empêche pas le Pr Farouk de prêter à l’auteur de l’ouvrage une intention qu’il aura été le seul à déceler. Il est vrai qu’en la matière, il semble avoir des aptitudes inégalables. Said Sadi a décrit l’impeccable organisation de la wilaya III et la répartition judicieuses des tâches et missions, allant jusqu’à comparer le staff activant au PC d’Amirouche à un gouvernement dont chaque membre est en charge d’un secteur donné (Finances, Santé, Education,…). Mal lui en prit car, aux yeux du Pr Farouk qui lit autant dans le livre que dans la tête de l’auteur, Amirouche serait ainsi montré comme « le précurseur des idées défendues par le Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, lui qui est mort pour une Algérie indépendante et unie ». Dit autrement et plus simplement, Said Sadi serait du MAK ! Lui qui, le premier, avait rejeté l’idée même d’autonomie de la Kabylie, lui préférant le projet de régionalisation cher à son parti et à tous ceux qui ont pu mesurer les dégâts du centralisme du pouvoir! Ce même Said Sadi qui a toujours martelé qu’«il ne faut pas structurer le désespoir », et qui vient de le redire en réaction à la création d’un Gouvernement provisoire de Kabylie ! Je l’écrivais tout au début de cette contribution, la polémique suscitée par le livre de Said Sadi avait quelque chose de malsain par endroits. Avec l’intrusion du Pr Farouk dans les échanges par presse interposée, elle tourne au vaudeville, quelquefois au burlesque. Dire que c’est un universitaire qui vient sonner le glas du maigre espoir qui nous restait de voir s’amorcer le vrai débat contradictoire que le livre pouvait pourtant enclencher. Après tout cela, le Pr conseille au Dr Sadi de rester « l’homme politique, défenseur d’une Algérie républicaine, démocratique, moderne, ouverte sur l’universalité (…) ». Remarquons ce miracle : après avoir été accusé de tous les maux et même soupçonné de rouler pour l’autonomie de la Kabylie, Sadi s’en sort sans une égratignure. Il est toujours le défenseur de l’Algérie républicaine, démocratique, moderne, ouverte sur l’universalité et c'est le Pr Farouk qui l'écrit! Un miracle, vous dis-je ! Conseillons donc au chirurgien de laisser de côté son scalp à lacérer les livres d’Histoire et de lui préférer le bistouri, et au cancérologue qu’il est de ne pas mettre autant de hargne et d’acharnement à trouver des tumeurs cancéreuses là où il n’y en a pas : il pourrait envoyer ses patients droit au cimetière.
S.C
*Journaliste, Alger
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Date d'inscription : 09/07/2008
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