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La laïcité est le socle de la démocratie (Partie II)

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La laïcité est le socle de la démocratie (Partie II)  Empty La laïcité est le socle de la démocratie (Partie II)

Message  insoumise Dim 29 Sep - 13:05

Aucune charte ne sera raisonnable si elle n’est pas juste. Si la charte est votée et qu’elle devienne officielle, eh bien, il faudra vite penser au crucifix de l’assemblée nationale. Rien ne justifierait désormais qu’il y reste encore, encore moins la trouvaille de symbole patrimonial faisant parti du capital historique du peuple francophone et non un signe religieux ostentatoire. Il faudrait savoir où puise le débat, dans une promesse égalitaire faite par la laïcité ou alors dans la peur de l’autre, de l’étranger, du musulman surtout ? C’est une question de justice et non pas une question de primauté ou de droit de sol. La plupart des immigrants qui ont choisi le Québec l’ont fait aussi pour ses valeurs de justice et d’égalité. Parce que, justement, je ne pense pas que le Québec ou le Canada nous aurait attirés, ni qu’il aurait été celui dont nous vivons, s’il était officiellement celui de la primauté génétique, confessionnelle ou de couleur. Du reste, s’il avait été ainsi défini, nous ne serions pas ici pour en parler ; il serait très au dessous de ce genre de débat !

Par: Lounes Hassani



La question du voile islamique

J’ai lu beaucoup des réactions des tenants de la laïcité ouverte par rapport à la charte des valeurs québécoises de monsieur Drainville. Des positions qui se disent inclusives et contre le fait notamment que l’on mette les porteurs de signes religieux ostentatoires dans les institutions publiques devant le fait accompli de choisir entre leurs convictions religieuses et leur travail. Nous en sommes tous conscients. Je crois qu’il est –logiquement– plus facile d’enlever son crucifix accroché au cou ou de l’enfuir sous sa chemise que de se délester du voile couvrant ses cheveux. D’ailleurs, nous avons tous des amies, des collègues, voire des sœurs voilées qui exercent dans le genre d’institutions. Je suis même convaincu, faut-il le dire, qu’elles y ont toujours accompli leur travail de façon neutre. Je ne crois pas que ce soit tant une question de cause à effet, c’est-à-dire qu’une femme voilée est ipso facto une islamiste. Un tel supposé est ridicule. De près ou de loin, j’en connais, nous en connaissons, comme toutes les femmes, des démocrates convaincues, des ouvertes et émancipées comme des salafistes, rigoristes et des fanatiques. Je crois que la question est surtout comment on veut que soit la société de demain. Ne doit-on pas préparer le terreau pour nos enfants afin qu’ils se définissent dans les institutions publiques plutôt comme hommes et femmes et non comme chrétiens, juifs, sikhs ou musulmans ? Un espace où il ferait bon vivre, qui ne communautarise ni n’ostracise, où nos convictions et croyances profondes seraient personnelles, «intérieures».

Je ne crois pas qu’il y ait eu un séisme en France après la loi de 2003 pour l’école publique. Bien au contraire, je pense que si des hommes politiques n’avaient pas eu le courage de passer à l’acte, le pays serait autre aujourd’hui. Il y avait, certes, quelques réticences au début, ça va de soi qu’il avait permis aussi le défoulement de tous les racistes et xénophobes, mais tout a fini par reprendre son cours normal. L’école française s’en était sortie grandie, plus que jamais républicaine et égalitaire.

Néanmoins, si la charte venait à passer, je crois que l’on ne doit pas toucher les femmes voilées ou tous ceux et celles qui portent un signe religieux ostentatoire qui travaillent dans les lieux concernés. Elles et ils ont acquis le droit de les porter. Elles et ils y travaillaient bien avant. Je crois d’ailleurs que la question se pose surtout pour les femmes voilées, et même si au fond elles savent, pour la plupart au moins, que ce n’est pas une obligation religieuse, il leur est difficile de se soustraire au regard de l’autre, de ne pas y voir, même si la question est complexe, une atteinte à leur «identité», à leur fierté et honneur s’il en est.

Comme le disait dans une chronique de Pierre Foglia[1], je ne pense pas que si les balises étaient claires avant leur venue au Québec qu’elles auraient changé d’avis quant à leur immigration. Leur choix pour le Québec et le Canada, comme la majorité des immigrants, au delà de toutes les considérations sociales possibles, est motivé aussi par deux facteurs importants: les fondements démocratiques mais aussi économiques de la société d’accueil et qui vont de pair du reste, ensuite, du moins pour les francophones, la langue française. Bien sûr, c’est loin d’être exhaustif, mais chaque immigrant est venu pour une vie meilleure, plus digne surtout et plus libre.



Les prédicateurs versus les islamologues

Mohamed Arkoun (1928-2010), islamologue, historien et anthropologue de renom, fondateur de l’islamologie appliquée, une méthode pour renouer avec la grande période humaniste des pays de l’islam, et qui avait notamment développé le concept du triangle anthropologique (la violence, la sacré et la vérité) inhérent, selon lui à tous les monothéismes «qui ont construit des systèmes théologiques d’exclusions réciproques autour du concept central de la religion vraie»[2], dit sur ces prédicateurs : «Les gardiens de la foi sont des idéologues actifs, tout en ayant une conscience relativement naïve: au fond, ils n’ont pas entendu parler de modernité. Ils pensent qu’ils font du bien au politique en orientant le prince vers le Bien, en favorisant l’expansion de la croyance, l’obéissance à ce que veut l’Etat islamique. L’obéissance de tous dans le maintien de l’ignorance: c’est un travail idéologique négatif, en ce sens que la modernité est niée. Al Qaradaoui ignore tout simplement ce qu’est la méthode historique, l’historicité, l’analyse du discours, les recherches nouvelles sur l’approche des textes. Les gardiens exercent leur magistère sans scrupules de conscience, persuadés que la foi la plus pure pour les musulmans ne peut être que celle-là, la leur, celle qu’ils défendent. En même temps, ils s’aperçoivent forcément, dans leur for intérieur, qu’ils sont embarqués avec des Etats dont les politiques piétinent cette même foi. On est donc dans une situation complexe que les islamo-politologues ne voient pas dans leurs analyses»[3].

Si l’on revient à la question du voile, on trouvera facilement que son Obligation religieuse est politiquement défendue uniquement par ceux qui prônent l’islam religion et état (Dinn wa dawla), et la défense avec ferveur de ce tissu symbolique est étroitement liée à l’expansion des mouvements islamistes dans le monde. Malek Chebel, un islamologue et anthropologue algérien, explique dans une interview que « Le voile est une régression de la femme. On ne lui fait pas confiance. Elle peut être musulmane sans être voilée. Il y a eu des siècles où elle ne l’était pas. » et plus loin de rajouter : « Les versets sur le voile disent des choses ” secondaires “, réversibles, avec des ” entrées multiples… c’est un faux débat. »[4]

Pour la question d’un journaliste français Quel est le conseil que donnerait Soheib Bencheikh à la musulmane algérienne concernant le hidjab ? L’islamologue franco-algérien répond : « Ma fille, ma sœur, ton véritable hidjab si tu veux plaire à Dieu, c’est ton instruction, ta soif de connaissances qui t’amènent à donner encore plus à l’humanité au nom de ta conviction.»[5]

Mohamed Talbi, un islamologue tunisien, religieux pratiquant, dit : « Le terme voile dans le coran, dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui, ne fait pas partie du vocabulaire coranique. Le voile est une création de la charia. Le coran emploie trois termes que l’on a interprétés, à notre sens, d’une façon abusive dans le sens de voile : hidjâb, jilbâb, khimâr»[6]


Soheib Bencheikh:
« Dans l’islam, ce n’est pas l’homme qui consacre sa vie à servir et entretenir sa foi, mais la foi qui sert l’homme en élevant son humanisme. L’islam participe ainsi à une éthique universelle… Ma fille, ma sœur, ton véritable hidjab si tu veux plaire à dieu, c’est ton instruction, ta soif de connaissances qui t’amènent à donner encore plus à l’humanité au nom de ta conviction »

Historiquement, l’islamisme est né comme réponse réactionnaire à l’expansion coloniale, à «l’agression étrangère» des coutumes et traditions des peuples «musulmans». D’autant plus que les états-nations post-indépendants avaient besoin de la religion comme «constante» consensuelle pour cimenter l’arabisation dans l’utopique nation arabe de Nasser et de Georges Zidane, le père du mythe.

Pour comprendre concrètement comment les baathistes[7] recourent à la religion pour les besoins de leur expansion idéologique, un hadith attribue par exemple au prophète d’avoir dit que la langue arabe était la langue du paradis. Dans les milieux islamistes arabophones, il est même difficile parfois de contester «la véracité» religieuse de tels propos.

Il y a une nuée d’autres exemples qui démontrent comment l’endoctrinement et le curage cérébral des tenants de l’islam politique opèrent par l’émotion, la peur, le terrorisme, la menace. Dans le marché de la consommation des sens, ce sont ces zélateurs qui ont le vent en poupe. L’anti-littérature de l’apocalypse et des signes de fins des temps est sur tous les étals alors que la réception et diffusion de la pensée éclairante, savante, produit de rigueur scientifique a tout le mal à pénétrer dans l’opinion publique.

Mohamed Arkoun, Malek Chebel, Soheib Ben cheikh, Mohamed Talbi, Ahmed Al Baghdadi, pour ne citer que quelques islamologues, ne sont lus généralement que dans quelques milieux universitaires ou alors en occident, où ils ont assis une grande notoriété. Si bien qu’il est devenu quasiment impossible de parler d’historicité, de l’intériorité de la foi, de la sociologie avec les idéologues de l’islam politique. Mohamed Arkoun dit lui-même : «Il n’y a pas de discussion possible entre moi et les prédicateurs (..). [Pour ceux-ci], celui qui ne fait pas préalablement acte de foi envers des postulats intangibles ne saurait être écouté. Même avec Tariq Ramadan, la communication est impossible. Il est intelligent, nous parlons pacifiquement, mais les présupposés sont tels que des trésors de didactique et de patience de ma part n’arrivent à rien (…). Son vocabulaire est plus moderne, meilleur que celui d’Amr Khaled, qui, lui parle sur un registre exclusivement émotionnel pour faire pleurer les foules et persuader les femmes de porter le voile. Ces prédicateurs ont une fonction sociale qui a des incidences politiques, psychologiques, des effets de conversion. Mais c’est notre grande prison en ce début de siècle, depuis la seconde moitié du XXème siècle»[8].




«La coupure entre les oulémas et les sciences sociales reste totale. Ils persistent dans leur enfermement, dans une axiologie coranique qui n’a pas bougé. Ils ont perdu le contact avec la dynamique du discours prophétique et perdu tout autant la largeur et la vue politique et scientifique du Moyen âge classique»
Mohamed Arkoun

Le débat sur la laïcité est universel, actuel et futur

Le débat sur la laïcité n’est pas seulement occidental. Il se pose aussi – j’allais dire et surtout – en Algérie, en Égypte, en Tunisie, en Iran, au Mali, au Maroc, partout où la main mise du religieux a abouti à une production inouïe de la violence, à des guerres souvent fratricides, à la sacralisation du meurtre de l’autre. Il s’y pose justement aussi et peut être un peu plus véhémentement parce que les progressistes, les démocrates, les laïcs, les musulmans modernistes, les chrétiens, les libres penseurs, les tenants d’un islam spirituel, etc., savent de l’intérieur, connaissent affectivement pour ainsi dire –ils en payent le prix chaque jour– la portée idéologique de l’islam politique et du voile par conséquent ; ils savent qu’il est loin d’être une obligation religieuse, qu’il puise d’abord dans la société patriarcale, dans sa reproduction de schèmes inégalitaires, dans la violence symbolique faite au corps. En ce sens que le voile efface dans une certaine mesure le Je, culpabilise le corps, l’individu, l’autonomie, bref, un tissu symbolique qui trouve son origine dans la domination des hommes.



Cela ne veut aucunement dire que les femmes voilées sont forcément des islamistes, il faut faire la distinction, mais les gens qui disent que le tissu n’a rien à voir avec l’islamisme ignorent ou font semblant d’ignorer le processus de la montée de l’islam politique dans nos sociétés. Oui que des habits traditionnels existaient, comme le Haïk en Afrique du Nord –qui était justement une réponse sociale à une certaine époque de l’histoire de l’Afrique du Nord face à la violence des conquérants–, depuis longtemps, mais le voile islamique est un phénomène qui y est inconnu jusque dans la fin des années 1980 et pour cause. L’activisme islamiste, importé d’orient, financé par le pétrodollar wahhabite, amplifié par le bruit d’un islam politique de plus en plus revendicateur, par la massification des medias, les technologies nouvelles, mais aussi et surtout par la démission des états-nations de leur rôle social. Tout le monde ou presque considérait alors que le vêtement n’avait rien avoir avec sa culture vestimentaire.

Les tenants de l’islam politique ne peuvent concevoir que de la même manière qu’un espace temps produit une littérature, une architecture ou une gastronomie, de la même façon il produit une manière de vêtir le corps ou de l’envoiler. Leur conception de l’islam «pur» et «vrai» passe outre les considérations historique, culturelle et sociologique qui font que l’islam d’Indonesie, de l’Afrique du Nord, de l’Afrique subsaharienne et de l’Orient subissent inévitablement, naturellement, l’environnement, les langues, les rites païens, l’histoire, les mythes, les cultures, etc.

Il y a quelques jours, dans un débat à la télé, une invitée expliquait, à la question si le voile était une obligation, que c’était dit dans le coran. Mais, à supposer qu’il l’a vraiment dit, le coran dit aussi sur les mécréants : « Tuez-les où que vous les trouviez ; et ne prenez parmi eux ni allié ni secoureur»[9], doit-on pour autant prendre le texte à la lettre ?

L’islamologue, Mohamed Talbi répond à cette question : «Que dit le coran sur le voile ? Rien. Mais strictement rien. Nulle part, il n’est question de la tête de la femme. Le mot cheveux (sha’ar) n’y existe tout simplement pas. Dieu ne dit ni de les couvrir ni de les découvrir. Ce n’est pas sa préoccupation principale, et il ne fit pas descendre le coran pour apprendre aux gens comment se vêtir. Le terme ash’âr, pluriel de sha’ar, n’y intervient qu’une seule fois (XVI :80) pour désigner le poil de certains animaux domestiques. Rien dans le coran ne dit aux femmes de se couvrir les cheveux explicitement. Le terme voile, dans le sens qu’on lui donne aujourd’hui, ne fait pas partie du vocabulaire coranique. Le voile est une création de la charia. Le coran emploie trois termes que l’on a interprétés, à notre sens, d’une façon abusive dans le sens du voile : hijâb ; jilbâb, khimâr.»[10]

Du reste, si le voile est une obligation, pourquoi alors n’existe-t-il pas en Afrique du Nord que depuis une trentaine d’années ? Logiquement, il doit avoir été importé de quelque part.

Nos ancêtres et nos parents ont toujours pratiqué un islam intérieur. Nos mères, sans qu’elles le pensent en termes savants, disent qu’une religion qui franchit son intériorité sort de son espace spirituel. Elles nous ont toujours expliqué que la religion était dans le cœur.

Aujourd’hui, dans certaines régions en Afrique du Nord, et ce, bien que le voile n’y soit pas obligatoire, parfois même dans un pays soi-disant laïc comme la Tunisie, il devient de plus en plus difficile, surtout dans les régions éloignées, pour une femme de sortir dans la place publique les cheveux au vent. C’est que l’islamisme, depuis la révolution du jasmin, fait son travail de sape, divise dans le subconscient collectif les femmes en deux catégories : les femmes voilées, pudiques, et autres dévoilées, libertines donc et impudiques ! Ils en ont fait non pas une obligation religieuse, faut-il qu’ils en aient les moyens, mais «une obligation sociale» comme l’explique le philosophe Kaidi Ali.



La laïcité ouverte est communautarisante



Je crois que le voile comme le kirpan, comme le crucifix ou la kippa n’ont pas lieu d’être dans des institutions censées être des lieux neutres. Je crois surtout que si l’on ne règle pas la question maintenant, il sera plus difficile de la régler dans l’avenir. Si le mythe de l’islamisme s’ébrèche et prend des eaux de partout dans la planète, surtout dans les sociétés musulmanes où les progressistes en général ont compris que leurs premiers ennemis sont l’indifférence et le silence, déconstruisent l’argumentaire salafiste qui ne tient ni à fer ni à clou, c’est parce qu’ils ont en expérimenté l’intolérance, la division, les violences, l’impossibilité du compromis. De même si le voile a été un cheval de bataille, la preuve visible de l’intériorisation de l’islam politique et de son emprise idéologique, et ce, même si sa «pénétration» passe parfois par un effet de mode, un phénomène de masse dans la consommation du sens d’autres fois, une matérialisation d’une peur rentrée, une nécessité pour une femme pour se fondre dans le paysage et s’épargner le regard de l’autre, etc., chaque accommodement religieux est une porte pour un autre accommodement, et chaque nouvel accommodement est un pas supplémentaire pour remettre en cause l’harmonie de notre vivre ensemble, la cohésion du contrat qui nous lie en tant qu’individus dans une société.

La laïcité ouverte communautarise. L’assassinat du réalisateur néerlandais Theo Van Gog en 2004 par un islamiste (aucun être humain ne mérite de mourir comme ça), j’ai envie de penser qu’il n’aurait peut-être pas eu lieu s’il n’y avait pas eu cette coupure entre les communautés, s’il y avait eu alors cette interculturalité qui jette des ponts pour la rencontre, pour l’échange, pour l’altérité. D’ailleurs, théoriquement parlant, les tenants de la laïcité ouverte ont des intentions estimables, mais c’est sans compter les mécanismes profonds de l’homme, son besoin de sécurité auprès de son groupe, de son clan, ses certitudes, ses subjectivités, ses frustrations, son capital symbolique.


Le crucifix de l’assemblée nationale du Québec

Dans un article dans le journal Libre Afrique intitulé Liban : à quand une vraie démocratie ?, même si le parallèle peut paraître un peu exagéré, alors que l’histoire des civilisations témoigne que le feu peut prendre ici pour s’éteindre ailleurs, s’éteindre ici pour aller dans d’autres contrées, le journaliste Errachid Madjidi écrit ceci : « Le Liban est un pays multiconfessionnel où vivent dix-neuf communautés religieuses formant deux grands blocs, musulman et chrétien. Ayant ses racines sous la tutelle ottomane et instauré officiellement sous mandat français, le confessionnalisme visait probablement au départ à garantir une cohabitation pacifique entre les divers groupes. Toutefois, cette volonté louable a fini par engendrer l’institutionnalisation des communautés religieuses en tant que composantes de la société libanaise. Ainsi, la constitution de 1926, le pacte national de 1943 et les accords de Taëf de 1989 ont tenté de garantir un partage équilibré de l’ensemble des fonctions de l’Etat entre les communautés. Dans ce cadre, le parlement est partagé à égalité entre musulmans et chrétiens et à l’intérieur de chaque communauté proportionnellement au poids de chaque groupe. Au sommet de l’Etat, ce n’est pas l’équilibre des pouvoirs qui est recherché mais plutôt l’équilibre de la représentativité de chaque communauté. Le président de la république devrait être chrétien maronite, le chef du gouvernement musulman sunnite et le président du parlement musulman chiite. Ce n’est, donc, pas tant la diversité religieuse en soi qui constitue une entrave mais plutôt son institutionnalisation : elle a favorisé l’émergence d’une forme de féodalisme qui empêche le renouvellement des dirigeants en renforçant la main mise de quelques grandes familles sur la scène politique. Le leadership au sein de chaque communauté donne souvent lieu à une rivalité intense entre les clans au niveau local et parfois même au niveau national.»[11]

La laïcité de l’état contient le genre d’excès, raisonne les oppositions, rend synergiques les différences, empêche -et surtout- la xénophobie latente, les néonazis qui s’abreuvent de la haine de l’autre… La laïcité nous explique qu’il faut laisser chez soi la certitude que notre religion est la vraie, alors que la religion de l’autre est un ramassis de balivernes !



La justice, le crucifix «patrimonial», la laïcité



Aucune charte ne sera raisonnable si elle n’est pas juste. Si la charte est votée et qu’elle devienne officielle, eh bien, il faudra vite penser au crucifix de l’assemblée nationale. Rien ne justifierait désormais qu’il y reste encore, encore moins la trouvaille de symbole patrimonial faisant parti du capital historique du peuple francophone et non un signe religieux ostentatoire. Il faudrait savoir où puise le débat, dans une promesse égalitaire faite par la laïcité ou alors dans la peur de l’autre, de l’étranger, du musulman surtout ? C’est une question de justice et non pas une question de primauté ou de droit de sol. La plupart des immigrants qui ont choisi le Québec l’on fait aussi pour ses valeurs de justice et d’égalité. Parce que, justement, je ne pense pas que le Québec ou le Canada nous aurait attirés, ni qu’il aurait été celui dont nous vivons, s’il était officiellement celui de la primauté génétique, confessionnelle ou de couleur. Du reste, s’il avait été ainsi défini, nous ne serions pas ici pour en parler ; il serait très au dessous de ce genre de débat !

Ce qui fait partie vraiment du patrimoine québécois ou canadien ce sont toutes ces statues qui jonchent les chemins et parent nos espaces publics. Je ne pense pas qu’il vienne à l’idée de quelqu’un –c’est rare à mon avis– de ne pas poser pour une photo auprès d’une sculpture pour le simple fait qu’il y en ait une croix ou une étoile de David. Personne n’imagine aujourd’hui la baie de Rio sans sa sculpture géante du christ rédempteur. Rio ne serait plus la même ville. La statue fait partie, croyants ou pas, chrétiens ou autres, de notre imaginaire universel pour ainsi dire. La même chose pour la croix du Mont Royal (Montréal) même si esthétiquement parlant, il y a à en dire.

Les sculptures par exemple autour du parlement canadien racontent sans les mots, dans un langage de sentiments universel, l’histoire du Canada et de ses provinces. Il suffit de lire dans le regard du touriste pour comprendre que l’histoire, l’art, la civilisation se passe du langage sonore parfois. L’Alhambra (le château rouge) de Grenade en Espagne, témoigne de la grandeur de la civilisation musulmane. C’est un monument qui n’appartient plus aux musulmans ou aux espagnols seulement, mais à toute l’humanité. On peut en citer des centaines de cas, des milliers de personnages religieux, savants, poètes, écrivains, etc. La cuisine méditerranéenne est un patrimoine universel. Paris, Québec, Rome, Cordoue, Ghardaïa, la civilisation égyptienne, la muraille de Chine, Tombouctou, le Taj Mahal…

Mais pas un simple crucifix, accroché à un mur, que l’on peut poser ailleurs, au dessous duquel le député est d’abord un citoyen, peut être musulman, sikh, juif, agnostique, bouddhiste, animiste… le représentant de toutes les croyances.

Il ne faut pas croire que l’extrémisme sourd uniquement dans les livres ou dans des vérités préétablies. Il sourd aussi et surtout dans la misère, dans la ségrégation que subissent des hommes et des femmes, dans l’injustice, dans le deux poids deux mesures. Si certains musulmans, sikhs, juifs, etc., ont de la difficulté à être en harmonie avec la société d’accueil c’est parce qu’aussi, il y en a parmi eux, qui sont ostracisés, rejetés, désignés de tous les noms. Pourquoi, partout dans les pays dits avancés, le racisme, naguère sous-jacent, se normalise, n’interpelle plus grand monde. Partout les populismes se payent l’étranger, le musulman, le noir, le sikh, le vieux retraité, etc., bref, les faibles, et se hissent dans les sondages, arrivent même au pouvoir, dans les lieux de la décision. Parce que, aussi, dans une crise, la raison a du mal a se frayer un chemin, à fortiori quand c’est le ventre qui en souffre ou qu’il est question du pain de la marmaille, parce que dans une crise on boit aisément toutes les théories fumeuses qui nous arrangent et l’on se trouve facilement un bouc émissaire facile pour le charger de tous les péchés, parce que, n’est-ce pas, comme ont dit, le clou qui dépasse connaîtra le marteau !




Les milles et une nuits, une oeuvre universelle mais toujours censurée, pourfendue, attaquée de toutes parts par les tenants de l’islam politique

D’ailleurs, la communauté qui souffre le plus du chômage au Québec est la communauté issue de l’Afrique, de l’Afrique du Nord surtout. Et, pire, même dans la ségrégation que subissent ces immigrants, il y a stratification, tacite plus au moins. Un chrétien ça passe mieux qu’un musulman, une femme voilée ça passe moins qu’une autre non voilée, une couleur ça passe mieux qu’une autre, une demande d’emploi pour un poste passe mieux qu’une demande pour un autre poste, un âge passe mieux qu’un autre, une origine mieux qu’une autre. Je veux dire que ce sont des stéréotypes que nous intériorisons une histoire durant, personne n’en est exempté, surtout dans des pays qui se définissent encore officiellement dans une religion d’état, dans des constantes nationales ou autres.

Les préjugés que l’on a envers l’autre sont parfois les rares sujets où l’on s’entend bien. Bien sûr, pourvu que l’on noie le tout dans un discours tenable, dans quelque chose qui n’a rien à voir avec les arguments. Combien de fois a-t-on entendu de ces propos assassins: les noirs ! Ah ! Eux, je ne peux les supporter ! Les arabes, ah non, là où ils atterrissent c’est le désert ! Les juifs, alors là, tout le mal de l’humanité vient d’eux ! C’est eux qui ont inventé la banque, la crise, quoi ! Les chinois, mais t’as vu, ils sont toujours sur leur garde, tu lui dis bonjour, il croit que tu lui demandes quelque chose ! Et les blancs, la colonisation dans le sang… nous sommes, dit l’humoriste, tous le raciste de quelqu’un.

Toutes les études sociologiques sérieuses nous expliquent qu’il y a un lien étroit entre le chômage et le fait que des hommes et des femmes s’identifient dans des idées extrémistes? Inévitablement, l’homme lorsqu’il est marginalisé, acculé dans ses solitudes, renvoyé dans ses peurs, quand c’est son estimation de soi qui reçoit un coup, il ne puise pas que dans sa quintessence. Toute idéologie, fût-elle extrémiste, qui peut atténuer ses peurs, le conforter dans le froid à pierre fendre de son exil, le rassurer dans son désespoir féroce est la bienvenue, si tant est qu’il puisse être valorisé, rassuré, que sa vie ait enfin un sens, qu’il se sente important, respecté.

La communauté issue de l’Afrique du Nord ou du moyen orient, qu’elle soit berbère ou arabe, musulmane ou non, sait que, dans un débat comme celui sur la charte, c’est l’occasion aussi pour que des xénophobes de tout genre crachent leur haine du «musulman», de «l’arabe», du «juif», du «sikh» du «noir», se gargarisent de cette opportunité rêvée, servie dans un plateau en or, pour qu’ils puissent enfin «sonoriser» et «rationaliser» leur racisme via le débat !… Un proverbe dit que ce sont les plus petits esprits qui ont –toujours– les plus gros préjugés[12].

Il faut faire attention à nos glissements sémantiques, il faut que nous nous déchargeons de nos préjugés «ataviques» et que nous laissons de côté la tribu et le clan en nous pour ne parler que pensée, idées, opinions, pour frôler les hauteurs et atteindre les profondeurs. Il ne faut pas que l’on oublie que nos enfants, eux, se rencontrent chaque jour, –espace neutre de l’enfance–, n’ont cure de nos tiraillements, de nos définitions de l’autre ; ils s’aiment naturellement, spontanément, ils se chicanent de la même vitesse qu’ils se réconcilient, sans rancune, sans heurts. Lorsqu’ils prononcent le nom de leurs amis, ils ne prononcent pas une couleur, une religion, une origine ; ils sont amis, et c’est tout… mais ils ne savent pas que nous débattons aujourd’hui sur le pays de demain, le leur.

D’ailleurs, je pense que la laïcité est susceptible par sa neutralité de les empêcher de guérir de leur enfance. Ils continueraient d’être Sophie, Amir, Julien, Jugurtha, Chen, Hamza, Bacari, Lamia, Vishnu, Jacob… demain, quand ils auront le Québec à leurs épaules, ou le Canada, leurs parents auront déjà pensé leur monde, donné les grands contours à leur pays. Dans une direction comme dans une autre, puisque c’est la démocratie qui tranchera.

La charte est un pas. Un petit pas, mais déjà un pas qui sera posé devant un autre, puis un autre pour enclencher la grande marche vers un pays qui contiendra tout le monde. Une laïcité plénière, républicaine, égalitaire. Seul ce «caractère institutionnel» est capable de raisonner les certitudes des hommes et des femmes, de faire coexister les différences et les croyances immanentes ou transcendantales. La laïcité est comme la justice ; impartiale, neutre, aveugle ; elle garantit la religion et croyance de chacun, sinon, comme ce qui arrive actuellement aux chrétiens syriens et égyptiens, la religion dominante engloutit toutes les autres. La laïcité nous définit de notre humanité, de ce qui nous rassemble, de ce qui aile notre regard pour un harmonieux vivre ensemble.



Lounes Hassani


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[1]-http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/pierre-foglia/201309/17/01-4690057-arrete-madame-foulard.php
[2]- https://www.youtube.com/watch?v=YCZM9qKo65Y
[3]-http://www.yogamagazine.ma/partages/lectures/436-le-testament-de-mohamed-arkoun
[4]- http://www.humanite.fr/node/352116
[5]- http://fr.wikipedia.org/wiki/Soheib_Bencheikh#Sur_le_voile_.C3.A0_l.27.C3.A9cole_publique
[6]- http://eddenyaup.com/index.php/politique/2174-mohamed-talbi-repond-a-la-question-que-dit-le-coran-sur-le-voile
[7]- Tenants du panarabisme.
[8]- http://www.yogamagazine.ma/partages/lectures/436-le-testament-de-mohamed-arkoun
[9]-Sourate 4 verset 89
[10]- Mohamed Talbi, islmologue tunisien, Que dit le coran sur le voile ?: l’islam n’est pas voilé (http://mohamedtalbi.com/le-coran-sur-le-voile-femme/)
[11]- http://www.libreafrique.org/Majidi_Liban_democratie_171209
[12]- Victor Hugo.

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