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La mer (mère) est triste

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Message  Zhafit Dim 18 Jan - 17:56

La mer (mère) est triste


par Louenas H.


La mer est bleue. Pas trop. Le bleu précédant la brunante. Presque vert. Verdâtre. Le silence. Le silence minéral. Un silence enveloppé dans un morceau de mystère. Une paix crépusculaire pose sur le flanc des montagnes d’attendrissants baisers. Le ciel vivifié s’est démit de son azur. Plus la dalle inamovible qu’il couchait par terre depuis le matin. La mer est étale. Une mer maintenant sereine lavée de toutes les houles. Aucune ondulation, aucun froissement, aucune ride. Juste le silence ; le silence que déflore le glouglou des vaguelettes se jetant aux pieds des baigneurs. Le sable est d’or. Il brille au fur et à mesure que descend le soleil pour dormir derrière la montagne. Le sable est d’or. La plage repeuple son calme. Quelques couples se tiennent la main dans la main. Les couples d’été. Aucun souci, pas de compte à rendre, juste quelques galipettes « ensablées », sans suite, ou sinon fiées juste à la providence… L’espoir d’un autre été.
D’une gargote émane une doucereuse et langoureuse musique. Une musique tristounette. Une romantique musique. L’heure des mamours. Bientôt la nuit, on y noiera baisers, flirts, étreintes, soupirs, rires… Aimer organiquement chez nous est un acte clandestin. C’est pour ça je suppose que chez nous l’été est lié à l’amour. Des filles viennent de loin, et comme elles sont loin de chez elles s’offrent enfin certains luxes. Comme aimer. Aimer ouvertement. Leurs parents doivent le savoir, les nôtres aussi, la société en général. Mais qu’y faire. Il faut savoir fermer les yeux parfois. Exploser c’est mieux que rouiller, dit notre cher Avalagh.
C’est vrai, être d’une ville côtière a du bon. Trois mois minimum de vive vie l’année. Soit tu as ta part des perdrix, soit tu as au moins le temps et le loisir de laver tes yeux. Trois mois complets à imaginer les corps dénudés dans ton lit, à leur donner les postures les plus abracadabrantes, trois mois à emplir la boite des souvenirs fantasmatiques, trois mois à harnacher ton imagination pour chevaucher vers des contrées sans interdits. Il y a au moins ça. C’est une aubaine. En d’autres contrées il doit y avoir des gens qui n’ont jamais vu une femme en maillot de bain…
Je regarde la mer. Elle est belle mais un peu triste. Ça doit être à cause de moi. C’est sur que c’est à cause de moi. Je suis un peu triste. Je pars demain. Je pars vers la longue et interminable insomnie : l’exil.
Je pense aux larmes de ma mère. Elle m’encourageait de verbe mais je voyais bien que dans ses yeux roulaient des larmes. Une larme grossissante s’éboula dans ses joues. Quel égoïste suis-je finalement ! Elle me manque déjà ma mère. Mon village, la mer, les oiseaux, les sentiers joyeux qui s’agrippent à mes rêves…
Je regrette d’être descendu en mer. Je ne vois aucun ami. Ils sont tous partis ou ont tous en tout cas de nouvelles obligations. Ça doit être pour ça. Chaque génération a son heure de gloire auprès des perdrix. Ceux qui maintenant se bombent le torse pour leurs conquêtes devaient être des mioches lorsque j’avais vingt ans.
Hier j’avais vingt ans, dit le chanteur. Juste hier. Je me vois comme si il y a juste quelques minutes. Je me vois dans mon short rapiécé, les os qui me sortent de partout, les cheveux rougeoyants de mes « rôtissements » quotidiens, frisés mais brillantinés, – l’espoir de la perdrix dans le rets – toute la journée à arpenter le long de la plage à l’affût du moindre épanchement féminin… Un cillement et j’aurais crié qu’elle est dans la nasse…
Un couple, main dans la main, bifurque dans la presque forêt. La jument enfarinée, dirait un ami. La nuit est devant eux. Toute une nuit à compter les étoiles qui s’évanouissent dans les limbes du voyage extatique. La mer est inspiratrice.
La mer avec ses baisers à mes pieds.
Ça y est, le soleil est couché. Plus aucun rai preuve de son éveil. Il est maintenant entièrement dans sa couche derrière la montagne de Imma Thadrarth.
Pourquoi je suis autant triste ? N’avais-je pas rêvé du moment ultime ? Partir… partira le naufragé vers l’île… l’île de l’oubli… Je ne suis pas encore parti, mais mon village me manque déjà. Il faut que je contienne le flux intense de nostalgie qui manque de me submerger ; dans ma mémoire ondulent plus que jamais mes collines montantes aux allures de vagues océanes, le bleu papillotant du ciel, les floraisons printanières, les véraisons automnales, l’enclume impitoyable des méridiennes, le craquettement foreur des cigales, le halètement matinal des vagues, le chuintement des ruisseaux, les maisons qui fument, les collines chauves. Boudhmimen, ma colline… il y en a encore la paix crépusculaire de Imma Tadrarth qui met sur les montagnes attenantes des couleurs fiévreuses et qui étire sur la mer le miroir qui la lave chaque soir de tous ses clapotis, il y en a le soleil souverain propre aux Méditerranéens, il y en a surtout le bruit, l’odeur, le brouhaha, le chahut…

Source: http://www.kabyles.net/La-mer-mere-est-triste.html

N.B: l'auteur est originaire d'Aokas
Zhafit
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