Taslima Nasreen : «Ne m’appelez pas musulmane, je suis une athée»
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Suvojit Bagchi pour THE HINDU
Interview de Taslima NASREEN 21 mars 2015
L’auteure Bengalie en exil Taslima Nasreen appelle à juguler le fondamentalisme religieux, affirmant que la critique de la religion n’est pas la chasse gardée des seuls intellectuels non-musulmans.
Née au Bengladesh en 1962, d’abord médecin gynécologue exerçant dans un hôpital public, puis écrivain, Taslima Nasreen est menacée par les fondamentalistes islamiques à la suite de la publication de son premier roman Lajja (La Honte), qui dénonce l’oppression dans laquelle vit la communauté indoue au Bengladesh.
Humaniste, féministe, et laïque, elle reçoit des prix prestigieux, parmi lesquels le Prix « Saharov pour la liberté de pensée », décerné par le Parlement européen en 1994, tandis que des fondamentalistes brûlent ses livres et réclament sa pendaison. Cette même année, Taslima Nasreen fuit son pays après qu’une fatwa a été lancée contre elle pour avoir critiqué l’Islam au Bengladesh. Elle vit depuis en exil.
Quelques publications : 1993 : « La Honte » – 1998 : « Un destin de femme » – 2003 : « Vent en rafales » – 2005 : « Rumeurs de haine » – 2008 : « De ma prison »
Son pays a, ces derniers temps, vu de nombreux intellectuels être expulsés ou tués. Rajib Ahmed Haider, un blogueur athée qui écrivait sous le nom de Thaba Baba, a été assassiné après les manifestations Shahbag en 2013. En février de cette année, le blogueur athée Avijit Roy a été tué à Dhaka par des groupes extrémistes pour ses écrits sur le blog Bangla Mukto-Mona (Libre Penseur) qu’il a fondé.
Dans une interview avec Suvojit Bagchi, elle parle de l’espace d’expression des libres penseurs au Bangladesh, qui ne cesse de s’amenuiser, et affirme que l’Islam ne peut pas être exempté de l’examen critique par lequel sont passées les autres religions.
S.B : Parlez-nous un peu de Avijit Roy.
T.N : Je connaissais Avijit depuis longtemps. Il a commencé Mukto-Mona pour accueillir des publications d’athées et d’humanistes, car la presse ne diffusait pas leurs travaux. Avijit était un blogueur-chercheur et un libre penseur, athée et rationaliste, qui voulait offrir un espace pour disséquer et débattre sur ces thèmes. Plus tard, il a fait de ces espaces de réflexion des livres.
Mukto-Mona est devenu une fenêtre ouverte grâce à laquelle les gens peuvent observer et questionner toutes les religions, y compris l’Islam. Au Bangladesh, pendant un temps, l’espace pour les libres penseurs était en train de se recroqueviller. Avijit lui a redonné de l’ampleur avec cette nouvelle plate-forme … c’est précisément pour cela que sa contribution est remarquable.
S.B : Quand et comment exactement cet espace pour les libres penseurs a-t-il commencé à décroître ?
T.N : Le changement s’est amorcé à l’époque du général Ershad Hussain au milieu des années 1980. Quand un amendement à la constitution laïque est voté pour faire de l’Islam, la religion d’État. J’avais été témoin du mouvement de masse de 1969, du nouvellement indépendant du pays des années 70 … les situations étaient alors différentes. Les gens pouvaient exprimer leur opinion et les femmes ne portaient quasiment pas le hijab ou la burqa. Mais la société a lentement évolué. Par exemple, tout ce que j’ai écrit dans les années 1980, début des années 90 – critiquant l’Islam et la condition des femmes dans les sociétés islamiques – a été publié dans les journaux à grand tirage. Mais cela ne peut s’imaginer aujourd’hui. La liberté d’expression est un terme étranger maintenant.
S.B : Pourquoi ce changement ?
T.N : La communauté progressiste est en partie responsable. Lorsque j’ai été expulsée en 1994, l’ensemble de la société s’est tue. Si cette communauté s’était levée, le Bangladesh n’aurait pas eu une société dans laquelle un Avijit est assassiné, un Humayun Azad ciblé ou un Rajib Ahmed Haider tué pour avoir critiqué l’islam. Peut-être le point d’achoppement au Bangladesh est-il de savoir si d’avoir un pays est Pays sur la base de la langue ou sur la base de la religion.
S.B : Comment cela peut-il être résolu ?
T.N : « Nous devons arrêter la lapidation à mort des femmes au nom de la religion. Les lois devraient être fondées sur l’égalité, pas sur la religion »
Le Bangladesh est né sur l’idée d’une nation bengalie laïque. Depuis 1952, les Bengalis musulmans, hindous, bouddhistes et chrétiens ont choisi comme langue officielle le bengali, pas l’ourdou (n.b. : l’ourdou est la langue nationale du Pakistan mais aussi la langue officielle de 22 pays de l’Union Indienne). Les personnes qui s’opposaient à notre indépendance, avec l’armée pakistanaise, ont tué plus de trois millions de Bengalis en 1971 et sont maintenant impliqués dans l’islamisation du Bangladesh. Ils tuent les libres penseurs et les intellectuels. Le Pakistan est aujourd’hui une nation fondée sur la religion. Mais la constitution du Bangladesh doit rester laïque, et l’état séparé de la religion. Nous devons avoir une éducation laïque plutôt que l’éducation par les madrassas (écoles religieuses). Le gouvernement ne doit pas laisser le pays devenir un refuge pour les extrémistes religieux.
S.B : Les gens disent que votre critique de la religion est un peu excessive et provocatrice.
T.N : J’ai dit que la religion opprime les femmes. Les lois devraient être fondées sur l’égalité, pas sur la religion; les femmes doivent avoir les mêmes droits dans le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage. J’ai dit que nous devons arrêter la lapidation à mort des femmes au nom de la religion. Est-ce que c’est de la provocation ? Chaque état civilisé a mis en doute la relation de l’État avec la religion, les distanciant et allant même jusqu’à les séparer. L’Islam ne doit pas être exempté de l’examen critique que les autres religions ont vécu. Mon opinion est fondée sur ma croyance en l’humanisme séculier. Si cela est provocateur, alors il est absolument nécessaire de provoquer.
S.B : Mais il est souvent dit que vos écrits renforcent le fondamentalisme.
Les gouvernements renforcent le fondamentalisme, pas moi. Lorsque des fanatiques religieux mettent ma tête à prix, au lieu de prendre des mesures contre eux, le gouvernement m’expulse. La Ligue Awami et le Parti nationaliste du Bangladesh se sont unis à ces forces et ainsi de former le gouvernement intérimaire. Même dans le Bengale occidental, le Parti communiste de l’Inde (marxiste) dirigé par le gouvernement m’a expulsée ; l’imam de la mosquée Barkati Tipu Sultan, qui a fait monter les enchères sur ma tête, était adoré par les marxistes.
S.B : Une autre allégation est que, par des déclarations contre l’Islam, vous renforcez l’aile droite en Inde.
Non-sens absolu. Je critique toutes les religions, y compris l’hindouisme. Je me suis opposée aux gourous hindous, aux rituels tels que karva chauth et Shivaratri, et j’ai condamné l’oppression des Musulmans dans le Gujarat. J’ai fait don Rs.10,000 au poète Shankha Ghosh, qui recueille des fonds pour la réhabilitation des victimes des émeutes du Gujarat. Je me suis opposée à l’oppression des Hindous au Bangladesh, des Juifs en Allemagne, des Musulmans en Bosnie, en Palestine et des Chrétiens au Pakistan. J’ai écrit aussi en faveur de films tels que PK, l’eau et La Dernière Tentation du Christ. S’il vous plaît ne m’appelez pas musulmane, je suis une athée.
S.B : Lorsque la rationaliste indienne Narendra Dabholkar et le leader IPC Govind Pansare ont été tués, vous êtes restée silencieuse.
Qui vous a dit ça? Vous devriez vérifier mon compte Twitter pour connaître mes réactions et comment les éléments de la droite hindoue ont exploité ce moment. Cependant, il est vrai que je considère que le fondamentalisme islamique est une plus grande menace.
S.B : Comme le font de nombreux pays occidentaux …
Seul le monde occidental penserait que le fondamentalisme islamique est dangereux ? C’est plutôt le contraire – l’Occident côtoie volontiers les islamistes.
S.B : En tant qu’écrivain musulman, votre travail reflète souvent la paranoïa de l’Occident sur l’Islam. L’Occident vous oblige-t-il à dire ce qu’il veut?
Dites-vous que les Musulmans ne peuvent pas avoir leur propre esprit critique vis-à-vis de leur religion ? La critique de la religion est-elle un domaine réservé aux intellectuels non-Musulmans ? C’est une remarque « anti-Musulman », sérieusement.
S.B : Quel pourrait être l’avenir du Bangladesh?
Le pays va vers un désastre complet si les terroristes islamiques ne sont pas traduits en justice. Toutefois, étant donné la conjoncture, rien ne se passera et ces incidents vont augmenter dans les prochains mois, car ils sont intrinsèquement liés à la politique.
Traduction : Râle-Bolw
suvojit.bagchi@thehindu.co.in
http://m.thehindu.com/opinion/op-ed/taslima-nasreen-interview-dont-call-me-muslim-i-am-an-atheist/article7016166.ece/
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Suvojit Bagchi pour THE HINDU
Interview de Taslima NASREEN 21 mars 2015
L’auteure Bengalie en exil Taslima Nasreen appelle à juguler le fondamentalisme religieux, affirmant que la critique de la religion n’est pas la chasse gardée des seuls intellectuels non-musulmans.
Née au Bengladesh en 1962, d’abord médecin gynécologue exerçant dans un hôpital public, puis écrivain, Taslima Nasreen est menacée par les fondamentalistes islamiques à la suite de la publication de son premier roman Lajja (La Honte), qui dénonce l’oppression dans laquelle vit la communauté indoue au Bengladesh.
Humaniste, féministe, et laïque, elle reçoit des prix prestigieux, parmi lesquels le Prix « Saharov pour la liberté de pensée », décerné par le Parlement européen en 1994, tandis que des fondamentalistes brûlent ses livres et réclament sa pendaison. Cette même année, Taslima Nasreen fuit son pays après qu’une fatwa a été lancée contre elle pour avoir critiqué l’Islam au Bengladesh. Elle vit depuis en exil.
Quelques publications : 1993 : « La Honte » – 1998 : « Un destin de femme » – 2003 : « Vent en rafales » – 2005 : « Rumeurs de haine » – 2008 : « De ma prison »
Son pays a, ces derniers temps, vu de nombreux intellectuels être expulsés ou tués. Rajib Ahmed Haider, un blogueur athée qui écrivait sous le nom de Thaba Baba, a été assassiné après les manifestations Shahbag en 2013. En février de cette année, le blogueur athée Avijit Roy a été tué à Dhaka par des groupes extrémistes pour ses écrits sur le blog Bangla Mukto-Mona (Libre Penseur) qu’il a fondé.
Dans une interview avec Suvojit Bagchi, elle parle de l’espace d’expression des libres penseurs au Bangladesh, qui ne cesse de s’amenuiser, et affirme que l’Islam ne peut pas être exempté de l’examen critique par lequel sont passées les autres religions.
S.B : Parlez-nous un peu de Avijit Roy.
T.N : Je connaissais Avijit depuis longtemps. Il a commencé Mukto-Mona pour accueillir des publications d’athées et d’humanistes, car la presse ne diffusait pas leurs travaux. Avijit était un blogueur-chercheur et un libre penseur, athée et rationaliste, qui voulait offrir un espace pour disséquer et débattre sur ces thèmes. Plus tard, il a fait de ces espaces de réflexion des livres.
Mukto-Mona est devenu une fenêtre ouverte grâce à laquelle les gens peuvent observer et questionner toutes les religions, y compris l’Islam. Au Bangladesh, pendant un temps, l’espace pour les libres penseurs était en train de se recroqueviller. Avijit lui a redonné de l’ampleur avec cette nouvelle plate-forme … c’est précisément pour cela que sa contribution est remarquable.
S.B : Quand et comment exactement cet espace pour les libres penseurs a-t-il commencé à décroître ?
T.N : Le changement s’est amorcé à l’époque du général Ershad Hussain au milieu des années 1980. Quand un amendement à la constitution laïque est voté pour faire de l’Islam, la religion d’État. J’avais été témoin du mouvement de masse de 1969, du nouvellement indépendant du pays des années 70 … les situations étaient alors différentes. Les gens pouvaient exprimer leur opinion et les femmes ne portaient quasiment pas le hijab ou la burqa. Mais la société a lentement évolué. Par exemple, tout ce que j’ai écrit dans les années 1980, début des années 90 – critiquant l’Islam et la condition des femmes dans les sociétés islamiques – a été publié dans les journaux à grand tirage. Mais cela ne peut s’imaginer aujourd’hui. La liberté d’expression est un terme étranger maintenant.
S.B : Pourquoi ce changement ?
T.N : La communauté progressiste est en partie responsable. Lorsque j’ai été expulsée en 1994, l’ensemble de la société s’est tue. Si cette communauté s’était levée, le Bangladesh n’aurait pas eu une société dans laquelle un Avijit est assassiné, un Humayun Azad ciblé ou un Rajib Ahmed Haider tué pour avoir critiqué l’islam. Peut-être le point d’achoppement au Bangladesh est-il de savoir si d’avoir un pays est Pays sur la base de la langue ou sur la base de la religion.
S.B : Comment cela peut-il être résolu ?
T.N : « Nous devons arrêter la lapidation à mort des femmes au nom de la religion. Les lois devraient être fondées sur l’égalité, pas sur la religion »
Le Bangladesh est né sur l’idée d’une nation bengalie laïque. Depuis 1952, les Bengalis musulmans, hindous, bouddhistes et chrétiens ont choisi comme langue officielle le bengali, pas l’ourdou (n.b. : l’ourdou est la langue nationale du Pakistan mais aussi la langue officielle de 22 pays de l’Union Indienne). Les personnes qui s’opposaient à notre indépendance, avec l’armée pakistanaise, ont tué plus de trois millions de Bengalis en 1971 et sont maintenant impliqués dans l’islamisation du Bangladesh. Ils tuent les libres penseurs et les intellectuels. Le Pakistan est aujourd’hui une nation fondée sur la religion. Mais la constitution du Bangladesh doit rester laïque, et l’état séparé de la religion. Nous devons avoir une éducation laïque plutôt que l’éducation par les madrassas (écoles religieuses). Le gouvernement ne doit pas laisser le pays devenir un refuge pour les extrémistes religieux.
S.B : Les gens disent que votre critique de la religion est un peu excessive et provocatrice.
T.N : J’ai dit que la religion opprime les femmes. Les lois devraient être fondées sur l’égalité, pas sur la religion; les femmes doivent avoir les mêmes droits dans le mariage, le divorce, la garde des enfants et l’héritage. J’ai dit que nous devons arrêter la lapidation à mort des femmes au nom de la religion. Est-ce que c’est de la provocation ? Chaque état civilisé a mis en doute la relation de l’État avec la religion, les distanciant et allant même jusqu’à les séparer. L’Islam ne doit pas être exempté de l’examen critique que les autres religions ont vécu. Mon opinion est fondée sur ma croyance en l’humanisme séculier. Si cela est provocateur, alors il est absolument nécessaire de provoquer.
S.B : Mais il est souvent dit que vos écrits renforcent le fondamentalisme.
Les gouvernements renforcent le fondamentalisme, pas moi. Lorsque des fanatiques religieux mettent ma tête à prix, au lieu de prendre des mesures contre eux, le gouvernement m’expulse. La Ligue Awami et le Parti nationaliste du Bangladesh se sont unis à ces forces et ainsi de former le gouvernement intérimaire. Même dans le Bengale occidental, le Parti communiste de l’Inde (marxiste) dirigé par le gouvernement m’a expulsée ; l’imam de la mosquée Barkati Tipu Sultan, qui a fait monter les enchères sur ma tête, était adoré par les marxistes.
S.B : Une autre allégation est que, par des déclarations contre l’Islam, vous renforcez l’aile droite en Inde.
Non-sens absolu. Je critique toutes les religions, y compris l’hindouisme. Je me suis opposée aux gourous hindous, aux rituels tels que karva chauth et Shivaratri, et j’ai condamné l’oppression des Musulmans dans le Gujarat. J’ai fait don Rs.10,000 au poète Shankha Ghosh, qui recueille des fonds pour la réhabilitation des victimes des émeutes du Gujarat. Je me suis opposée à l’oppression des Hindous au Bangladesh, des Juifs en Allemagne, des Musulmans en Bosnie, en Palestine et des Chrétiens au Pakistan. J’ai écrit aussi en faveur de films tels que PK, l’eau et La Dernière Tentation du Christ. S’il vous plaît ne m’appelez pas musulmane, je suis une athée.
S.B : Lorsque la rationaliste indienne Narendra Dabholkar et le leader IPC Govind Pansare ont été tués, vous êtes restée silencieuse.
Qui vous a dit ça? Vous devriez vérifier mon compte Twitter pour connaître mes réactions et comment les éléments de la droite hindoue ont exploité ce moment. Cependant, il est vrai que je considère que le fondamentalisme islamique est une plus grande menace.
S.B : Comme le font de nombreux pays occidentaux …
Seul le monde occidental penserait que le fondamentalisme islamique est dangereux ? C’est plutôt le contraire – l’Occident côtoie volontiers les islamistes.
S.B : En tant qu’écrivain musulman, votre travail reflète souvent la paranoïa de l’Occident sur l’Islam. L’Occident vous oblige-t-il à dire ce qu’il veut?
Dites-vous que les Musulmans ne peuvent pas avoir leur propre esprit critique vis-à-vis de leur religion ? La critique de la religion est-elle un domaine réservé aux intellectuels non-Musulmans ? C’est une remarque « anti-Musulman », sérieusement.
S.B : Quel pourrait être l’avenir du Bangladesh?
Le pays va vers un désastre complet si les terroristes islamiques ne sont pas traduits en justice. Toutefois, étant donné la conjoncture, rien ne se passera et ces incidents vont augmenter dans les prochains mois, car ils sont intrinsèquement liés à la politique.
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