La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
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La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
[size=32]«S’il persévère, cet auteur est promis à une belle carrière»[/size][url=https://www.elwatan.com/edition/signature/?signature=Yacine Hebbache]YACINE HEBBACHE[/url]
01 FÉVRIER 2020 À 9 H 00 MIN
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Les livres, c’est ce que craignent les tyrans. Ça rend les masses moins moutonnantes», écrivait Louenas Hassani dans son merveilleux roman La République de l’abîme. Sous le titre La République de l’abîme, l’écrivain, immigrant au Québec depuis 2006, Louenas Hassani peint le rêve citoyen des hommes et des femmes confrontés à une théocratie mortifère.
Ecrit avec beaucoup de vivacité, de pertinence, de documentation, d’art tout court, l’auteur fait une profonde plongée dans l’univers poétique et musical ancestral tout en donnant libre cours à son inspiration pour nous offrir un des plus beaux textes écrits par nos romanciers contemporains vivants.
Ce bel ouvrage de 270 pages, édité à Ontario chez les Editions Interligne en 2017, comprend treize chapitres truffés de poèmes de l’auteur lui-même, insérés dans le texte selon le développement du récit et placés selon le contexte politique social, culturel ou autre créé dans la trame.
Documenté et écrit avec un style littéraire singulier, ce puissant roman nous fait découvrir/redécouvrir les affres de la bêtise humaine comme il nous dévoile l’immense talent de son auteur.
A travers ce beau texte élaboré à partir d’une passion incontestablement vraie, à travers cette fascinante «dystopie», Louenas Hassani traite de la vie, raconte le rêve, dit la misère et les espérances d’une communauté en quête de son identité et de sa liberté.
Lors de son dernier voyage au Canada, le docteur Saïd Sadi a rencontré notre écrivain. Voilà ce qu’il a écrit à propos de cette rencontre avec Louenas et de son dernier roman La République de l’abîme :
«(…) Pendant la même rencontre, un homme d’une quarantaine d’années s’approche de la tribune à la fin des débats pour, lui aussi, se faire dédicacer un de mes ouvrages ; puis il me tend deux livres qu’il m’avait dédicacés. Louenas Hassani, c’est son nom, me dit :
«Voilà, je les ai écrits il y a longtemps, même si l’édition est récente. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
«J’ai commencé à lire l’un d’eux La République de l’abîme dans l’avion. Epoustouflant. Un style vif, le mot alerte et la phrase incisive portent une narration pendulaire où le lecteur voyage entre les époques lointaines par la chronologie et si proches par la tragédie humaine. Il y est décrit la descente aux enfers d’esprits libres pris dans les rets par les insidieuses bigoteries qui broient les intelligences et les espaces de vies quand elles investissent le pouvoir. S’il persévère, cet auteur est promis à une belle carrière. Merci pour ton beau cadeau et bon courage Louenas.»
Louenas Hassani est un romancier algérien natif d’Aoukas, dans la wilaya de Béjaïa. Il a quitté le pays en 2001 pour continuer ses études à Paris. En 2006, il immigre au Québec. Actuellement, il travaille comme enseignant à Ontario où il se consacre aussi à l’écriture. La République de l’abîme est son dernier roman après La coureuse des vents, publié en 2016.
C’est quoi une dystopie ?
Il est impératif de préciser ici que le roman de Louenas Hassani, La République de l’abîme, est le premier roman traitant d’une dystopie écrit au Canada. Et selon Wikipedia, une «dystopie est un récit de fiction dépeignant une société imaginaire organisée de telle façon qu’elle empêche ses membres d’atteindre le bonheur. Une dystopie peut également être considérée, entre autres, comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie. L’auteur entend ainsi mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes d’une idéologie (ou d’une pratique) présente à notre époque. Ce genre est lié souvent à la science-fiction, mais pas systématiquement, car il relève avant tout de l’anticipation».
La trame : une fiction fascinante
Inséparables amis, jeunes diplômés universitaires et chômeurs, Akal, Elyas et Yetourgun ne voient plus d’issue dans ce pays devenu une prison concentrationnaire depuis l’avènement de la théocratie et l’arrivée des tenants de l’islam politique au pouvoir. Dès lors, les rêves les plus banals deviennent des actes osés qui attentent au règne califal.
Ainsi, en lisant cette belle histoire, des passages de l’œuvre posthume de Tahar Djaout, Le dernier été de la raison, me reviennent à l’esprit. En voici un, pour l’exemple où l’auteur de Les Vigiles écrivait : «Dans la ville oppressante où il vivait et où il vit encore, le Rêveur avait échafaudé – oh ! Il n’ose plus le faire – des rêves sur la cité idéale où il aimerait vivre et voir s’épanouir ses enfants. Il y aurait d’abord de la verdure – arbres et pelouses –, beaucoup de verdure qui fournirait l’ombre, la fraîcheur, les fruits, la musique des fleurs et les gîtes d’amour.
Il y aurait des créateurs de beauté, de rythmes, d’idylles, d’édifices, de machines. (…) Mais la vie avait continué, avec son masque de laideur et de désillusion. Puis le rêve lui-même devint interdit. Des hommes, se prévalant de la volonté et de la légitimité divine, décidèrent de façonner le monde à l’image de leur rêve à eux et de leur folie.
Le résultat est là, sous les yeux : couples forcés, attelés sous le même joug afin de perpétuer et multiplier l’espèce précieuse des croyants. Les femmes réduisent leur présence à une ombre noire sans nom et sans visage. Elles rasent les murs, humbles et soumises, s’excusant presque d’être nées. Les hommes devancent leurs femmes de deux ou trois mètres ; ils jettent de temps en temps un regard en arrière pour s’assurer que leur propriété est toujours là : ils sont gênés, voire exaspérés, par cette présence à la fois indésirable et nécessaire»…
Dans ce roman audacieux, Louenas a osé jeter un regard acerbe sur la morale bigote qui, au nom d’une idéologie désuète, despotique et assassine, empêche tout, interdit toute libre réflexion ou belle création, bannit tout comportement hardi et même tout habit différent de la doxa régnante en ces temps d’intolérance sanglante et de haine imposés au pays par les ergoteurs et autres sermonneurs qui ont fait de l’islam une religion sans morale et une idéologie sans éthique en confisquant ses vraies valeurs humanistes.
Dans cette dictature divinisée, la musique est interdite, les arts bannis, les livres se transmettent clandestinement, comme des armes ou comme des choses illicites, tant ils sont craints et subversifs. Même le nom des choses, des rues, des villes, des bâtiments sont changés.
Virulente et captivante à la fois, l’œuvre dans son ensemble rejette cette pensée rétrograde qui ne jure que par le retour au Moyen-âge prêchée par les «Frères Vigilants», ainsi nommés par Tahar Djaout dans son roman posthume, Le Dernier Eté de la Raison où il tire le même constat en écrivant :
«…dans la nouvelle ère que vit le pays, ce qui est avant tout pourchassé, c’est, plus que les opinions des gens, leur capacité à créer et à répandre la beauté. (…) Tant que la musique pourra transporter les esprits, que la peinture fera éclore dans les poitrines un paradis de couleurs, que la poésie martèlera les cœurs de révolte et d’espérance, rien pour eux n’aura été gagné. Pour affermir leur victoire, ils savaient ce qu’il convenait de faire. Ils cassèrent des instruments de musique, brûlèrent des pellicules de films, lacérèrent des toiles de peinture, réduisirent en débris des sculptures, pénétrés du sentiment exaltant qu’ainsi ils poursuivaient et parachevaient l’œuvre purificatrice et grandiose de leurs ancêtres luttant contre l’anthropomorphisme.»
Bien qu’elle soit une ville méditerranéenne qui a l’azur de la mer à sa fenêtre, Tafat tourne le dos à sa culture multimillénaire ; elle ne se reconnaît plus dans cette Méditerranée pétrie d’Histoire et de mythes. Elle ne s’identifie plus à cet horizon naturellement ouvert sur l’Autre ; elle ne sait plus ce qu’est l’altérité.
Nathan le sage et la parabole de l’anneau détenteur de la vérité
A partir de la page 183, l’auteur y insère un petit texte qu’il imagine être un article écrit sur Da Mounir, le fou de la montagne. Jadis dramaturge, ce dernier a traduit l’œuvre dramatique de Lessing. Il en a été aveuglé et exilé, tant la pièce dérangeait. Un jour, Saladin dit au commerçant Nathan le sage : qui de nous trois détient la vérité ? (il y avait dans le château le templier chrétien, Nathan le juif et saladin le musulman). Et c’est là que Nathan lui raconte l’histoire de l’anneau. Une façon de dire que personne ne détient la vérité, et que cette dernière est une construction de tous les jours.
Cette parabole est déroulée dans le texte à travers les rescapés du village décimé des musiciens qui étaient originaires d’Al Andalus. Eux qui détiennent encore les clefs dans l’espoir d’y retourner. Ils sont musulman, juif et chrétien de culture. C’est juste pour dire que le vivre-ensemble est encore possible chez nous, puisqu’il a tout le temps existé.
La République est fondée sur la vérité, la seule vérité, incontestable et incontestée. Quiconque émit une opinion divergente, un doute parfois, se retrouve au stade des suppliciés pour une flagellation, une pendaison ou décapitation publique. Ici, le châtiment est donné au nom du ciel.
On regarde une pendaison comme on regarde un concert de musique ; on est au stade pour voir le sang des femmes libertines et adultères gicler comme pour faire violence aux frustrations et obsessions sexuelles les plus enfouies, les plus rentrées et réprimées. Pourtant, au-delà de la tentation uniformisante, au-delà de toutes les prohibitions dites divines, l’humanité est trop complexe pour la réduire à une seule vérité.
Au-delà des apparences de la société bigote, des hommes cagots qui prétendent être les califes d’Allah, les hommes et femmes vivent, s’aiment en cachette, sont probes ou non, généreux ou avares. Et quand la vie est retirée de l’espace public, eh bien, naturellement, n’en déplaise à l’idéologie faite divine, elle emprunte d’autres routes, des chemins inédits. Les maisons, nonobstant tous les couvre-feux, se muent alors en cavernes d’Ali Baba. Des trésors d’humanité pour ainsi dire.
Les livres, les contes, les mythes, les histoires, la musique, les arts, les mémoires que l’on traque au nom des cieux, poussent et éclosent dans des espaces nouveaux, insoupçonnés, illégaux. Akal, qui vit une relation interdite avec une veuve, Yetourgun, l’amoureux de la fiancée de l’émir, et Elyas, se rencontrent souvent la nuit et prennent en cachette, à l’heure où personne n’a le droit d’être dehors, vers le pestiféré de la République, le fou de la montagne, un enseignant et dramaturge aveuglé et exilé parce qu’il a osé un jour remettre en cause la vérité de la République en traduisant en berbère et en arabe populaire l’œuvre dramatique de Lessing, Nathan le Sage, une œuvre des Lumières qui dépasse le concept de la tolérance, se hisse, il y a déjà des siècles, vers l’altérité, et surtout remet en cause le concept de la vérité par l’allégorie magistrale de l’anneau détenteur de la vérité.
Anzar, un chant annonciateur d’un état citoyen
Akal reçoit un courrier le sommant de jouer la chanson interdite d’Anzar le jour de la pendaison publique du cheikh soufi pour ensuite rejoindre le maquis, car une société clandestine de démocrates laïcs croyant au vivre-ensemble dans le respect de la différence de chacun s’organise, pense le futur du pays. Les amis découvrent les musiciens originaires d’Al-Andalus, un musulman, un juif et un chrétien, qui disent guérir du fanatisme par la musique qu’ils répandent clandestinement dans le pays. S’amorce un long périple vers le village mythique, le Village des poètes.
Condamnés par contumace, les fugitifs célèbres désormais doivent contourner les villes et villages et n’évoluer qu’à travers monts et montagnes. Ils font la rencontre de Da Lhoucine, un vieil homme sauveur des genres musicaux, un Noé moderne qui sauve l’art et la musique au lieu des espèces. Ils arrivent au village des Puisatiers, un village décimé par le calife parce ses habitants détenaient le secret de l’eau ; or l’eau pour les idéologues de la vérité insubmersible est un moyen d’asservissement efficace des masses…
Arrivés au village dit des poètes, Akal et Elyas font des rencontres extraordinaires. Ils y découvrent un pays parallèle, une société rattachée par les idéaux, une terre qui assume la nature et la célèbre, qui ressuscite les mythes inhumés. Ici, les hommes et les femmes ne sont pas deux espèces à part ; ils échangent, discutent, s’aiment. Ici, on se prépare à la société démocratique plurielle, à la cité dont les êtres croient en l’homme, au vivre-ensemble qui donne sa place à l’art, à la musique, à la philosophie…
«Les faiseurs de guerre peuvent-ils faire la paix?»
Mais après le rêve et l’utopie, il reste le réel et sa complexité. Les faiseurs de guerre peuvent-ils faire la paix? A cette terrible question, l’auteur semble avoir répondu au début du roman, en page 60 notamment : «Il n’y a aucun dictateur qui accepte de perdre ses privilèges comme ça, sans qu’aucune goutte de sang ne coule. S’il le fallait et qu’il en avait le pouvoir, il décimerait tout le pays. Au nom de Dieu, au nom d’une définition de la nation ou au nom de Dieu sait quoi, sa finalité est la même.
Quand on veut tuer son chien, on dit qu’il a la rage ; quand on veut coloniser les peuples, on dit qu’ils sont barbares ; quand on a voulu asservir les hommes, on a dit qu’ils étaient noirs ; quand Hitler a voulu exterminer les juifs, il a dit qu’ils étaient la cause du malheur humain ; quand les Américains ont attaqué les Irakiens, ils ont dit qu’ils avaient la bombe atomique ; quant les intégristes tuent, ils disent le faire au nom de Dieu». Akal se pose des questions, doute, se remet en cause.
N’est-ce pas un peu reproduire la violence de la République que de la chasser du pouvoir par la violence ? Le roman de Louenas Hassani ne prétend à aucune vérité. Il dit simplement la beauté, la grâce ou disgrâce, la misère et la grandeur des hommes. Et puis la nécessité de la question et de la raison en tout temps.
Azul- Nombre de messages : 29959
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Re: La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
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Re: La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
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Re: La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
Fatah Bouhmila Je l'ai lu avec beaucoup de plaisir. Tout comme son premier d'ailleurs, LA COUREUSE DES VENTS. Louenas Hassani a un style et c'est juste ça qui fait un écrivain. Je lui trouve une apparenté avec Kateb Yacine et les auteurs dont ils est le père en écriture. Et ce n'est pas rien puisque beaucoup de gens sérieux disent que la littérature maghrébine de langue française descend de NEDJMA.
Azul- Nombre de messages : 29959
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Re: La République de l’abîme, un roman de Louenas Hassani
Ali Kaidi Un bon article qui donne une idée sur le contenu du livre de Louenas Hassani et suscite de la curiosité à le lire. Pour mois ce livre nous apprend à construire une utopie de la résistance. Le Hirak d'aujourd'hui est dans cette démarche historique de résistance à l’abîme , il résiste contre un autoritarisme enraciné dans les institutions étatiques et dans la mentalité d'une grande partie de notre société. Bref, c'est un livre à lire.
Azul- Nombre de messages : 29959
Date d'inscription : 09/07/2008
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